La portée dans le temps et l’espace de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, Cass. civ. 1re, 2 avril 2008, N° de pourvoi : 04-17726 (fr)

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La portée dans le temps et l’espace de la Convention de Vienne du 11 avril 1980[1] devant la Cour de cassation - (art. 93) - Entre droit international public et droit du commerce international
L’arrêt société Legicom c/ société CTT Marketing Limited et autre. de la première chambre civile du 2 avril 2008.
Par Guillaume Weiszberg
Docteur en droit.


Décision

Source legifrance
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 2 avril 2008
N° de pourvoi: 04-17726
Publié au bulletin Rejet

M. Bargue (président), président
SCP Baraduc et Duhamel, SCP Laugier et Caston, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er avril 2004), que la société de droit français Logicom a commandé des produits de téléphonie à la société CCT Marketing Ltd (la société CCT), dont le siège est à Hong-Kong ; qu'après qu'il eut été constaté que des appareils livrés ne fonctionnaient pas, les parties sont convenues qu'ils seraient retournés au fabricant puis renvoyés à l'acheteur, à charge pour ce dernier de payer 30 % du prix FOB avant que les réparations ne soient entreprises ; que la société CCT n'ayant pas procédé aux réparations convenues, la société Logicom l'a assignée en indemnisation de ses préjudices ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société Logicom fait grief à l'arrêt de limiter, sur le fondement du droit de Hong-Kong, la réparation de son dommage à la somme de 7 995 dollars US et de rejeter toutes ses autres demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la Convention de Vienne du 11 avril 1980, relative à la vente internationale de marchandises s'applique sur le territoire de Hong-Kong, qui n'est qu'une région administrative spéciale dans l'ordre interne de la République de Chine ne disposant d'aucune autonomie en droit international public, la République de Chine n'ayant au demeurant émis aucune réserve ou restriction, lors de la rétrocession de Hong-Kong à compter du 1er juillet 1997 quant à l'application de cette convention internationale sur le territoire de cette région interne, qu'en décidant que ladite Convention de Vienne ne s'appliquerait pas à Hong-Kong, au seul motif qu'il s'agirait d'une région administrative spéciale, la cour d'appel a violé les principes du droit international, ensemble la Convention de Vienne du 23 mai 1969[2] et la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ;

2°/ qu'une Convention internationale est applicable selon les indications que portent les instruments internationaux la concernant, qu'en retenant que la société Logicom devait apporter la preuve de l'application à Hong-Kong de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, relative à la vente internationale de marchandises, au seul motif qu'il ressortait d'un certificat de coutume produit par la société CCT que ladite Convention internationale ne s'appliquerait pas à Hong-Kong, quand ladite Convention s'imposait au juge français qui devait en faire application du moment que la société Logicom avait revendiqué expressément à titre principal son application, s'agissant de postes téléphoniques fabriqués à Hong-Kong à un distributeur français, l'arrêt attaqué a violé les articles 1er et suivants de la Convention de Vienne du 11 avril 1980[3] ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 93 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 (CVIM), tout État contractant peut décider que ce traité s'appliquera à l'une ou plusieurs de ses unités territoriales, dans lesquelles des systèmes de droit différents sont en vigueur dans les matières qu'elle régit, par une déclaration faite au secrétaire général des Nations Unies désignant expressément les unités territoriales auxquelles elle s'appliquera ; qu'il résulte des pièces versées aux débats, et, notamment de la note du ministre des affaires étrangères et européennes du 18 janvier 2008, qui a interrogé les autorités chinoises sur le point en litige, que la République populaire de Chine a déposé, le 20 juin 1997, auprès du secrétaire général des Nations Unies, une déclaration énonçant, pour les conventions auxquelles la Chine était partie à cette date, celles devant s'appliquer au territoire de Hong-Kong ; que la CVIM, qui ne figure pas sur cette liste, n'a fait l'objet d'aucune déclaration à cette fin par la Chine alors qu'avant la rétrocession à cet État par le Royaume-Uni de ce territoire, cette Convention ne s'y appliquait pas ; qu'ainsi, la République populaire de Chine a accompli auprès du dépositaire de la Convention, une formalité équivalente à celle prévue par son article 93 de sorte que, ce traité n'étant pas applicable à la région administrative spéciale de Hong-Kong, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef ;

Sur le même moyen, pris en ses trois dernières branches, ainsi que sur le second moyen, ci-après annexés :

Attendu que les griefs énoncés ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Logicom aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille huit.



