Burn-out : quelle responsabilité pour l’employeur ?

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Jalain avocat [1]
2021



Sous l’effet des mutations du monde du travail telles que la complexité grandissante des tâches, la réduction des temps de repos, l’individualisation du travail ou encore les exigences accrues de la clientèle, la prise en compte des risques psychosociaux est devenue incontournable.


De nombreuses décisions en jurisprudentielles sont venues mettre en forme un régime de responsabilité civile de l’employeur face aux situations de Burn out de ses salariés.


Ainsi, des obligations de prévention accrues et des sanctions également de plus en plus fréquentes des tribunaux se retrouvent sur le fondement de l’obligation de sécurité de l’employeur.


Comment reconnaitre un burn-out

Le syndrome d’épuisement professionnel ou le terme « burnout » qualifie à l’origine une construction sociale et scientifique apparue dans les années 1970, pour décrire l’épuisement au travail de professionnels.


Le « burnout » se traduirait par un état d’épuisement professionnel, à la fois émotionnel, physique et psychique, ressenti face à des situations de travail « émotionnellement » exigeantes.


Le travailleur surchargé s’épuise à travailler sur de nombreux projets sans jamais avoir le sentiment d’avoir pleinement accompli son travail.


Il n’éprouve aucune satisfaction à son travail, ne peut atteindre l’objectif fixé et, ne bénéficiant pas d’une reconnaissance suffisante de la part de son entourage professionnel, perd progressivement le sens de son travail (conflits de valeur).


Ainsi, l’épuisement professionnel serait un processus de dégradation des relations de travail qui s’analyserait en trois points :


  • Un épuisement émotionnel : une fatigue extrême due à une exposition continue à des facteurs de RPS. Les temps de repos habituels (sommeil, week-end, congés, etc.) ne suffisent plus à soulager cette fatigue qui devient alors chronique.


  • Un cynisme vis-à-vis du travail : une attitude négative, détachée, vis-à-vis de son travail et des collègues de travail


  • Une diminution de l’accomplissement personnel au travail : dévalorisation de soi, traduisant à la fois pour l’individu le sentiment d’être inefficace dans son travail et de ne pas être à la hauteur du poste.


Ainsi, le burnout se qualifierait en une spirale dangereuse susceptible de conduire au basculement dans la maladie – dépression ou maladie somatique – et à la désinsertion sur le plan professionnel, social et familial.


Les obligations de l’employeur en prévention du burn-out

En vertu de l’article L.4121 du Code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.


Il s’agit d’une obligation de sécurité, qui est une obligation de moyen renforcée.


En conséquence, le code du travail (article L 4121-2) prévoit qu’il doit mettre en œuvre des mesures préventives telles que : éviter les risques et les combattre à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne les méthodes de travail, tenir compte de l’évolution de la technique…


A défaut pour l’employeur de démontrer avoir tout fait pour assurer cette obligation, ce dernier pourra se voir condamner pour manquement à son obligation de sécurité ou même pour faute inexcusable si ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le protéger.


S’il est reconnu responsable d’une faute inexcusable au sens du droit de la sécurité sociale, il sera sanctionné pour manquement à son obligation de sécurité envers les salariés et devra en assumer les conséquences financières (majoration de la rente ou du capital, remboursement à la CPAM des préjudices du salarié)


Par ailleurs, dans un arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation a affirmé que « les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé morale au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur ».


Ainsi, l’employeur a tout intérêt à prévenir le burnout en intégrant les six familles de facteurs de RPS dans sa démarche d’évaluation et de prévention des risques professionnels.


Cette prévention se retrouve dans plusieurs actions clés que l’employeur se doit de suivre, telles que :


  • Informer et former les travailleurs et veiller à leur charge de travail


Un premier axe de prévention consiste donc à sensibiliser les travailleurs afin qu’ils soient en capacité de détecter d’éventuels signaux émanant de leurs collègues ou d’eux-mêmes.


