L’interprétation stricte par la chambre criminelle de la Cour de cassation de l’apologie de crimes contre l’humanité, commentaire sur l’arrêt de la chambre criminelle du 15 décembre 2015 (fr)

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Auteur : Daniel Kuri, Maître de Conférences de Droit Privé, Université de Limoges (O.M.I.J.)

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Telle est la conséquence de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2015 [1]. Dans cet arrêt curieusement passé inaperçu – alors que les faits de cette affaire avaient connu une certaine résonance médiatique en leur temps – la Haute juridiction casse, sans renvoyer à une autre juridiction[2], l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angers le 12 août 2014[3]. La chambre criminelle, sur le visa des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881, considère en effet « qu’il résulte de ces textes que le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont été ‘‘proférés’’ au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ».

Rappelons que la Cour d’appel d’Angers, le 12 août 2014, avait condamné le député de Maine-et-Loire et maire de Cholet G. Bourdouleix à une amende de 3000 euros pour « apologie de crime contre l’humanité »[4]. Celui-ci, en effet, le 21 juillet 2013, lors d’une altercation avec des gens du voyage rassemblés sur un terrain agricole n’avait pas hésité à dire : « Comme quoi Hitler n’en a peut-être pas tué assez, hein ? »[5]. La Cour, pour déclarer cet élu coupable d’une apologie de crime contre l’humanité, avait retenu qu’il avait prononcé les propos incriminés «  en s’exprimant publiquement et à voix suffisamment audible pour être enregistrée par une personne à laquelle, […], sa phrase ne pouvait pas être précisément destinée, […] ».

Nous nous étions alors félicités[6] de cette condamnation par la Cour d’appel d’Angers de propos aussi impensables de la part d’un parlementaire [7] . D’autant que la Cour d’appel avait un peu alourdi la peine indolore qui avait été prononcée par le TGI d’Angers le 23 janvier 2014[8] . En effet, le Tribunal correctionnel d’Angers, malgré des réquisitions sévères du parquet contre le prévenu[9], avait seulement infligé 3000 euros d’amende avec sursis à G. Bourdouleix pour de telles affirmations[10].

La condamnation à une amende sans sursis était sans doute déjà symbolique mais cette seule peine nous semblait et nous paraît toujours insuffisante au regard de la gravité des faits, sachant que l’intéressé a toujours continué à affirmer publiquement ne rien regretter. Comme nous l’avions déjà relevé à propos d’autres affaires similaires[11], la faiblesse des condamnations pénales prononcées à l’encontre des personnes coupables de ces infractions majeures était donc persistante.

Nous continuons à penser [12] que les peines prononcées au sujet de l’apologie de crimes contre l’humanité sont insuffisantes au regard de l’importance des valeurs fondamentales auxquelles il est porté atteinte. Ces valeurs ont d’ailleurs été remarquablement rappelées par le TGI de Paris dans son jugement du 8 juillet 2014 à l’occasion de l’affaire Vikernes [13]: il s’agit tout simplement des valeurs universelles des droits de l’Homme et de la civilisation[14].

En outre, il nous semblait que, compte tenu de l’exemplarité prétendue de la peine en droit pénal, la légèreté des sanctions dans ces affaires, y compris dans celle jugée par la Cour d’appel d’Angers, n’était pas de nature à sérieusement empêcher les propos ou écrits apologétiques.

Malgré la faiblesse de cette condamnation, G. Bourdouleix avait immédiatement fait un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Angers [15] . Nous espérions alors que « la Cour de cassation, juge du droit, [saurait] rappeler à cette occasion les principes les plus fondamentaux de notre Droit et la permanence des valeurs universelles des droits de l’Homme et de la civilisation à ceux qui veulent les détruire »[16]. Force est de constater que nos arguments n’ont pas été entendus car la Cour, non seulement n’a pas rejeté le pourvoi et confirmé de façon plus éclatante la décision de la Cour d’appel d’Angers, mais elle casse l’arrêt sans même renvoyer l’affaire devant une autre Cour d’appel.

Il est vrai que le pourvoi de G. Bourdouleix reprenait une jurisprudence très classique – dont on mesure néanmoins les limites – selon laquelle « l’apologie des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre ne constitue un délit que si elle a été commise dans le cadre d’un discours proféré, c’est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public ». En conséquence, les auteurs du pourvoi estimaient « qu’en se bornant, pour déclarer M. X… coupable d’une telle apologie, à retenir qu’il avait prononcé les propos incriminés ‘‘publiquement et à voix suffisamment audible pour être enregistrée par une personne à laquelle sa phrase ne pouvait pas être précisément destinée’’ », la Cour d’appel s’était prononcée par « un motif impropre à caractériser, dans le chef de M. X…, une intention de rendre ces propos publics ». Ainsi, selon les demandeurs au pourvoi, la Cour avait violé notamment les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881.

