Intervention des douanes en matière de prévention des atteintes aux droits de Propriété Intellectuelle (fr)

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Compte-rendu de la réunion du 17 avril 2013 de la Commission de la propriété intellectuelle du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition privée

Commission ouverte : Propriété intellectuelle
Co-responsables : Fabienne Fajgenbaum, avocat au barreau de Paris

Intervenants : Gérard Delile, avocat au barreau de Paris, Yves-Alain Sauvage, directeur du département Marques et Anticontrefaçon de Chanel, Katell Guiziou, chef du bureau E1 Politique tarifaire et commerciale (Direction générale des douanes et des droits Indirects)


L’année 2011 a été terrible pour la protection des droits de propriété intellectuelle (DPI) grâce à l'intervention des douanes, à cause bien entendu, de l'arrêt "Nokia/Philips" de la CJUE du 1er décembre 2011 (CJUE, 1er décembre 2011, aff. jointes C-446/09 et C-495/09 N° Lexbase : A4607H3Z). Cet arrêt "dévastateur" a profondément modifié les pratiques des titulaires de droits, de leurs avocats et de l'administration des douanes. Cette décision de la Cour de Luxembourg ne fait qu'accroître la difficulté pour les avocats d'emprunter la voie pénale pour faire respecter les droits des titulaires. Les instances européennes semblent, néanmoins, avoir pris conscience des conséquences particulièrement néfastes de la jurisprudence de la CJUE et ont donc décidé de se saisir de ce problème. Ainsi, le Conseil de l'UE a publié, le 19 mars 2013, une résolution sur le plan d'action des douanes, destiné à lutter contre les violations des droits de propriété intellectuelle pour la période 2013-2017. De même le 27 mars 2013, la Commission européenne a présenté, sa proposition de révision du système des marques. Au menu : révision du Règlement sur la marque communautaire (Règlement (CE) n˚ 207/2009 du 26 février 2009, sur la marque communautaire N° Lexbase : L0531IDZ) et refonte de la Directive rapprochant les législations des Etats membres concernant les marques (Directive 2008/95 du 22 octobre 2008 N° Lexbase : L7556IBH), afin d'améliorer, rationaliser et moderniser la législation actuelle et rendre les systèmes d'enregistrement de marques au sein de l'Union européenne plus accessibles et plus efficaces pour les entreprises en termes de sécurité juridique, notamment.

Le rôle des douanes dans la lutte contre la contrefaçon est essentiel car ce système efficace et pragmatique est particulièrement apprécié par les titulaires de droits. Leur but premier est d'empêcher les produits contrefaisants d'investir le territoire ; la procédure douanière le garantit grâce à la destruction desdits produits dans le cadre d'une saisie et permet ainsi d'éviter une procédure longue, coûteuse et inutile. Or, l'arrêt "Nokia/Philips" a considérablement impacté l'efficience de ce système qu'il convient de rétablir, au surplus dans une économie dégradée. La protection des marques favorise une concurrence non-faussée au sein de l'Union qui est sapée par la contrefaçon, ce mal dans la lutte contre lequel les douanes jouent un rôle central et auxquelles il est impératif de donner les moyens juridiques pour assurer pleinement leur mission.


– Le rôle des douanes en matière de lutte contre la contrefaçon

par Maître Gérard Delile, avocat au barreau de Paris

Le rôle des douanes en matière de lutte contre la contrefaçon est primordial. Celui-ci repose, notamment, sur les dispositions relatives à la retenue, domaine dans lequel la France est un pays pionnier, puisqu'elles existent depuis la loi "Longuet" de 1994 (loi n˚ 94-102 du 5 février 1994, relative à la répression de la contrefaçon et modifiant certaines dispositions du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3251HUX), premier texte au sein des Etats membres de l'Union à considérer les marchandises contrefaisantes importées comme des marchandises illicites.


