Tribune: Quand la répression pour injures à caractère racial vient compléter la répression de l’apologie de crimes contre l’humanité - Le cas Soral (fr)

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Auteur : Daniel Kuri, Maître de Conférences en Droit Privé, Université de Limoges
Date : juin 2015



Mots Clefs : injures publiques à caractère racial, négationnisme, Alain Soral, Dieudonné



Tel est peut-être un des intérêts que l’on peut retirer du récent jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 12 mai 2015[1].


Le TGI de Paris a en effet condamné l’ « essayiste » d’extrême droite Alain Soral pour injures publiques à caractère racial. Voulant manifestement envoyer un signal fort aux négationnistes[2], apologues du Troisième Reich et autres « falsificateurs de l’histoire »[3] , la juridiction parisienne n’a pas hésité à infliger 100 jours-amendes d’un montant unitaire de 100 euros, soit 10.000 euros d’amende à A. Soral pour une photo le montrant en train de faire le geste de la « quenelle » [4] devant le Mémorial de l’Holocauste à Berlin.

En outre, le Tribunal a condamné A. Soral à verser 14.001 de dommages et intérêts au profit des sept associations qui s’étaient constituées parties civiles.

Rappelons que la photo d’A. Soral faisant ce salut très controversé avait commencé à circuler sur plusieurs sites internet fin 2013.

Plusieurs associations, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et l’association J’accuse, avaient alors saisi le Tribunal correctionnel sur citation directe afin que ce dernier comparaisse en justice pour injures publiques à caractère racial.

A l’audience de plaidoirie, le 12 mars 2015, A. Soral s’était présenté comme victime d’une méprise, mais également d’une manipulation. Il avait tout d’abord contesté le sens et la portée donnés à son geste, affirmant n’avoir jamais cherché à porter atteinte à la mémoire des déportés [5]. Il avait ensuite affirmé que le cliché litigieux avait été récupéré par des pirates informatiques alors qu’il n’était destiné, initialement, qu’à son cercle d’amis.

Le Tribunal, dans des motifs précis, pour rejeter les allégations du prévenu, a considéré que « La personnalité même d’Alain Bonnet [son vrai nom] dit Soral, telles que perceptibles dans ses écrits ou prises de position publiques antérieurs, fragilise, pour ne pas dire prive de toute portée, ses dénégations réitérées quant aux accusations d’antisémitisme dont il ferait l’objet ». Dès lors, selon le Tribunal, la photographie en cause « ne peut être perçue que comme une injure visant la communauté juive dans un de ses lieux les plus symboliques et les plus sacrés ».

Les motifs du jugement, on le constate, sont d’une particulière fermeté et le raisonnement des juges est imparable quand on connaît les « idées » d’A. Soral.

Qui plus est, les juges confirment dans ce jugement leur volonté de réprimer plus sévèrement ce type d’infractions par le recours à la condamnation à une peine de jours-amendes à la place de simples amendes[6]. On sait en effet que, en cas de non-paiement, les jours-amendes deviennent des jours de détention et le condamné effectue alors tout ou partie de sa peine en prison.

Ainsi, la répression pour injures à caractère racial vient utilement compléter la répression de l’apologie de crimes contre l’humanité. On peut même se demander, au vu de l’ensemble de ces éléments, si le TGI de Paris, sous couvert d’une condamnation pour « injure à caractère racial », n’a pas de fait sanctionné le même A. Soral pour une apologie implicite du Troisième Reich et de ses crimes symbolisés ici par le geste de « la quenelle » qui ressemble étrangement à un salut nazi inversé.

A. Soral rejoint donc Dieudonné dans le triste tableau du déshonneur des personnes condamnées pour des faits et actes consistant à créer la polémique autour de l’Holocauste.

On se souvient que Dieudonné a, en effet, encore été condamné très récemment par le TGI de Paris, le 4 mars 2015, pour apologie de crimes contre l’humanité[7]. Par ailleurs, dans un autre jugement, rendu le 19 mars 2015, le TGI de Paris, sous le motif d’une condamnation pour « incitation et provocation à la haine raciale », a de fait sanctionné le même Dieudonné pour une apologie implicite de ces crimes odieux[8].

De plus, selon les propres avocats de Dieudonné, de nouvelles poursuites judiciaires seraient engagées contre ce dernier pour « provocation à la haine raciale » et « injure publique à caractère racial » après des propos tenus lors de son pseudo-spectacle « La bête immonde »[9]. Dieudonné y avait notamment discouru sur le rôle qu’il attribue aux juifs dans la traite des noirs et ironisé sur le génocide commis par les nazis. Il avait également évoqué à propos des juifs d’« éternelles victimes en pyjamas à qui on a piqué un Picasso »[10].

