Brevet européen à effet unitaire, Coopération renforcée (eu)

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Auteur : Délégation des Barreaux de France (Partenaire de la Grande Bibliothèque du Droit)
Date: Juillet 2015


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Saisie de deux recours en annulation par l’Espagne à l’encontre du règlement 1257/2012/UE mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (ci-après « le règlement 1257/2012/UE ») et du règlement 1260/2012/UE mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction (ci-après « le règlement 1260/2012/UE »), la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté les recours.


● Aff. C-146/13


Dans la première affaire, l’Espagne soutenait, notamment, que le règlement 1257/2012/UE méconnaîtrait les valeurs de l’Etat de droit en aménageant une protection fondée sur le brevet européen, alors que la procédure administrative antérieure à la délivrance d’un tel brevet échapperait à un contrôle juridictionnel permettant de garantir l’application correcte et uniforme du droit de l’Union et la protection des droits fondamentaux. L’Espagne alléguait, également, un défaut de base juridique puisque l’article 118, premier alinéa, TFUE ne constituerait pas une base juridique appropriée au regard de l’objet et la finalité du règlement 1257/2012/UE.


– La Cour relève que le règlement 1257/2012/UE crée les conditions juridiques permettant de conférer, sur le territoire des Etats membres participants, un caractère unitaire à un brevet européen préalablement délivré par l’Office européen des brevets (ci-après « l’OEB ») sur le fondement des dispositions de la Convention sur le brevet européen (ci-après « la CBE »). Il n’a donc nullement pour objet d’encadrer, même partiellement, les conditions de délivrance des brevets européens, lesquelles sont régies non pas par le droit de l’Union, mais uniquement par la CBE, et n’intègre pas non plus la procédure de délivrance prévue par la CBE dans le droit de l’Union.


– Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 118 TFUE habilite le législateur de l’Union à établir des mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union. S’agissant des termes « dans l’Union » figurant à cette disposition, la Cour a déjà considéré que, dès lors que la compétence attribuée par cet article est exercée au titre de la coopération renforcée, le titre européen de propriété intellectuelle créé et la protection uniforme qu’il confère doivent être en vigueur non pas dans l’ensemble de l’Union, mais uniquement sur le territoire des Etats membres participants.


La Cour relève, s’agissant de la finalité du règlement 1257/2012/UE, que, selon son article 1er §1, celui-ci a pour objectif la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, laquelle devrait figurer parmi les instruments juridiques se trouvant à la disposition des entreprises afin de permettre, notamment, à celles-ci d’adapter leurs activités de fabrication et de distribution de produits au-delà de leurs frontières nationales. En outre, pour ce qui concerne le contenu du règlement 1257/2012/UE, force est de constater que les dispositions de ce dernier traduisent, dans leur définition des caractéristiques du brevet européen à effet unitaire, la volonté du législateur de l’Union de garantir une protection uniforme sur le territoire des Etats membres participants. Ainsi, l’uniformité de la protection conférée par le brevet européen à effet unitaire résulte de l’application des articles 5 §3 et 7 du règlement 1257/2012/UE, qui garantissent que le droit national désigné sera d’application sur le territoire de l’ensemble des Etats participants dans lesquels ce brevet a un effet unitaire.


Dès lors, la Cour considère, nonobstant l’absence d’énumération, dans le règlement 1257/2012/UE, des actes contre lesquels le brevet européen à effet unitaire assure une protection, qu’une telle protection n’en demeure pas moins uniforme dans la mesure où, indépendamment de l’étendue exacte de la protection matérielle conférée en vertu du droit national applicable, celle-ci sera d’application sur le territoire de l’ensemble des Etats membres participants dans lesquels ledit brevet a un effet unitaire. Par conséquent, elle conclut que la protection unitaire conférée par un brevet, établie par le règlement 1257/2012/UE, est propre à prévenir des divergences en termes de protection par brevet dans les Etats membres participants et, partant, vise une protection uniforme au sens de l’article 118, premier alinéa, TFUE. Il s’ensuit que cette disposition constitue la base juridique appropriée pour l’adoption du règlement 1257/2012/UE.