Les bases réglementaires

Trois types de textes fondent l'intervention des douanes en matière de contrefaçon :

- les textes communautaires, à savoir le Règlement (CE) n˚ 1383/2003 du Conseil du 22 juillet 2003, concernant l'intervention des autorités douanières à l'égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l'égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4783DIY) et le Règlement (CE) n˚ 1891/2004 de la Commission du 21 octobre 2004 (N° Lexbase : PANIER) ;

— les articles du Code de la propriété intellectuelle ;

— les dispositions douanières (Code des douanes communautaire et Code des douanes français).

Il n'y a pas de concordance parfaite entre le système français et le système européen. En effet, le premier couvre les marchandises contrefaisantes car revêtues d'une marque contrefaisante, les dessins et modèles et les droits d'auteurs et droits voisins, mais son champ d'application, contrairement au système européen, ne couvre pas les brevets, les obtentions végétales et les appellations d'origine, indications géographiques et dénominations géographiques. Se pose, quoi qu'il en soit, la question de la possibilité matérielle d'appréhender des marchandises protégées par brevet, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un brevet de procédé. Identifier, dans ce cas, le caractère contrefaisant des articles apparaît en effet quasiment impossible.

Concernant le Code de la propriété intellectuelle, ce sont les articles L. 521-14 (N° Lexbase : L1806H3B) et suivants pour les dessins et modèles, 716-8 (N° Lexbase : L1844H3P) et suivants, pour les marques, et L. 335-10 (N° Lexbase : L3492ADP) pour les droits d'auteur, qui fondent la compétence des douanes en matière de retenue.


Les modalité pratiques

En pratique, en principe, les titulaires de droits adressent, tous les ans, à l'administration des douanes un formulaire d'intervention dans lequel ils fournissent un certain nombre d'informations. Si les choses sont relativement simples concernant les demandes de surveillance et d'intervention pour les marques et pour les dessins et modèles, puisqu'il suffit de fournir le numéro d'enregistrement et une photocopie du certificat d'enregistrement, la preuve de la titularité s'avère plus complexe en matière de droits d'auteur et de droits voisins en l'absence d'enregistrement en France. Le Règlement n˚ 1891/2004 précise à ce titre, dans son article 2, que la preuve se fera par tout moyen attestant de sa qualité d'auteur ou de titulaire originaire. En général, sont fournis des jugements qui ont sanctionné des atteintes au droit d'auteur et reconnu le caractère protégeable de l'œuvre, ces décisions de justice servant ainsi de justificatif de la titularité du droit d'auteur.

Cette demande étant faite, elle est en vigueur pendant un an et permet à la douane, alertée, de diffuser cette information à tous ses bureaux sur l'ensemble du territoire. Lorsque des marchandises sont appréhendées par l'administration, celle-ci prend contact avec le titulaire des droits afin qu'il expertise les objets, la plupart du temps via des photos envoyées par mail. La douane procède donc à une retenue, le titulaire des droits disposant alors d'un délai de dix jours (trois jours pour les marchandises périssables), afin d'obtenir soit une décision de saisie-contrefaçon, soit -ce qui est moins conseillable— d'assigner le contrefacteur.

Il existe, également, une demande d'intervention communautaire, sensiblement identique. Le service des douanes du pays d'origine du titulaire des droits transmettra alors les informations à l'administration des pays désignés.


La retenue douanière en l'absence de demande d'intervention

Si la demande n'est pas formellement déposée, la douane peut intervenir et contacter le titulaire des droits, à la suite de l'identification de marchandises présumées contrefaisantes par ses services. Elle invitera alors le titulaire des droits à remplir une demande. Cette souplesse permise par la loi est particulièrement utile, notamment lorsque le titulaire a omis de renouveler sa demande d'intervention.

Le problème de la retenue douanière des marchandises en transit depuis l'arrêt "Nokia/Philips"

Depuis l'arrêt "Nokia/Philips" du 1er décembre 2011, la retenue de marchandises en transit est clairement impossible, que le pays d'origine et le pays destinataire soient ou non membre de l'Union européenne. Ainsi selon la CJUE :

— des marchandises provenant d'un Etat tiers et constituant une imitation d'un produit protégé dans l'Union par un droit de marque ou une copie d'un produit protégé dans l'Union par un droit d'auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de "marchandises de contrefaçon" ou de "marchandises pirates" au sens desdits Règlements en raison du seul fait qu'elles sont introduites sur le territoire douanier de l'Union sous un régime suspensif ;

— ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de "marchandises de contrefaçon" ou de "marchandises pirates" lorsqu'il est prouvé qu'elles sont destinées à une mise en vente dans l'Union, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu'il s'avère que lesdites marchandises ont fait l'objet d'une vente à un client dans l'Union ou d'une offre à la vente ou d'une publicité adressée à des consommateurs dans l'Union, ou lorsqu'il ressort de documents ou d'une correspondance concernant ces marchandises qu'un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l'Union est envisagé ;

— pour que l'autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l'existence d'une telle preuve et des autres éléments constitutifs d'une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l'autorité douanière saisie d'une demande d'intervention doit, dès qu'elle dispose d'indices permettant de soupçonner l'existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

— parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n'est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l'absence d'informations précises ou fiables sur l'identité ou l'adresse du fabricant ou de l'expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d'une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu'un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l'Union est susceptible de se produire.

Cette décision complexe manque assurément de clarté.

Toutefois un constat s'impose : l'arrêt "Nokia/Philips" sur le transit a eu des conséquences pratiques particulièrement néfastes. A ce titre les chiffres sont éloquents : en 2012, la douane a saisi 4,6 millions d'articles contrefaisants contre 8,9 millions en 2011, soit plus de 45 % de baisse, représentant les interventions de la douane sur les marchandises en transit. Il est donc urgent de trouver une solution pour rompre avec ce curieux principe.

Cette solution paroxystique n'est pas pour autant totalement nouvelle ; elle semble plutôt n'être que l'achèvement regrettable mais prévisible d'une évolution jurisprudentielle à la fois communautaire et nationale. Ainsi, dans l'arrêt "Rioglass", sur l'importation de vitres et de pare-brise contrefaisantes destinés à être assemblés sur des modèles de voitures françaises (CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-115/02 N° Lexbase : A9757C9A), la CJCE, après avoir reconnu l'existence d'un principe général de liberté du transit des marchandises à l'intérieur de la Communauté, a retenu, en application d'une législation d'un Etat membre en matière de propriété intellectuelle, que le droit de l'Union s'oppose à la mise en œuvre, des procédures de retenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un autre Etat membre et destinées, après avoir transité sur le territoire du premier Etat membre, à être mises sur le marché d'un pays tiers. Appliquant cette jurisprudence, la Cour de cassation jugeait également, en 2006, que l'opération de transit, de par sa nature, ne constitue pas une mise sur le marché, laquelle consiste en une offre de vente suivie d'effets (Cass. com., 7 juin 2006, n˚ 04-12.274, F-P+B N° Lexbase : A8408DP4).


La destruction des marchandises en l'absence de décision de justice

L'article 11 du Règlement n˚ 1383/2003 donne compétence à la douane pour détruire les marchandises avant qu'une décision de justice ait été rendue. Cette destruction est, bien entendu, soumise à des conditions. En premier lieu, les douanes doivent obtenir l'accord du titulaire des droits, dans la mesure où ce dernier peut engager sa responsabilité. Par ailleurs, dans un délai de dix jours ouvrables, ou de trois jours ouvrables s'il s'agit de denrées périssables, à compter de la notification, le titulaire du droit informe les autorités douanières par écrit que les marchandises qui font l'objet de la procédure portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle et fournit aux autorités douanières l'accord écrit du déclarant, du détenteur ou du propriétaire des marchandises selon lequel les marchandises sont abandonnées en vue de leur destruction. Avec l'accord des autorités douanières, cette information peut être communiquée directement aux douanes par le déclarant, le détenteur ou le propriétaire des marchandises. Cet accord est réputé accepté lorsque le déclarant, le détenteur ou le propriétaire des marchandises ne s'est pas expressément opposé à leur destruction dans le délai imparti. Ceci est particulièrement important compte tenu du fait que, dans la plupart des cas, le contrefacteur ne se fait pas connaître.

