Donation-partage : peut-on la contester? (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Murielle Cahen, avocat au barreau de Paris
Février 2020





La donation-partage est sans conteste un outil privilégié de la transmission, dont les avantages civils et fiscaux ne sont plus à démontrer.


La donation-partage est un outil de paix familiale parce qu’elle se fonde sur un principe d’égalité.


Si « l’égalité est l’âme des successions » l’égalité est aussi l’âme des partages. Cette idée directrice conduit à la recherche systématique de l’égalité, laissant parfois à penser qu’il ne peut y avoir de donation-partage sans égalité, autrement dit qu’une donation-partage est obligatoirement égalitaire ».


La donation-partage est également de façon générale, une donation actuelle consentie par un ascendant à ses enfants, et contenant répartition entre tous les attributaires des biens donnés. Ainsi, de son vivant et sous son autorité, l’ascendant répartit-il son patrimoine, ce qui a généralement l’avantage d’éviter tout litige ultérieur.


Certes, le consentement des donataires est nécessaire pour que la donation-partage soit valablement formée.


Toutefois, les donataires ne sauraient en aucun cas modifier, de leur seule volonté, la composition des lots.


A fortiori, ils ne pourraient nullement accepter la répartition des lots au jour de la donation-partage, pour la remettre en cause au jour du décès du disposant.


Le partage opéré par voie de donation-partage est en principe définitif, sauf les possibilités de contestations ultérieures, contestations qui ne peuvent uniquement se fonder sur une remise en cause des modalités du partage.


Un vent de contestation ne risquerait-il pas de naître au décès du donateur contre cette égalité arrangée, laissant planer un risque d’action en réduction ?


CONDITIONS DES DONATIONS PARTAGES

Conditions tenant aux personnes

  • Donation-partage au profit des présomptifs héritiers [1].


Jusqu’au 1er janvier 2007, le Code civil désignait les donations partages sous la dénomination de partages d’ascendants. En effet, de telles libéralités n’étaient possibles qu’entre ascendants et descendants si l’on excepte la faculté introduite par la loi du 5 janvier 1988 (L. n° 88-15, 5 janv. 1988 : JO, 6 janv.) pour faciliter la transmission d’entreprises.


Désormais, la donation-partage peut être consentie à des personnes qui ne sont pas des descendants du donateur, mais qui ont la qualité de présomptifs héritiers. C’est ainsi qu’une personne célibataire et sans enfants pourra, par donation-partage, transmettre tout ou partie de ses biens à ses frères et sœurs, ou le cas échéant, ses neveux et nièces si ceux-ci, en l’absence de descendants, sont ses présomptifs héritiers.


Le conjoint survivant ayant aujourd’hui la qualité d’héritier [2], il sera également possible de réaliser une donation-partage entre lui et les descendants (voire un descendant unique).


  • Donations-partages au profit de personnes non-héritières.


La loi du 23 juin 2006 (L. n° 2006-728, 23 juin 2006 : JO, 24 juin) organise dans deux cas une possibilité de donation-partage à laquelle concourent des personnes n’ayant pas la qualité d’héritiers.


La première reprend une technique introduite par la loi du 5 janvier 1988 (L. n° 88-15, 5 janv. 1988 : JO, 6 janv.) permettant de faire concourir à la donation-partage, avec les présomptifs héritiers, des personnes étrangères à la succession lorsqu’une entreprise individuelle ou sociétaire se trouve comprise parmi les biens donnés.


Dans ce cas, les étrangers à la succession ne peuvent être allotis qu’au moyen des droits sociaux ou des éléments de l’entreprise individuelle (Code civil, article 1075-2).


La seconde est plus innovante : elle autorise la réalisation d’une donation-partage au profit de descendants de degrés différents.


Cette libéralité qualifiée de « transgénérationnelle » répond au souci d’assurer plus rapidement une transmission, partielle ou totale, au profit de bénéficiaires plus jeunes, et ce compte tenu de l’accroissement constant de l’espérance de vie.


Elle conduit le disposant à donner non pas à ses enfants, mais aux descendants de ceux-ci (Code civil article 1078-4 et s.).


Elle suppose obligatoirement l’intervention à l’acte non seulement des bénéficiaires, mais aussi de ceux des enfants qui acceptent ainsi de ne pas recevoir leur part et de laisser le donateur transmettre directement à leurs propres enfants (Code civil article 1078-5).


Cette libéralité directe au profit des petits enfants peut ne concerner qu’un enfant ou qu’une partie des biens. Il est dès lors possible de procéder à une donation-partage en présence d’un enfant unique et de l’enfant de celui-ci, chacun recevant par exemple la moitié des biens donnés.