Publication : Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 1 avril 2004

commentaire[4]

Les faits étaient simples à la lecture de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 avril 2008; les points de droit qu’ils soulèvent sont plus originaux. La Convention de Vienne du 11 avril 1980[5] (Convention des Nations Unies sur la vente internationale de marchandises, ci-après CVIM) est-elle applicable à une vente entre un fabricant incorporé à Hong-Kong et une société distributrice de produits de téléphonie, de droit français? La réponse est négative. Hong-Kong est une « région administrative spéciale » obéissant pour partie seulement à ses propres règles juridiques issues de la période coloniale britannique jusqu’à la rétrocession à la Chine de Hong-Kong en 1997. Il s’agit des questions d’application de la CVIM dans le temps et dans l’espace.

Le Royaume-Uni n’est pas partie à la Convention de Vienne du 11 avril 1980[6], ses colonies ne le sont pas davantage. Et la Chine n’a pas imposé toutes les règles conventionnelles la liant, à Hong-Kong, en ce comprise la CVIM, à laquelle la Chine est pourtant partie.

A.- Les faits. Le moyen.

La Sté Logicom de droit français[7] commercialisait des appareils de téléphonie, et elle avait contracté avec la Sté CCT incorporée[8] à Hong-Kong l’achat de tels produits. Ceux-ci ne fonctionnant pas, les parties convinrent de les réexpédier à Hong-Kong moyennant pour Logicom le paiement de 30 % du prix FOB (FrancoBord)[9]. Les produits ne furent pas réparés par CCT et les juges du fond la condamnèrent à réparer le dommage de Logicom à hauteur de 7.995 USD. Logicom se pourvut en cassation dans l’espoir d’une infirmation de la décision entreprise par le truchement des règles plus avantageuses de la CVIM en matière de réparation du dommage[10] ou de contravention essentielle[11]. La première branche du premier moyen faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 1er avril 2004 de n’avoir pas appliqué la CVIM, alors que Hong-Kong ne serait qu’une « région administrative spéciale dans l’ordre interne de la République de Chine[12] ne disposant d’aucune autonomie en droit international public » et ajoutait -faussement- que « la République de Chine (n’avait) au demeurant émis aucune réserve ou restriction, lors de la rétrocession de Hong-Kong à compter du 1er juillet 1997 quant à l’application de cette convention internationale ». La Cour d’appel d’Aix-en-Provence aurait, en retenant que Hong-Kong était une région administrative spéciale, méconnu les principes du droit international, la CVIM et la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités[13].

La seconde branche du moyen portait sur la charge de la preuve de l’état du droit, dès lors que CCT avait produit un certificat de coutume[14] les juges du fond invitèrent Logicom à l’aider à déterminer le droit applicable[15] La seule réponse de Logicom fut « la (CVIM) s’imposait au juge français qui devait en faire application du moment que la société Logicom avait revendiqué expressément. »[16]

B.- L’article 93 de la CVIM.

1.- Texte.

Cette disposition, qui a servi à la Cour suprême pour rejeter le pourvoi dispose que:

« 1) Tout État contractant qui comprend deux ou plusieurs unités territoriales dans lesquelles, selon sa constitution, des systèmes de droit différents s'appliquent dans les matières régies par la présente Convention pourra, au moment de la signature, de la ratification, de l'acceptation, de l'approbation ou de l'adhésion, déclarer que la présente Convention s'appliquera à toutes ses unités territoriales ou seulement à l'une ou plusieurs d'entre elles et pourra à tout moment modifier cette déclaration en faisant une nouvelle déclaration.
2) Ces déclarations seront notifiées au dépositaire et désigneront expressément les unités territoriales auxquelles la Convention s'applique.
3) Si, en vertu d'une déclaration faite conformément au présent article, la présente Convention s'applique à l'une ou plusieurs des unités territoriales d'un État contractant, mais non pas à toutes, et si l'établissement d'une partie au contrat est situé dans cet État, cet établissement sera considéré, aux fins de la présente Convention, comme n'étant pas situé dans un État contractant, à moins qu'il ne soit situé dans une unité territoriale à laquelle la Convention s'applique.
4) Si un État contractant ne fait pas de déclaration, en vertu du paragraphe 1 du présent article, la Convention s'appliquera à l'ensemble du territoire de cet État. »

2.- Application en l’espèce.

