Le Conseil d’Etat adopte la règle « cachet de la poste faisant foi à l’expédition »
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Cabinet AdDen Avocats [1]
Mai 2024
CE, sect., 13 mai 2024, n° 466541 : Lebon [2]
À l’occasion d’un arrêt rendu le 13 mai 2024, le Conseil d’Etat s’est penché sur l’identification de la date à laquelle le recours contentieux formé par voie postale doit parvenir devant les juridictions administratives.
Précisons tout d’abord les faits : au sein d’une clinique polynésienne, un médecin gynécologue-obstétricien a porté plainte contre une sage-femme devant la chambre disciplinaire de l’ordre des sages-femmes.
Le 14 janvier 2021, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté la plainte. Le médecin spécialiste a alors formé un recours en appel. Cet appel a été adressé par voie postale et envoyé le 30 mars 2021 depuis la Polynésie. Il a été enregistré au greffe de la chambre disciplinaire nationale le 16 avril 2021. Par une décision du 31 mai 2022, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes a annulé la décision du 14 janvier 2021 et a infligé à la sage-femme un blâme. La sage-femme a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Elle invoque principalement l’irrecevabilité du recours d’appel du fait qu’il était tardif.
La problématique principale abordée par le Conseil d’Etat était la suivante : quelle est la date à prendre en compte lorsque le recours contentieux est adressé par voie postale à la juridiction administrative ?
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat s’intéresse à la recevabilité de la requête d’appel au moment de sa réception par la juridiction
Il pose un premier considérant de principe mentionnant que « sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi ».
Sur cette question, il convient de rappeler le contexte. L’article R.421-1 [3] du code de justice administrative dispose que « la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ». C’est une condition de recevabilité qui est d’ordre public.
En l’état, la jurisprudence mentionne, en ce qui concerne l’envoi d’une requête par courrier recommandé, que la recevabilité de la requête est appréciée par rapport à la date de première présentation au greffe de la juridiction [1]. De ce fait, un recours adressé par voie postale qui n’est pas arrivé à temps devant la juridiction est irrecevable [2].
Cependant, le Conseil d’Etat a nuancé sa position en estimant que la requête est recevable lorsqu’elle était postée en temps utile. La requête doit également parvenir à la juridiction selon les délais normaux d’acheminement du courrier [3]. En matière de délais d’appel, le juge peut alors prendre en compte la date de l’envoi de la requête d’appel lorsque le délai d’acheminement postal est anormalement long[4].
S’appuyant sur l’article R. 4126-44 [4] et R. 4126-45 [5] du code de la santé publique qui disposent que « Le délai d’appel est de trente jours à compter de la notification de la décision. Les délais supplémentaires de distance s’ajoutent au délai prévu à l’alinéa précédent, conformément aux dispositions des articles 643 [6] et 644 [7] du code de procédure civile. (…) » et que « L’appel doit être déposé ou adressé par voie postale au greffe de la chambre disciplinaire nationale » ainsi que sur l’article 643 [8] du code de procédure civile qui prévoit que « Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais (…) d’appel (…) sont augmentés de : /1 Un mois pour les personnes qui demeurent (…) en Polynésie française (…) », le Conseil d’Etat juge que :
« si l’appel formé par Mme.B … contre cette décision, qui a été adressé par voie postale, n’a été enregistré au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes que le 16 avril 2021, il n’est pas contesté qu’il a été expédié le 31 mars 2021 depuis la Polynésie française, où réside Mme.B, soit avant l’expiration d’appel imparti de trente jours, augmenté du délai de distance d’un mois (…). Par suite, Mme.E n’est pas fondée à soutenir que l’appel de Mme B… était tardif et à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision qu’elle attaque, qui a fait droit à cet appel ».
Par ces considérations, le Conseil d’Etat va au-delà de sa jurisprudence initiale en matière de recours formés devant les chambres disciplinaires. Il avait jugé que « lorsqu’un appel formé contre une décision de sanction n’a été enregistré par le greffe de la chambre disciplinaire nationale que le lendemain de l’expiration du délai franc de trente jours, mais que le courrier contenant cet appel a été posté en recommandé en temps utile pour être enregistré avant l’expiration de ce délai, l’appel ne peut être déclaré irrecevable » [5].
L’arrêt du 13 mai 2024 vient alors complexifier la prise en compte de la date de recevabilité devant les juridictions administratives en ce qu’il ne s’attache qu’aux recours contentieux et non pas aux autres recours tels que le recours hiérarchiques ou gracieux. Cependant, il ne faut pas non plus sur interpréter cet arrêt car, aujourd’hui, près de 88,4% des recours sont formés via Télérecours [6].
Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat apprécie la conformité de la formation de jugement au regard du nombre de membres au sein des chambres disciplinaires. Sur le fondement de l’article L. 4152-6 [9] et L. 4122-3 [10] du code de la santé publique, le Conseil d’Etat, estime, sans s’y attarder, qu’aucune règle « interdit à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes de siéger en nombre pair » ou en nombre impair.
Dans un troisième temps, sur le fondement de l’article 14 [11] du code de déontologie des sages-femmes adopté par la délibération du 10 juillet 1997 de la commission permanente de l’assemblée de la Polynésie française, le Conseil d’Etat s’attache à la qualification des faits. Il juge que « la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » au regard du fait que Mme. E avait manqué à ses obligations déontologiques telles que l’arrêt de l’enregistrement du rythme cardial fœtal et la non interpellation des professionnels de la maternité au moment de l’apparition d’une tachycardie fœtale pouvant donner lieu à des souffrances
Enfin dans un quatrième temps, le Conseil d’Etat apprécie la proportionnalité de la sanction par rapport aux manquements de la requérante. Sur le fondement de l’article L.4124-6 [12] du code de la santé publique qui dispose des peines disciplinaires, le Conseil d’Etat a estimé que le blâme n’était pas « hors de proportion ».
Références
- ↑ CE 30 décembre 1998 Epoux Serot, req.°167843, Rec. T
- ↑ CE 25 juin 1999 Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Alliance, req.°172935, Rec. T
- ↑ CE 20 février 1970 Ministre de l’Agriculture contre Delort, req.°77021 Rec. T
- ↑ CE 17 décembre 2003 Société F-B, req. °248093 Rec. T
- ↑ CE 23 juin 2010 M.A, req.° 327376
- ↑ Chiffres clés 2023 de la juridiction administrative