La clause de non-concurrence dans les contrats d’artiste (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

France > Droit privé > Droit social > Droit du travail



 Auteure : Dalila Madjid, avocate[1]  

Date : le 30 Octobre 2020


Si l’influence du droit du travail sur les contrats d’artiste n’est plus une nouveauté, il est toujours interessant de s’interroger sur la spécificité de la clause de concurrence dans les contrats d’artiste, qui se décline sous différentes formes.

Le contrat d’artiste est avant tout un contrat de travail

Le contrat d’enregistrement exclusif – Assimilé au contrat de commande assorti d’une cession de droits conclus par les auteurs d’oeuvres de l’esprit – est un contrat complexe, passé entre d’une part, un artiste-interprète, qui est souvent un chanteur ou musicien soliste –et d’autre part un producteur de phonogrammes.

Les clauses contenues dans ce contrat d’artiste en font un contrat de travail.

En effet, aux termes de l’article L. 7121-3 du Code du travail « Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ».

Aussi, la présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle (Art. L. 7121-4 du Code du travail).

Quant à l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle, celui-ci dispose que:

« Sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image. Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L. 762-1 [C. trav., art. L. 7121-2 à 7121-4 et L. 7121-6 et L. 7121-7.] et L. 762-2 [C. trav., art. L. 7121-8.] du code du travail, sous réserve des dispositions de l’article L. 212-6 du présent code. — [ L. no 85-660 du 3 juill. 1985, art. 18 .] »

Les contrats d’enregistrement musical sont en principe des contrats à durée déterminée d’usages, conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article L. 1242-2 du Code du travail, qui dispose que :

«Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : (…) « 3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».

En ce que les domaines du spectacle et de l’édition phonographique sont des secteurs d’activités où il est d’usage de recourir aux contrats à durée déterminée (CDDU).

C’est dans le cadre de ces contrats, dans lequel le producteur recrute l’artiste à titre exclusif pour la durée à l’enregistrement et la promotion, qui est d’un an minimum voire plus, que la situation est la plus conflictuelle.

Les conditions de validité de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat d’enregistrement exclusif

  • A titre liminaire

« En vertu d’une clause de non-concurrence, le salarié s’engage à ne pas travailler pour une entreprise concurrente ou à ne pas exercer une activité concurrente pendant un certain temps et dans une zone géographique limitée afin de ne pas porter préjudice aux intérêts de son ancien employeur. En contrepartie, l’entreprise verse au salarié une indemnité ». Cette clause ne s’applique qu’à la rupture du contrat.

En l’absence de définition légale des conditions de validité de la clause de non concurrence, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 juillet 2020 a fixé cinq conditions cumulatives qui doivent être réunies sous peine de nullité de la clause (Cass. soc., 10 juill. 2002, no 99-43334).

Ainsi, pour être valide, la clause doit :

  • Tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié,
  • Etre indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise,
  • Etre limitée dans le temps,
  • Etre limitée dans l’espace.

Les contrats d’artiste, et notamment les contrats d’enregistrement exclusif, contiennent généralement une clause dite « catalogue » ou bien même une clause dite « de préférence ».

La clause dite « catalogue », « interdit à l’artiste d’enregistrer à nouveau les œuvres musicales d’ores et déjà enregistrées au profit d’un précédent producteur. » Elle est généralement d’une durée de 3 ans, 5 ans voire 10 ans.

La clause de préférence, « interdit à l’artiste de signer un contrat d’enregistrement exclusif avec un nouveau producteur, sans offrir à son précédent producteur exclusif le droit d’être préféré au nouveau venu, et ce à la seule condition de s’aligner sur l’offre de ce dernier« . Elle est généralement d’une durée d’1 an ou deux ans.

Juridiquement ces clauses, qui sont insérées dans le contrat de travail, s’analysent en clauses de non-concurrence, en ce qu’elles restreignent la liberté de travail du salarié-artiste.

A l’instar du droit commun du travail, pour être valide, elles doivent être limitées dans le temps, dans l’espace et elles doivent être rémunérées.

Ces conditions de validité s’apprécient à la date de la conclusion de la clause.

  • La clause doit tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié

Les juges considèrent souvent que c’est » en fonction du poste du salarié, de son positionnement stratégique dans l’entreprise et de ses difficultés probables à retrouver un emploi que le montant de la contrepartie sera fixé« . La Cour d’appel de Paris dans un arrêt de 2006, pour confirmer la nullité de la clause de préférence contenue dans le contrat d’artiste, qui est analysée en une clause de non-concurrence, a affirmé que : » nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché« . (CA Paris 18e ch. 6 juill. 2006)

  • La clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise

La liberté de travailler est une liberté fondamentale, protégée par les dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail qui précise que : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

La restriction à cette liberté ne peut être admise que si l’entreprise est susceptible de démontrer que la clause est justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise. A défaut, une telle clause constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté de travailler du salarié.

