Harcèlement de rue: la création d'un délit spécifique est-elle une bonne idée ou un simple effet d 'annonce ? (fr)

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Auteur : Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris
Septembre 2017


La secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes a déclaré le 12 septembre 2017 que le harcèlement de rue serait bientôt passible d'une amende.


Marlène Schiappa a en effet annoncé sur RMC et BFMTV qu'en collaboration avec le ministre de l'intérieur Gérard Collomb, elle souhaitait créer une infraction afin de pouvoir sanctionner les harceleurs de rue.


L'idée est donc qu'il soit bientôt possible d'aller voir un policier en patrouille pour qu'il verbalise et mette une amende à la personne qui vous a harcelée.


Un groupe de travail parlementaire sera chargé d'y réfléchir de la même manière qu'en son temps les parlementaires ont caractérisé le harcèlement moral.


Mais caractériser cette nouvelle infraction constitue une gageure et on se demande dans quel délai la nouvelle loi pourrait être mise en place.


En l’état actuel de notre droit pénal, le harcèlement de rue est-il punissable ?

Le délit d’injure à caractère sexiste prévu par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 qui punit de six mois d’emprisonnement et 22.500 euros d’amende, l’injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap est clairement inadapté, notamment pour rapporter la preuve d’une telle infraction bien difficile à rapporter face à des comportements furtifs, relativement discrets dans leur mode d’exécution et qui ne se limitent pas à l’expression d’une injure.


Du coté du code pénal, l'article 222-32 punit "l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public" d'un an d'emprisonnement et de 15.000€ d'amende.


L'article 222-22 du code pénal dispose également que "constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section,quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime,y compris s'ils sont unis par les liens du mariage."


L'article 222-27 du code pénal réprime enfin les agressions sexuelles autres que le viol de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.


Bref: cela concerne les baisers forcés, les mains aux fesses, sur les cuisses, les frottements,et nous en passons....Mais cet arsenal répressif est inadapté au harcèlement de rue.


On peut en revanche commencer par se référer à l'Avis du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun, et au harcèlement de rue en général, qui a été publié le 16 avril 2015 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh_avis_harcelement_transports-20150410.pdf


Il définit le phénomène de harcèlement sexiste et des violences sexuelles dans l’espace public, comme étant des manifestations du sexisme qui affectent le droit à la sécurité et limitent l’occupation de l’espace public par les femmes et leurs déplacements en son sein.


Le harcèlement sexiste dans l’espace public se caractérise par le fait d’imposer tout propos ou comportement, à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une personne, qui a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la dignité de la personne.


Le harcèlement sexiste peut ainsi prendre des formes diverses comme des sifflements ou des commentaires sur le physique, non punis par la loi, ou des injures, punies par la loi. Les violences sexuelles sont pour leur part définies par la loi dans toutes leurs manifestations. Elles recouvrent l’exhibition et le harcèlement sexuel ainsi que les agressions sexuelles (mains aux fesses, «frottements», etc.) dont le viol.


Le harcèlement de rue pourrait donc être défini comme l'ensemble des comportements répétés, non sollicités, irrespectueux, menaçants et/ou agressifs, s’exprimant dans l’espace public à l’égard de certaines catégories de personnes, du fait de leur genre ou de leur apparence physique ou vestimentaire.


Ce phénomène touche plus particulièrement les filles et les jeunes femmes, l’impact négatif de ce continuum de violences sur leur vie quotidienne est important (sentiment d’insécurité dans l’espace public, freins à la mobilité, injonctions vestimentaires et de comportements, peur d’être jugée sur son apparence, sa sexualité ou sa capacité à plaire aux hommes, etc.), comme sur le vivre ensemble (frein à la sociabilité, renforcement des stéréotypes de sexe, etc.), et le maintien des inégalités et des discriminations entre les femmes et les hommes.


Bien que massif, le phénomène est mal connu et largement minimisé ou normalisé. Aussi, dans ce premier Avis institutionnel sur le sujet, le HCEfh avait appelé à une action déterminée de l’Etat et des collectivités territoriales.


C'est donc dans cette continuité que semble s'inscrire l'annonce du 12 septembre 2017.


Toute la difficulté du harcèlement de rue repose sur le fait que bien souvent la même victime va subir les propos ou comportements irrespectueux, menaçants ou agressifs de plusieurs individus et que c'est l’accumulation de propos ou comportements à caractère sexiste qui va constituer un harcèlement: mais alors comment imputer à un seul individu une situation de harcèlement causée par plusieurs ?


Il apparait clairement qu'un nouveau texte risque de se heurter à de grandes difficultés d’application et de preuve. Comment prouver un sifflement ? Comment prouver une insulte lorsqu’il n’y a pas de témoin ? Comment identifier l’auteur inconnu de ce comportement ?


Par ailleurs, pour dresser une contravention, il faut que l'agent verbalisateur, techniquement, puisse constater l'infraction et ce ne sera pas le cas si une femme vient le trouver en lui rapportant ce qu'elle vient de subir. Aussi, à moins d'un flagrant délit ou de la présence de témoins oculaires sur place, l'infraction de harcèlement de rue va être difficile à constater et à sanctionner valablement.