Commentaires autour de l’arrêt de la CEDH du 3 septembre 2015: SERVULO c/ Portugal (eu)
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Auteur: Vincent NIORÉ, Avocat au Barreau de Paris
Date: le 7 septembre 2015
Mots clefs : secret professionnel, perquisition, juge de la liberté et de la détention (JLD), juge d’instruction, Convention européenne des droits de l'Homme
Les faits
Cet arrêt mérite autant d’éloges que de critiques puisque, d’une part, il consacre le rôle du JLD comme organe indépendant de contrôle de la perquisition avec recours devant le Président de la Cour contre sa décision d’autoriser la mesure intrusive mais d’autre part, légitime l’ingérence chez les avocats pratiquée dans le cadre d’une enquête qui a finalement abouti à un classement sans suite, et alors que les pièces saisies ont été finalement remises dans une autre procédure pénale différente.
Il s’agissait d’une perquisition pratiquée dans trois cabinets d’avocats portugais exerçant à Lisbonne, dont l’un d’eux s’était vu reprocher des indices de participation à des agissements frauduleux qualifiés de « corruption », « prise illégale d’intérêts » et « blanchiment d’argent », intervenus en avril 2004 à l’occasion de l’acquisition par le gouvernement portugais de deux sous-marins à un consortium allemand.
Au Portugal, seul le Parquet dirige l’enquête, le juge d’instruction, comme le note la Cour, intervient comme garant des libertés à l’instar du Juge des Libertés et de la Détention en France, organe de la loyauté de la procédure d’enquête.
Le Parquet s’est adressé au juge d’instruction pour que soit réalisée la perquisition sous la « présidence » du même juge d’instruction, si bien que celui-ci délivra plusieurs mandats de perquisition le 29 septembre 2009 soit le jour où l’un des avocats perquisitionnés fut également mis en examen du chef de prévarication au motif de l’existence antérieure d’indices de sa participation à la commission des infractions.
Les autres avocats qui n’avaient pas été mis en examen contestèrent la décision de perquisition devant le Président de la Cour d’appel de Lisbonne motif pris de la violation du secret professionnel avant-même que la perquisition ne débute.
Le juge d’instruction avait sollicité l’intervention d’un représentant de l’Ordre des avocats et bien sûr des avocats perquisitionnés lors de la perquisition.
Un recours en nullité avait également été porté devant la Cour contre la décision de mise en examen du premier avocat.
En effet, en droit portugais, la saisie de documents couverts par le secret professionnel est interdite sauf si l’avocat a été mis en examen préalablement.
Un autre avocat avait été mis en examen postérieurement à la perquisition et avait saisi la Cour d’appel de Lisbonne qui annula la décision prise par le juge d’instruction au motif qu’une mise en examen ne pouvait être ordonnée postérieurement à une perquisition pour justifier la saisie de documents couverts par le secret professionnel.
Au final, le premier avocat mis en examen et perquisitionné bénéficiera cinq ans plus tard d’une décision de classement sans suite le 17 décembre 2014.
Lors des perquisitions en cabinet d’avocats, sous le contrôle du juge d’instruction faisant office de JLD, et en présence d’experts en informatique, le Procureur en charge de l’enquête assisté de neuf enquêteurs, a saisi 89 000 fichiers informatiques, outre 29 000 messages électroniques à partir de 35 mots-clés choisis.
Précisément, 28 345 courriels ont été saisis, dont le juge d’instruction en a écarté 863, si bien que l’investigation informatique a abouti à la saisie de 27 482 courriels entre avocats et clients, donc couverts par le secret professionnel mais susceptibles d’intéresser l’enquête.
C’est le juge d’instruction qui a procédé à l’ouverture des données informatiques placées sous scellés fermés et ordonné la suppression des fichiers présentant des informations relatives à la vie privée ou bien couverts par le secret professionnel ou étrangers à l’enquête.
Ses opérations s’étalèrent sur trois jours (six demi-journées).
Il semble que la présence des experts informatiques, lors de la perquisition, ait été limitée à la seule extraction des données.
Devant la Cour de Strasbourg, les avocats perquisitionnés ont restreint leur contestation à la seule saisie informatique, critiquant l’usage de mots-clés trop larges et permettant la saisie de données sans rapport avec l’enquête pénale, l’accès par le juge d’instruction à des éléments couverts par le secret (alors que c’était selon eux au Président de la Cour d’appel d’exercer un tri préalable), la non-restitution des éléments informatiques saisis en dépit du classement sans suite et la jonction des données saisies dans le cadre de la procédure classée sans suite dans une autre enquête ouverte à l’encontre d’autres suspects.
La solution de la CEDH
La Cour rappelle conformément à sa jurisprudence constante qu’une ingérence en cabinet d’avocats viole l’article 8 de la Convention sauf si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique.
En l’occurrence, l’ingérence possède une base en droit interne puisque la perquisition a été autorisée par un juge d’instruction – en réalité, juge des libertés et de la détention – en présence du représentant de l’Ordre des avocats et des avocats concernés.
C’est d’ailleurs le juge d’instruction qui présidait la perquisition et en fait, l’a pratiquée en étant le seul à pouvoir prendre connaissance des documents saisis, l’avocat perquisitionné pouvant exercer un recours contre la décision de perquisition devant le Président de la Cour d’appel.
Ce même avocat, concurremment avec le représentant de l’Ordre, avait un pouvoir de contestation en exigeant le placement sous scellé fermé du document saisi et ce, sans consultation.
