Déontologie des sources des journalistes (fr)

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La déontologie des journalistes est une déontologie professionnelle. Il n’existe pas de code déontologique mais diverses chartes issues de la profession elle-même et établissant les droits et devoirs des journalistes. Ceci tend parfois à fragiliser la position des journalistes, notamment du point de vue de la protection de leurs sources. Depuis peu, l’État français témoigne ainsi de son intérêt pour l’aspect déontologique de l’activité journalistique, via un projet de loi assurant cette protection des sources des journalistes.

Les chartes déontologiques

Outre les grands principes relatifs à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, l’activité journalistique est essentiellement régie par des chartes professionnelles, souvent issues du monde syndical. Il existe également des chartes déontologiques propres à certains organes de presse ou groupes audiovisuels (comme Le Monde ou France Télévisions), qui reprennent le plus souvent et complètent les chartes adoptées par les syndicats et représentants des journalistes.

La charte des devoirs professionnels des journalistes français

Publiée à la sortie de la Première Guerre mondiale en 1918, et remaniée juste avant la Seconde Guerre mondiale en 1938, cette charte a essentiellement une force symbolique. En effet, ce texte n’a aucune valeur juridique mais établit quelques principes généraux destinés à encadrer l’activité journalistique. Il opère essentiellement par la négative en énonçant les agissements devant être proscrits par les journalistes.
Ainsi, cette charte impose notamment au journaliste de « prendre la responsabilité de tous ses écrits », de « garder le secret professionnel » et de « ne pas confondre son rôle avec celui du policier ». Il est également mentionné qu’un « journaliste digne de ce nom tient la calomnie, les accusations sans preuves, les mensonges, la déformation des faits, l’altération des documents comme les fautes les plus graves ». Le journaliste ne doit commettre « aucun plagia » ni user de la liberté de la presse « dans une intention intéressée ».

La déclaration des devoirs et des droits des journalistes

Adopté à Munich en 1971, ce texte est qualitativement beaucoup plus important que la charte de 1938. Il accorde une dimension plus universelle à la déontologie de la pratique journalistique, notamment dans son préambule qui place « le droit à l’information, à la libre expression et à la critique » comme l’une « des libertés fondamentales de tout être humain ». Cette charte se décompose en 10 devoirs du journaliste et 5 droits qui lui sont reconnus dans son activité professionnelle.
Du point de vue des devoirs, la charte mentionne notamment le respect de la vérité et de la vie privée, l’obligation de publier « seulement les informations dont l’origine est connue » et de « ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ». Pour satisfaire le droit que le public à de connaître, les journalistes peuvent alors se prévaloir de certains droits et notamment du « libre accès à toutes les sources d’information » ainsi que du « droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique », dès lors qu’aucun motif clairement exprimé ne s’y oppose. De même, « le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience ».

Atteintes à la déontologie des sources

Les règles déontologiques du journalisme sont souvent mises à mal, que cela soit le résultat d’une exigence de rentabilité amenant les journalistes à passer outre le respect de leurs devoirs ou bien le fruit de diverses pressions des pouvoirs publics. Le secret des sources est ici le plus sujet à caution, aussi bien dans les pays non démocratiques que démocratiques. De nombreuses affaires tendent en effet à faire vaciller la protection des sources des journalistes qui est pourtant un élément indispensable au bon exercice de leur profession.
En France, des perquisitions effectuées dans les rédactions des journaux Le Point et L’Équipe en 2004, suite à une affaire de dopage en cyclisme[1], ont révélé les tentations fortes des pouvoirs publics d’utiliser les journalistes et les informations qu’ils détiennent de manière confidentielle pour les besoins de leurs enquêtes. Plus récemment, en décembre 2007, le journaliste Guillaume Dasquié a été mis en examen pour avoir publié des informations classées secret défense sur l’affaire Borrel et sur le 11 septembre[2]. De même, nos voisins britanniques ont eux aussi fait l’objet de scandales politico-médiatique liés à la divulgation des sources et des propos tenus par elles aux journalistes. L’affaire Kelly[3] en Grande-Bretagne a ainsi été à l’origine de la crise de la BBC subie en 2003 en dévoilant au grand public les interactions entre le gouvernement britannique et le dossier relatif à l’armement en Irak. Outre-Atlantique également, l’affaire Valérie Plame[4] a déclenché de vives réactions au sein de la profession journalistique en condamnant des journalistes refusant de dévoiler leurs sources. L’affaire portait sur la révélation à la presse en 2003 de l’identité d’un agent de la CIA dont le mari avait accusé l’administration Bush d’avoir manipulé les renseignements pour convaincre l’opinion publique du bienfondé d’une intervention en Irak.