Elle doit être rapportée aux faits. Il résultait des pièces versées aux débats que figurait une note du ministre (français) des affaires étrangères et européennes du 18 janvier 2008, interrogeant les autorités chinoises. Or, la Chine avait déposé, le 20 juin 1997, auprès du secrétaire général des Nations Unies une déclaration[17] énonçant, pour les conventions auxquelles la Chine était partie à cette date, les Conventions internationales devant s’appliquer à Hong-Kong. Selon la Cour de cassation Hong-Kong ne figurait pas sur cette liste la CVIM, et aucune déclaration n’avait été formulée devant le secrétaire général des Nations Unies en sens contraire. Hong-Kong n’était pas partie à la CVIM avant la rétrocession à la Chine. Le pourvoi de Logicom fut rejeté, la Cour de cassation s’estimant pleinement informée.

3.- Analyse.

L’article 93 CVIM constitue une réserve initialement destinée aux Etats fédéraux, sous l’impulsion diplomatique du Canada et de l’Australie[18]. En utilisant la notion de ‘territorial unit‘, unité territoriale, les auteurs de la Convention de Vienne avaient-ils songé au seul démembrement fédéral? L’arrêt commenté apporte ici une réponse négative.

Par ailleurs la déclaration de 1997 présentait cette originalité qu’elle ne visait pas la CVIM comme comportant l’exclusion de celle-ci, mais prit la forme d’une déclaration positive des Conventions en vigueur à Hong-Kong parmi lesquelles la CVIM ne figurait pas.

4.- Conclusion.

Sans être d’une excessive originalité, l’arrêt commenté montre que le détour par la voie du droit international privé reste toujours salutaire : le juge devait appliquer le droit du débiteur de la prestation caractéristique, celui de Hong-Kong (le vendeur est débiteur de la prestation caractéristique), tel que l’y oblige l’art. 4 de la Convention de Rome/Proposition de Règlement Rome I relative au droit applicable aux obligations contractuelles.

Notes et références

  1. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 11 avril 1980
  2. Convention de Vienne sur le droit des traités, faite à Vienne le 23 mai 1969
  3. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, op. cit.
  4. V.également JCP 2008, éd. G., n° 16, p. 12 et s., obs. Jean-Grégoire Mahinga.
  5. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 11 avril 1980
  6. Cf. Nicholas, Barry, « The United Kingdom and the Vienna Sales Convention : Another Case of Splendid Isolation ? », Communication au Centro di studi e ricerche di diritto comparato e straniero, Rome, n° 9, 1993, http://www.cnr.it/CRDS/nicholas.htm.
  7. Entendre « "ayant son siège statutaire ou réel sur le territoire français" ».
  8. L’incorporation est le critère de rattachement en droit anglais et mutatis mutandis en Droit Commun du Royaume-Uni.
  9. V. Les Incoterms 2000 de la Chambre de commerce internationale (CCI).
  10. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, art. 46.3 notam, cf. V. Heuzé, La vente internationale de marchandises, droit uniforme, LGDJ 2000, n° 419)
  11. v. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, art. 25, Id., op. cit., n° 398.
  12. Il s'agit bien de la République populaire de Chine
  13. Convention de Vienne sur le droit des traités, faite à Vienne le 23 mai 1969
  14. Cf. Bureau, Dominique, Muir Watt, Horatia, « il s’agit d’attestations, établies à la demande d’une partie [CCT en l’espèce] par des juristes ayant (de préférence) une connaissance approfondie du système juridique en cause, rémunérés par le plaideur ayant sollicité leur concours ». Droit international privé, t. I/II, n° 442., Paris : P.U.F., 2007, ISBN 978-2-13-051747-4 (T1) et ISBN 978-2-13-056504-8 (T2)
  15. V. Cass. Civ. 1re, 30 janvier 2007, Bull. I. n°44 p. 37: « le juge qui déclare applicable un droit étranger, devant alors en rechercher la teneur, peut à cette fin recourir au concours des parties. »
  16. C’est une allusion classique à l’absence d’accord procédural, soit d’entente des parties sur le droit applicable: cf. Bureau et Muir Watt, op. cit., n° 370 et s.
  17. V. la notion in Nguyên, Quôc Dinh, Pellet, Alain, Daillier, Patrick, Droit international public, Paris : LGDJ, 2002, 1510 p., n° 108 ISBN 2-275-02174-4
  18. Cf. Winship, Peter « The Scope of the Vienna Convention on International Sales Contracts », Published in Galston & Smit ed., International Sales: The United Nations Convention on Contracts for the International Sale of Goods, Matthew Bender (1984), Ch. 1, pages 1-1 à 1-53.