La responsabilité des administrateurs en droit des sociétés : les évolutions récentes en matière de devoirs fiduciaires et de responsabilité
France > Droit privé> Droit des sociétés
Par Noémie Le Bouard, avocate au barreau de Versailles, Le Bouard Avocats
Août 2023
La responsabilité des administrateurs, pierre angulaire de la gouvernance d'entreprise, est soumise à une pression croissante dans un environnement juridique en constante évolution. Alors que le droit des sociétés s'adapte aux réalités contemporaines, il convient de se pencher sur les devoirs fiduciaires renouvelés et l'accentuation de la responsabilité des administrateurs. Cet article se propose de décrypter ces changements, d'examiner les répercussions pour les décideurs et d'éclairer les implications pour le futur des entreprises.
Face à l'importance croissante de la gouvernance d'entreprise dans l'écosystème économique contemporain, le rôle et la responsabilité des administrateurs s'avèrent centraux. Les administrateurs, souvent placés au cœur des structures décisionnelles, ont une influence indéniable sur la direction et le succès de l'entreprise. Cette importance se manifeste notamment par les devoirs fiduciaires qui leur sont impartis, et par les responsabilités qui en découlent.
Contexte historique
Depuis l'adoption des premières législations sur les sociétés, la figure de l'administrateur a toujours été présente. Au fil du temps, les responsabilités et attentes envers ces acteurs ont évolué, reflétant les changements socio-économiques et les besoins des actionnaires et des autres parties prenantes.
Historiquement, les administrateurs étaient considérés principalement comme des superviseurs, veillant à la bonne gestion de l'entreprise sans nécessairement s'immiscer dans les affaires quotidiennes. Cependant, avec l'accroissement de la complexité des affaires, de la réglementation et des attentes des parties prenantes, les administrateurs ont vu leur rôle s'étendre, s'accompagnant d'une augmentation proportionnelle de leurs responsabilités.
L'accent a progressivement été mis sur la gouvernance d'entreprise, non seulement comme un moyen d'assurer la rentabilité, mais également comme un outil essentiel pour gagner la confiance des actionnaires et du grand public.
Les devoirs fiduciaires des administrateurs
Définition et cadre général
Le terme "devoir fiduciaire" évoque une obligation d'agir dans l'intérêt supérieur d'une autre partie. Dans le contexte des administrateurs, cela signifie généralement agir dans le meilleur intérêt de la société et de ses actionnaires. L'article L.225-35 du Code de commerce évoque, bien que de manière non exhaustive, les missions générales de l'administrateur, soulignant son rôle central dans la direction de la société.
Les principaux devoirs des administrateurs
Le devoir de loyauté: C'est l'un des principes fondamentaux régissant le comportement de l'administrateur. Il impose à l'administrateur d'agir toujours dans l'intérêt de la société, même lorsque cela pourrait aller à l'encontre de ses intérêts personnels. Les violations de ce devoir, telles que définies à l'article L.225-38 du Code de commerce, peuvent avoir de graves conséquences, notamment en matière de responsabilité civile.
Le devoir de diligence: Tout administrateur se doit d'agir avec la diligence nécessaire, cela implique de prendre des décisions éclairées, en s'assurant d'avoir tous les éléments nécessaires à leur prise. Le non-respect de ce devoir peut mener à des situations où l'administrateur est jugé responsable de certaines pertes ou préjudices subis par la société.
Le devoir de prévenir les conflits d'intérêts: Les administrateurs doivent s'abstenir de participer à toute décision où ils pourraient avoir un intérêt personnel. Les articles L.225-18 à L.225-26 du Code de commerce détaillent les procédures relatives aux conflits d'intérêts et établissent les sanctions applicables.
Évolutions récentes des devoirs fiduciaires
Les dernières décennies ont été marquées par de nombreuses évolutions réglementaires visant à renforcer la transparence, l'intégrité et la responsabilité des administrateurs. De nombreuses réformes législatives ont été adoptées, notamment pour renforcer le cadre des devoirs fiduciaires et garantir une meilleure protection des actionnaires.
Par ailleurs, les décisions de justice ont également joué un rôle clé dans la définition et l'interprétation de ces devoirs. Des affaires telles que celle d'Enron aux États-Unis ou celle d'Elf en France ont mis en lumière des manquements importants aux devoirs fiduciaires, conduisant à une évolution jurisprudentielle significative.
En conclusion, le rôle et la responsabilité des administrateurs sont essentiels pour garantir la bonne gouvernance et la pérennité de l'entreprise. Le respect des devoirs fiduciaires et la compréhension des responsabilités associées sont primordiaux pour tout administrateur souhaitant agir dans le meilleur intérêt de la société et de ses actionnaires.
La responsabilité des administrateurs
Responsabilité civile
Circonstances engageant la responsabilité civile
L'administrateur, pivot central de la gouvernance d'entreprise, est investi d'une responsabilité non négligeable. Le droit des sociétés, notamment à travers les articles L.225-251 et suivants du Code de commerce, encadre strictement le périmètre de cette responsabilité.
L'administrateur peut être tenu civilement responsable dans plusieurs situations:
• En cas de violation des statuts de la société,
• En cas de violation des dispositions légales régissant les sociétés anonymes,
• Ou en cas de faute de gestion.
Il est essentiel de comprendre que la faute de gestion ne se limite pas à une simple erreur; elle émerge lorsque l'administrateur agit de manière imprudente ou néglige d'agir alors qu'une action était requise.