La destruction des marchandises contrefaisantes est appréciable et opportune, notamment lorsque la saisie porte sur une faible quantité de produits, ce qui est le cas de la plupart des saisies douanières pratiquées. Dans ces circonstances, en effet, il est inutile et onéreux de poursuivre devant le juge le contrefacteur, le but premier étant encore d'empêcher l'arrivée des marchandises illicites sur le territoire.


Les décisions pénales en matière de contrefaçon

La contrefaçon peut être sanctionnée pénalement sur assignation du titulaire des droits, mais également sur saisine de l'administration douanière qui exerce alors son action douanière. A ce titre, certaines décisions rendues par le juge pénal en matière de contrefaçon apparaissent assez fantaisistes, ou à tout le moins peu respectueuses des droits des titulaires de DPI. Ainsi, en 2011 la cour d'appel de Paris a-t-elle, étonnamment, jugé que "s'il est exact que les montres importées de Chine reproduisaient une partie des éléments de la marque J12, il apparaît néanmoins incontestable que s'agissant de montres vendues 5 euros pièce, l'impression d'ensemble du modèle litigieux, à raison de la matière utilisée et des finitions, est très éloignée des montres J12 fabriquées par la marque Chanel, excluant dès lors tout risque d'association ou de confusion dans l'esprit du public avec cette marque dont la forme apparaît de surcroît relativement banale, chacun de ses éléments pouvant se retrouver sur des montres d'autres marques prestigieuses" (CA Paris, Pôle 5, 12ème ch., 2 novembre 2011). L'administration des douanes a heureusement formé un pourvoi en cassation. La Chambre criminelle casse en toute logique l'arrêt d'appel par une formule très claire et respectueuse des principes : "attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans se prononcer sur la notoriété de la marque et alors que ni le prix ni la qualité du produit incriminé ne sont des facteurs à prendre en considération, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" (Cass. crim., 30 janvier 2013, n˚ 11-88.569, F-D N° Lexbase : A4383I8T).


La saisie-contrefaçon pratiquée hors le délai de dix jours à la suite d'une retenue

Parfois, le titulaire des droits fait pratiquer, à la suite d'une retenue douanière, une saisie-contrefaçon hors le délai de dix jours, le contrefacteur invoquant alors l'invalidité de la saisie comme ne respectant pas ce délai. Or, ce moyen est totalement inopérant. En effet, il n'y a aucun délai imparti pour demander au juge d'ordonner cette mesure conservatoire ; il est nécessaire de pouvoir appréhender les marchandises arguées de contrefaçon à l'endroit où elles se trouvent, quel que soit le délai depuis lequel elles s'y trouvent.

Ainsi, il a été jugé par la première chambre du TGI de Nîmes, que si la mesure de retenue a pu être levée, faute pour le titulaire de droits d'avoir fait pratiquer une mesure conservatoire régulière ou de s'être pourvu par la voie civile ou pénale dans le délai de dix jours de la notification de la retenue, cette circonstance est sans incidence sur la validité de la saisie-contrefaçon pratiquée hors le délai de dix jours sur des marchandises que les services des douanes détenaient en vertu d'une saisie administrative.


La possibilité d'engager la responsabilité du transporteur

La CJUE, dans un arrêt "Titus-Alexander" du 21 juin 2012 (CJUE, 21 juin 2012, aff. C-5/11 N° Lexbase : A3114IPZ), retient que le transporteur peut être pénalement condamné s'il s'est intentionnellement, du moins sciemment, impliqué dans des opérations donnant au public la distribution d'œuvres protégées par le droit d'auteur sur le territoire d'un Etat membre dans lequel le droit d'auteur bénéficie d'une pleine protection, portant ainsi atteinte aux droits exclusifs du titulaire de ces droits. Si les conditions de mise en jeu de la responsabilité pénale du transporteur sont plutôt strictes puisqu'il est exigé que le transporteur ait conscience du caractère contrefaisant des marchandises, cette possibilité n'est pas à négliger, dès lors qu'on est à même de prouver cet élément moral.


– Coopération en matière de lutte contre la contrefaçon

par Yves-Alain Sauvage, Directeur du département Marques et Anticontrefaçon de Chanel

La société Chanel, et plus généralement les titulaires de droits, collaborent en relations étroites, pour lutter contre la contrefaçon et que cette coopération fructueuse doit beaucoup à l'efficacité des douanes françaises.


