Sur la validité d’un constat d’huissier en matière de preuve d’une copie servile sur internet (fr)

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Auteur : Revue de Propriété Intellectuelle du Sud-Est
Date : 27 Juillet 2015


Mots clefs : Constat d’huissier, internet, force probante



Estimant que le site internet de la SARL SARRIANS BATTERIES constitue une copie servile de son propre site, la SARL PILES ET BATTERIES a fait constater la similitude par constat d’huissier. Ce dernier a été versé aux débats de l’action judiciaire qu’elle a intenté, pour parasitisme, contre la société SARRIANS BATTERIES devant le Tribunal de commerce. Ce dernier, statuant avant dire droit, a ordonné une expertise et renvoyé l’affaire devant une audience ultérieure. La SARL SARRIANS BATTERIES a interjeté appel, soutenant que le constat d’huissier produit par la société intimée n’a aucune valeur probante en ce qu’il est dépourvu de caractère contradictoire et a été réalisé au mépris des diligences techniques préalables indispensables en la matière.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence approuve le raisonnement de la société appelante. Les juges rappellent que la validité et la force probante d’un constat d’huissier effectué sur internet sont, selon la jurisprudence, conditionnées à six diligences techniques préalables, nécessaires et suffisantes[1]. En l’espèce, le constat d’huissier n’en mentionne que deux sur six, ce qui ne permet pas d’établir de façon certaine que les pages internet litigieuses étaient en ligne au moment de la constatation. De ce fait, le constat d’huissier produit par la SARL PILES ET BATTERIES est dépourvu de valeur probante et ne permet nullement d’établir que le site internet litigieux de la société appelante est une copie servile de celui de la société intimée.




L'arrêt

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE 2e Chambre

ARRÊT AU FOND DU 21 MAI 2015 N°2015/ 172 Rôle N° 13/02400

S.A.R.L. SARRIANS BATTERIES C/ SARL PILES ET BATTERIES
Grosse délivrée le : à : Me SIMONI, Me SIDER.

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de TARASCON en date du 12 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 2012002056.


APPELANTE : S.A.R.L. SARRIANS BATTERIES, SOCIETE EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS JEAN-LOUIS F., inscrite au RCS d’Avignon sous le n° B 383 467 768 , demeurant ZA Sainte-Croix - lotissement n° 2 - 84160 SARRIANS représentée par Me Corine SIMONI, avocat postulant au barreau d’AIX-EN-PROVENCE assistée par Me Olivier DANJOU, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Corine SIMONI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE


INTIMEE : SARL PILES ET BATTERIES, demeurant 625 avenue de la Durance ZI les Iscles - ZI Les Iscles - 13160 CHATEAURENARD représentée par Me Philippe- laurent SIDER, avocat postulant au barreau d’AIX-EN-PROVENCE assistée par Me Patrice PASCAL, avocat au barreau de TARASCON,


*-*-*-*-*


COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 785, 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mars 2015 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président, et Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mai 2015.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mai 2015.

Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

-*-*-*- EXPOSE DU LITIGE

La société PILES ET BATTERIES immatriculée le 16 décembre 2002 et dont le siège est à Chateaurenard (13160), exploite un fonds de commerce de vente de piles, batteries, chargeurs, onduleurs, lampes, ampoules et accessoires et dispose d’un site internet ww.pilesbatteries.com.

La SARL SARRIANS BATTERIES immatriculée le 12 novembre 1991 et dont le siège social est à Sarrians (84260), exploite un fonds de commerce de vente de batteries de voiture, moto, poids lourd, motoculture, plomb étanche, marine industrielle et dispose d’un site internet ww.sarriansbatteries.com.

Le 19 juillet 2011, la société PILES ET BATTERIES a fait constater par huissier de justice la similitude existant entre les deux sites internet.

Par acte du 12 août 2011, la société PILES ET BATTERIES a fait assigner la société SARRIANS BATTERIES devant le juge des référés du Tribunal de Commerce de Tarascon afin de voir prononcer sa condamnation sous astreinte à supprimer du site internet dont elle dispose l’intégralité du texte qui figure entre les mots “votre demande au service clientèle” jusqu’aux mots “contactez-nous”.

Par ordonnance du 30 septembre 2011, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé pour contestation sérieuse.

Par acte du 13 mars 2012, la société PILES ET BATTERIES a fait assigner la société SARRIANS BATTERIES au fond devant le tribunal de Commerce de Tarascon au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil, aux fins de voir condamner la Société SARRIANS BATTERIES sous astreinte à supprimer du site internet dont elle dispose l’intégralité du texte qui figure entre les mots “votre demande au service clientèle” jusqu’aux mots “contactez-nous” et prononcer sa condamnation à lui payer la somme de 80.000,00 euros en réparation de ses divers chefs de préjudices avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, ainsi que la somme de 3.000.00 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ce avec exécution provisoire.