La Cour va casser très sèchement l’arrêt de Cour d’appel d’Angers pour violation des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881. Dans une solution qui se veut très juridique la Cour considère en effet « qu’il résulte de ces textes que le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont été ‘‘proférés’’ au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ». La Cour va ainsi estimer « qu’en statuant par des motifs dont il se déduit que les propos ont été tenus par leur auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics, la Cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé »[17]. La Cour d’appel est ici sanctionné pour sa trop grande précision – et osons le dire pour son honnêteté rigoureuse dans la description des faits [18] – qui, selon les juges angevins, montrait que « le prévenu avait bien fait une telle apologie ». En définitive, si les magistrats de la Cour d’appel d’Angers se sont peut-être montrés bienveillant pour admettre l’apologie, vu l’auteur des propos, en revanche, les magistrats de la chambre criminelle vont se révéler très exigeant, dans le cas d’espèce, et considérer que le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est pas caractérisé. Mieux, la Cour va considérer que cette cassation « n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi […] ».

Ainsi, la Cour a choisi en l’espèce la « cassation sans renvoi ». Nous voudrions juste à ce sujet souligner que la cassation sans renvoi peut-être éclatante et brillante – nous en avons le souvenir dans l’affaire Hébras[19] – ou plutôt peu glorieuse pour mettre fin à une affaire, à la solution en définitive incertaine…

En effet, une Cour d’appel de renvoi, appliquant « les textes susvisés [Articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1981] et le principe ci-dessus énoncé [Le délit d’apologie n’est constitué que si les propos ont été ‘‘proférés’’ au sens de l’article 23] », aurait pu aboutir à une solution différente de celle de chambre criminelle, compte tenu des faits controversés de l’espèce.

Nous pensons également que la solution aurait été autre – et à juste titre d’ailleurs – si ces propos avaient concerné d’autres communautés.

Au-delà des stricts aspects juridiques de la question de l’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, la chambre criminelle a également envoyé un bien mauvais signe à l’opinion publique en légitimant des propos aussi sidérant de la part d’un parlementaire.

La décision de la Cour permettra, enfin, aux esprits chagrins de brocarder les « juristes » en reprenant à leur propos cet adage traditionnel : « Ils filtrent le moucheron et laissent passer le chameau ». L’affaire n’est cependant peut-être pas terminée et on se plait à espérer qu’un recours puisse être possible devant la Cour européenne des droits de l’Homme[20].