Le cadre de la contrefaçon

La contrefaçon touche tous les produits commercialisés (montres, maroquinerie, lunettes...), mais également des produits qui ne sont pas fabriqués par la marque et qui sont estampillées comme tel, ce qui démontre une certaine inventivité des contrefacteurs (coques de téléphones portables, faux ongles monogrammés,...). Parfois, il est juridiquement plus complexe d'appréhender les produits contrefaits. C'est notamment le cas, non pas des contrefaçons serviles, mais des "look-a-like", c'est-à-dire des marchandises qui reprennent les aspects caractéristiques et originaux du produit sans reprendre la marque elle-même ou le monogramme. Or, pour certains produits assez anciens, le titulaire des droits ne détient plus de protection à titre de modèle. Dans ce cas, les services douaniers peuvent agir sur le fondement du droit d'auteur, même s'ils sont parfois réticents à le faire. Afin de parer ce type de contrefaçon, il est également préconisé de déposer une marque figurative tridimensionnelle, qui peut dès lors être utilisée dans certains cas de contrefaçon de "look-a-like".

La contrefaçon peut également se manifester par la présence d'un logo, qui ne reprend pas identiquement celui de la marque du titulaire des droits mais qui, au-delà de s'en inspirer, s'en rapproche tellement que la confusion est permise, ce logo étant porté sur des produits très proches de ceux du titulaire, démontrant ainsi la volonté du contrefacteur de se mettre dans le sillage d'une marque renommée (pour la marque au "double C entrecroisés", cela se traduit notamment par des doubles O entrecroisés ou des doubles C sécables). Les juges ont pu suivre dans ces circonstances le titulaire des droits dès lors que l'évocation de la marque de ce dernier est certaine et induit le risque de confusion.

Sans grande surprise, les produits contrefaits proviennent pour la très grande majorité de Chine. La Turquie est également un pays de fabrication, notamment pour la maroquinerie et les parfums. Les Emirats-Arabes-Unis sont une "plaque tournante" du trafic de marchandises contrefaites, non en tant que pays de fabrication, mais comme zone d'assemblage. Enfin, l'Inde tend à devenir un nouvel eldorado pour les fabricants en raison de l'augmentation du niveau de vie et de la main d'œuvre chinoise.

Selon les chiffres officiels des douanes françaises, la provenance géographique des contrefaçons saisies en France en 2011 est la suivante :

- 84 % d'Asie ;

- 8 % d'Europe ;

- 3 % d'Afrique ;

- 5 % du reste du Monde

Au niveau européen, les résultats de l'action 2009-2012 ont fait apparaître des chiffres saisissants : 115 millions d'articles saisis, plus de 20 000 demandes d'intervention déposées par les titulaires de droits, pour une valeur en produits authentiques supérieure à 1,8 milliard d'euros. Par ailleurs, des phénomènes assez récents et inquiétants ont également vu le jour, notamment la naissance d'un "Sentier chinois" en Italie et en Grèce qui complexifient les contrôles.

La procédure

La procédure de retenue douanière est particulièrement efficace que ce soit sur la base d'une demande d'intervention ou non. La société Chanel a ainsi mis en place une boîte mail générique à laquelle a accès l'ensemble des juristes traitant les affaires de contrefaçon et sur laquelle les douaniers envoient toutes les informations portant sur des cas concrets et notamment des photographies pour identifier s'il s'agit d'un produit contrefait, des demandes de prix pour le calcul de l'amende ou des circuits de distribution.

Une critique est néanmoins à soulever : les douanes françaises refusent de transmettre des échantillons des produits, ce qui peut être pénalisant notamment lorsque la retenue est pratiquée dans une zone géographique éloignée du siège de l'entreprise et empêche ainsi de constater sur place la nature contrefaisante du produit, alors que certaines autorités douanières européennes acceptent un tel envoi. Dans la grande majorité des cas, la contrefaçon portant sur un nombre relativement restreint de produits, la destruction est préférable à une procédure longue et coûteuse.