Par jugement contradictoire du 12 novembre 2012, le Tribunal de Commerce statuant avant dire droit au fond, a : - ordonné une expertise, - désigné madame Madeleine Polanski en qualité d’expert avec mission de prendre connaissance du site internet litigieux, de donner au tribunal tous les éléments de nature à lui permettre d’apprécier si la création de ce site par la société SARRIANS BATTERIES est de nature à constituer un acte de parasitisme pouvant créer un préjudice à la Société PILES ET BATTERIES, et dans l’affirmative, de donner au Tribunal tous les éléments de nature à lui permettre d’apprécier le montant de ce préjudice, et d’une manière plus générale, de statuer et de faire les comptes entre les parties, - renvoyé la cause et les parties à une audience ultérieure, - réservé les dépens.

Par ordonnance du 11 janvier 2013, le Premier Président statuant en la forme des référés, a autorisé la société SARRIANS BATTERIES à relever appel de cette décision par application de l’article 272 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe de la Cour du 4 février 2013, la Société SARRIANS BATTERIES a régulièrement interjeté appel de cette décision à l’encontre de la société PILES ET BATTERIES.

Dans ses dernières conclusions du 16 avril 2013, la société SARRIANS BATTERIES demande à la Cour au visa de l’article 1382 du Code civil , de : - dire que la mesure d’instruction ordonnée en date du 12 novembre 2012 par le Tribunal de Commerce de Tarascon est inutile et manifestement excessive, - infirmer le jugement déféré, - dire que la société SARRIANS BATTERIES n’a commis aucun fait de concurrence déloyale.

A titre subsidiaire - dire que la société PILES ET BATTERIES ne démontre aucun préjudice,

A titre très subsidiaire - dire que la société PILES ET BATTERIES ne démontre aucun lien de causalité,

En conséquence - débouter la société PILES ET BATTERIES de toutes ses demandes dirigées contre la société SARRIANS BATTERIES, - condamner la société PILES ET BATTERIES à payer la somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que les entiers dépens avec distraction par application de l’article 699 du Code de procédure civile.

La société SARRIANS BATTERIE soutient : - qu’une mesure d’expertise ne peut être ordonnée pour pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve, que la mesure d’expertise n’apportera aucun élément nouveau au débat dès lors que le site internet litigieux n’existe plus, et que la mission confiée à l’expert est illicite en ce que le juge ne peut déléguer au technicien ses pouvoirs juridictionnels, - que le constat d’huissier versé au débat par la société PILES ET BATTERIES est dépourvu de valeur probante dès lors qu’il est dépourvu de caractère contradictoire et qu’il n’a pas été réalisé avec les diligences techniques préalables requises en la matière, - que la société PILES ET BATTERIES n’est pas fondée à soutenir que l’utilisation des mêmes mots clefs, nom de domaine et nom commercial constituerait des actes de parasitisme dès lors que les termes concernés sont purement descriptifs et génériques, que le nombre de sites marchands utilisant les termes “piles et batteries” est considérable et que de nombreux sites concurrents vendent les mêmes produits, et que la mise en page et les textes revendiqués ne constituent pas un apport original et déterminant dans le succès de la commercialisation des produits concernés, - qu’en tout état de cause, la société concluante est de bonne foi, qu’elle a délégué la création de son site à un tiers qui l’a abusée et qu’elle n’a pas eu l’intention de procéder à une concurrence déloyale à l’égard d ela société PILES ET BATTERIES, - que la société PILES ET BATERIES ne verse au débat aucun élément établissant l’existence d’un quelconque préjudice du fait des prétendus agissements de la concluante, - que selon les pièces produites, le site internet de la société PILES ET BATTERIES a été créé en 2006 et non en 2002, que monsieur FAVENNEC ne travaille au sein de cette dernière que depuis le 1er octobre 2009 et que rien ne démontre la part de travail affectée au site concerné, - qu’aucun lien de causalité n’est établi entre le dommage allégué et la faute prétendue.

Dans ses dernières conclusions du 16 mai 2013, la société PILES ET BATTERIES demande à la Cour de : - dire que l’expertise ordonnée par le Premier Juge caractérise d’une part une délégation du pouvoir judiciaire et d’autre part s’analyse en une mesure parfaitement inutile en l’état des éléments dont il disposait.

En conséquence - infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions - statuer à nouveau - débouter l’appelante de son argumentation tant principale que subsidiaire ainsi que de sa demande tendant à l’application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil et au vu du procès verbal de constat dressé le 19 juillet 2011 par Maître Alivon Huissier à Saint-Remy de Provence : - condamner la société appelante, sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, à supprimer de son site internet l’intégralité du texte se trouvant entre les mots “votre demande au service clientèle” jusqu’aux mots “contactez-nous” en page 1 et 2 et ce sous astreinte de 300, 00 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, - condamner la société appelante à payer à la concluante la somme de 80 000 00 euros en réparation de ses divers chefs de préjudice, - condamner la société appelante sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, à payer à la concluante la somme de 6.000.00 euros et aux entiers dépens.