À ce titre, quelques pistes de prévention peuvent être avancées comme :


  • S’assurer de la planification et de la prise des congés, des journées de réduction du temps de travail (RTT) et des temps de repos de l’ensemble des travailleurs ;


  • Planifier le travail suffisamment à l’avance, anticiper la modification des horaires de travail ;


  • Dialoguer avec les travailleurs sur les objectifs et estimer si les moyens pour les atteindre sont adaptés ;


  • En cas d’augmentation de la charge de travail, mettre en place des indicateurs de suivi…


  • Garantir un soutien social solide et trouver des critères de qualité du travail


Pour cela, il convient notamment d’éviter les postes de travail isolés, de fluidifier le contact entre travailleurs et responsable direct en cas de difficulté nécessitant son intervention ou encore de faciliter les pauses collectives et les moments de convivialité.


  • Donner des marges de manœuvre et assurer une juste reconnaissance du travail du salarié


Afin de préserver sa santé et de prévenir les RPS auxquels il peut être exposé, il est important que le travailleur ait le sentiment de participer aux prises de décision, que son avis soit écouté et pris en compte. Pour y parvenir, il peut être utile, par exemple, de rédiger des fiches de poste en y associant les travailleurs.


Aussi expliquer les décisions prises et répondre aux questions sont autant d’actes qui positionnent le travailleur comme un acteur


La responsabilité de l’employeur en cas de burn-out

Comme évoqué, à défaut pour l’employeur d’avoir mis tous les moyens en œuvre pour éviter ce burn-out, ce dernier pourra en être retenu responsable du préjudice subi par le salarié.


Les fondements jurisprudentiels

  • Burn out et harcèlement : des notions voisines


De plus en plus d’arrêts viennent éclaircir la responsabilité de l’employeur en la matière.


Ainsi, des méthodes de management qui se traduisent par du stress et de l’anxiété peuvent constituer un harcèlement moral autant qu’être à l’origine d’un burn out.


Le phénomène « burn-out » peut trouver son origine dans des faits de harcèlement insidieux de la part d’un supérieur hiérarchique comme l’a reconnue la Cour de cassation sur le fondement de l’article L1152' du Code du travail (Cass. Soc. 15 novembre 2006, n° 05-41.489).


Dans un arrêt plus récent rendu le 18 mai 2021 (RG n° 19/00730), la Cour d’appel de Limoges juge ainsi que « ce n’est pas parce que [la salariée] n’a pas sombré dans la dépression ou qu’elle n’a pas développé un burn-out, qu’elle n’a pas subi un préjudice moral sérieux en ayant travaillé pendant plusieurs années sous le management abusif de M. Z. »


Aussi, jugé le 5 février 2020 par ladite cour, est discriminatoire la rupture de licenciement engagée par l’employeur huit jours après avoir reçu un email du salarié l’informant de ses difficultés de santé et notamment de son Burn out. (Cass. soc. 5 février 2020, n° 18-22399).


Ainsi et aux fins d’endiguer ce phénomène, la jurisprudence prévoit une protection du salarié victime de « burn-out » fondée principalement sur l’obligation de sécurité incombant à l’employeur.


  • Burn out et charge de travail non maitrisée.


De plus en plus attentive au respect de cette obligation de sécurité, la Cour de cassation protège désormais le salarié en arrêt maladie prolongé en raison d’un manquement de l’employeur lié à la surcharge de travail, contre le licenciement.


Dans ce contexte, le salarié ne saurait être licencié pour absence causant une désorganisation de l’entreprise.


Ainsi, le licenciement pris pour désorganisation de l’entreprise engendrée par l’absence pour maladie non professionnelle du salarié est injustifié lorsque l’absence est liée à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (L4121-1 C. tr.)


Ainsi par exemple la Cour d’appel de de Rennes jugeait le 29 novembre 2013, n°12/01286 :


« Mme X… était dans un état d’épuisement total et atteinte de burn-out en raison de la surcharge de travail à laquelle elle était confrontée et qui avait déjà été relevée par le médecin du travail à la fin de l’année 2006, que l’employeur s’est abstenu de prendre des mesures pour la soulager et a manqué de ce fait à son obligation de sécurité de résultat ( …) »


Celle d’Aix en Provence en date du 20 juin 2014, n°12/18625 :


« Que l’altération de l’état de santé du salarié résultait bien de la dégradation de ses conditions de travail non prises en compte par l’employeur pourtant débiteur de l’obligation d’assurer la sécurité et la protection des salariés, de prévenir des risques professionnels, dont le burn -out en prenant des mesures adaptées »


En conséquence et au regard de la jurisprudence actuelle, tout risque psychosocial est susceptible d’être englobé dans cette formulation (sécurité, stress etc.).