En l’occurrence, ce recours a été exercé et le Président de la Cour d’appel a conclu à « l’absence d’atteinte flagrante au secret professionnel des avocats », lesquels se plaignaient d’ailleurs de l’inefficacité du recours devant le Président de la Cour outre de la saisie d’éléments sans rapport avec l’enquête.
La Cour juge ainsi que le critère du but légitime réside dans la « prévention » des infractions pénales et en l’occurrence, il s’agissait de corruption, prise illégale d’intérêts, blanchiment d’argent et prévarication mais elle a pris soin de souligner qu’existaient avant la perquisition chez l’avocat des indices de sa participation à la commission d’une infraction.
En effet, ce critère de la « prévention » constitue une erreur de style puisque la prévention est réservée à la police administrative alors que la recherche et la constatation des infractions est du domaine de la police judiciaire.
Mais il est précisé que le critère de l’ingérence nécessaire concernait la recherche de la preuve matérielle de certaines infractions et la Cour prend soin de préciser qu’existaient antérieurement à la perquisition « de forts indices que la société requérante ait participé à travers notamment ses avocats, à des agissements frauduleux ».
C’est ainsi que la Cour souligne que la présence du juge d’instruction faisant office de JLD au cours de la perquisition est définie comme celle d’un « observateur indépendant » destiné à garantir l’absence de saisie de documents couverts par le secret professionnel.
Mais en l’espèce, la Cour déclare être « convaincue » que les mandats de perquisition reposaient bien sur des motifs plausibles de soupçons et valide dès lors la mesure intrusive qui concernait la saisie, notamment de 27 482 courriels couverts par le secret professionnel.
Au final, elle consacre l’intervention du juge d’instruction pour « contrôler la légalité de la perquisition et des saisies, et spécialement protéger le secret professionnel des avocats », en précisant que ce juge d’instruction ne disposait d’aucun pouvoir pour engager une enquête à l’égard de laquelle il était indépendant.
Elle souligne également que ce juge du contrôle a fait placer sous scellés fermés l’ensemble des données informatiques saisies sans en prendre connaissance jusqu’à ce que le recours porté contre sa décision de perquisitionner ait été vidé par le Président de la Cour qui avait rejeté la réclamation et jugé que les mots clés étaient en rapport avec l’enquête, proportionnés au but recherché, que les éléments saisis présentaient un intérêt direct ou indirect pour l’enquête pénale, qu’il n’existait aucune atteinte flagrante au secret professionnel de l’avocat et que c’était au juge d’instruction indépendant de faire le tri des éléments annoncés comme pertinents pour l’enquête.
C’est ainsi que la CEDH juge que la décision du Président de la Cour de Lisbonne est suffisamment motivée et que le recours porté devant lui a constitué un recours adéquat et effectif complémentaire au contrôle exercé par le juge d’instruction pour, d’une manière générale, prévenir la saisie de données couvertes par le secret professionnel.
Elle conclut à l’absence d’abus et d’arbitraire et d’atteinte au secret professionnel à raison du contrôle du juge d’instruction, de l’intervention du Président de la Cour « adéquate et suffisante » si bien que la perquisition n’a pas porté une atteinte disproportionnée au but légitime poursuivi.
La critique de la solution
A lire l’opinion dissidente, la perquisition avait été pratiquée au motif qu’aucun document n’avait été retrouvé au Ministère de la Défense
Il s’agissait donc de perquisitions « par substitution » chez plusieurs avocats qui au final n’avaient rien à se reprocher puisque l’enquête a été classée sans suite.
Mais si les recours ont été exercés, les données saisies couvertes par le secret ont été ensuite transférées dans une autre procédure alors que la procédure principale a été classée sans suite.
Il arrive que certains juges français soient coutumiers de ce procédé et trouvent un écho au Portugal.
La perquisition entreprise sur le fondement de prétendus indices a donc abouti à la collecte d’un ensemble de données informatiques représentées par des échanges entre avocats et les clients, donc couverts par le secret professionnel, qui ont été transférés de la procédure classée sans suite à une autre procédure.
Ainsi, le « contrôle efficace » du juge d’instruction annoncé comme observateur indépendant, dont les décisions ont été portées devant le Président de la Cour de Lisbonne, s’est révélé être en réalité un contrôle de formalité qui a permis un véritable détournement de procédure et à propos duquel la CEDH estime que le but poursuivi par le Parquet était légitime s’agissant d’une autre enquête étroitement liée à l’enquête d’origine.
L’arrêt est formaliste en tant qu’il consacre le rôle du juge d’instruction comme observateur indépendant qui à la fois autorise la perquisition, la contrôle, pratique la saisie sous réserve de l’intervention du Président de la Cour et se fait le juge de la violation ou non du secret professionnel.
Il fait preuve d’amnésie au plan stylistique car on y cherche vainement les termes habituellement employés sur l’importance du secret professionnel et du rôle du représentant de l’Ordre, précisément du Bâtonnier défini comme une « garantie spéciale de procédure » avec pouvoir de contestation, comme ce fut le cas dans les arrêts ANDRÉ, DA SILVEIRA et MICHAUD, certes rappelés par la Cour.
Mais l’arrêt a l’avantage de nous éclairer sur la procédure pénale au Portugal qui consacre le rôle du JLD comme organe indépendant de l’enquête qui autorise et pratique la perquisition - à l’exclusion du Parquet et des services d’enquête pourtant présents - sous le contrôle du Président de la Cour qui peut être saisi d’un recours contre ses décisions que ne connait pas le droit français.
Du moins pas encore…