Cession des droits d’auteur, rappel du principe (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Pierre Roquefeuil, Avocat au Barreau de Paris
Septembre 2018




Est-il possible pour l’acquéreur d’une création, de travaux, d’une oeuvre de l’esprit (cinéma, photographie, musique, montages, clips vidéo, peinture culture, graphisme, 
textes, développements informatiques, etc…), de se prémunir efficacement contre les réclamations ayant pour motif le non respect du droit d’auteur ?


Un entrepreneur qui commande des prestations intellectuelles cherchera souvent à disposer de droits d’auteur étendus sur ces prestations, précisément en vue de se prémunir contre les réclamations de son prestataire ou de tiers qui ne sont pas intervenus au contrat.


Au delà de la jurisprudence ou des textes internationaux le code de la propriété intellectuelle rappelle les principes applicables...


La prohibition de la cession globale d’œuvres futures.

Un premier principe selon lequel la cession globale d’œuvres futures est nulle, lui interdira de s’arroger l’ensemble de la production à venir d’un prestataire ou d’un créateur.


Article L131-1 du code de la propriété intellectuelle :"La cession globale des œuvres futures est nulle.”


Dans sa commande d’oeuvre, ou dans le contrat de travail avec celui dont il entend exploiter la création, il devra donc être le plus précis possible dans ce qu’il commande et prévoir une cession de droits une fois l’œuvre créée, à la livraison ou lors du paiement par exemple.


D’autres règles l’inciteront à décrire précisément les droits qu’il entend acquérir, en déterminant leur étendue territoriale, leur durée, les utilisations de l’oeuvre qui sont prévues, sur quel supports, pour quelle audience.


Article L131-2


Les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit.Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 à 1362 du code civil sont applicables.


Article L131-3


La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article.Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'oeuvre imprimée.Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues.


Sera-t-il pour autant à l’abri des réclamations en ce qui concerne ces droits ?


Le droit inaliénable de l’auteur de revendiquer la paternité de son oeuvre.

L’auteur est (toujours) une personne physique et se distingue du “titulaire du droit d’auteur”, en ce que celui-ci peut être quelqu’un d’autre que l’auteur, être une personne physique ou morale, et être investi des droits patrimoniaux de l’auteur, c’est-à-dire des droits d’exploitation de l’oeuvre, par acquisition de ces droits.


Mais l’auteur reste pourtant l’auteur et à ce titre dispose de prérogatives inaliénables (le “droit moral” de l’auteur), qu’il pourra faire valoir par principe.


Dans la pratique la défense de ce principe peut être ardue et se limiter à des cas finalement assez exceptionnels quand l’auteur estimera être victime d’abus de la part de l’acquéreur des droits d’exploitation.


C’est le sens des dispositions qui suivent :


Article L111-1 du code de la propriété intellectuelle :


L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n'est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l'auteur de l'oeuvre de l'esprit est un agent de l'Etat, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public à caractère administratif, d'une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France.Les dispositions des articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s'appliquent pas aux agents auteurs d'œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique.


Article L121-1 du code de la propriété intellectuelle :


L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.Ce droit est attaché à sa personne.Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.


L’auteur peut céder certains de ses droits par contrat, il peut même renoncer à voir son nom apparaître et s’abstenir de toute divulgation publique, au profit d’une autre personne, physique ou morale, dans le cadre d’une oeuvre dite “collective” à laquelle plusieurs auteurs ont contribué volontairement.


L’oeuvre sera alors la propriété de la personne sous le nom de laquelle elle sera divulguée : par exemple le nom de l’entrepreneur instigateur du projet, qui sera qualifié non pas d’“auteur” mais de “titulaire des droits d’auteur” et de “propriétaire”.


Article L113-2 du code de la propriété intellectuelle, alinéa 3 :


Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.


Article L113-5 du code de la propriété intellectuelle :


L'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.


Cette personne est investie des droits de l'auteur.


L’auteur pourra donc, en prouvant la prédominance de sa création dans une oeuvre pourtant “collective”, revendiquer la propriété de sa contribution et des profits spécifiques.


Le droit pour l’auteur de retirer son oeuvre.

L’auteur peut même retirer son oeuvre du marché et de la circulation, malgré la cession du droit d’exploitation, à l’exception notable de l’auteur de logiciel. Il s’agit toutefois d’un cas exceptionnel et qui s’opère contre compensation. Celle-ci pourra être utilement prévue dans le contrat.

C’est le sens de l’article L121-4 du code de la propriété intellectuelle.


Article L121-4 du code de la propriété intellectuelle :


Nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur, même postérieurement à la publication de son oeuvre, jouit d'un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire. Il ne peut toutefois exercer ce droit qu'à charge d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. Lorsque, postérieurement à l'exercice de son droit de repentir ou de retrait, l'auteur décide de faire publier son oeuvre, il est tenu d'offrir par priorité ses droits d'exploitation au cessionnaire qu'il avait originairement choisi et aux conditions originairement déterminées.


Le droit de l’auteur à une rémunération proportionnelle.

Le principe de rémunération proportionnelle ouvre à l’auteur des possibilités de contestation du prix qu’il reçoit.


