Accident médical lors de la naissance indemnisé par l'ONIAM : fin de la déduction de l'AEEH (fr)

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Auteur : Dimitri PHILOPOULOS, avocat au barreau de Paris et Docteur en médecine

Article rédigé le 06 juin 2021

Par un arrêt rendu le 2 juin 2021, la Première chambre civile de la Cour de cassation a décidé que l'Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) n'est plus déduite de l'indemnisation due par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) (Civ. 1e, 2 juin 2021, pourvoi n° 20-10995).

La famille de la victime d'une erreur médicale pendant l'accouchement et son avocat ne manqueront pas de noter cet arrêt qui aura un impact considérable sur le montant de l'indemnisation versée par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Faits et procédure

En raison d'un manque d'oxygène subi pendant l'accouchement la victime est née en état de mort apparente.

Peu après, une encéphalopathie est apparue avec coma outre un état de mal convulsif et une atteinte des noyaux gris centraux.

La victime a conservé des séquelles d'une infirmité motrice d'origine cérébrale de type tétraplégie extrapyramidale.

Selon l'expertise médicale, ce dommage est survenu dans le contexte d'une rupture utérine directement imputable à un déclenchement artificiel de l'accouchement au moyen des prostaglandines.

Au visa de l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique, le premier juge a condamné l'ONIAM à indemniser les préjudices consécutifs à l'infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale).

Les premiers juges ont précisé que l'appel de la sage-femme au gynécologue obstétricien (afin de pratiquer une extraction) n’aurait pas empêché l’apparition des lésions neurologiques en raison du caractère imprévisible de la rupture utérine.

En revanche, le tribunal a décidé que les rapports d’expertise imputaient le dommage subi à un acte médical à savoir un déclenchement de l’accouchement et que l'accident médical sans faute ouvre droit à la réparation des préjudices par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Cependant le premier juge a déduit l'AEEH de l'indemnité allouée au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne.

Le second juge a infirmé ce jugement et a décidé que l'indemnité de la tierce personne ne devait pas subir cette déduction.

L'ONIAM a saisi la Cour de cassation d'un pourvoi à l'encontre de cet arrêt.

Solution de la Cour de cassation

La Première chambre civile de la Cour de cassation approuve le second juge dans les termes suivants :

« Selon l’article L. 1142-17 du code de la santé publique, il doit être déduit du montant des indemnités à la charge de l’ONIAM revenant à la victime ou à ses ayants droit, les prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice.

Il résulte des articles L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, comme son complément, est due à la personne qui assume la charge d’un enfant handicapé dont l’incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé, qu’elle est destinée à compenser les frais d’éducation et de soins apportés par cette personne à l’enfant jusqu’à l’âge de 20 ans, qu’elle est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l’enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales et que, s’agissant d’une prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l’enfant, elle constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant.

Dès lors que cette allocation et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire, la cour d’appel a décidé, à bon droit, qu’ils ne devaient pas être déduits de l’indemnisation due par l’ONIAM à M. et Mme X au titre de l’assistance par une tierce personne de leur enfant. »

Discussion

Il convient de rappeler que depuis 2019, la Cour de cassation a décidé que l'ONIAM peut indemniser l'accident médical survenu pendant l'accouchement en l'absence d'une faute commise par le gynécologue obstétricien ou la sage-femme de la maternité (Civ. 1, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20883).

En effet, suivant cet arrêt de la Haute juridiction, les manœuvres obstétricales sont des actes de soins :

« Mais attendu que, si l'accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; »

Dans le cas où l'ONIAM pourrait être condamné à indemniser la victime d'un accident médical non fautif, le juge du fond doit déterminer quelles prestations peuvent être déduites de l'indemnité réparatrice selon les règles de la subrogation légale.