Ainsi, dans l’arrêt précité de la Cour d’appel de Paris au sujet de la nullité de la clause de préférence contenue dans le contrat d’artiste, les juges du fond ont affirmé que : »outre le fait que rien ne permet de démontrer que la clause dont se prévaut le producteur est justifiée par les intérêts légitimes du producteur, aucune contrepartie financière n’est prévue, alors même que son application a pour effet de porter atteinte non seulement aux dispositions de l’article ci-dessus rappelé mais également au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle « .

Ce qui implique de soigner la rédaction de la clause dans des termes précis et clairs.

  • La clause doit être limitée dans le temps

Le législateur n’ayant pas fixé de durée, il revient à l’employeur de fixer l’étendue de cette obligation. La durée fixée doit être raisonnable.

Dans le droit commun du travail, la clause de non-concurrence est le plus souvent limitée à une durée moyenne de 2 ans.

Néanmoins, dans les contrats d’artistes, la durée est plus longue. En effet, la clause dite « catalogue », prévoit une durée limitée à 3, 5 voire 10 ans.

Quant à la clause de préférence, sa dure est plus courte, soit un ou deux ans.

  • La clause doit être limitée dans l’espace

La clause de non concurrence doit être limitée géographiquement. De nouveau, la loi n’a pas fixé de champ géographique maximum. « Cette limite doit correspondre au secteur dans lequel l’exercice de l’activité du salarié pourrait réellement faire concurrence au précédent employeur ».

Pour les contrats d’enregistrement exclusif, souvent l’artiste est lié à un producteur pour le monde entier. Ce qui limite considérablement la liberté d’enregistrer de l’artiste.

Ce qui implique, pour l’artiste de bien négocier, avant toute conclusion de contrat, aussi bien la clause dite « catalogue » que la clause de préférence.

  • La clause doit prévoir une contrepartie financière

La clause de non-concurrence doit prévoir une contrepartie financière qui est due dès lors que le salarié a respecté son engagement.

Le montant de cette contrepartie financière ne doit pas être dérisoire, à défaut de quoi la clause est considérée comme nulle selon une jurisprudence constante (Cass. soc., 15 nov. 2006, no 04-46721). Si la loi n’a pas fixé de montant, elle correspond souvent à un pourcentage du salaire brut (25%) ou à une somme forfaitaire sans lien avec le salaire fixée par la convention collective.

Contrairement au salarié de droit commun, l’essentiel des ressources qu’un artiste-interprète soliste tire d’un contrat d’enregistrement est constitué non pas de salaire lié à sa prestation, mais de redevances qu’il perçoit à l’occasion de l’exploitation de la fixation de ses enregistrements.

La contrepartie financière peut être versée sous forme de pourcentage (du cachet prévu par la convention collective de l’édition phonographique pour l’enregistrement d’un titre), de forfait unique ou de rente.

En somme, la question de la nature et du montant de la contrepartie financière de la clause de non concurrence insérée dans le contrat d’artiste ne doit pas être négligée et devra être négociée avant toute conclusion du contrat. Car si le montant est dérisoire, elle pourra être déclarée nulle par les juges.

En cas de non-respect des conditions de validité de la clause

Ce sont naturellement les règles du droit du travail et la jurisprudence sociale qui s’appliquent aux contrats d’artiste.

En effet, si la clause de non-concurrence ne respecte pas une des 5 conditions susvisées, elle est frappée de nullité. Il s’agit d’une nullité relative, à savoir seule le salarié peut l’invoquer. Il pourra ainsi solliciter des dommages et intérêts selon une jurisprudence constante (Cass. soc., 12 janv. 2011, no 08-45280).

Les conditions de validité doivent être remplies à la date de signature de la clause.

Si le salarié ne respecte pas la clause de non-concurrence, l’employeur ne pourra agir en justice, que s’il prouve avec certitude que le salarié a violé la clause, en démontrant qu’il a travaillé par exemple pour une entreprise concurrente.

Et si l’employeur ne respecte pas la clause, en s’abstenant de verser la contrepartie financière en dépit de la validité de la clause, le salarié pourra agir en justice pour en solliciter le paiement.