Concentration dans le secteur de la presse (fr)

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La concentration de la presse est un sujet particulièrement sensible en France. Ce concept de concentration renvoie à deux dimensions: la concentration de la propriété des entreprises et la concentration du contenu rédactionnel.

Définitions

"La concentration, écrit Marc Raboy, est le processus économique et financier qui caractérise un marché marqué à la fois par la réduction du nombre des acteurs et par l’augmentation de leur envergure".

  • la concentration horizontale:

On utilise le terme concentration horizontale pour définir une situation dans laquelle une entreprise contrôle, sur un territoire donné, plusieurs unités de production de même nature qui fabriquent des produits identiques ou similaires. Appliqué au droit de la presse, cela signifie qu’une entreprise de presse contrôle plusieurs titres de journaux

  • la concentration verticale:

On utilise le terme concentration verticale pour définir une situation dans laquelle une entreprise contrôle les différentes phases d’un processus de production.

Historique

Les premiers éléments d’un statut des entreprises de presse figurent dans l’ordonnance du 26 aout 1944 sur l’organisation de la presse française[1]. Influencés par les principes de transparence, d’indépendance, de pluralisme et donc de refus de toute concentration, les résistants voulaient faire des entreprises « des maisons de verre ». Les textes d’application de l’ordonnance ne seront jamais pris et jusqu’en 1984, l’ordonnance de 1944 demeure le seul texte en vigueur.

Pendant les années 50, deux exceptions font douter de l’efficacité des lois de la libération. - PROUVOST, industriel entre dans le capital du Figaro - le groupe Hachette s’implante à France Soir Ces 2 groupes se retireront assez vite de la presse quotidienne, pas assez rentable.

Pendant les années 60, des rapprochements se font au niveau des groupes régionaux dont les principaux sont Ouest France, La Montagne, Le Provencal, Le Dauphiné libéré, …

Au milieu des années 70, le phénomène HERSANT va tout remettre en cause. Robert HERSANT entre par la porte de la presse périodique avec l’Auto journal, une réussite spectaculaire. Puis viendra le rachat de Paris Normandie, du Figaro, de France Soir et de L’Aurore. Début des années 80, le groupe HERSANT prend le pouvoir au Dauphiné Libéré et au Progrès.

Face à un mouvement de concentration des entreprises de presse sans précédent, il est apparu à la nouvelle majorité socialiste que l’objectif principal était désormais d’assurer son pluralisme.

Loi du 23 octobre 1984 : la loi « anti Hersant »

A l’origine de la loi du 23 octobre 1984[2], l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les risques de concentration entrainés par la suppression du monopole d’État de la radiotélévision, et le processus de concentration croissant du groupe Hersant qui contrôlait 30 % du tirage des quotidiens de Paris et 20 % de celui des quotidiens régionaux. Le gouvernement socialiste de M. Pierre MAUROY présente un projet de loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence et le pluralisme des entreprises de presse, inspiré de l’esprit de l’ordonnance de 1944, mais adapté aux réalités de l’époque.

Il prévoit des quotas dans les parts de marché contrôlées par un même groupe et des quotas dans les parts de marché contrôlés par un même groupe et institue une Commission pour l’indépendance et la transparence de la presse; chargée de surveiller l’application de la loi.

La décision rendue le 11 octobre 1984 par le Conseil constitutionnel[3] reconnaît le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale comme étant « en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».

La loi sera finalement adoptée, amputée de certains articles. C’est la loi du 23 octobre 1984, souvent dénommée « loi anti-Hersant ». Cependant, elle ne sera presque pas appliquée et n’a pas d’effet rétroactif, ce qui fait que les grands groupes peuvent conserver tous leurs acquis, notamment Hersant particulièrement visé par la réforme.

