Caractères et composantes du droit moral (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Introduction

L’auteur imprègne l’œuvre de sa personnalité, il était donc essentiel et nécessaire de reconnaître l’existence d’un fort lien entre sa création et sa personne, d’où l’existence du droit moral qui est la consécration juridique de cet étroit rapport. Ainsi toute utilisation d’une œuvre sans l’autorisation de son auteur est sanctionnée, tel est la cas pour la colorisation d’un film, l’absence de mention du nom du créateur de l’œuvre. Contrairement aux pays de Common Law (système de copyright), le droit moral occupe une place prépondérante dans le système français du droit d’auteur.

Définition du droit moral

L' article L.111-1 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que le droit de propriété incorporelle comporte des « attributs d’ordre intellectuel et moral ». Ces droit sont régis par les article L.121-1 et suivants du CPI.

Le droit moral ne peut préexister à la création de l’auteur car ce dernier n’existe qu’en présence d’une œuvre, même inachevée. La finalité du droit moral vise à protéger la personnalité de l’auteur.

Nature juridique du droit moral

Par opposition aux droits patrimoniaux de l’auteur, le droit moral est un droit extrapatrimonial que l’on intègre généralement dans la catégorie des droits de la personnalité, au côté du droit au nom, à l’image. Tout ces droits ont pour principal objectif la défense de la personnalité de l’individu. Cependant, le droit moral s’en écarte en ce qu’il est largement réglementé par des textes et porte sur une œuvre, forcément détachée de la personne physique de son créateur. Le droit moral se distingue également des autres droit de la personnalité en ce qu’il est perpétuel. Ainsi contrairement aux autres droits de la personnalité, le droit moral ne s’éteint pas avec la mort de l’auteur. C’est pour cela que l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, du 10 mars 1983 parlait du droit moral comme un droit de la « personnalité spécifique ».

Les critères du droit moral

L’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle énumère les différents caractères du droit moral qui est un droit « attaché à la personne ». C’est ainsi qu’il dispose que le droit moral « est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Il faut ajouter à ces critères que le droit moral et susceptible d’abus et qu’il est insaisissable.


L’inaliénabilité

Le droit moral est un principe d’ordre public par conséquent il ne peut en aucun cas être aliéner par convention.

La jurisprudence refuse la renonciation anticipée au droit au respect de l’œuvre. En effet, l’auteur ne peut par avance consentir à une déformation future de l’œuvre. "Le droit moral (...) destiné à assurer à l'auteur ce qu'il a de plus précieux, le respect de sa personnalité, est, par son essence même pérpetuel et incessible"[1].

La perpetuité

Contrairement aux droits de la personnalité (droit à l’image…) qui s’éteignent à la mort de leur titulaire, le droit moral survit à l’auteur en ce qu’il est perpétuel. Au fil des années, cette perpétuité devient théorique en raison de l’absence de personnes susceptibles d’agir en justice pour défendre l’œuvre contre les atteintes qui lui sont portées. Ainsi, un arrêt du 3 octobre 1990 déclaré que "le caractère perpétuel de ce droit, qui est transmissible à cuse de mort, ne peut être précisement sauvegardé que par le jeu, sans limitation de temps, de la dévolution successorale qui lui procure, de génération en génération, des dépositaires (...) héritiers ab intestat ou légataire universels, qui continuent la personne de l'auteur et receuillent l'héritage incluent ce droit sus réserve de l'utilisation éventuelle, par l'un de ces dépositaires, de la possibilité légale d'en conférer à un tiers le simple exercice par des dispositions testamentaires spéciales"[2].

L’imprescriptibilité

Le droit moral est imprescriptible en ce qu’il ne se perd pas par le non-usage. En revanche, l’action en justice permettant de faire sanctionner l’atteinte au droit moral se prescrit selon les règles du droit commun. L’auteur ou ses ayant-droits devront intenter leur action dans les trente ans qui suivent l’atteinte.