Cette efficacité de la procédure est renforcée par des actions de formation dispensées par les titulaires de droits auprès des services des douanes, vecteur qui permet d'apporter un grand nombre d'informations sur les produits de la marque, les circuits de distribution, les routes présumées empruntées, etc.. Le but n'est pas de faire de chaque douanier un expert des produits de la marque mais d'attirer leur attention sur certains points pour accroître leur vigilance.


L'interdiction du contrôle des marchandises en transit, à la suite de l'arrêt "Kodak/Philips"

Au-delà du simple problème d'atteinte à des droits de propriété intellectuelle, l'interdiction du contrôle des marchandises en transit soulève de véritables difficultés en terme de santé publique, dès lors que des produits nocifs peuvent en effet transiter par l'Europe, territoire bénéficiant d'une protection des DPI, pour se retrouver sur des marchés sur lesquels une telle protection n'existe pas (l'Afrique notamment).

L'arrêt "Nokia/Philips" a donné lieu à une forte mobilisation des titulaires de droits. De même, les autorités nationales et européennes se sont manifestées, marquant une prise de conscience des conséquences néfastes induites par l'arrêt de la CJUE. Ainsi, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, a annoncé la mobilisation du Gouvernement pour faire évoluer la législation européenne afin de permettre la saisie des marchandises en transit dans l'Union européenne. De même une lettre adressée à l'attention des Commissaires Barnier (DGMarkt) et Semeta (DGTaxud) signée le 15 mars 2013 par plusieurs ministres, dont Nicole Bricq, Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, rappelle la difficulté de la situation due à cette absence de contrôle des produits en transit et susceptibles d'être illicites. Les propositions de révision du système des marques de la Commission européenne, présentées le 27 mars 2013, semblent aller dans le bon sens puisqu’il paraîtrait que les marchandises en transit sur le territoire de l'Union européenne puissent de nouveau faire l'objet d'un contrôle, dès lors que ces produits proviennent de pays tiers et portent sans autorisation une marque identique à la marque déjà enregistrée pour ces produits ou que l'on ne peut les distinguer dans leurs éléments essentiels de la marque enregistrée.

Par ailleurs, dans le cadre du Conseil des ministres du 3 avril 2013, Pierre Moscovici a présenté un plan de lutte contre la contrefaçon comprenant trois volets :

- une accentuation de l'action douanière sur internet, particulièrement bienvenue, puisqu'il est devenu l'un des canaux essentiels d'approvisionnement en produits contrefaits et donc l'un des principaux vecteurs d'entrée des produits sur le territoire national ;

- au niveau européen afin d'améliorer la coordination et l'harmonisation des pratiques douanières ;

- au niveau international afin de placer la défense de la propriété intellectuelle et la protection des indications géographiques au premier rang de ses priorités.


– L'action des douanes

par Katel Guiziou, chef du bureau E1, (politique tarifaire et commerciale) de la DGDDI

L'enjeu est avant tout économique, dans la mesure où derrière la protection des droits de propriété intellectuelle et la lutte contre la contrefaçon, se trouve la préservation du savoir-faire français et de l'innovation européenne. Le ministère de l'Economie et le ministère du Commerce extérieur, ayant pleinement conscience de ces enjeux, font donc de la lutte contre la contrefaçon une priorité.

L'arrêt "Nokia/Philips" est très inquiétant car il marque un arrêt brutal de l'évolution de la lutte contre la contrefaçon. En effet les douanes ont saisi 6,2 millions de marchandises en 2010, 8,9 millions en 2011, et 4,6 millions en 2012. Ceci démontre le caractère néfaste d'une décision d'un juge communautaire peu au fait des enjeux commerciaux, néfaste non seulement pour l'action des douanes mais également pour l'innovation des entreprises et le tissu économique.

Sur les saisie effectuées en 2012, les principales tendances sont toujours les mêmes : 34 % sont des vêtements, 19 % des accessoires personnels, 11 % de l'équipement, 10 % des médicaments, 8 % des jeux et jouets, 8 % de la téléphonie mobile, 5 % des chaussures... La seule catégorie qui a évolué en quantité concerne les médicaments, ce qui est particulièrement préoccupant, puisque, au-delà des questions économiques soulevées, la contrefaçon de ces produits induit des inquiétudes en matière de santé publique.


