Coopération judiciaire en matière civile, contrats de travail, notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail »(eu)
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Arrêt de la Cour de justice de l'union européenne
Novembre 2017
Ce contenu vous est proposé par la Délégation des Barreaux de France, Partenaire de la GBD
Mots clés : Bruxelles 1, Règles de compétence judiciaire, exécution des décisions en matière civile et commerciale, exécution du contrat de travail
Saisie de deux renvois préjudiciels par la Cour du travail de Mons (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 19 du règlement 44/2001/CE (ci-après « le règlement Bruxelles I »), concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Dans la première affaire au principal, le requérant a conclu un contrat de travail avec une compagnie aérienne ayant son siège social en Irlande. Aux termes de ce contrat, les juridictions irlandaises étaient compétentes pour connaître des éventuels litiges liés à l’exécution et à la dénonciation de ce contrat. Par ailleurs, il désignait l’aéroport de Charleroi (Belgique) comme base d’affectation du requérant. Ce dernier a démissionné puis, estimant que son ancien employeur était tenu de respecter et d’appliquer les dispositions de la législation belge, il a assigné celui-ci en vue d’obtenir le versement de certaines indemnités. L’ancien employeur a contesté la compétence des juridictions belges pour connaître de ce litige.
Dans la seconde affaire au principal, les requérants ont conclu des contrats de travail avec une personne morale établie en Irlande, contrats dans le cadre desquels ils étaient détachés en tant que personnel de cabine auprès de la compagnie aérienne en cause dans la première affaire et pour occuper des fonctions comparables à celles du premier requérant. Les contrats précisaient que leurs relations de travail étaient soumises au droit irlandais et que les juridictions de cet Etat membre étaient compétentes pour connaître de tous les litiges se rapport à l’exécution ou à la dénonciation de ces contrats. Les relations de travail ont pris fin du fait de la démission ou du licenciement des requérants qui ont également saisi les juridictions belges en vue du paiement de différentes indemnités.
Saisie dans ce contexte, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si, en cas de recours formé par un travailleur membre du personnel navigant d’une compagnie aérienne ou mis à sa disposition et afin de déterminer la compétence de la juridiction saisie, la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, au sens de l’article 19, point 2, sous a) du règlement Bruxelles I, est assimilable à celles de « base d’affectation », au sens de l’annexe III du règlement 3922/91/CE relatif à l’harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l’aviation civile (ci-après « le règlement 3922/91 »).
● La Cour rappelle, tout d’abord, que le règlement Bruxelles I énonce une série de règles qui ont pour objectif de protéger la partie contractante la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables aux intérêts de cette partie. Ces règles permettent, notamment, au travailleur d’attraire en justice son employeur devant la juridiction qu’il considère comme étant la plus proche de ses intérêts. De plus, l’article 21 du règlement Bruxelles I limite la possibilité des parties à un contrat de travail de conclure une convention attributive de juridiction. Cette disposition ne saurait, selon la Cour, être interprétée de sorte qu’une clause attributive de compétence pourrait s’appliquer de manière exclusive et interdire au travailleur de saisir les tribunaux qui sont compétents au titre des articles 18 et 19 du règlement Bruxelles I. En l’occurrence, la Cour juge qu’une clause attributive de juridiction telle que celle convenue dans les contrats en cause au principal ne répond pas aux exigences fixées par l’article 21 et qu’elle n’est, dès lors, pas opposable aux requérants au principal.
● Ensuite, s’agissant de la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de l’article 19, point 2, sous a) du règlement Bruxelles I, la Cour rappelle que le critère de l’Etat membre en cause doit être interprété de façon large. S’agissant d’un contrat de travail exécuté sur le territoire de plusieurs Etats membres, la Cour juge que cette notion doit être interprétée comme visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.
● Enfin, la Cour relève qu’il appartient à la juridiction nationale, afin de déterminer concrètement le lieu à partir duquel le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations vis-à-vis de son employeur, de se référer à un faisceau d’indices. Cette méthode doit tenir compte, selon la Cour, de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur et empêcher qu’une telle notion ne contribue à la réalisation de stratégies de contournement. Ces indices peuvent, notamment, être l’Etat membre où se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. Dès lors, la Cour estime que la notion de « lieu où, ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail » ne saurait être assimilée à une quelconque notion figurant dans un autre acte du droit de l’Union.
Ainsi, s’agissant du personnel navigant d’une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, ladite notion ne saurait être assimilée à la notion de « base d’affectation » au sens de l’annexe III du règlement 3922/91. En effet, la Cour estime que le règlement Bruxelles I ne se réfère pas au règlement 3922/91, ni ne poursuit les mêmes objectifs. Cela ne signifie cependant pas, selon elle, que cette notion est dénuée de toute pertinence afin de déterminer le lieu à partir duquel un travailleur accomplit habituellement son travail. Ce ne serait que dans l’hypothèse où des demandes présentaient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d’affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le « lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail ».
(Arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a / Ryanair, aff. jointes C-168/16 et C-169/16)