La fusion des branches professionnelles : une bonne idée ou... une fausse bonne idée (fr)
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Auteur : Alexandre Romi
Mai 2017
Baisse du nombre d’OPCA, réduction du nombre d’OCTA, diminution du nombre d’organismes de formation professionnelle… la tendance ces dernières années est baissière pour les organismes évoluant dans le champ de la réglementation sociale après une ère où, il faut bien le reconnaître, la croissance dérégulée était de mise, corrélée à une réglementation toujours plus complexe.
Les branches professionnelles n’ont pas échappé à ce phénomène. En 2015, le nombre de branches était de 700 peu ou prou. Cela signifiait 700 réglementations particulières, complexes, en sus du Code du travail, pas vraiment réputé pour sa limpidité et sa concision.
Il fallait réagir, indéniablement.
La solution, la fusion des branches. Si cela paraît être la réponse la plus sensée de prime abord, il n’en demeure pas moins que cela peut s’avérer contre-productif, voire à l’opposé de la finalité initialement recherchée, celle de la rationalisation, de l’efficacité des négociations collectives et de la baisse des différences de traitements entre salariés appartenant à des secteurs proches.
La fusion des branches sur le plan juridique
L’exposé des motifs de la loi 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dispose :
« L’article 14 vient accélérer le mouvement de restructuration des branches professionnelles engagé par la loi du 5 mars 2014 précitée, afin de parvenir à un paysage conventionnel restructuré autour de 200 branches d’ici trois ans. L’accélération de la restructuration des branches permettra d’améliorer la qualité des normes conventionnelles, d’offrir une meilleure régulation de branche, de créer des filières économiques et de donner un socle conventionnel solide aux TPE et PME qui ne sont pas couvertes par des accords d’entreprise. Il est essentiel de renforcer les branches professionnelles pour que celles-ci puissent jouer pleinement le rôle central qui leur est donné par la présente loi, qui renvoie à la négociation collective un nombre important de thèmes ».
La fusion entre deux branches professionnelles concernera, conformément à l’article L. 2261-32 du Code du travail et au décret n°2016-1540 du 15 novembre 2016 :
- Les branches caractérisées par la faiblesse de leurs effectifs salariés (moins de 5000 salariés),
- Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts (n’ayant pas négocié au cours des trois dernières années sur plusieurs thèmes relevant de la négociation obligatoire),
- Lorsque le champ d’application géographique de la branche est uniquement régional ou local,
- Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs,
- En l’absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation au cours de l’année précédente.
La procédure peut également être engagée pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d’application des conventions collectives.
A travers ces critères on peut saisir l’intérêt de fusionner des branches.
Si ces dernières n’existent en effet que sur le papier et qu’aucun accord n’est plus négocié, les salariés en sont les premières victimes, leur statut collectif n’évoluant plus.
Si la branche n’est pas représentative et que 95 % des entreprises du secteur sont représentées par d’autres fédérations, les salariés considérés ne doivent pas pour autant être moins bien lotis et doivent bénéficier des mêmes droits que la majorité.
Les différences de traitement locales ou régionales n’ont plus vraiment lieu d’être.
En revanche, là où nous pouvons nous interroger c’est sur la pertinence de fusionner une branche sous prétexte qu’elle regroupe moins de 5000 salariés car certains secteurs spécifiques peuvent être très dynamiques du point de vue social. Gageons que les services du ministère feront preuve de discernement en la matière.
La fusion des branches sur le plan économique
Plus une branche est importante, plus elle est puissante. Derrière ce truisme ce cache l’intérêt de fusionner des branches professionnelles.
Si vous représentez un million de salariés, on vous écoutera davantage que si vous n’en représentez « que » deux cents mille.
Les branches professionnelles importantes ont un pouvoir d’influence loin d’être négligeable. Elles siègent au niveau des organismes interprofessionnels (Medef, CPME, UPA) et participent aux négociations interprofessionnelles qui dessinent la réglementation qui sera appliquée. Leur présence permet de protéger au mieux les intérêts de leur secteur ainsi que celui de leurs adhérents.
Elles ont leurs entrées dans les ministères afin de sensibiliser les services techniques, comme les parlementaires d’ailleurs, des dangers de telle ou telle disposition ou, à l’inverse, de l’intérêt d’adopter un amendement particulier.
Elles sont présentes dans les conseils d’administrations des OPCA et peuvent ainsi influer sur les politiques à mettre en œuvre dans le domaine de la formation professionnelle.
Étant importantes, elles ont des moyens qui leur permettent d’être extrêmement efficaces, d’avoir des équipes juridiques de très bon niveaux, des services économiques performants.
