Rencontre avec Théodore Malgrain, Responsable de la coordination du Barreau de Paris Solidarité
Qu’est-ce que BPS ?
Le barreau de Paris solidarité est un fonds de dotation créé en 2011 par le barreau de Paris, sous le bâtonnat de Christiane Féral-Shuhl, et la CARPA, dans le but de regrouper toutes les initiatives qui existaient en matière de solidarité, comme le bus par exemple qui avait été créé par le bâtonnier Iweins dès 2003.
Nos missions sont au nombre de trois :
- Encourager la pratique pro bono auprès des avocats du barreau de Paris,
- Développer les dispositifs d’accès au droit auprès des publics les plus précaires,
- Financer les actions associatives en matière d’accès au droit. Il s’agit ici de subventions versées à des associations menant des actions d’aide en matière juridique. Nous fonctionnons sur la base d’un appel à projets annuel, qui définit une thématique prioritaire (par exemple l’accès au droit des femmes en situation de vulnérabilité ou l’accès au droit des personnes privées de liberté, etc). Nous avons en général une trentaine de demandes par an ; à l’exception de cette année où ce nombre a doublé en réponse à l’appel à projet concernant l’accès au droit face au processus de dématérialisation.
Pour quel(s) public(s) donc ?
Il faut déjà rappeler que l’accès au droit est un droit fondamental tout comme l’accès à la justice et il est organisé au barreau de Paris par le barreau de Paris solidarité mais aussi et surtout par le service de l’accès au droit et à la justice en lien avec le Conseil départemental de l’accès au droit qui met notamment en place des permanences gratuites au Tribunal judiciaire (75017), dans les points d’accès au droit, les mairies ainsi que les Maisons de la justice et du droit.
Toutes les matières du droit sont disponibles même si bien sûr celles qui reviennent le plus souvent sont le triptyque « famille-logement-travail ». C’est le quotidien des gens.
N’importe quel citoyen peux se tourner vers ces dispositifs.
Il existe aussi des permanences pour des publics spécifiques : les majeurs vulnérables, les demandeurs d’asile, les personnes LGBTQI+, les personnes en situation de handicap, les victimes d’infractions pénales, les personnes sourdes et malentendantes…
Comment se déroule une consultation ?
Il s’agit d’une consultation orale, anonyme et gratuite.
L’objectif de la consultation est de faire un point avec la personne sur sa situation, qu’elle reparte en connaissant ses droits et ses voies de recours.
Cependant, il existe une procédure de « droit de suite » qui permet au justiciable de demander à l’avocat rencontré en permanence de prendre en charge son dossier, sous réserve de l’accord de l’avocat permanencier et de l’autorisation du Bâtonnier.
Pour la plupart des consultations cependant les justiciables viennent simplement se renseigner ou se rassurer et la consultation n’a donc pas vocation à déboucher sur la mise en place de procédures. Il arrive aussi fréquemment que des justiciables viennent consulter un dispositif gratuit avant de se décider à solliciter l’intervention d’un avocat.
Ces consultations sont comme une première approche parfois empreinte de craintes et de questionnements du type « mais si je porte plainte combien de temps cela va-t-il prendre ? Quelles seront les conséquences ? » etc. La consultation gratuite répond à ces craintes et participe aussi à expliquer notre système judiciaire.
Qu’est-ce que le « Bus de la solidarité » que l’on a déjà pu voir stationné dans Paris ?
Le barreau de Paris possède effectivement un bus et il se déplace à différents endroits stratégiques, définit en partenariat avec la mairie de Paris. Il est en service 6 jours sur 7.
Le principe est le même : des consultations juridiques, anonymes et gratuites mais sans rendez-vous. L’accueil n’est soumis à aucune condition, peu importe votre lieu de résidence, votre situation administrative, que vous soyez en situation régulière ou non. Tout le monde peut monter dans le bus !
La volonté du Barreau de Paris, avec ce « Bus de la solidarité », est d’être au plus près des publics les plus précaires et les plus éloignés du droit, ceux qui n’ont pas accès aux informations ou n’ont pas les ressources, linguistiques par exemple, pour prendre rendez-vous.
Ses vertus sont doubles :
- Le format du bus fait moins « peur », il a été conçu en pensant à ceux qui ne pousseront pas forcément la porte d’une mairie ou qui ne se rendront pas jusqu’au Tribunal judiciaire pour les permanences, par méconnaissance ou parfois même par crainte. Au tribunal, avocats, juges, mais aussi policiers se côtoient. Dans le bus, il n’y a que des avocats.