● Aff. C-147/13


Dans la seconde affaire, l’Espagne alléguait, notamment, une violation du principe de non-discrimination en raison de la langue, dès lors que le règlement 1260/2012/UE instaure un régime linguistique qui porte préjudice aux personnes dont la langue n’est pas l’une des langues officielles de l’OEB. Le régime créerait ainsi une inégalité de traitement entre, d’une part, les citoyens et les entreprises de l’Union qui disposent des moyens de comprendre, avec un certain degré d’expertise, des documents rédigés dans ces langues et, d’autre part, ceux qui n’en disposent pas et devront effectuer les traductions à leurs frais. Selon l’Espagne, l’introduction d’une exception au principe de l’égalité entre les langues officielles de l’Union aurait dû être justifiée par des critères autres que ceux, purement économiques, mentionnés aux considérants 5 et 6 du règlement 1260/2012/UE.


La Cour rappelle que les références, dans les traités, à l’emploi des langues dans l’Union ne peuvent être considérées comme la manifestation d’un principe général du droit de l’Union en vertu duquel tout ce qui serait susceptible d’affecter les intérêts d’un citoyen de l’Union devrait être rédigé dans sa langue en toute circonstance. La Cour relève que le règlement en cause opère un traitement différencié des langues officielles de l’Union, puisque les fascicules de brevet européen seront publiés dans la langue de procédure, qui doit être l’une des trois langues officielles de l’OEB, et comporteront une traduction des revendications dans les deux autres langues officielles de l’OEB. Dès lors qu’il a été satisfait à ces exigences, aucune autre traduction n’est requise aux fins de la reconnaissance de l’effet unitaire du brevet européen concerné.


Cependant, la Cour estime que le règlement 1260/2012/UE poursuit un objectif légitime de création d’un régime simplifié et uniforme de traduction pour le brevet européen à effet unitaire et vise donc à faciliter l’accès à la protection offerte par ce brevet, en particulier pour les PME. Le régime linguistique établi est ainsi capable de rendre plus facile, moins coûteux et juridiquement plus sûr l’accès au brevet européen à effet unitaire et au système de brevet en général. A cet égard, la Cour souligne que le système de protection du brevet européen qui résulte de la CBE se caractérise par une complexité et des coûts particulièrement élevés pour un demandeur qui envisage d’obtenir la protection de son invention par la délivrance d’un brevet couvrant le territoire de l’ensemble des Etats membres. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les modalités du système actuel de protection de brevets qui résulte de la CBE produisent des effets négatifs sur la capacité d’innovation et de compétitivité des entreprises de l’Union.


La Cour considère que la différence de traitement créée par le règlement 1260/2012/UE respecte le principe de proportionnalité. Ainsi, le règlement en cause instaure un équilibre entre les intérêts des opérateurs économiques et ceux de la collectivité puisqu’au regard des coûts élevés afférents à la délivrance d’un brevet européen couvrant le territoire de l’ensemble des Etats membres, il était indispensable que les modalités de traduction des brevets européens à effet unitaire présentent un bon rapport entre leur coût et leur efficacité. Par ailleurs, la Cour relève que plusieurs mécanismes ont été mis en place aux fins de garantir le nécessaire équilibre entre les intérêts des demandeurs de brevets européens à effet unitaire et ceux des autres opérateurs économiques pour ce qui concerne l’accès aux traductions des documents accordant des droits ou les procédures impliquant plusieurs opérateurs économiques. Ainsi, afin de permettre aux demandeurs de déposer devant l’OEB leurs demandes dans n’importe quelle langue de l’Union, l’article 5 du règlement 1260/2012/UE prévoit un système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction jusqu’à un certain plafond pour certains demandeurs, notamment les PME, qui déposent leur demande de brevet auprès de l’OEB dans une langue officielle de l’Union autre que l’une des langues officielles de l’OEB. De plus, une période transitoire, d’une durée maximale de douze ans, est prévue à l’article 6 du règlement 1260/2012/UE, jusqu’à ce qu’un système de traduction automatique de haute qualité soit disponible dans toutes les langues officielles de l’Union. Pendant cette période de transition, toute demande d’effet unitaire doit être accompagnée soit d’une traduction en langue anglaise de l’intégralité du fascicule, si la langue de la procédure est la langue allemande ou la langue française, soit d’une traduction de l’intégralité du fascicule dans une autre langue officielle de l’Union, si la langue de la procédure est la langue anglaise.


La Cour conclut que le règlement 1260/2012/UE préserve le nécessaire équilibre entre les différents intérêts en cause et, partant, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi.


Partant, la Cour rejette les recours.


(Arrêts du 5 mai 2015, Espagne / Parlement et Conseil, aff. C-146/13 ; Espagne / Conseil, aff. C-147/13)