La société PILES ET BATTERIES fait valoir :
- que la mesure d’expertise ordonnée est inutile et s’analyse en une délégation par le juge de son pouvoir juridictionnel,
- que l’huissier de justice qui a procédé au constat du 19juillet 2011 explique en détail les modalités de la consultation du site internet incriminé, qu’il atteste avoir procédé conformément aux préconisations de l’association “droit et électronique et communication” dépendant de la Chambre Nationale des huissiers de justice, et que l’argumentation de la société SARRIANS BATTERIE à cet égard est inopérante,
- que la société SARIANS BATTERIES en reproduisant le site internet de la concluante à l’identique, s’est inscrite dans son sillage en tirant profit de ses investissements, et ce afin de détourner sa clientèle,
- que le plagiat est tel que la société SARRIANS BATTERIE a mentionné comme adresse de son service après vente, l’adresse même de la concluante, - que la dénomination sociale de SARRIANS BATTERIES est une quasi-homonymie de la dénomination PILES ET BATTERIES,
- que selon la jurisprudence, le fait de se rattacher de manière directe ou indirecte à l’entreprise d’un tiers peut constituer un agissement parasitaire,
- que le fait d’utiliser la réputation d’un concurrent en créant une confusion avec ce dernier afin de capter sa clientèle constitue un acte de concurrence déloyale, que la déloyauté repose en ce cas sur une imitation visant à créer la confusion entre les entreprises concurrentes ou entre les marchandises et services qu’elles produisent ou distribuent,
- que constitue un acte de parasitisme le fait d’user d’un nom de domaine et/ou d’un nom commercial similaire, ainsi que le choix d’un nom de domaine voisin pour exploiter un site offrant des service complémentaires, - que constitue un acte de concurrence déloyale la reprise du nom de domaine d’un concurrent dans des offres commerciales sur internet,
- que le préjudice subi par la concluante dont le site marchand est premier en France, est caractérisé par l’ atteinte à son image, le détournement de clientèle et le travail quotidien d’un webmaster embauché en 2002 à temps plein.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs argumentations respectives.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’expertise ordonnée par le jugement déféré

Aux termes de l’article 232 du code de procédure civile : “Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien”. En l’espèce, l’expertise ordonnée par le Tribunal de commerce est inutile au regard des pièces produites par les parties et illicite en ce qu’elle délègue à l’expert les pouvoirs juridictionnels du juge à qui il incombe de se prononcer sur les conséquences juridiques à tirer d’une situation de fait. La décision déférée sera en conséquence infirmée en toutes ses dispositions.

Sur la copie servile du site internet de la société PILES ET BATTERIES

La société PILES ET BATTERIES produit un constat d’ huissier du 19 juillet 2011 selon lequel le site internet de la société SARRIANS BATTERIE créé en 2010 est la copie servile de son propre site créé antérieurement. Selon l’état actuel de la jurisprudence, les diligences techniques préalables nécessaires et suffisantes à la validité et à la force probante d’un constat d’huissier effectué sur internet sont les suivantes : 1 - description du matériel ayant servi aux constatations 2 - indication de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat 3 - mémoire cache du navigateur vidée préalablement à l’ensemble des constatations 4 - désactivation de la connexion par proxy 5 - suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur 6 - suppression des cookies et de l’historique de navigation L’étape préalable décrite en pages 4 et 5 du constat d’huissier du 19 juillet 2011 ne mentionnepas les diligences 3 à 6 précitées. Le constat d’huissier est en conséquence dépourvu de valeur probante concernant la copie servile du site internet, dès lors qu’il ne permet pas d’établir avec certitude que les pages concernées étaient effectivement en ligne au moment où le constat a été dressé. En l’absence d’autres éléments, la preuve n’est en conséquence pas rapportée par la société PILES ET BATTERIES d’une copie servile de son site internet susceptible de caractériser un acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme.

Sur la dénomination sociale et le nom de domaine

Les dénominations sociales respectives de la société PILES ET BATTERIES et de la société SARRIANS BATTERIES ne sont pas de nature à entraîner la confusion dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne nonobstant le mot “batterie” présent dans les deux locutions, le mot SARRIANS qui est une localité du Vaucluse permettant de les distinguer sans ambiguïté. De même, les noms de domaine ww.pilesbatteries.com et ww.sarriansbatteries.com sont différents et ne présentent pas d’homonymie. La société PILES ET BATTERIES n’est en conséquence pas fondée à soutenir que la locution SARRIANS BATTERIES constitue une acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société PILES ET BATTERIES qui succombe n’est pas fondée en sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d’appel. Il convient en équité de condamner la société PILES ET BATTERIES à payer à la société SARRIANS BATTERIE la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau,

Dit que le constat d’huissier du 19 juillet 2011 est dépourvu de valeur probante,

Déboute la société PILES ET BATTERIES de ses demandes, fins et conclusions,

Condamne la société PILES ET BATTERIES à payer à la société SARRIANS BATTERIES la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société PILES ET BATTERIES aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction par application de l’article 699 du code de procédure civile .

Le Greffier, Le Président,

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Référence

  1. Description du matériel ayant servi aux constatations ; indication de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat ; mémoire cache du navigateur vidée préalablement à l’ensemble des constatations ; désactivation de la connexion par proxy ; suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ; suppression des cookies et de l’historique de navigation.