Commentaire d'arrêt, Cour de Cassation civ.1re du 4 mars 2020, n° 18-22.019.: Arbitrage – Nouvelle application de la règle de la renonciation aux irrégularités (fr)

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France > Droit international > Arbitrage




 Auteures : Me Marie-Claire Da Silva Rosa , Associée et Amina Ben Ayed [1]  


Date: le 3 Décembre 2020


Dans un arrêt du 4 mars 2020, publié au bulletin[1] , la première chambre civile de la Cour de cassation nous donne un nouvel exemple d’application de l’article 1466 du code de procédure civile.

Pour rappel, aux termes de l’article 1466 du code de procédure civile, applicable en matière internationale, « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ».

La pathologie de la clause compromissoire résidait dans sa référence à deux règlements d’arbitrage

En l’espèce, A. et D., deux sociétés de droit indien, ont conclu un contrat portant sur la mise à disposition d’une bande de fréquence du spectre hertzien et contenant une clause compromissoire aux termes de laquelle, à défaut de règlement amiable, tout litige ou différend entre les parties « sera soumis à un Tribunal Arbitral composé de trois arbitres, un nommé par chaque partie (i.e. D. et A.) et les arbitres ainsi désignés nommeront le troisième arbitre ». La clause stipule également que « la procédure d’arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la CCI (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI ».

L’une des parties a saisi la CCI qui a rendu une sentence revêtue de l’exequatur…

Suite à un différend entre les parties, D. a choisi d’intenter une procédure d’arbitrage CCI. Une sentence a été rendue à New Delhi le 14 septembre 2015 condamnant A. à payer à D. des dommages-intérêts pour avoir abusivement résilié le contrat. Cette sentence a été revêtue de l’exequatur en vertu d’une ordonnance rendue le 22 octobre 2015 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris.

… tandis que l’autre partie contestait l’arbitrage à tous les stades de la procédure

A. s’est opposée à la mise en place d’un tel arbitrage administré sous l’égide de la CCI à tous les stades de la procédure.

Tout d’abord, devant la CCI, A. a soutenu que la CCI n’avait pas le pouvoir d’organiser l’arbitrage et que D. ne pouvait faire choix unilatéralement d’un règlement d’arbitrage.

Ensuite, devant le tribunal arbitral, A. a soutenu que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique, qu’elle était donc inapplicable sans accord préalable des parties sur les modalités de la procédure, ce qui privait le tribunal arbitral constitué sous l’égide des règles CCI de pouvoir juridictionnel.

Enfin, devant le juge de l’exequatur, A. a soutenu que la clause compromissoire organisait un arbitrage ad hoc dans lequel le règlement CCI n’intervenait qu’après désignation du tribunal arbitral et sans que les organes de la CCI – avec laquelle un contrat d’organisation de l’arbitrage n’avait pas été conclu – n’avaient pas été investis d’un pouvoir d’administration de l’arbitrage.

L’incompétence du tribunal arbitral et l’irrégularité de sa constitution sont invoquées devant la Cour d’appel de Paris dans le cadre du recours en annulation

A. a finalement saisi la Cour d’appel de Paris en lui demandant d’infirmer l’ordonnance rendue le 22 octobre 2015. Elle a notamment invoqué l’incompétence du tribunal arbitral et l’irrégularité de sa constitution[2]. Elle a soutenu que la clause compromissoire exprimait la volonté des parties de recourir à un arbitrage ad hoc, le renvoi aux règlements CCI ou CNUDCI ne concernant que l’encadrement de la procédure après la désignation des arbitres et excluant toute administration de l’arbitrage par une institution. Selon A., l’administration de l’arbitrage par la CCI l’a privée du droit de désigner un arbitre. Dès lors, elle considérait que le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué et incompétent.

Selon la Cour d’appel, les irrégularités de procédure n’ont pas été invoquées devant le tribunal arbitral…

Toutefois, son argumentation n’a pas séduit la Cour d’appel de Paris qui a affirmé que « c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il [convenait] d’apprécier si une partie [était] présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ».

Selon la Cour d’appel, le moyen qui lui a été présenté sous couvert du double grief d’incompétence et d’irrégularité de la composition du tribunal arbitral, ne relevait en réalité que du second puisque « A., contrairement à ce qu’elle avait prétendu devant le tribunal arbitral, ne contest[ait] plus que les parties seraient liées par une convention d’arbitrage dotée par elle-même d’efficacité, mais seulement que le règlement C.C.I. serait inapplicable à la constitution du tribunal, dont les membres auraient donc dû être désignés, en cas de défaillance des parties, par le juge d’appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la Cour de la C.C.I ». Elle a ajouté que ce moyen procédait d’une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres. Ceux-ci, en effet, avaient été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait qu’il n’existait pas d’accord préalable des parties sur la mise en place d’un arbitrage administré par les règles de la CCI. Elle en ainsi conclu qu’A. était réputée avoir renoncé à se prévaloir des irrégularités qu’elle n’avait pas invoquées devant le tribunal arbitral.

… mais la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel

Frappée d’un pourvoi, cette solution est cassée par la Haute juridiction dans l’arrêt du 4 mars 2020. La première chambre retient, au visa des articles 1466 et 1506 3° du Code de procédure civile que « l’invocation par la société A., devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel ».

Ainsi, « l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

La Cour de cassation a ainsi considéré que le fait pour une société de soutenir d’abord, devant le tribunal arbitral qu’une clause d’arbitrage avait un caractère pathologique en prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI ne constituait pas une argumentation contraire emportant renonciation à se prévaloir d’une irrégularité tenant à la composition du tribunal arbitral. Une telle argumentation emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel. Le fait d’invoquer ensuite devant le juge de l’exequatur, qu’une clause d’arbitrage visait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral n’était donc pas une argumentation contraire.

Pour certains, il existerait « dorénavant un automatisme entre l’invocation d’une clause pathologique devant le tribunal arbitral par le demandeur et la contestation de la régularité de la désignation des arbitres, la première emportant nécessairement la seconde »[3]. D’autres, en revanche, appellent à la mesure dans la recherche de la portée réelle de l’arrêt. En effet, un commentateur énonce que « la solution de la Cour de cassation est opportune, mais elle ne tiendrait qu’à la spécificité de la pathologie de la clause et aux circonstances dans lesquelles avait été mis en œuvre l’arbitrage »[4]. Il nous semble qu’il s’agit bien là d’une nouvelle application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation de la règle de la renonciation aux irrégularités prévue à l’article 1466 du code de procédure civile.

Notes et références