Législations

Droit national

Le droit positif français relatif à la protection des sources journalistiques est relativement lacunaire. En effet, bien que l’article 109 du Code de procédure pénale prévoit que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine », cette disposition est très vite restreinte par la loi du 9 mars 2004[5]. Cette loi, dite Perben II, permet des mesures de perquisitions « si le témoin ne comparaît pas ou refuse de comparaître ». Il en résulte qu’un journaliste refusant de témoigner, peut être « requis » de remettre des documents, sous peine d’une amende de 3 750 euros. S’il est encore en droit de refuser, une perquisition peut être ordonnée afin de connaître l’identité de l’informateur ou recueillir des éléments de preuve. La loi indique que lorsque les réquisitions visent les entreprises de presse, « la remise des documents ne pourra intervenir qu’avec leur accord ». En revanche, les journalistes entendus en tant que « personnes » sont tenus de répondre aux réquisitions. Le droit des journalistes au secret de leurs sources est donc assez restreint et ne fait pas écho à la jurisprudence européenne. Le secret des sources mentionné dans les diverses chartes éthiques est donc parfois difficile à respecter car il ne bénéficie pas d'une protection juridique intégrale.

Jurisprudence européenne

La jurisprudence européenne consacre de manière constante la protection effective des sources d’information des journalistes. Dans son arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni du 27 mars 1996, elle fait de la protection des sources journalistique « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Elle poursuit dans cette voie en estimant dans son arrêt Roemen et a. c/ Luxembourg du 25 février 2003 que « des perquisitions ayant pour objet de découvrir la source du journaliste - même si elles restent sans résultat - constituent un acte plus grave qu'une sommation de divulgation de l'identité de la source ». La Cour de justice européenne a confirmé sa position quelques mois plus tard en juillet 2003 dans son arrêt Ernst et a. c/ Belgique. Au travers de ces affaires, la jurisprudence européenne attache une grande importance à la liberté d’expression et à ceux qui la représente traditionnellement, à savoir les journalistes. L’Union Européenne souhaite éviter l’application trop fréquente de l’adage selon lequel « Qui cite sa source la tarit »

Droit Belge

Condamnée plusieurs fois par la Cour européenne, la Belgique a su adapter sa législation conformément aux prescriptions émises par celle-ci. Entrée en vigueur le 7 avril 2005, la loi Belge relative à la protection des sources des journalistes est un élément clé de la liberté d’expression. Les journalistes se voient reconnaître expressément le droit de taire leurs sources d’information et ne peuvent être contraints de révéler ces dernières. Ils ne peuvent être tenus de divulguer leurs sources qu’à la requête du juge, et à condition que les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes et que ces informations ne puissent être obtenues d’aucune autre manière. Il en va de même pour les mesures d’information ou d’instruction telles que fouilles, perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques et enregistrements.Cette loi est fréquemment présenté comme exemple par le monde du journalisme. Le récent projet de loi français visant à assurer la protection des sources des journalistes tend ainsi à se rapprocher de la législation belge en ce domaine.

Projet de loi en France sur la protection des sources des journalistes

La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour des poursuites contre des journalistes ayant refusé de révéler l'identité de leurs informateurs. Les diverses perquisitions dans des entreprises de presse ou mises en examen de journalistes ont donc révélé la nécessité d’une définition précise de la protection des sources. Un projet de loi attendu depuis plusieurs années par les journalistes a donc été présenté par le garde des Sceaux Rachida Dati afin de garantir « une véritable protection aux journalistes ». Adopté en première lecture par les députés le 15 mai 2008, ce projet de loi prévoit d’inscrire la protection des sources des journalistes dans la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse[6].
Le projet de loi se divise en trois articles : le premier affirme le principe de protection du secret des sources journalistiques, les deux autres concernent les modalités de perquisition et les auditions en tant que témoin. Les perquisitions dans les agences de presse et au domicile des journalistes devront désormais être effectuées par un magistrat et le journaliste pourra s'opposer à la saisie d'un document. La justice ne pourra rechercher l'origine d'une information de presse que lorsqu'un « impératif prépondérant d'intérêt public » l'impose, à titre exceptionnel, en cas de crime ou délit grave et si cela est absolument nécessaire à l'enquête.
Malgré tout, ce texte ne fait pas l’objet d’un consensus et la gauche le considère comme « inapplicable et régressif ». La notion d’ « impératif prépondérant d’intérêt public » serait trop vague et permettrait de trop grandes dérogations par les pouvoirs publics au secret des sources. De plus, le projet ne définit pas précisément ce qu’est une source ni qui sont les personnes protégées. Le projet de loi intervient donc dans un climat tendu mais laisse néanmoins paraître une évolution positive pour la profession de journaliste et a fortiori pour la liberté d’expression.

Notes et références


Liens externes

[1]Charte des devoirs professionnels des journalistes français
[2]Déclaration des devoirs et des droits des journalistes