Messages privés d'un époux versés lors d'un divorce et respect de la vie privée
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Laurence Mayer, avocat au barreau de Paris [1]
Janvier 2022
La question posée à la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) était de savoir si le fait par un époux lors d'une procédure de divorce, de verser aux débats des messages privés portait atteinte au respect de la vie privée.
Au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Convention EDH) relatif au droit au respect de la vie privée, la Cour européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) s’est prononcée sur la question de savoir si la divulgation et la production par le mari de messages privés échangés sur un site de rencontre par l’épouse avec d’autres hommes sans le consentement de celle-ci dans le cadre d’une procédure de divorce et d’une procédure de répartition de l’autorité parentale portait atteinte à l’article 8.
En l’espèce, la Cour EDH a été saisie, après épuisement des voies de recours internes, à l’occasion d’une procédure de divorce et de répartition de l’autorité parentale introduite initialement devant le Tribunal aux affaires familiales espagnol.
La juridiction nationale a rendu une décision aux termes de laquelle le divorce des époux a été prononcé et la résidence principale des enfants a été fixée au domicile de la mère, avec un droit de visite et d’hébergement accordé au père et ancien époux de la mère.
A l’issue de la procédure devant les juridictions civiles, la mère des enfants a porté plainte et saisie la juridiction pénale espagnole pour violation de la vie privée et du secret des correspondances. La requérante reproche à son époux d’avoir lu des messages privés que Madame échangeait sur un site de rencontre sur lequel elle s’était inscrite et de les avoir produits, sans son consentement, dans le cadre de la procédure de divorce et de la procédure de répartition de l’autorité parentale qui les opposait.
La Cour EDH a été saisie de la question de savoir si la production de ces messages privés portait atteinte à l’article 8 de la Convention EDH relatif au droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances.
La Cour EDH précise tout d’abord que le Tribunal aux affaires familiales espagnol n’a pas tenu compte des messages. Ainsi la requérante ne peut se plaindre que du fait que les juges n’ont pas sanctionné son époux pour avoir divulgué ces messages. La requérante ne peut donc pas reprocher à la juridiction espagnole d’avoir déclaré ces preuves recevables.
La Cour EDH rappelle ensuite que les Etats membres s’engagent négativement et positivement à respecter le droit à la vie privée de leurs citoyens. Cela signifie d’une part qu’au titre des obligations négatives, les Etats membres s’engagent à ne pas commettre d’ingérence dans la vie privée des individus.
D’autre part, au titre des obligations positives, les Etats membres doivent adopter des mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations entre individus. Dans ce cas, la responsabilité de l’Etat peut être engagée « si les faits litigieux résultent d’un manquement de sa part à garantir aux personnes concernées la jouissance des droits consacrés par l’article 8 de la Convention EDH ».
Dans le cas d’espèce, l’Etat membre n’a pas violé ses obligations négatives. La Cour doit examiner uniquement le respect des obligations positives par cet Etat membre car il s’agit d’une ingérence dans la vie privée de la requérante, réalisée par une autre personne privée et non par l’Etat.
Deux questions se posent alors.
D’abord, la Cour vérifie que l’Etat membre a mis en place un cadre juridique permettant à la requérante de faire valoir son droit au respect à la vie privée. Puis la Cour va étudier le raisonnement de la juridiction de l’Etat membre et si celle-ci a suffisamment mis en balance les intérêts en présence.
Sur la première question qui est de savoir si l’Etat membre a mis en place un cadre juridique permettant à la requérante de faire valoir son droit au respect de la vie privée, la Cour juge que la protection juridique du droit au respect de sa vie privée et du droit au secret des correspondances est suffisante et adéquate.
Sur la seconde question, il s’agit de savoir si l’Etat membre a suffisamment mis en balance les intérêts en présence, à savoir d’une part, le droit de Madame au respect de sa vie privée et droit au secret de ses correspondances et d’autre part, le droit de Monsieur de présenter sa cause raisonnablement avec des éléments de preuve pour appuyer sa demande. En l’espèce, la Cour EDH estime que les messages litigieux ont, certes, été versés au débat et ainsi divulgués mais ils n’ont pas été retenus par la juridiction dans la procédure. De plus, ces messages ont été divulgués de manière restreinte dans la mesure où l’accès du public à ces procédures est très encadré.
La Cour EDH estime que les intérêts en présence ont été suffisamment mis en balance et que l’Etat membre a respecté ses obligations positives.
La Cour EDH conclut donc à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention EDH.
Arrêt CEDH, 7 septembre 2021, n°27516/14, affaire MP c/ Portugal