Harcèlement sexuel : articulation entre action prud’homale et pénale (fr)

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Le 8 avril 2020

Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris



La jurisprudence relative au harcèlement sexuel commence à se forger, les décisions de la Cour de cassation en esquissant progressivement les contours.

Dans une première décision importante, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait apporté trois précisions : après avoir énoncé qu’un fait unique pouvait suffire à caractériser le harcèlement sexuel, elle avait jugé que la salariée victime de tels agissements avait droit, non seulement, à obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi en raison de ces agissements, mais qu’elle était également fondée à obtenir des dommages intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, dès que celui-ci n’avait pris aucune mesure effective pour mettre un terme à cette situation (Cass. Soc. 17 mai 2017 n° 15-19300).

Il importe en outre de rappeler que le harcèlement sexuel est susceptible d’être doublement sanctionné, pénalement et civilement.

Il est donc possible de combiner une action devant le Tribunal correctionnel (Tribunal judiciaire) et devant la juridiction prud’homale.

En effet, l’article 222-33 du Code pénal punit l’auteur des faits de harcèlement sexuel d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende, portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, lorsqu’ils sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, sur un mineur de 15 ans ou sur une personne particulièrement vulnérable.

D’autre part, les articles L 1153-1 et suivants du Code du travail sanctionnent ces agissements, la sanction se résolvant lorsque l’auteur est salarié la plupart du temps par un licenciement pour faute grave.

En outre, si une salariée est sanctionnée, licenciée ou fait l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés, la mesure prise à son encontre est nulle (article L 1153-4 du Code du travail).

La chambre sociale vient de se prononcer sur l’articulation entre ces deux actions.

Une salariée en contrat de professionnalisation, en qualité d’assistante dentaire, avait été licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013 après que son employeur lui ait reproché de prétendus manquements professionnels.

Souhaitant valider sa formation, la salariée s’était gradée d’évoquer le harcèlement sexuel qu’elle subissait pendant la durée de sa relation de travail.

Elle avait ensuite intenté deux actions distinctes après avoir été licenciée, l’une au pénal, l’autre prud’homale.

Après avoir porté plainte contre son employeur pour harcèlement sexuel devant le Tribunal correctionnel, elle avait en outre saisi la juridiction prud’homale d’une demande de nullité de son licenciement.Avocat harcèlement sexuel L’employeur avait été relaxé devant le tribunal correctionnel, le jugement étant définitif, cette relaxe étant fondée sur le seul défaut d’élément intentionnel.

Précisons que l’infraction est caractérisée en droit pénal par la réunion de trois éléments : un élément matériel (commission des faits), un élément légal (dont la répression est prévue par la loi), et un élément moral (intentionnel), de sorte que si l’un d’eux fait défaut, l’infraction ne peut être retenue.

L’employeur se prévalait donc devant le Juge prud’homal de la relaxe dont il avait bénéficié pour soutenir que les faits de harcèlement sexuel que lui reprochait la salariée n’étaient pas établis.

Il s’appuyait sur les dispositions de l’article 1351 (ancien) du code civil, qui prévoit que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

La Chambre sociale de la Cour de cassation écarte néanmoins l’argument, en jugeant que la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel.

Elle souligne ainsi l’autonomie de l’action prud’homale par rapport à l’action pénale, et considère que l’absence d’élément intentionnel ne prive pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l’employeur.

Elle confirme la nullité du licenciement de la salariée, après avoir relevé que les liens de de tutorat inhérents à la formation qu’elle suivait, étant en contrat de professionnalisation, l’empêchaient de quitter le cabinet dentaire qui l’employait sous peine de perdre la possibilité d’obtenir son diplôme, cette situation l’ayant logiquement déterminée à retenir ses plaintes jusqu’à son licenciement.

L’intéressée avait au demeurant déclaré à l’officier de police lors de son dépôt de plainte que lorsqu’elle avait voulu évoquer devant l’employeur les propos qu’il avait tenus, il lui avait répondu qu’elle devait « se décoincer ».

Le lien entre les faits de harcèlement sexuel et le licenciement de la salariée apparaissait donc clairement établi (Cass. Soc. 25 mars 2020 n° 18-23682).

Il importe à cet égard de relever que la charge de la preuve qui repose sur la salariée victime de harcèlement sexuel est allégée car il suffit qu’elle présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement (article L 1154-1 du Code du travail).

Les juges prud’homaux ont ainsi valablement pu retenir comme éléments de preuve suffisants des attestations d’amies, de parents, qui n’ont pas été témoins directs des agissements imputés à l’employeur, mais ont reçu les confidences de l’intéressée, de même qu’une déclaration de main courante dans laquelle celle-ci décrit les agissements commis par son employeur (Cass. Soc. 14 mars 2018 n° 14-19635).