Les agissements sexistes sont constitutifs d’une faute justifiant un licenciement ,quand bien même, l'employeur n'aurait pas sanctionné antérieurement de tels faits

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Juin 2024

Les comportements sexistes appréhendés depuis peu par le droit du travail

Les comportements sexistes ainsi que le harcèlement sexuel sont des phénomènes qui existent malheureusement de longue date dans les entreprises, mais leur appréhension en tant que fait juridiquement répréhensible par le droit du travail est relativement récente (1992 pour le harcèlement sexuel, 2015 pour les agissements sexistes).

Les propos graveleux et les boutades lourdingues à connotation sexuelle n’y sont pas une nouveauté.

Comme dans d’autres domaines (cinéma notamment), les rapports de pouvoir ont longtemps permis de tenir sous l’étouffoir de tels agissements dans les entreprises.

La crainte d’être stigmatisée si l’affaire venait à être ébruitée, de ne pas être crue ou de subir des mesures de rétorsion, ont longtemps dissuadé les victimes de ces agissements de les dénoncer, à plus forte raison lorsque leur auteur occupe une position hiérarchique dans l’entreprise.

Les décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation sur ces sujets pourtant bien présents dans la vie des entreprises sont encore peu nombreuses, si on les compare notamment aux plaintes pour harcèlement moral.

L’arrêt qu’a rendu la Cour régulatrice, qui semble être le premier en la matière, et qui casse une décision de la Cour d’appel, retient donc toute l’attention.

La sanction des agissements sexistes dans le code du travail

Il est intéressant de relever que l’agissement sexiste ne figure pas dans le Code du travail dans la rubrique consacrée au harcèlement sexuel, défini rappelons-le, comme le fait pour un(e) salarié(e) de subir « des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (article L 1153-1 du Code du travail [2]).

La définition de l’agissement sexiste figure dans un titre consacré à « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », à côté, entre autres, de l’interdiction de refuser d’embaucher ou de muter une personne en considération de son sexe, ou de mentionner dans une offre d’emploi le sexe du candidat recherché.

L’article L 1142-2-1 [3] du Code du travail dispose que :

« Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

On observera qu’à la différence du harcèlement sexuel, le caractère répétitif n’est pas exigé pour qualifier un agissement sexiste, de sorte qu’une fois suffit pour que leur auteur puisse être sanctionné.

Les faits de l’affaire Un salarié travaillant comme technicien supérieur au sein du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) depuis 20 ans, est convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire.

La procédure applicable prévoit pour ce type de sanction le passage devant un « conseil conventionnel », qui est un organe paritaire donnant un avis consultatif, auquel l’employeur suggère une mise à pied d’un mois.

Le salarié est finalement licencié pour faute (simple) après que le « conseil conventionnel » ait considéré à la majorité de ses membres (9 sur 10) qu’une mise à pied était insuffisante, les faits justifiant son congédiement.

La lettre de licenciement lui reproche d’avoir adopté à l’égard de plusieurs de ses collègues de sexe féminin un comportement inconvenant, notamment des propos répétés à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants à leur égard.

Les propos rapportés par une salariée étaient les suivants : « que j’étais une partouzeuse, que j’avais une belle chatte et que j’aimais les femmes. Il a également parlé en des termes salaces (d’une autre salariée) et de sa nouvelle relation masculine ».

L’employeur avait également retenu qu’il avait manifestement eu par le passé des propos similaires, à connotation sexuelle, insultants et dégradants, à l’encontre de deux salariées.

Le salarié avait porté l’affaire devant la juridiction prud’homale, contestant son licenciement.

La position de la Cour d’appel La Cour d’appel avait fait droit à la demande de l’intéressé et jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sa motivation était fondée sur deux arguments : d’une part, bien que le salarié ait tenu par le passé des propos similaires, à connotation sexuelle, insultants et dégradants, sa hiérarchie, qui en était informée, ne l’avait pas sanctionné.

D’autre part, un licenciement apparaissait disproportionné alors précisément qu’aucune sanction n’avait été prononcée antérieurement par l’employeur pour de tels faits.

Elle jugeait dès lors que le licenciement n’était pas valable.

Ce qui n’est pas l’analyse de la Cour de cassation.

Même en l’absence de sanction antérieure, un tel comportement fautif justifie un licenciement

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle en premier lieu, qu’à l’instar de ce qu’elle a déjà jugé en matière de harcèlement sexuel, l’employeur est tenu envers les salariés à une obligation de sécurité.

Il lui appartient à ce titre de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et faire cesser notamment les agissements sexistes.

Elle considère en outre que, « le salarié ayant tenu envers deux de ses collègues, de manière répétée, des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, ce qui était de nature à caractériser, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement » (Cass. Soc. 12 juin 2024 n° 23-14292 [4]).

On se souvient que l’obligation de sécurité de l’employeur lui impose de protéger la santé et la sécurité victime de ces agissements.

En conséquence, lorsque l’employeur est informé de tels faits, il lui incombe de réagir sans délai de façon effective.

La circonstance qu’un salarié ait tenu de manière réitérée des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants est constitutif d’une faute justifiant son licenciement.

L’absence de réaction antérieure de l’employeur ne peut donc constituer une immunité pour l’auteur des faits.