On pourrait résumer ce qui précède en indiquant que la fusion des branches, telle qu’elle ressort des dispositions légales relève du bon sens économique et contribue à renforcer leur légitimité et leur pouvoir de représentation.
Cela est-il aussi le cas en matière de négociat ion collective ?
La fusion des branches sur le plan de la négociation collective
C’est la que le bât blesse.
La couleur syndicale
Prenons deux branches de dimensions assez proches qui ont vocation à fusionner mais dont les composantes syndicales ne sont pas les mêmes. Branche 1 : Organisation syndicale (OS) :
- OS A = 40 %
- OS B = 35 %
- OS C = 25 %
Branche 2 :
- OS A 10 %
- OS B = 35 %
- OS C = 0 %
- OS D = 55 %
Nous voyons tout de suite les difficultés posées.
Hypothèse :
Le syndicat B refuse de signer depuis des années. Ce n’est pas un problème car dans la branche 1 le syndicat A signe assez souvent et dans la branche 2 c’est le syndicat D. Avec la fusion, le syndicat B devient majoritaire et pourra s’opposer à tous les accords collectifs.
Cela n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais la fusion peut entrainer un blocage du dialogue social dès que les forces en présence avant et après la fusion sont différentes.
Le mandat
Toute négociation démarre par un mandat qui est donné au négociateur.
S’agissant de la délégation patronale, ce sont les entreprises adhérentes qui donnent le mandat permettant la signature d’un accord collectif.
Supposons que 10 entreprises soient d’accords sur un point mais que la 11ème ne l’est pas car cela lui poserait d’énormes difficultés. Le mandat ne se fera pas sur la base de la position des 10 entreprises. Il faut tenir compte de la situation de la 11ème, car le syndicat la représente tout autant que les autres.
C’est donc le plus petit dénominateur commun qui fait l’objet du mandat donné.
Si la situation est gérable lorsque le nombre d’acteurs est réduit, elle se complexifie très vite.
S’il y a cinquante entreprises et autant de situations différentes, vont-elles toutes avoir la même position ? Et à deux cents entreprises ? etc…
Le point qui fera consensus sera celui qui posera le moins de problème au plus grand nombre et donc il y a fort à parier que le mandat donné ne sera pas considéré comme attractif du point de vue des organisations syndicales de salariés.
L’échec des négociations
La délégation patronale n’ayant pu satisfaire les revendications, ces dernières étant trop impactantes pour certaines entreprises, même si c’est une minorité, les négociations échouent. Aucun accord n’est signé.
Une possibilité, pour ne pas laisser le champ conventionnel statique, est d’adopter une recommandation. En d’autres termes, la délégation patronale décide que les entreprises adhérentes appliqueront quand même une disposition favorable aux salariés, bien qu’il y ait eu échec des négociations.
Le problème est que cela crée une distorsion de concurrence entre les entreprises adhérentes et les entreprises relevant du secteur d’activité mais qui ne sont pas adhérentes. Ces dernières n’auront en effet pas l’obligation d’appliquer cette recommandation.
Observations
La fusion des branches professionnelles sur le plan de la négociation collective est problématique en raison de la façon dont fonctionnent les branches aujourd’hui.
Des branches trop importantes ne représenteront plus un secteur spécifique mais plusieurs, affaiblissant de ce fait l’homogénéité du corps social qui les compose. Les salariés appartiendront à un hyper-secteur pour lequel ils n’auront pas vraiment d’affinités.
Les mandats seront difficiles à obtenir compte tenu de la disparité de situations des entreprises de la branche (les points de vue sur les sujets ne peuvent pas être les mêmes entre une TPE et une grande entreprise ; une PME qui a des difficultés financières et une autre en plein essor ; entre une société qui vient de naître et une placée en redressement judiciaire…).
La fusion des branches, pertinente d’un côté, peut ainsi être un véritable accident industriel sur le plan de la négociation collective.
Préconisations
La loi de 2008 et celle de 2016 ont montré la voie. Celle qui permet à l’entreprise de ne plus être liée à la branche sur certains sujets.
Prenons l’exemple de ce qui a été fait en matière de durée du travail. Il est évident que chaque entreprise doit avoir sa propre organisation du temps de travail qui est fonction de son activité, de sa santé économique et des salariés qui y travaillent.
Appliquer une même organisation à toutes les entreprises sous prétexte qu’elles appartiennent à un même secteur est un non-sens.
Pour ne pas que la fusion des branche soit contre-productive, il faut que les entreprises puissent déroger aux dispositions conventionnelles. Des garde-fous et des modalités particulières devront être fixés naturellement selon les domaines concernés mais le principe doit être adopté.
A défaut, les branches fusionnées pourraient dépérir à grande vitesse, surtout dans un contexte où les entreprises ont besoin d’agilité pour se développer et se défendre.