Les actions ouvertes pour le salarié

Requalification de l’inaptitude en licenciement sans cause, prise d’acte ou résiliation judiciaire sont notamment les actions ouvertes au salarié qui souhaite dénoncer un Burn out.


Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur doivent être d’une gravité suffisante aux fins d’être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 15 mars 2005, no 03-42.070, Bull. civ. V, no 91 ; Cass. soc., 14 janv. 2004, no 01-40.489, Bull. civ. V, no 8).


Tel est le cas du manquement par l’employeur à son obligation de sécurité.


Dans ce domaine, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est jugée bien fondée s’agissant notamment :


  • d’une situation de harcèlement moral (Cass. soc., 20 févr. 2013, no 11-26.560) ;
  • d’une réaction tardive de l’employeur à la lettre d’une salariée dénonçant les agressions verbales de ses collègues de travail (Cass. soc., 15 mars 2005, no 03-41.555, Bull. civ. V, no 90) ;
  • du non-respect des règles applicables en matière de surveillance médicale des travailleurs handicapés (Cass. soc., 26 oct. 2010, no 09-42.634, Bull. civ. V, no 249).


L’ensemble de ces jurisprudences seraient applicables par analogie à l’action du au salarié souhaitant opposer les manquements de son employeur à son obligation sécurité pour faire acter la rupture du contrat aux torts de son employeur dans le cadre d’un burn out.


Aussi, le salarié doit consulter son médecin traitant qui effectuera un bilan de santé, identifiera les causes – burn-out ou autre problème physique – les symptômes et décidera ou non d’un arrêt.


Face au burn-out, le salarié peut/doit également réagir pour remédier à la situation mais également garantir ses droits.


Ces actions sont multiples et peuvent être conjointes :


  • Rapprochement et information des institutions représentatives du personnel (délégué du personnel, CHSCT etc.) ;


  • Demande de visite auprès de la médecine du travail ;


  • Information le cas échéant de l’inspection du travail.


Lorsque le burn-out est la conséquence d’une situation de harcèlement moral, le Code du travail permet également au salarié victime de demander la mise en place d’une médiation sur le fondement de l’article L.1152-6 du Code du travail.


  • La reconnaissance en tant que maladie professionnelle


Parallèlement, le salarié et c’est un volet à ne pas négliger, le salarié peut faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle.


Le burn-out n’est pas désigné dans le tableau de maladies professionnelles.


Le salarié doit prouver que sa maladie est directement liée à sa profession et exclusivement liée à sa profession et qu’elle l’a plongé dans un état de maladie le rendant, au moins partiellement, incapable de retravailler.


La reconnaissance doit être sollicitée auprès de la CPAM par l’envoi d’une déclaration sur formulaire « Déclaration de maladie professionnelle ou demande motivée de reconnaissance de maladie professionnelle », de certificats médicaux et du formulaire de demande de reconnaissance de maladie professionnelle à réaliser avec son médecin de traitant.


La CPAM évaluera ensuite le taux d’incapacité de travail du salarié. Si le taux d’incapacité de travail est supérieur à 25% et s’il y a un lien direct entre la maladie et le travail, la CPAM transmettra la demande de reconnaissance de maladie professionnelle au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.


Si la maladie professionnelle est reconnue, le salarié pourra bénéficier de la réparation de ses dommages corporels, de l’octroi d’indemnités journalières en cas d’interruption temporaire de travail et d’une rente en cas d’incapacité permanente.


De même, le salarié en burn-out reconnu inapte par le médecin du travail et dont le reclassement s’avère impossible, pourra faire l’objet d’une mesure de licenciement pour inaptitude professionnelle.


La preuve du Burn out

Le salarié victime de Burn out doit se constituer tout un dossier pour faciliter la reconnaissance ultérieure de sa surcharge de travail.


A ce titre, ce dernier peut, répertorier ses heures de travail, ses heures supplémentaires sur chaque journée ou encore bien conserver les mails qu’il échangerait avec sa direction au sujet de sa charge de travail.


Il pourra aussi rapporter des attestations de salarié présents dans l’entreprise qui auraient assisté à cette surcharge exponentielle de travail.


Il devra joindre également son dossier médical dont il peut librement disposer auprès de la médecine du Travail