L’insaisissabilité

L’insaisissabilité du droit moral est une conséquence directe de son inaliénabilité. Cela implique que les créanciers de l’auteur ne sauraient, pour obtenir le remboursement de leur créance, saisir l’œuvre pour la mettre dans le commerce sans le consentement de l’auteur. Par ailleurs, les créanciers ne peuvent en aucun cas exercer une action oblique (article 1166 du Code civil) ou paulienne (article 1167 du Code civil) qui concerneraient le droit moral.

L’abus de droit moral

Le principe général du droit français de l’abus de droit peut-être invoqué en ce qui concerne le droit moral de l’auteur. Les critères de l’abus sont divers mais il faut cependant une intention de nuire dans l’exercice du droit. Peuvent ainsi être retenus l’absence de motifs légitimes et le détournement de la finalité du droit. Par conséquent, le recours au droit moral pour satisfaire des intérêts purement patrimoniaux sera constitutif d’abus. C'est ainsi que la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 14 mai 1991 que "Le droit moral ne peut pas être frauduleusement utlisé pour obtenir de meilleures conditions financières; pour un exemple de contrôle de l'exercice du droit de retrait et de repentir et condamnant l'abus de droit" (Civ 1, 14 mai 1991).

Les composantes du droit moral amène à distinguer deux hypothèses, celle du vivant de l'auteur et le droit moral post mortem.

Le droit moral du vivant de l'auteur

En ce qui concerne le droit moral du vivant de l’auteur, on distingue quatre composantes : le droit de divulgation (article L 121-2 al 1 du CPI), le droit à la paternité (art L ;121-1), le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre (art L121-1 al 1 du CPI), le droit de retrait et de repentir (Art L.121-4).

Le droit de divulgation

Selon l’article L.121-2 al.1 du CPI «  l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». La divulgation caractérise le fait de porter l’œuvre à la connaissance du public. La divulgation d’une œuvre est la prérogative la plus discrétionnaire du droit moral qui revient à l’auteur. L’auteur est donc seul à décider de rendre ou non son œuvre publique. Cette divulgation de l’œuvre la soumet au jugement de public, c’est par ailleurs comme cela que prend forme l’exercice des droits patrimoniaux de l’auteur. Ainsi cette prérogative permet à l’auteur de revendiquer l’œuvre non divulguée entre les mains d’un tiers acquéreur de bonne foi qui ne peut dans ce cas bénéficier de l’article 2279 du Code civil « En fait de meuble la possession vaut titre ».

L’auteur est donc libre de rendre publique ou non son œuvre. En revanche, il est important de préciser que le droit de divulgation de l’auteur ne s’épuise pas par le premier usage. En effet, la jurisprudence s’oppose à l’épuisement du droit de divulgation et permet à l’auteur de limiter ou fractionner dans le temps l’étendue de la divulgation. C’est ainsi que des photos publiées dans u journal ne peuvent être utilisées à la télévision, sauf autorisation de l’auteur ((Paris, 13 février 1981 ).

La mise en échec des obligations contractuelles par le droit moral

Que se passe-t-il si l’auteur s’est engagé par contrat à livrer son œuvre contre rémunération. Peut-il invoquer son droit de divulgation afin de ne pas s’exécuter ? C’est la célèbre jurisprudence Whistler que la question a été posée (Cass.civ, 14 mars 1990, Eden c/Whistler). En l’espèce, l’auteur refusait de livrer son œuvre alors qu’il s’y était contractuellement engagé. La Cour considère que si l’auteur refuse de s’exécuter, « la personne qui lui a commandé l’œuvre ne peut pas la revendiquer ni en exiger la remise, l’auteur peut seulement être condamné à restituer le prix, s’il l’a déjà perçu, et à payer en outre des dommages et intérêts ». L’auteur ne peut donc être contraint de divulguer son œuvre.