Compte tenu de la rédaction très générale de l’article 1075-1 du Code civil, la libéralité transgénérationnelle peut être réalisée par la voie d’un partage testamentaire [3].


Conditions tenant aux biens

Le partage d’ascendant réalisé par acte entre vifs obéit aux conditions générales de la donation et ne peut donc comprendre que des biens présents.


De même, il peut prévoir que certaines dettes déterminées soient mises à la charge des donataires, mais ne peut leur imposer le paiement de dettes qui n’existent pas encore à l’époque du partage d’ascendant.


Le donateur peut comprendre dans le partage d’ascendant tout ou partie de ses biens existants.


Rien ne s’oppose cependant à ce qu’un des donataires soit alloti au moyen d’une soulte payable au décès de ses parents (ou à un autre terme). =


Cette soulte, qui a le caractère d’une créance, constitue en effet un bien présent qui fera seulement l’objet d’une réévaluation conformément à l’article 833-1 du Code civil [4].


COMMENT CONTESTER UNE DONATION-PARTAGE ?

Par principe la donation-partage ne peut être contestée comme le rappelle la Cour de cassation en son arrêt du 3 février 2019 – n° 18-11.642

Selon la Cour de cassation, « la donation-partage, qui peut être faite en deux temps ainsi que le prévoit l’article 1076 du Code civil, ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester, mais un partage fait par l’ascendant de son vivant et selon sa seule volonté » [5].


Par acte notarié de 2005, un père a consenti à ses quatre enfants, trois sœurs et un frère une donation-partage portant sur un ensemble de biens mobiliers et immobiliers, parmi lesquels 60 % d’œuvres d’art figurant sur une liste annexée à l’acte.


Cet acte attribue à chacun des donataires un lot composé, notamment, de 15 % des œuvres d’art. Par un second acte notarié d’octobre 2011, le donateur a procédé au partage des œuvres d’art dont il avait fait donation à ses enfants en 2005.


Deux enfants, une sœur et un frère ont accepté leur lot respectif, les deux autres sœurs ayant refusé de signer l’acte de partage. C’est en vain qu’une des sœurs ayant refusé de signer l’acte de partage reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation de cet acte.


D’une part, la donation-partage, qui peut être faite en deux temps comme le prévoit l’article 1076 du Code civil, ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester, mais un partage fait par l’ascendant de son vivant et selon sa seule volonté.


D’autre part, le partage d’ascendant se forme dès que l’un des enfants a accepté son lot.


Ayant constaté que deux des enfants avaient accepté le leur, le refus de certains bénéficiaires était sans effet sur la validité et l’opposabilité de la donation-partage.


De manière exceptionnelle, la contestation de la donation-partage peut se faire en cas d’atteinte à la réserve héréditaire

La donation-partage permet de gratifier dans un acte unique une assez large diversité de personnes : présomptifs héritiers, réservataires ou non, enfants communs et non communs, descendants de degrés différents, tiers appelés à recevoir l’outil professionnel du disposant.


L’héritier est le continuateur de la personne du défunt. Il est immédiatement titulaire des droits et actions qui lui ont été transmis à cause de mort et, grâce à la saisine, il est habile à les mettre en œuvre.


L’action en réduction est une action spéciale par laquelle un héritier réservataire peut obtenir des bénéficiaires de libéralités consenties par le de cujus au-delà de la quotité disponible la restitution de la part excédentaire de ces libéralités afin de rétablir la réserve héréditaire qui a été entamée.


Le descendant, qui n’a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve, peut exercer l’action en réduction s’il n’existe pas à l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier (Code civil article 1077-1).


Cette action est la seule susceptible d’être exercée contre la donation-partage.


Son exercice est subordonné à la condition qu’il n’existe pas de biens suffisants : c’est dire que l’enfant qui n’aurait reçu aucun bien dans la donation-partage ou qui aurait refusé d’accepter son lot ne pourra remettre en cause les attributions faites par l’ascendant s’il existe des biens suffisants pour compléter sa réserve.


En aucun cas l’action en réduction ne peut avoir pour but de parvenir à l’égalité dans le partage [6].


DANS QUELS DÉLAIS LA CONTESTER ?

Il est possible de contester ce type d’acte uniquement au moment du décès du donateur.


En revanche, s’il s’agit d’une donation conjonctive, c’est-à-dire faite par les deux parents, il faudra attendre le décès du survivant pour pouvoir agir. La loi impose la date du décès, car c’est seulement à ce moment-là que vous pourrez savoir quel est le montant de la réserve et donc de vos droits.


Il convient enfin de préciser que l’action en réduction se prescrit en principe par cinq ans à compter de l’ouverture de la succession du donateur ou dans le délai de deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte à la réserve héréditaire, sans toutefois pouvoir excéder le délai de dix ans [7].


Notes