Références

  1. Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 14-86. 132 (n° 5606 FS-P+B), Actualités, D. 2016, n° 2, p. 75. Panorama, E. Dreyer, « Droit de la presse, janvier 2015 - décembre 2015 », D. 2016, n° 5, p. 282.
  2. L’arrêt de cassation sans renvoi est, par ailleurs, coté P+B par la chambre criminelle. Ce qui signifie que la chambre entend donner une large diffusion à son arrêt par la publication de celui-ci à son bulletin mensuel ainsi qu’au bulletin d’information de la Cour de cassation.
  3. Voir notre commentaire de cet arrêt in « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? Suite…», site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://www.lagbd.org/index.php/L%E2%80%99interpr%C3%A9tation_stricte_par_la_chambre_criminelle_de_la_Cour_de_cassation_de_l%E2%80%99apologie_de_crimes_contre_l%E2%80%99humanit%C3%A9,_commentaire_sur_l%E2%80%99arr%C3%AAt_de_la_chambre_criminelle_du_15_d%C3%A9cembre_2015_(fr)
  4. Le Monde, 14 août 2014, p. 8.
  5. Ces paroles avaient provoqué une émotion considérable et la radiation de l’intéressé de l’UDI.
  6. Voir notre article précité.
  7. La Ligue des droits de l’Homme, dans un communiqué le 13 août 2014, « M. Bourdouleix condamné pour apologie de crime contre l’humanité », tout en se réjouissant de la condamnation de ce dernier pour cette infraction, rappelait d’ailleurs que, avant cette affaire, « elle avait par le passé déposé deux plaintes à l’encontre de celui-ci pour incitation à la discrimination et à la haine raciale concernant des propos visant des gens du voyage ». La LDH ajoutait que « ces plaintes avaient été classées sans suite [et que] ce sentiment d’impunité avait permis au maire de Cholet de se croire autoriser à poursuivre ces interpellations haineuses ». infocom-ldh@ldh-france.org
  8. F. Potet, « Une sanction symbolique contre le maire de Cholet », Le Monde, 25 janvier 2014, p. 11. Voir également notre article, « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? », site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/
  9. Ibid. Le parquet avait requis six mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende ; le procureur déclarant qu’ « il [était] inimaginable qu’un parlementaire puisse tenir des propos pareils ». Il qualifiait également la phrase litigieuse de « ferment de haine portant atteinte à la cohésion sociale » en considérant que « [la phrase] est clairement apologétique. […] Elle exalte le génocide du IIIe Reich et exprime le regret qu’on a pas tué assez de Tziganes ».
  10. L. Dusseau, avocat spécialisé en droit de la presse, in Le Figaro, 17 juillet 2014, p. 8, expliquait la faiblesse de la sanction car « […] on avait une phrase tenue dans un certain contexte, qui n’était pas directement destinée au public […] ». Sans pouvoir entrer dans trop de détails, nous ne partageons pas cette analyse des faits s’agissant de G. Bourdouleix qui n’en était d’ailleurs pas à son premier « dérapage » en la matière (cf. supra, note 8). Sur le fond, enfin, on ne peut oublier l’importance des valeurs essentielles transgressées par cet élu de la République.
  11. Cf. notre article « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? » et les décisions citées, site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/
  12. Voir à ce propos nos interrogations in notre article précité.
  13. Le Norvégien K.Vikernes poursuivi, notamment, pour apologie de crimes contre l’humanité en raison d’écrits publiés sur son blog a été condamné par le TGI de Paris le 8 juillet 2014 à six mois de prison avec sursis et 8000 euros d’amende pour apologie de crimes contre l’humanité.
  14. Selon le Tribunal, les écrits de K. Vikernes traduisent « l’expression d’une idéologie radicalement contraire aux valeurs universelles des droits de l’Homme et de la civilisation ».
  15. Il s’était dit prêt à aller jusque devant la Cour européenne des droits de l’Homme…
  16. In « L’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, un délit à la mode ? Suite…», site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/ Nous avions alors préconisé que la chambre criminelle, pour rejeter le pourvoi de ce requérant, pourrait reprendre la belle formule qu’elle avait utilisée dans son arrêt du 14 janvier 1971, Bull. crim., n° 14, 1er arrêt (pourvoi n° 70-90558), lorsqu’elle avait condamné J.-M. Le Pen pour apologie de crimes de guerre. La Cour avait en effet considéré, à propos de la pochette d’un disque présentant le Troisième Reich « en l’absence de tout rappel des crimes qui ont jalonné l’ascension de Hitler et du climat de terreur dans lequel elle s’est accomplie, […] », que « […] l’ensemble de cette publication était de nature à inciter tout lecteur à porter un jugement de valeur morale favorable aux dirigeants du Parti national-socialiste allemand condamnés comme criminels de guerre et constituait un essai de justification au moins partielle de leurs crimes ».
  17. Un commentateur particulièrement autorisé en la matière, E. Dreyer, art. cit., p. 282, après avoir rappelé la particularité de l’élément moral de cette infraction et la nécessité que l’auteur des propos ait lui-même voulu les rendre publics, approuve l’arrêt pour son raisonnement juridique. L’approbation est néanmoins accompagnée du curieux commentaire : « Ce qui semble assez bien raisonné ». Nous avouons cependant ne pas être convaincus par la conclusion du raisonnement de cet auteur, compte tenu d’autres propos plus anciens de G. Bourdouleix sur les gens du voyage (cf. supra, note 8), lorsqu’il suppose que ce dernier « n’entendait sans doute pas être compris par d’autres que ses proches ». Sur la base de cette opinion, fondamentale à propos de l’élément moral de l’apologie, E. Dreyer estime, bien évidemment, que la croyance de G. Bourdouleix « ne pouvait suffire à caractériser une intention de publier ».
  18. Un magistrat de nos amis avait pour habitude de dire « plus on est précis, plus on risque la contradiction et donc la cassation ».
  19. Dans cette affaire qui avait opposé Robert Hébras – un survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane – aux « Malgré-Nous » Alsaciens représentés par les Associations des Evadés et Incorporés de force des Bas et Haut Rhin (ADEIF 67 et 68) à propos du témoignage de Robert Hébras, la 1ère chambre civile, le 16 octobre 2013, n’avait pas hésité à casser sans renvoyer l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 14 septembre 2012 sur le seul visa de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (liberté d’expression). Signe de son importance, cet arrêt a fait l’objet de plusieurs commentaires : E. Raschel, «  Liberté d’expression : le cas d’un doute émis à propos d’une question historique objet de polémique », JCP 2013-édition générale- p. 2382, n° 1372 ; E. Dreyer, Panorama, « Droit de la presse », D. 2014, p. 508 ; C. Capitaine et I. Darret-Courgeon, « Chronique Cour de Cassation Première chambre civile », D. 2014, p. 568 ; G. Viney, « La sanction des abus de la liberté d’expression », D. 2014, p. 787 et spécialement p. 791 ; D. Kuri, « La liberté d’expression de Robert Hébras sauvegardée par la France », site http://jupit.hypotheses.org/, également site http://lagbd.org/
  20. Merci à A. Kuri pour son attentive relecture.