La paternité

« L’auteur jouit du droit au respect de son nom et de sa qualité » (article L.121-1 du CPI). Il a un droit à « la paternité de son œuvre ». Le droit à la paternité de l’œuvre c’est pour l’auteur la possibilité de proclamer sa paternité afin d’établir un lien entre sa personne et son œuvre auprès du public. Ainsi, le nom de l’auteur et ses qualités doivent figurer sur son œuvre ou les reproductions de cette dernière. Il existe cependant des exceptions, puisque l’auteur se voit accorder la possibilité d’utiliser un pseudonyme, ou masquer son identité par l’anonymat. En revanche, il ne peut être imposé contractuellement à l’auteur d’adopter un pseudonyme ou de renoncer à sa paternité. En cas d’utilisation de pseudonyme ou d’anonymat, l’article L 113-6 du CPI dispose que les auteurs seront représentés par l’éditeur et le mandataire choisit par l’auteur, exception faite si le pseudonyme de l’auteur est transparent. L’auteur pourra cependant révéler son identité à tout moment et ainsi mettre fin à l’anonymat ou retirer son nom (sur demande au juge). En revanche, tout révélation du nom sans autorisation de l’auteur constitue une atteinte au droit de l’auteur.

Le droit au respect de l'oeuvre

L’auteur a droit au respect de son œuvre, ce droit est régi par l’article L.121-1 al 1 du CPI. Ce respect de l’œuvre consiste à protéger la personnalité de l’auteur telle qu’exprimée dans l’œuvre, mais également de communiquer au public l’œuvre exactement comme l’auteur a souhaité qu’elle le soit. Ce droit protège à la fois l’intégrité et l’esprit de l’œuvre.

En ce qui concerne le respect de l’intégrité de l’œuvre, il faut que cette dernière soit communiquée au public telle que son auteur l’a conçue, sans subir d’atteintes. On se souvient ainsi de la célèbre affaire Bernard Buffet au sujet du réfrigérateur peint et découpé en morceaux par l’acquéreur de l’œuvre, la Cour de cassation avait ainsi déclaré que : « Le droit moral qui appartient à l’auteur d’une œuvre artistique donne à celui-ci la faculté de veiller, après sa divulgation au public, à ce que son œuvre ne soit pas dénaturée ou mutilée » (Cass.civ. I, 6 juillet 1965). Le droit au respect c’est également le respect de l’esprit de l’œuvre, ainsi même en l’absence d’altération dans sa substance, l’œuvre doit être communiquée au public sans que son « esprit » soit dénaturée.

Le droit de retrait et de repentir

L’article L.121-4 du CPI reconnaît à l’auteur un droit de retrait qui lui permet de mettre un terme à l’exploitation de l’œuvre et un droit de repentir qui autorise la modification d’une œuvre existante. En effet, l’article dispose « Nonobstant la cession de son droit d’exploitation, l’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire ». Ces droits ne peuvent être exercés par l’auteur que si ce dernier à céder ses droits patrimoniaux à un tiers qui exploite l’œuvre. L’auteur peut ainsi réduire à néant un contrat par lequel il autorisait la cession, il était donc important de prévoir de strictes conditions d’exercice de ce droit ainsi qu’une indemnisation du cessionnaire pour le préjudice subi . Par ailleurs, dans l’hypothèse d’une nouvelle exploitation, l’auteur devra offrir en premier ses droits d’exploitation dans les mêmes conditions à ce dernier.


Le droit moral post mortem

Le droit moral est perpétuel, il ne disparaît pas à la mort de l’auteur et cela même alors que l’œuvre soit tombée dans le domaine public. Cette perpétuité du droit moral résulte de la nécessité de protéger la personnalité de l’auteur. Ainsi après la mort de l’auteur, il revient aux ayants-droits de ce dernier de faire respecter la personnalité de l’auteur. Les droits extrapatrimoniaux ne sont pas céder tel quel aux héritiers, puisque le droit de retrait et de repentir sont exclus. En effet, on ne peut accorder aux héritiers « l’expression d’un remords que ce dernier n’a pas exercé de son vivant ». Les droits de divulgation, de respect de l’intégrité et le droit à la paternité survivent à l’auteur.

Liens externes

Voir aussi

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Notes et références

  1. T.civ.Seine, 6 avril 1949, Pierre Blanchar et autres c/ Sté Ets Gaumont
  2. Versailles, 3 octobre 1990 : RIDA, avr.1991, p.148, note Gautier