-La présence d’avocats est plus visible que lorsque l’on passe devant une mairie par exemple, cette visibilité créée l’opportunité d’une rencontre, en sortant d’une course par exemple ou au détour d’une rue. Le public est essentiellement composé d’habitants du quartier et de sans-abris.
Je suis avocat et je souhaite être bénévole comment cela se passe-t-il ?
Il suffit d’être inscrit au barreau de Paris, et de signer notre charte d’engagement, vous serez alors inscrit sur la liste des avocats bénévoles et aurez accès à un planning de toutes les actions bénévoles du barreau de Paris. L’avocat peut ensuite choisir de s’inscrire à l’action de son choix. Un des avantages est qu’il n’y a pas de minimum de disponibilités à donner, le format est vraiment souple.
Le nombre d’avocats inscrits sur cette liste est d’environ 700 et on en compte environ 300 qui font au moins une action bénévole sur l’année.
Je précise que de nombreuses actions se font en partenariat avec d’autres associations comme le Secours Populaire, Médecins du Monde, Emmaüs, les missions locales…
BPS mènent aussi des actions communes avec d’autres acteurs associatifs ?
Bien sûr, nous travaillons souvent main dans la main avec d’autres associations, cette pluridisciplinarité est essentielle.
Tout d’abord, il est important d’avoir en tête que la situation humanitaire est critique à Paris dans certains quartiers, auprès de certaines populations, il y a une vraie urgence à agir.
Un des challenges que l’on doit relever est notamment lié à la dématérialisation des services publics.
Ce terme, plutôt à la mode et généralement utilisé de manière positive, se révèle un problème pour nous, et est même générateur d’exclusion si des actions de solidarité n’étaient pas là.
Prenons l’exemple des personnes étrangères souhaitant obtenir ou renouveler un titre de séjour : la procédure pour obtenir un premier rendez-vous est entièrement dématérialisée, tout se fait via le site internet de la préfecture, seulement le public concerné, en grande précarité, n’a généralement pas accès au numérique et rencontre souvent des difficultés pour lire le français. Ils ne sont donc absolument pas en mesure de faire valoir leurs droits. Ils deviennent comme des « prisonniers dans la ville ».
Des avocats se sont saisis de ce problème précis et saisissent régulièrement le tribunal administratif. C’est le cas aussi en ce qui concerne le Droit à l’hébergement opposable : les personnes concernées rencontrent les plus grandes peines pour bénéficier concrètement de ce droit essentiel et les avocats se battent, parfois jusqu’au Conseil d’Etat, dans le but de forcer les pouvoirs publics à respecter leurs engagements.[1]
Pour en revenir aux actions partenariales que nous menons, je peux vous citer deux exemples :
- Avec Médecins du monde : des avocats bénévoles interviennent avec les psychologues de l’association qui ont fait appel à nous car ils ont observé que parmi le public reçu, nombreux sont en proie à des problèmes de santé mentale qui trouvent leurs origines dans des problématiques juridiques complexes et incomprises, ce qui finit donc par avoir des répercussions psychologiques. Dans ce cas, la personne sera confiée à un avocat qui prendra le temps d’expliquer et d’agir pour débloquer une situation lorsque nécessaire.
- Avec Droits d’urgence, qui est une association qui existe depuis 1995 et dont le but et d’informer et d’aider les personnes en situation d’exclusion à faire valoir leurs droits, nous participons au programme « accès au droit et santé mentale ». Il s’agit à nouveau d’un programme où des personnes sont prises en charge pour des raisons psychologiques et un avocat sera également amené à intervenir en coordination avec l’équipe médicale et sociale.
Par exemple, une personne schizophrène qui sera concernée par une mesure d’expulsion de son logement, avocat et médecin travailleront ensemble dans l’accompagnement de cette personne.
BPS agit un peu comme un marqueur du besoin social mais n’a surtout pas vocation à se substituer au service public de l’accès au droit. On met en place des actions dans le but que personne ne soit oublié et que chacun puisse connaitre et faire valoir ses droits, ce qui est la moindre des choses dans un Etat de droit, mais les pouvoirs publics doivent surtout prendre leurs responsabilités et la mesure de l’urgence à agir. Nos actions bénévoles ne doivent en aucun cas remplacer le service public mais plutôt servir de signal d’alarme : plus les personnes ont besoin de recourir à nos dispositifs bénévoles, plus cela signifie que le service public de l’accès au droit échoue à atteindre les publics qu’il doit servir. Or la tendance actuelle montre que de plus en plus de personnes se tournent vers nos dispositifs.