La nature subrogatoire du recours implique nécessairement le caractère indemnitaire (et non forfaitaire) des prestations étant précisé que ces dernières revêtent un caractère forfaitaire et non indemnitaire, dès lors qu'elles sont calculées en fonction d'éléments prédéterminés indépendamment du préjudice subi (Civ. 1, 20 octobre 1993, pourvoi n° 91-16364).

En droit commun, les prestations qui ne sont pas mentionnées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ne donnent pas lieu à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ainsi ne sont pas déduites de l'indemnité allouée (Civ 2ème 2 juillet 2015, pourvoi n° 14-19797).

Voilà pourquoi, la Cour de cassation a décidé au visa des articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (Civ. 1e, 17 mars 2016, pourvoi n° 15-13865) :

«  Attendu qu’il résulte de ces textes que seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que, n’étant pas mentionnée par le premier de ces textes, la prestation de compensation du handicap ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ne peut donc être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ; »

En revanche, il en va tout autrement dès lors qu'un texte spécial prévoit l'indemnisation de la victime par des fonds d'indemnisation ou par la solidarité nationale.

Pour ce qui est du cas de l'ONIAM, l'article L1142-17 du code de la santé publique dispose :

« Cette offre [de l'ONIAM] indique l'évaluation retenue, le cas échéant à titre provisionnel, pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice. »

Bien que l'AEEH ne soit pas visée par l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, il faut répondre à la question de savoir si cette prestation est une « indemnité de toute nature reçue ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice » au sens de ce texte.

Or, dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation répond à cette question par la négative.

Certes l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) est une aide financière destinée à compenser les dépenses liées à la situation de handicap d'un enfant de moins de 20 ans. L'AEEH est versée à ses parents et peut être complétée, dans certains cas, par d'autres allocations. Elle n'est pas subordonnée à des conditions de ressources.

Néanmoins, le complément d'allocation est calculé en fonction d'éléments prédéterminés indépendamment du préjudice subi. En effet, le complément d'allocation est fixé selon des grandes catégories du handicap mais non en fonction du préjudice réellement subi. Il ne revêt pas ainsi de caractère indemnitaire selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1, 20 octobre 1993, pourvoi n° 91-16364).

Encore faut-il souhaiter que le Conseil d'Etat suit la position de son homologue judiciaire.

Pour le moment, même en cas de faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme (et à plus forte raison lorsque l'indemnisation est à la charge de l'ONIAM), le juge administratif décide qu'il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations qui ont pour objet la prise en charge de ceux-ci. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas droit à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage (CE, 5ème ch., 16 février 2021, n° 428513).

Le juge administratif peut ainsi passer outre les contraintes de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ce qui n'est pas le cas du juge de l'ordre judiciaire.

Toutefois, il n'y a pas lieu de déduire ces prestations lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme concerné d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune (CE, 5ème et 6ème CR, 26 juillet 2018, n° 408806). L'AEEH étant alloué sans condition de ressources, cette exception n'est d'aucun secours à la jeune victime d'un accident d'accouchement survenu dans une maternité qui dépend d'un établissement public de santé.

Ces règles de droit administratif auraient pour objet d'éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque l'hôpital public n'est tenu de réparer qu'une fraction du préjudice, notamment lorsque la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction des prestations, telles que l'AEEH, ne se justifie que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne (CE, 5ème et 6ème CR, 26 juillet 2018, n° 408806).

Par exemple, si le cumul de l'AEEH (et la PCH après l'âge de 20 ans) et de l'indemnité à la charge de l'hôpital est inférieur au montant des frais d'assistance de la tierce personne, il n'y a pas lieu de déduire le montant de cette allocation (et de cette prestation).

Conclusion

Suivant l'arrêt rapporté du 2 juin 2021 de la Cour de cassation, l'AEEH n'est plus déductible de l'indemnisation due par l'ONIAM.

L'avocat en droit de la santé ne peut qu'approuver cette décision ce qui permet de se rapprocher un pas de plus vers la réparation intégrale de la victime d'un accident médical pendant l'accouchement et la naissance.