En quoi le digital services act va t il modifier le cadre juridique des services sur internet ? (eu)
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Cabinet Dreyfus [1]
Mai 2021
Pour la première fois, un ensemble commun de règles relatives aux obligations et à la responsabilité des services intermédiaires au sein du marché unique ouvrira de nouvelles possibilités de fournir des services numériques sur Internet par-delà les frontières, tout en garantissant un niveau élevé de protection à tous les utilisateurs, où qu’ils vivent dans l’Union européenne.
La Commission européenne a publié, le 15 décembre 2020, les projets de règlements Digital Services Act (DSA) et Digital Market Act (DMA), qui doivent permettre la mise en œuvre d’un nouveau cadre de régulation, pour mettre fin à l’irresponsabilité des géants du numérique.
L’objectif est de parvenir à leur adoption début 2022.
Le cadre juridique relatif aux services numériques sur Internet [2] restait principalement gouverné par la directive dite « Commerce Électronique » du 8 juin 2000, qui essuie depuis quelques années déjà de nombreuses critiques au motif qu’elle serait devenue obsolète et ne permettrait plus de répondre efficacement aux nouveaux enjeux du numérique et aux difficultés que pose l’émergence de géants du Web, souvent désignés par l’acronyme « GAFAM » (pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a officiellement annoncé sa volonté de moderniser le paysage règlementaire relatif aux plateformes numériques sur Internet .
Dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique [3] et parallèlement au Digital Market Act [4], la Commission européenne propose un règlement sur les services numériques qui sera soumis à la procédure législative ordinaire de l’Union européenne.
Pour Margrethe Vestager [5], vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique, « les deux propositions servent un même but : faire en sorte que nous ayons accès, en tant qu’utilisateurs, à un large choix de produits et services en ligne, en toute sécurité. Et que les entreprises actives en Europe puissent se livrer à la concurrence en ligne de manière libre et loyale tout comme elles le font hors ligne. Ce sont les deux facettes d’un même monde. Nous devrions pouvoir faire nos achats en toute sécurité et nous fier aux informations que nous lisons. Parce que ce qui est illégal hors ligne est aussi illégal en ligne ».
Selon le communiqué de presse [6] de la Commission européenne, les règles prévues par ce règlement visent à mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux sur Internet [7], à mettre en place un cadre solide pour la transparence des plateformes en ligne [8] et clair en ce qui concerne leur responsabilité et enfin à favoriser l’innovation, la croissance et la compétitivité au sein du marché unique.
Pour la première fois, un ensemble commun de règles relatives aux obligations et à la responsabilité des intermédiaires au sein du marché unique ouvrira de nouvelles possibilités de fournir des services numériques par-delà les frontières sur Internet, tout en garantissant un niveau élevé de protection à tous les utilisateurs, où qu’ils vivent dans l’Union européenne.
Dans un souci de protéger les internautes face à la prolifération des contenus illicites [9] et d’adapter le cadre juridique existant à l’émergence de nouveaux acteurs sur Internet, les pouvoirs publics ont envisagé différentes stratégies de régulation.
Qu’est-ce qu’un contenu illicite ?
Les contenus illicites sont définis comme tout contenu qui n’est pas conforme au droit de l’Union européenne ou au droit national d’un État membre (article 2, g [10]). En d’autres termes, la proposition de règlement ne définit pas ce qui est illicite, mais renvoie aux lois et réglementations européennes et nationales.
Rappelons que la directive du 8 juin 2000 ne définissait pas non plus la notion de contenus illicites.
Quels seront les acteurs concernés par les nouvelles règles ?
La proposition de règlement vise à s’appliquer à tout fournisseur de services intermédiaires [11], qu’il soit établi ou non dans l’UE, dès lors que les destinataires de ces services sont établis ou résident dans l’UE.
Quant aux fournisseurs de services intermédiaires, la proposition maintient les qualifications telles que prévues par la directive du 8 juin 2000, à savoir les fournisseurs d’accès au réseau et de transmission de données, les opérateurs de caching et les hébergeurs.
En revanche, la proposition introduit une nouvelle qualification : les plateformes en ligne [ https://www.dreyfus.fr/2018/01/05/plateformes-en-ligne-mettez-vous-en-conformite/]. Ces dernières sont définies comme des fournisseurs de services d’hébergement qui, à la demande du destinataire du service, stockent et diffusent les contenus à un nombre potentiellement illimité de tiers (article 2, h). Ainsi, à la différence des hébergeurs, ces acteurs permettent également la diffusion des contenus.
À noter que la proposition de règlement fait une distinction entre les plateformes et les « très grandes » plateformes. Ces dernières sont celles qui dépassent le seuil de 45 millions d’utilisateurs par mois, étant précisé que ledit seuil fera l’objet d’une réévaluation tous les six mois. En effet, en sus d’un socle de règles communes applicables à toute plateforme, la proposition prévoit un cadre juridique renforcé pour les « très grandes » plateformes.
Il convient de rappeler que sous l’empire de la directive du 8 juin 2000, les plateformes ont été qualifiées d’hébergeurs à plusieurs reprises par les juridictions. Par conséquent, elles bénéficient à l’heure actuelle d’un régime de responsabilité allégé prévu par ladite directive.
Ainsi, ces acteurs ne sont responsables au regard des contenus publiés que s’ils ont la connaissance effective de leur caractère illicite ou si, dès lors qu’ils en ont eu pris connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour les retirer ou en rendre l’accès impossible.
Un nouveau régime de responsabilité est-il prévu ?
La proposition de règlement n’introduit pas un nouveau régime de responsabilité. Comme les hébergeurs, les plateformes demeureront soumises au régime de responsabilité allégé prévu par la directive du 8 juin 2000. Est également maintenu le principe d’interdiction d’imposer une obligation de surveillance généralisée aux hébergeurs, y compris les plateformes.
Toutefois, par rapport aux hébergeurs, les plateformes auront des obligations supplémentaires qui pourront varier en fonction de leur taille.
En outre, à la différence de la directive du 8 juin 2000, la proposition vient préciser que les systèmes de modération de contenus volontairement mis en place par les fournisseurs de services intermédiaires (hébergeurs, plateformes, etc.) ne remettent pas en cause le bénéfice du régime de responsabilité allégé prévu par la proposition.
Le DSA instaurera ainsi des mécanismes de contrôle et de surveillance. Au niveau européen, cela s’effectuera par le biais d’un nouvel organe entièrement indépendant : le « Comité européen des services numériques [12]« (art. 47 à 49) en charge du conseil de la commission et des coordinateurs nationaux.
Au niveau des États membres, chacun devra désigner une ou plusieurs autorités afin de veiller à l’application du futur règlement, dont une chargée de la coordination des services numériques (art. 39 à 45 [13]). L’ensemble de l’encadrement sera complété par du droit mou (« soft law ») : standards, code de conduite, notamment pour ce qui concerne la publicité en ligne (art. 36 [14]).
Le DSA est ainsi présenté comme une 'refonte ambitieuse du cadre législatif européen en matière de services numériques sur Internet.
Grand chantier bruxellois, le Digital Services Act (DSA) tend à gouverner le numérique sur le vieux continent pour les années à venir. En préparation depuis de longs mois, le texte a été officiellement présenté à la mi-décembre 2020 et devrait entrer en application dans les 18 à 24 prochains mois après un accord des États membres et le vote du Parlement européen.