Les moyens des douanes pour lutter contre la contrefaçon

Les moyens juridiques

La contrefaçon est un délit douanier réprimé par la confiscation du produit, une amende pouvant aller jusqu'à deux fois la valeur du produit authentique et trois ans d'emprisonnement. Les sanctions sont aggravées lorsque l'infraction est commise en bande organisée. Cette répression sévère est une spécificité française dont il faut se réjouir, notamment face au phénomène de diversification des délinquants qui ont tendance aujourd'hui à agir dans plusieurs domaines (trafic de stupéfiants, contrefaçon, blanchiment...)

Les douanes, "la police des marchandises", protègent contre la contrefaçon aux frontières mais également sur l'ensemble du territoire.

Les douanes disposent de deux possibilités d'action.

- Les retenues, qui se fondent sur la demande d'intervention faite par les titulaires de droit auprès des autorités douanières, se basent juridiquement sur le Règlement n˚ 1383/2003, en cours de refonte et dont la nouvelle version, devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2014, mais également sur le Code de la propriété intellectuelle. Quel que soit le support de la retenue douanière, la procédure a été harmonisée ; elle dure en principe dix jours, ce délai étant réduit à trois jours pour les marchandises périssables.

- Les saisies peuvent être soit directes, lorsque la contrefaçon est avérée, procédure utilisée essentiellement pour de petites quantités de marchandises (fret postal notamment) effectuée sans expertise du titulaire de droits, soit en suite de retenue lorsque la contrefaçon a été confirmée par le titulaire de droits.

Les moyens juridiques des douanes ont été étendus depuis une dizaine d'années par l'instauration du Service national de douane judiciaire (SNDJ) qui offre la possibilité de prolonger les affaires de saisie par les enquêtes judiciaires pour les infractions au Code de la propriété intellectuelle et au Code pénal. Utilisé dans des affaires importantes, ce système permet au titulaire de droits de remonter la filière de la contrefaçon, éventuellement à l'international puisque le SNDJ peut agir dans le cadre de commissions rogatoires internationales.

Les moyens organisationnels

La DGDDI est composée de trois bureaux :

- le bureau E1 qui, en matière de contrefaçon, traite de tous les aspects réglementaires liés à la retenue, coordination liée à la gestion politique et stratégique de lutte contre la contrefaçon ;

- le bureau D3, qui traite de la lutte contre la fraude et qui fait le lien avec le SNDJ et la DNRED (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières), chargée de mettre en œuvre la politique du renseignement, des contrôles et de lutte contre la fraude de cette dernière;

- le bureau D1 qui gère les aspects contentieux de la contrefaçon (saisies douanières, délits douaniers, etc.).

Un plan d'action au niveau de l'Union européenne pour 2013-2017 a été dévoilé. Ce dernier contient :

- un volet réglementaire, qui s'articule essentiellement autour de la réforme du Règlement n˚ 1383/2003 ;

- un volet international, concentré sur la poursuite de la coopération -assez compliquée— avec la Chine et Hong-Kong, lesquels, bien qu'ils disposent d'un arsenal juridique intéressant en matière de propriété intellectuel, sont peu enclins à l'appliquer ;

- un volet sur la sensibilisation du public avec la création d'un lien entre la Commission et l'Observatoire européen contre les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle nouvelle structure européenne chargée notamment de faire des études, des statistiques, des formations.

Au niveau national, le ministre de l'Economie a dévoilé, le 3 avril 2013, le plan de lutte contre la contrefaçon avec une implication importante des douanes. Outre l'accentuation de l'action sur internet et la refonte des dispositions communautaires, une mission exploratoire est confiée par le Gouvernement au sénateur Richard Yung pour identifier, en relation avec la Commission européenne et les partenaires européens de la France, les voies envisageables pour améliorer la coordination et l'harmonisation des pratiques douanières au niveau européen. Sur le volet international, on entre dans une phase importante de négociations avec l'OMC, dont un sommet est prévu à Bali à la fin de l'année 2013 et dans le cadre duquel les pays les moins avancés (PMA) demandent à bénéficier d'une dérogation perpétuelle à l'application des APICS (fondement internationaux des droits de propriétés intellectuelle et de lutte contre la contrefaçon).