Enfin, au moment où nous écrivons ces lignes, le nouveau « spectacle », « Dieudonné en tournée », prévu le 13 juin 2015 à Limoges, et qui venait de faire l’objet d’un arrêté d’interdiction (en date du 26 mai 2015) de la part du maire de Limoges pour, dixit, « éviter les troubles à l’ordre public »[11] , a été suspendu par le Tribunal administratif de Limoges le 1er juin 2015[12]. Le juge des référés a justifié sa décision de suspension par « l’absence de risques de troubles à l’ordre public »[13]. Prenant acte de cette ordonnance, le maire de Limoges a néanmoins déclaré qu’il sera attentif au moindre dérapage et n’hésitera pas à engager des procédures judiciaires à l’encontre de Dieudonné[14].

Après le « cas » Soral, nous aurons donc certainement l’occasion de revenir sur le « cas » Dieudonné. A suivre …[15]


Références

  1. Le Populaire du Centre, 13 mai 2015, p. 13.
  2. Rappelons que le « négationnisme » est un néologisme créé par l’historien H. Rousso en 1987 (cf. Wikipédia-négationnisme) pour dénoncer l’amalgame fait par certains individus entre la révision qui fonde la libre recherche en histoire et l’idéologie consistant à nier ou minimiser de façon caricaturale l’Holocauste. Ces personnes s’intitulaient en effet elles-mêmes «  historiens révisionnistes » et n’avaient pas hésité à appeler une de leurs principales revues : « La révision ».
  3. Pour reprendre cette belle formule de Robert Badinter.
  4. Le geste de la « quenelle » a été popularisé par Dieudonné comme un signe anti-système semblable à un bras d’honneur. Le geste lui-même (bras gauche tendu vers le bas et main droite posée sur l’épaule gauche), ressemble à un salut nazi inversé. On rappellera à propos de ce salut très controversé que le TGI de Paris, le 12 février 2014, avait déjà ordonné à Dieudonné de retirer deux passages de la vidéo « 2014 sera l’année de la quenelle » diffusée sur le site You Tube. Le Tribunal avait alors estimé que le premier passage constituait une contestation de crime contre l’humanité et le second une provocation à la haine raciale
  5. Plusieurs d’entre eux étaient venus témoigner à l’audience et dire leur indignation.
  6. Selon N. Salomon, conseil du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), l’une des associations parties civiles, « La jurisprudence évolue, On n’est plus sur une condamnation à une simple amende », site http: // 20minutes.fr :société/1606667-20150112 ; V. déjà en ce sens, TGI de Paris 19 mars 2015, à propos de Dieudonné condamné à 22.500 euros de jours-amendes pour des paroles inqualifiables contre le journaliste P. Cohen, in notre article « La question de l’apologie de crimes contre l’humanité (suite de la suite…) – Le cas Dieudonné », site http://jupit.hypotheses.org/ ; également la grande bibliothèque du droit.org
  7. Dans ce jugement « l’humoriste » se voit interdire par le Tribunal l’exploitation commerciale du DVD de son spectacle « Le mur » qui avait défrayé la chronique en 2014, cf. notre article précité ; V. également pour des décisions plus anciennes à propos de Dieudonné notre étude « Les séquelles de la Deuxième Guerre mondiale dans les balances de la Justice », I, A, site http://jupit.hypotheses.org/ ; aussi la grande bibliothèque du droit.org
  8. Dans ce jugement, le Tribunal avait condamné avec une grande fermeté les propos de Dieudonné concernant le journaliste Patrick Cohen. Dieudonné avait en effet déclaré lors de son spectacle « Le Mur », en novembre 2013 : « Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz…Dommage ». Ces paroles sidérantes avaient d’ailleurs déclenché le processus d’interdiction du spectacle « Le Mur ». V. sur ces questions notre article « La question de l’apologie de crimes contre l’humanité (suite de la suite…) – Le cas Dieudonné ».
  9. Le Populaire du Centre, 23 mai 2015, p. 48.
  10. Ibid. L’évocation des « victimes en pyjamas », pour singer la sinistre tenue des déportés, fait partie de la « rhétorique » traditionnelle de Dieudonné et a valu déjà à celui-ci une condamnation de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 16 octobre 2012, Bull. crim., n° 217), cf. notre article précité, note n° 8.
  11. F. Lagier, « Le spectacle interdit pour éviter les ‘‘ troubles à l’ordre public’’ », Le Populaire du Centre, 28 mai 2015, p. 7.
  12. « Dieudonné autorisé à Limoges », Le Populaire du Centre, 2 juin 2015, p. 1 et 5
  13. Ibid.
  14. Ibid., p. 5.
  15. Pour le moment, nous remercions A. Kuri pour son attentive relecture.