Le refus de donner le code de déverrouillage d’un téléphone aux autorités judiciaires peut être constitutif d’une infraction

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Anthony BEM, avocat au barreau de Paris [1]
Le 11 janvier 2023


L’article 434-15-2 du code pénal, en vigueur depuis une vingtaine d’années, a fait l’objet d’une réécriture au terme de la loi du 3 juin 2016, ayant pour objectif de renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et d’améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

L’article 434-15-2 du code pénal dispose ainsi, dans sa rédaction actuelle, que :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 270 000 € d'amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 450 000 € d'amende. »

Il découle de cette disposition que le fait de refuser de donner aux autorités la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir servi à la commission d’une infraction, est constitutif d’un délit pénal en tant que tel.

L’article ne définit cependant pas en lui-même ce qu’il convient d’entendre par les termes de « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ».

Ainsi, les tribunaux ont eu récemment l’occasion de se pencher sur la question de savoir si le code de déverrouillage d’un téléphone portable entrait ou non dans le champ d’application de cette disposition pénale.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation, réunie en Assemblée Plénière le 7 novembre 2022[2], un homme avait été placé en garde à vue lors d’une enquête concernant des infractions à la législation sur les stupéfiants.

Celui-ci avait alors refusé de communiquer aux enquêteurs les mots de passe des deux téléphones ayant été découverts en sa possession lors de son interpellation par les forces de l’ordre.

Cet individu avait ainsi été poursuivi pour les infractions relatives aux stupéfiants, mais également pour avoir refusé de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, en s’étant opposé, en outre, à la communication des codes de déverrouillage des téléphones qui étaient susceptibles d’avoir été utilisés pour les besoins d’un trafic de stupéfiants.

Les juges ont tranché et si l’individu a en effet été condamné pour les infractions à la législation sur les stupéfiants, il a en revanche été relaxé concernant le délit de refus de transmettre ou de mettre en œuvre la convention secrète d’un moyen de cryptologie.

À la suite de cette décision, le ministère public a interjeté appel mais la cour d’appel a confirmé que le code de déverrouillage d’un téléphone ne s’assimilait pas à une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie.

Cependant, l’affaire ne s’est pas arrêtée là car un pourvoi en cassation a été formé, et la Cour de cassation a censuré la décision des juges de la cour d’appel.

En effet, dans un arrêt de la chambre criminelle du 13 octobre 2020, pourvoi n°20-80.150[3], la Cour de cassation a rappelé, au visa notamment de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et des articles L.871-1 et R.871-3 du code de la sécurité intérieure, que :

« La convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie contribue à la mise au clair des données qui ont été préalablement transformées, par tout matériel ou logiciel, dans le but de garantir la sécurité de leur stockage, et d'assurer ainsi notamment leur confidentialité. Le code de déverrouillage d'un téléphone portable peut constituer une telle convention lorsque ledit téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie. »

La Cour de cassation a ainsi déjà eu l’occasion de poser le principe selon lequel le code de déverrouillage d’un téléphone portable pouvait entrer dans le champ d’application de l’article 434-15-2 du code pénal.

Malgré ces précisions, la cour d’appel, statuant après renvoi de la Cour de cassation, a de nouveau relaxé l’individu concernant cette infraction.

Après un nouveau pourvoi formé par le ministère public, la Cour de cassation statuant désormais en Assemblée Plénière, devait ainsi de nouveau répondre à la question de savoir si le code de déverrouillage d’un téléphone pouvait constituer une « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ».

C’est en ce sens que dans un très important arrêt du 7 novembre 2022, chambre criminelle, pourvoi n°21-83.146[4], la Cour de cassation réunie en Assemblée Plénière a jugé que :

« Alors qu'il ressort des dispositions de l'article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et des articles 132-79 du code pénal et R871-3 du code de la sécurité intérieure que l'on entend comme « conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations de cryptologie » les « clés cryptographiques ainsi que tout moyen logiciel ou de toute information permettant la mise au clair de ces données »

Qu'en affirmant de manière générale que le code de déverrouillage d'un smartphone n'est pas une convention secrète de chiffrement sans effectuer l'analyse des caractéristiques techniques du téléphone concerné I-phone 4, pourtant indispensable pour fonder sa décision, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision. »

Ainsi, la Cour de cassation réaffirme sa précédente position et explique que les juges du fond s’étaient contentés d’affirmer que le code de déverrouillage d’un téléphone n’était pas une convention secrète de déchiffrement, tandis qu’une telle affirmation dépendrait pourtant de l’analyse des caractéristiques techniques de chaque téléphone.

Concrètement, le moyen de cryptologie d’un téléphone portable est la clé qui permet le déverrouillage, à savoir un code numérique, une empreinte digitale ou une reconnaissance faciale, selon les appareils.

Par conséquent, la Haute Cour a considéré que le refus de donner son code de déverrouillage de téléphone portable aux forces de l’ordre peut constituer une infraction pénale à part entière, et plus particulièrement le délit prévu à l’article 434-15-2 du code pénal.

Cependant, comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, la caractérisation de ce délit n’est pas systématique.

Il faut d’une part que le téléphone portable soit effectivement doté d’un moyen de cryptologie, ce qui est le cas de la plupart des téléphones actuellement sur le marché.

D’autre part, les autres éléments matériels du délit doivent être caractérisés.

Il doit être démontré que le téléphone a été utilisé pour la commission d’un crime ou délit et il faut avoir effectivement connaissance du code de déverrouillage en question.

Par ailleurs, la pénalisation du refus de donner le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut susciter la controverse, notamment au regard du droit de se taire et du droit au respect de la vie privée, qui sont des droits fondamentaux.

Le Conseil Constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité s’est justement prononcée sur la conformité de l’article 434-15-2 à la Constitution, dans une décision QPC n°2018-696 du 30 mars 2018[5].

Le Conseil Constitutionnel a considéré qu’en imposant à la personne ayant connaissance d’une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre uniquement si ce moyen de cryptologie est susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit et uniquement si la demande émane d’une autorité judiciaire, le législateur a poursuivi des objectifs de valeur constitutionnelle de prévention et de recherche des infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes à valeur constitutionnelle.

Le Conseil a en effet considéré que l’objectif n’était pas d’obtenir des aveux de la part de la personne suspectée, mais uniquement de permettre le déchiffrement des données cryptées.

En outre, il a rappelé qu’il s’agit de données qui doivent avoir déjà été identifiées lors de l’enquête ou l’instruction comme susceptibles d’avoir été utilisées pour préparer la commission d’une infraction.

Ainsi, le Conseil Constitutionnel a conclu que l’article 434-15-2 du code pénal ne porte ni atteinte au droit de se taire, ni aux autres droits et libertés que la Constitution garantie, et est donc conforme à la Constitution.

Par conséquent, il résulte de tout ce qu’il précède, qu’il est donc possible d’être poursuivi devant le juge pénal pour avoir refusé de donner le code de déverrouillage d’un téléphone portable.

Néanmoins, il est important de souligner qu’il reste possible de se défendre utilement compte tenu des conditions cumulatives très strictes pour que cette infraction autonome soit constituée.

Il conviendra ainsi de vérifier si la demande de déverrouillage du téléphone portable émane bien de l’autorité judiciaire compétente, à savoir un magistrat ou un officier de police judiciaire agissant sous son contrôle.

En outre, le téléphone portable doit avoir servi à la commission d’une infraction et être équipé d’un moyen de cryptologie qui permet son déverrouillage, à savoir un code numérique, une empreinte digitale ou une reconnaissance faciale.