Les partenariats avec les titulaires de droits

La demande d'intervention est une démarche préventive (formulaire téléchargeable sur le site des douanes), gratuite et valable un an renouvelable, sur simple demande, dans tous les pays de l'Union européenne désignés par le titulaire déclarant. Le contenu du dossier est à usage exclusif des douanes dont les agents sont soumis au secret professionnel ce qui garantit la sécurité des données sensibles transmises. Le dossier peut et doit être actualisé lorsque cela apparaît nécessaire.

La demande d'intervention permet un ciblage de l'action des douanes et renforce leur efficacité, tel que le démontre le fait que le plus grand nombre de marchandises retenues concerne des demandes d'intervention.

Un nouveau système d'information commun à l'ensemble des 27 Etats membres va être mis en place avant la fin de l'année 2013, qui permettra aux titulaires de droits d'effectuer leurs demandes directement sur internet et de suivre ces dernières.

Actuellement, 1 100 titulaires de droits ont déposé 1 600 demandes d'intervention soit une augmentation de 8 %.


Actualités et perspectives

La stratégie des douanes concernant les suites de l'arrêt "Nokia" dans le cadre des négociations sur les modifications du Règlement n˚ 1383/2003 visait à supprimer toute référence à cette décision de la CJUE qui avait été insérée par la Commission dans sa version initiale. Ceci acquis, il est désormais possible de modifier le droit matériel, puisque le fond du problème de cet arrêt est en lien direct avec la définition de la vie des affaires. En effet, le juge communautaire a en fait considéré que dès lors qu'il n'y avait pas de commercialisation sur le territoire communautaire, il n'y avait pas de contrefaçon et, en l'espèce, de clause d'extraterritorialité des droits de la propriété intellectuelle. Cette vision choquante est déconnectée du contexte du commerce international mais cet arrêt n'est que la suite logique d'une série de décisions antérieures. Pour casser ce cycle infernal, il est dès lors nécessaire de passer par le droit matériel. La première version des nouveaux textes, présentée le 27 mars 2013, n'apparaît pas pour autant pleinement satisfaisante. Si le Commissaire Barnier (DGMarkt) a pris la mesure du problème, la formulation du texte n'est pas optimale, elle est même plutôt absconse. Il existe, par ailleurs, une véritable opposition de la DGTrade (commerce) face au mouvement favorable à la consécration communautaire du contrôle des marchandises en transit. Ceci étant, les considérants des versions modifiées des textes communautaires mentionnent bien la nécessité du contrôle des marchandises en transit ; le travail doit donc désormais se concentrer sur l'aspect opérationnel.

En dehors de ces considérations, la version modifiée du Règlement n˚ 1383/2003 ne devrait pas entraîner de grands changements pour la France qui est déjà dotée d'une solide législation. Néanmoins, que s'agissant de la procédure simplifiée de destruction, les autorités françaises appliquent la procédure nationale et non celle prévue par le Règlement qui présente un problème constitutionnel sur le transfert de propriété de la marchandise dès lors que celui-ci repose uniquement, aujourd'hui, sur un accord tacite. La version modifiée du Règlement n˚ 1383/2003 prévoit un accord tacite optionnel qui devrait permettre l'utilisation de la procédure de destruction simplifiée communautaire, l'administration des douanes étant, à l'heure actuelle, en pleine réflexion sur les conditions pratiques de son utilisation.

En outre, que les douanes françaises, considérant qu'elles n'ont pas à prendre part aux problématiques commerciales, n'interviennent pas en ce qui concerne les ventes parallèles, leur action se concentrant sur les violations des droits de propriété intellectuelle.

Enfin, le droit national pourra continuer à être appliqué par les douanes françaises, notamment en ce qui concerne la saisie au premier article des marchandises non-commerciales détenues par les voyageurs, puisque le champ d'application du nouveau Règlement n˚ 1383/2003 ne s'étend pas à ces produits.

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