Le pluralisme de la presse

La loi de 1986 assouplit les règles relatives à la concentration et à la transparence. Le texte définitif de la loi du 1er aout 1986 « portant réforme du régime juridique de la presse[4] » a interdit « à peine de nullité, l’acquisition d’une publication quotidienne d’information politique et générale ou la majorité du capital social ou des droits de vote d’une entreprise éditant une publication de cette nature, lorsque cette acquisition aurait pour effet de permettre à l’acquéreur de détenir plus de 30% de la diffusion totale sur l’ensemble du territoire national des quotidiens d’information politique et générale »

Le législateur, par la loi du 27 novembre 1986[5], destinée aux seuls quotidiens d’information générale et politique, a complété la loi du 1er aout 1986 en limitant les concentrations, sur deux points principaux :

  • elle étend la notion de contrôle indirect aux personnes physiques ou morales.

Le contrôle s’apprécie au regard de la loi de 1986, selon laquelle une société en contrôle une autre notamment « lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales. »

Or, Désormais, pour cette catégorie de presse, nul ne peut acquérir la propriété, le contrôle direct ou indirect ou l’édition en location-gérance de publications dont la diffusion nationale excéderait 30 % de la diffusion, en France, de toutes les publications de cette nature.

  • Enfin, les dispositions limitant les concentrations multimédias n’interdisent pas la multiplicité des activités médiatiques d’un même groupe.

Les seuils et interdictions retenus laissent notamment aux entreprises de presse, la possibilité d’éditer, dans une région, une publication quotidienne et d’exploiter, dans la même zone, une télévision hertzienne des lors qu’elles s’abstiennent de toute activité dominante en matière de radio.

En réalité le dispositif anticoncentration ne prend en compte que les entreprises de quotidiens d’information politique et générale, laissant de côté nombre de publications, notamment les magazines qui connaissent un grand succès. A l’heure où les groupes multimédias se constituent au niveau international, voire des groupes industriels achetant des secteurs entiers de la presse, il semble que les règles actuelles aient une portée restreinte. « On ne peut que constater que les mesures adoptées pour limiter la concentration en France n’ont jamais été très efficaces. »

Stratégie des grands groupes de presse

L’appartenance à un groupe de presse peut permettre d’assurer, au moins provisoirement, grâce à des titres bénéficiaires, la survie d’une publication déficitaire et de rentabiliser quelques investissements lourds et de repartir certaines charges communes. Les grands groupes de presse l’ont bien compris et continuent leurs fusions et les rachats.

Ainsi, en mai 1987, Michael Palmer, journaliste au Monde Diplomatique, écrivait «  un français sur 5 lit une publication Hersant » ; « 3 éditeurs contrôlent à eux seuls les 2/3 des titres quotidiens et dominicaux lus en Grande Bretagne ». « En Australie, Rupert MURDOCH est maître de 2/3 du tirage global de la presse, … » 20 ans plutôt, il s’agissait déjà de signaler la menace que la concentration des titres fait peser sur le journalisme.

En 1988, PEARSON entre sur le marché français en rachetant les échos. En 1989, HACHETTE présente un chiffre d’affaires de 8,37 milliards de francs. . Pendant les années 1990, ces mouvements prennent une ampleur encore plus importante avec l’arrivée de Vivendi Universal, le développement de Hachette Filipacchi au sein du groupe Lagardere, et la division du groupe HERSANT entre France Antilles et Socpresse.

Au contrôle politique de l’information succède un contrôle économique de car de plus en plus d’industriels prennent d’importantes participations dans les médias écrits et audiovisuels. Ce contrôle de la presse par des holding soulève des problèmes quant à la liberté de la rédaction et des journalistes : on s’interroge sur la crédibilité des médias et de leur indépendance, face à des géants très influents.

Selon Patrick Bèle, journaliste au Figaro, les conséquences des concentrations sont doubles. Les objectifs des industriels sont en contradiction.

  • D’une part, les fusions de quotidiens ont tendance à entraîner des fusions dans les rédactions et donc à détruire les valeurs et l’identité que recherchait le lecteur. Ce dernier ne retrouvant plus ses marques, finalement ne s’intéresse plus à son quotidien. Les ventes sont donc en diminution.
  • D’autre part, l’identité des actionnaires industriels peut perturber le fonctionnement des rédactions et limiter la liberté d’action des rédacteurs. Dassault a par exemple plusieurs fois posé sont veto contre la parution d’articles pouvant soi-disant influencer des tractations commerciales ou la réputation de ses industries.

