Droit des marques : déchéance des droits pour défaut d’usage ?, Cass. com., 3 juin 2014, Pourvoi n° 13-17769 (fr)

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Auteur : Laurent Goutorbe

cabinet HAAS Avocats

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Avocat au barreau de Paris
Publié le 03/07/2014 sur le blog du cabinet HAAS Avocats


Cass. com., 3 juin 2014, Pourvoi n° 13-17769


Le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’échapper à la déchéance de ses droits sur sa marque pour défaut d’usage sérieux, se prévaloir de son utilisation sous une forme modifiée, à condition que la modification n’altère pas le caractère distinctif de sa marque, et ce nonobstant le fait que cette forme modifiée est elle-même enregistrée en tant que marque.

En l’espèce, la société Cofra est titulaire de deux marques verbales « Rodéo » produisant effet en France (une marque internationale désignant la France et une marque communautaire) enregistrées respectivement en 1986 et 1996 en classes 9, 18, 25 et 28, pour désigner notamment toutes sortes de vêtements.

Constatant en 2010 que des mannequins portent des vêtements sur lesquels figurait le signe Rodeo au cours d’un défilé de mode pour la société Dolce & Gabbana France, la société Cofra l’assigne en contrefaçon par imitation de ses marques « Rodéo ».

La société Dolce & Gabbana réplique alors en demandant la déchéance des droits de la société Cofra sur ses deux marques pour défaut d’usage sérieux et obtient cette déchéance.

Pour rappel, l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle et l’article 15 du règlement CE no 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire prévoient que le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans encourt la déchéance de ses droits sur cette marque' ; étant précisé qu’est assimilé à un tel usage, l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif.

Au regard de ces textes, la société Cofra conteste la déchéance de ses droits prononcée au motif notamment « qu’en déposant plusieurs marques, la société Cofra a entendu les distinguer, de sorte qu’il lui incombe de justifier de l’usage sérieux qu’elle a fait de chacune d’elles et que la protection dont bénéficie sa marque semi-figurative ne peut s’étendre à ses deux marques verbales ».

Ce raisonnement est logiquement censuré par la Cour de cassation qui rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’établir l’usage sérieux de celle-ci, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque (CJUE, Affaire C-553/11, Rintisch, 25 octobre 2012).

Dans un autre arrêt rendu le même jour, la CJUE a affirmé sa position avec force sur une question d’interprétation de l’article 10 de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques :

Cet article « en évitant d’exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Or, cette finalité serait compromise si, pour l’établissement de l’usage de la marque enregistrée, il était exigé une condition supplémentaire selon laquelle la forme différente sous laquelle cette marque est utilisée ne devrait pas avoir elle-même fait l’objet d’un enregistrement en tant que marque » (CJUE, Affaire C 553/11, 25 octobre 2012).

En outre, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris qui a prononcé la déchéance des droits de la société Cofra sur ses marques verbales Cofra en se contentant de constater l’ajout d’une ornementation à l’élément verbal « Rodéo » afin de moderniser les marques verbales en les adaptant au goût de la clientèle, sans expliquer en quoi cet usage sous une forme modifiée altèrerait le caractère distinctif desdites marques verbales.

La déchéance des droits d’une personne sur sa marque pour défaut d’usage sérieux est un risque qu’il convient de maîtriser pour les propriétaires desdites marques et une arme de défense parfois précieuse et efficace dans les procédures de contrefaçon de marques.

L’arrêt de la Cour de cassation rappelle la technicité et la complexité de ces questions de droit ; raison pour laquelle la gestion d’un portefeuille de marques et de procédures en contrefaçon ne s’improvise pas et doit être confiée à des spécialistes.


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.