Conséquences de la violation des devoirs fiduciaires
La violation des devoirs fiduciaires peut entraîner de lourdes conséquences pour l'administrateur. Si les actionnaires ou les créanciers subissent un préjudice du fait de cette violation, ils peuvent introduire une action en responsabilité contre l'administrateur. Selon l'article L.225-253 du Code de commerce, la société peut également engager une action en responsabilité contre ses administrateurs pour les fautes commises dans l'exercice de leur mandat. La réparation du préjudice peut se traduire par des dommages et intérêts, souvent conséquents, au bénéfice de la société ou des tiers lésés.
Responsabilité pénale
Infractions pénales et la position de l'administrateur
Au-delà des responsabilités civiles, l'administrateur doit également être conscient des risques pénaux associés à ses fonctions. En effet, sa position lui confère des obligations dont la violation peut entraîner des sanctions pénales. L'abus de biens sociaux (article L.241-3 du Code de commerce), la distribution de dividendes fictifs (article L.242-6 du Code de commerce) ou encore la présentation de comptes sociaux infidèles (article L.242-3 du Code de commerce) en sont des exemples manifestes.
Conséquences et sanctions potentielles
Les sanctions pénales varient en fonction de la gravité de l'infraction. Elles peuvent aller de simples amendes à des peines d'emprisonnement. Dans le cas de l'abus de biens sociaux, par exemple, l'article L.241-3-4 du Code de commerce prévoit une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et une amende de 375 000 euros. De plus, les conséquences ne sont pas uniquement juridiques; la réputation de l'administrateur, et par extension celle de la société, peut être sérieusement entachée.
Évolutions récentes en matière de responsabilité
Modifications législatives ou réglementaires
Les législateurs, conscients des enjeux liés à la gouvernance d'entreprise, ont entrepris de renforcer régulièrement le cadre réglementaire. Ces dernières années, nous avons assisté à un renforcement des obligations de transparence, notamment avec la loi Sapin II, qui vise à renforcer la lutte contre la corruption et à moderniser la vie économique.
Changements induits par la jurisprudence
Les affaires judiciaires majeures ou les scandales d'entreprise ont également influencé la perception et l'interprétation de la responsabilité des administrateurs. Les décisions rendues dans de telles affaires ont souvent conduit à une jurisprudence renouvelée, précisant les contours des obligations des administrateurs. Le cas de la société Vivendi, par exemple, a apporté des éclairages significatifs sur la notion d'infraction en matière de communication financière.
En conclusion, l'administrateur, par sa position prééminente, est tenu à une vigilance constante, car sa responsabilité peut être engagée sur de multiples fronts. La connaissance approfondie du cadre juridique et réglementaire, des devoirs fiduciaires et des risques associés est impérative pour naviguer sereinement dans l'exercice de ses fonctions.
Conséquences pratiques pour les administrateurs et les entreprises
Impact des évolutions récentes sur la prise de décision des administrateurs
Il serait illusoire de prétendre que l'augmentation de la responsabilité juridique des administrateurs n'a pas d'incidence sur leur prise de décision. En effet, les récentes évolutions, notamment jurisprudentielles, ont complexifié le paysage réglementaire auquel les administrateurs doivent se conformer.
L'arrêt rendu par la Cour de cassation en 2018, Cass. com., 21 nov. 2018, n° 16-26.482, illustre bien cette réalité. Cette décision, faisant écho à la responsabilité accrue des administrateurs face à la non-conformité réglementaire, a incité nombre d'entre eux à adopter une approche plus conservatrice. La crainte de sanctions civiles ou pénales influence inévitablement la stratégie et les actions des administrateurs.
Ainsi, face à une législation plus stricte et un risque accru de mise en jeu de leur responsabilité, certains administrateurs peuvent hésiter à entreprendre des actions audacieuses, même si celles-ci sont dans l'intérêt à long terme de l'entreprise.
Préparation des administrateurs face à ces responsabilités croissantes
Devant cette responsabilité grandissante, il est impératif pour les entreprises de renforcer la formation et l'accompagnement de leurs administrateurs. Il convient, par exemple, d'organiser régulièrement des formations juridiques pour s'assurer que ces derniers sont à jour des dernières évolutions législatives et jurisprudentielles. L'article L.225-37-4 du Code de commerce, insistant sur la formation continue des administrateurs, témoigne de cette nécessité.
De plus, le recours à des conseils juridiques externes devient quasi systématique pour s'assurer de la conformité des décisions prises avec le cadre réglementaire en vigueur.
Perspectives et réflexions
Évolution probable de la responsabilité des administrateurs
Si l'on se projette dans le futur, compte tenu des attentes sociétales croissantes en matière de responsabilité des entreprises, il est probable que la responsabilité des administrateurs continue de s'accroître. Les préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance (dites ESG) pourraient bien être les prochains terrains de renforcement de leur responsabilité. La loi PACTE de 2019, introduisant la notion d'intérêt social et de raison d'être des entreprises, nous donne un avant-goût de ces évolutions.
Implications pour la gouvernance d'entreprise
Dans ce contexte en mutation, il est essentiel pour les entreprises de repenser leur gouvernance. L'intégration de comités spécialisés, tels que les comités d'éthique ou de conformité réglementaire, pourrait s'avérer bénéfique. Il serait également judicieux d'envisager une diversification des profils au sein des conseils d'administration, intégrant des compétences juridiques, environnementales ou sociales.
Conclusion
La responsabilité des administrateurs est, sans conteste, un sujet central dans la gouvernance des entreprises modernes. Elle influence non seulement la stratégie et la prise de décision au plus haut niveau, mais impacte aussi la réputation et la santé financière des sociétés. Dans un monde en constante évolution, marqué par une complexité réglementaire croissante et des attentes sociétales en mutation, il est plus que jamais essentiel de comprendre et respecter les devoirs et responsabilités inhérents à la fonction d'administrateur. Ces défis, bien que redoutables, offrent également l'opportunité de bâtir des entreprises plus résilientes, éthiques et en phase avec leur époque.