Etat des lieux

Les 3 plus grands groupes de médias en France sont aujourd’hui passés sous la coupe de puissants industriels dont les secteurs d’activités sont liés à l’État (aviation, armement, bâtiment et travaux publics).

Les deux premiers groupes français, Socpresse et Hachette Filipacchi Médias, sont contrôlés par de puissants groupes industriels d’armement, tandis que le troisième, Ouest-France est un groupe de presse. La multiplication des concentrations ne cesse de s’accroître et aujourd’hui les 10 premiers groupes français de presse produisent 62 % du chiffre d’affaires total du secteur. La liberté de la presse et son pluralisme sont donc en danger.

Socpresse

Le tout premier groupe de presse en France est la Socpresse, ex-branche du groupe Hersant rachetée par Dassault. Il domine la presse quotidienne nationale (Le Figaro) et régionale (tels que Le Courrier de l’Ouest, Le Maine Libre et Presse-Océan/Vendée Matin dans l’Ouest, La Voix du Nord dans le Nord, Le Dauphiné et Le Progrès dans le Sud-Est, ...) et possède aussi des périodiques. Il était ainsi propriétaire de L’Express jusqu’en 2006, date à laquelle le magazine a été racheté par le groupe Express-Expansion.

Mais La Socpresse détient également :

  • 51 % dans l’Agence de Presse et d’Information (édition de supports pour Le Figaro)
  • 27 % dans la Société du Journal Est Républicain ( propriété de M. Gérard LIGNAC à 30%) qui elle même possède les participations suivantes :

- Société financière de La Liberté de l’Est (quotidien) - La Société Nouvelle des Éditions Comtoises 51 % - Metropolest M6 Nancy 50 % (détenue à 50/50 avec M6, diffuse le 6 Minutes local de Nancy) - Le Journal de la Haute-Marne 49 % (quotidien d’information départemental) - Éditions des Dernières Nouvelles d’Alsace 30 % (quotidien régional) - Haute-Marne Libérée Holding 10 % (holding qui diffuse Le Journal de la Haute-Marne)

  • 49 % dans TV Nantes Atlantique
  • 58 % dans la société FC Nantes Atlantique SA ( il est question de sa cession à plus ou moins long terme)

Son chiffre d’affaire annuel est de 87 millions d’€ au 31 décembre 2006.

Hachette Filipacchi Associés

En deuxième position, se trouve le premier groupe mondial de presse magazine, Hachette Filipacchi Associés, filiale de Hachette (8 milliards de CA) appartenant lui-même au groupe industriel Lagardère, Hachette Filipacchi Médias réalise 46 % de son chiffre d’affaire en France. Son chiffre d’affaire au 31 décembre 2006 est de 619 millions d’Euros.

Il est important de noter à quel point ce groupe est puissant. En effet, le groupe Lagardère contrôle d’autre part la diffusion de la presse en France puisqu’il est propriétaire à 49 % des ((Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne((, grand organisme de diffusion de la presse en France.

Ouest France

En troisième position se situe Ouest-France qui demeure le premier quotidien français avec une parution d’un peu moins de 800 000 exemplaires.

Le groupe Ouest-France a aussi de nombreuses autres activités : une large participation dans les gratuits avec Spir, l’Hebdo, filiale de Publihebdo, premier regroupement de presse régionale en France ; des radios et groupes de presse magazine.

Le chiffre d’affaires de la presse éditeur en France, qui représente environ 4 000 titres, était en 2003 d’un peu plus de 10 milliards d’euros. Les 5 premiers groupes de presse totalisent 45 % de ce chiffre d’affaire. Et le chiffre d’affaire des 10 premiers groupes en France représentent 62 %, soit les 2/3 du total du chiffre d’affaires.