Il lui permet d’imposer une rémunération proportionnelle dans un contrat qui limiterait abusivement sa rémunération malgré le succès éclatant de son oeuvre, ou dans le cas d’exploitations qui n’auraient pas été vraiment prévues dans le contrat.


Article L131-4 du code de la propriété intellectuelle :


La cession par l'auteur de ses droits sur son oeuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l'auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation.


Toutefois, la rémunération de l'auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants :


  1. La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ;
  2. Les moyens de contrôler l'application de la participation font défaut ;
  3. Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
  4. La nature ou les conditions de l'exploitation rendent impossible l'application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l'oeuvre, soit que l'utilisation de l'oeuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité ;
  5. En cas de cession des droits portant sur un logiciel ;
  6. Dans les autres cas prévus au présent code.Est également licite la conversion entre les parties, à la demande de l'auteur, des droits provenant des contrats en vigueur en annuités forfaitaires pour des durées à déterminer entre les parties.


Article L131-6 du code de la propriété intellectuelle :


La clause d'une cession qui tend à conférer le droit d'exploiter l'oeuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat doit être expresse et stipuler une participation corrélative aux profits d'exploitation.


Les adaptations propres à certains contrats.

Des adaptations sont apportées par la loi selon le type de contrat envisagé.


Ainsi l’auteur de logiciel employé à ces fins voit ses droits cédés par la loi à l’employeur (art.L113-9).

La loi prive l’auteur de logiciel du droit de retrait (L121-7).


Le code de la propriété intellectuelle prévoit des dispositions propres au contrat d’édition, au contrat de représentation, au contrat de production audiovisuelle et au contrat de commande pour la publicité (avec une cession légale de certains droits exclusifs), au Contrat de nantissement du droit d'exploitation des logiciels, aux œuvres des journalistes, à la recherche et au référencement des œuvres d'art plastiques, graphiques ou photographiques, aux artistes-interprètes, aux producteurs, aux entreprises de communication audiovisuelle, à la télédiffusion par satellite et à la retransmission par câble, aux producteurs de bases de données.


Le droit de l’auteur à l’intégrité de son oeuvre.

L’oeuvre dite “composite” est prévue par l’article L113-2 du code de la propriété intellectuelle dans son alinéa 2 selon lequel “Est dite composite l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière.”, et L113-4 selon lequel “L'oeuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante.”.


L’acquéreur d’une œuvre de commande en demande à son cédant la cessions des droits sur l’oeuvre commandée, mais aussi, logiquement, la cession des droits sur les œuvres préexistantes y incorporées, pour pouvoir exploiter sans difficultés l’oeuvre commandée.


L’acquéreur, toutefois, en se ménageant des droits d’adaptation et d’arrangement, et sous couvert de ces droits, peut être tenté d’utiliser les œuvres pré-existantes telles quelles et de les manipuler à sa manière, pas à la manière de son cédant.


Si l’on conçoit que l’acquéreur se ménage, sur l’oeuvre livrée, des droits d’adaptation, de traduction, transformation, d’arrangement ou de reproduction, cités par l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle - et notamment dans le cadre d’une oeuvre collective - on ne peut pour autant admettre que ces droits lui permette une exploitation autonome d’une oeuvre préexistante incorporée dans l’oeuvre livrée, par une sorte de désossage.


C’est le respect du droit à l’intégrité de l’oeuvre livrée qui l’exige (article L121-1 du code de la propriété intellectuelle précité).


Dans quelle mesure l’acquéreur peut-il se prémunir contre les réclamations de tiers qui ne sont pas intervenus au contrat, et relatives au droit d’auteur ?


L’acquéreur de droits peut-il se prémunir contre ces réclamations en imposant par exemple à son cédant la charge de l’indemniser, ou de refaire les travaux, ou de faire les démarches nécessaires à une utilisation paisible de l’oeuvre ?


La recherche d’une indemnisation peut être illusoire si, au moment de la réclamation, le dit cédant a disparu, ou s’il n’est pas solvable.


Contre l’acquéreur, le tiers pourra réclamer des dommages-intérêts pour contrefaçon et exiger un arrêt de l’exploitation.


L’acquéreur, pour se défendre, sera tenté d’invoquer sa bonne foi et d’accuser son cédant négligeant qui lui aurait donc accordé plus de droits qu’il n’en avait lui-même sur l’oeuvre préexistante.


Mais en matière de responsabilité civile pour contrefaçon l’argument de bonne foi est inopérant, qui sinon encouragerait de nombreuses collusions, et une purge un peu facile des droits.


Le principe est rappelé, par exemple, dans l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2013, pourvoi 12-19170 “Attendu que la cour d'appel qui a dit à bon droit que la bonne ou mauvaise foi était indifférente à la caractérisation, devant la juridiction civile, de la contrefaçon,”


Afin de tenter de diminuer les effets de ces risques l’acquéreur veillera donc à prévoir, dans son contrat, une responsabilité du cédant, et tentera aussi de s’assurer que ce cédant dispose d’une police d’assurance de responsabilité efficace.


Il conviendra aussi de prévoir une clause de coopération judiciaire, afin de tenter de faire participer au mieux le cédant à la défense des intérêts de l’acquéreur en cas de menace judiciaire de la part d’un tiers, et d’éviter les contestations dudit cédant sur la façon de défendre la cause.