Ces concentrations sont donc fortement préoccupantes sur le plan des libertés de la presse et du pluralisme qui va avoir tendance à disparaître

Il faut distinguer 2 mouvements dans le monde de la presse : - les concentrations elles-mêmes - la prise de contrôle des médias par des groupes d’intérêts extérieurs au monde de la presse.

Quelques autres exemples dans le monde de l’édition sont la prise de contrôle dans le secteur de la jeunesse des Éditions Milan, seul éditeur laïque dans le domaine éducatif en France, par le groupe Bayard, de tendance catholique. Par ailleurs, Le Monde s’est hissé à la 9e puis la 4e place des plus grands groupes grâce au rachat de quotidiens dans le Sud (Midi Libre, Centre Presse, L’Indépendant), puis du groupe de presse hebdomadaire de La Vie Catholique PVC (Télérama).

Or, aujourd’hui, ces groupes de presse comme Le Monde et Libération sont eux-mêmes entrés dans cette logique capitaliste et n’en sont pas moins demeurés vulnérables. En effet, Le Monde s’est finalement endetté et la crise de la pub et la diminution des ventes n’ont fait qu’accentuer sa fragilité. Libération a dû subir une importante crise financière, se résolvant par le départ des directeurs du journal Serge July et Louis Dreyfus poussé par Rotschild qui acceptera alors de « recapitaliser » le journal.

Conséquences sur l’indépendance des journalistes

L’identité des actionnaires des groupes industriels a un impact certain. Il émerge des conflits d’objectifs entre les intérêts financiers, commerciaux et la diffusion libre de l’information dans la presse.

Les actionnaires ont un droit de regard de part leurs investissements et peuvent l’utiliser à leur avantage pour contrôler les médias comme ce fut le cas pour Libération en 2006 avec le départ forcé de ses directeurs.

Suite au changement de direction, plusieurs journalistes ont souhaité quitter le journal. Quatre figures importantes, Florence Aubenas, Antoine de Baecque (rédacteur en chef adjoint chargé de la culture), Jean Hatzfeld et Dominique Simonnot (ancienne présidente de la Société des rédacteurs), annoncent « être en désaccord avec ce qui se passe au journal » et demandent de bénéficier de la clause de cession.

Dassault, lui, avait décidé d’établir une ligne directe et quotidienne avec la rédaction. Il a commencé à s’impliquer très rapidement dans des articles en souhaitant rayer certaines parties ou en les faisant annuler.

D’autre part, les journalistes travaillent de plus en plus dans un état de dépendance et doivent souvent augmenter leur productivité en dépit de la qualité qui baisse continuellement. De plus en plus de journalistes partent et ne sont pas remplacés.

Sur les 10 dernières années les ventes des quotidiens régionaux sont en baisse. Il y a un phénomène de démobilisation certain au sein des rédactions qui accentue cette perte d’identité régionale. Les projets éditoriaux ont tendance à disparaître.

De plus, la différence entre les gratuits et les payants diminue et le lecteur se tourne donc vers l’avantage financier.


Les solutions possibles pour préserver l’indépendance

Le public doit prendre conscience des dangers de l’intensification des concentrations.

  • Une solution préconisée par certains consiste à pousser le gouvernement à réagir au niveau réglementaire et législatif afin de définir un statut particulier pour les acteurs de la presse et des médias en général. Ce statut devrait définir le droit des rédacteurs et déterminer clairement le champ d’action possible des actionnaires.
  • Des aides de l’État existent actuellement. Des fonds de 600 millions d’euros sont distribués chaque année. Il serait souhaitable que cette aide soit indifférenciée entre la presse d’information et les magazines purement commerciaux.
  • De manière générale, les concentrations ont eu lieu suite à des crises financières qui auraient pu faire disparaître les entreprises de presse concernées. Les éditions stables et dont la succession est bien organisée, comme celle du Canard Enchaîné, n’ont jusqu’à présent pas subi de propositions d’achat par exemple.

Notes et références

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.