La répression des fausses nouvelles ou fake news par la loi sur la liberté de la presse (fr)

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Anthony Bem : Avocat au Barreau de Paris
Janvier 2018



Les fake news peuvent elles être poursuivies et sanctionnées par le droit français actuel ?


A l’occasion de la présentation de ses vœux à la presse, le mercredi 3 janvier 2018, Monsieur le Président de la République Emmanuel Macron, a annoncé vouloir qu’une loi soit prise pour renforcer le contrôle des contenus sur internet en période électorale afin de lutter contre les « fake news ».


Cette déclaration s’inscrit dans le sillage de la réflexion annoncée par la Commission européenne, dans communiqué du 13 novembre 2017, sur la lutte contre les fausses nouvelles et la désinformation en ligne qui est devenue une priorité dans son programme de travail pour 2018.


Les fake news ne sont pas simplement des fausses informations.


Ce sont des informations délibérément fausses ou truquées (fake veut dire en anglais « faux, truqué ») qui émanent en général d'un ou de plusieurs médias et qui participent à une tentative de désinformation via internet et les réseaux sociaux.


Si elles voient le jour, les nouvelles dispositions françaises et/ou européennes devront être en conformité avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen qui protège la liberté d’expression en ce qu’il dispose que :


« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.


2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »


Il est vrai qu’aujourd’hui, le dispositif législatif français permettant de lutter contre la diffusion de « fausses nouvelles » est insuffisant voir même obsolète.


A cet égard, seuls deux articles méritent d’être mentionnés.


D’une part, l’article 97 du Code électoral dispose que :


« Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros. »

D’autre part, l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :


« La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000 euros.


Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d'amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation. »


Il s’agit d’un texte très rarement appliqué par les tribunaux en raison du caractère étroit de son périmètre et des conditions prévues par le législateur.


En effet, par crainte que le délit de fausses nouvelles ne s’apparente à un délit d’opinion, le législateur a posé des conditions très précises et assez restrictives.


Pour caractériser le délit de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, il est nécessaire de démontrer l’existence d’une publication, d’une fausse nouvelle, d’un trouble à la paix publique et la mauvaise foi de l’auteur.


Concernant la « publication »,il est important de relever que le délit peut être réalisé par n'importe quel moyen : support papier, support audiovisuel, téléphonie, voie satellitaire, câble ou internet.


De plus, le délit peut être perpétré par la parole, l'écrit ou l'image.


Ainsi, le simple particulier qui profère une fausse nouvelle dans un lieu public réalise une publication au sens de la loi de 1881.


Des crieurs de journaux ont déjà été poursuivi parce qu’ils n'hésitaient pas à proclamer de fausses informations pour faire vendre leur titre (CA Aix-en-Provence, 7 mai 1884).


2-Quant à la notion de « fausses nouvelles »,elle est définie par la jurisprudence comme « un fait précis et circonstancié » (CA Paris, 11e ch., sect. A, 18 mai 1988) qui n’a pas déjà été révélé (Cass. crim., 13 avril 1999).


L’utilisation du pluriel n’a aucune conséquence juridique en ce sens qu’une fausse nouvelle unique suffit à caractériser le délit.


En outre, la jurisprudence rappelle que la nouvelle doit revêtir un caractère fallacieux :


« La nouvelle doit être fausse, c'est-à-dire mensongère, erronée ou inexacte dans la matérialité du fait et dans les circonstances ». (CA Paris, 11e ch., 7 janv. 1998).


A titre d’exemple, un journaliste qui a écrit « on a tiré sur la foule » publie une fausse nouvelle même si des bombes lacrymogènes ont effectivement été lancées car le texte laisse entendre que des armes à feu ont été utilisées, ce qui n’est pas le cas (Cass. crim., 28 avril 1950).


3-A propos du « trouble à la paix publique »,il n’est pas nécessaire que la fausse nouvelle ait effectivement troublé la paix publique mais il suffit qu’elle ait été susceptible de la troubler (Cass. crim., 26 juin 1968).


Selon la jurisprudence, la notion de « paix publique » renvoie à l’ordre dans la rue et à la concorde entre les citoyens (Cass. crim., 22 décembre 1955) ainsi qu’aux réactions insurrectionnelles et à la répression sanglante d’une manifestation par les forces de l’ordre (Cass. crim., 28 avril 1950 ; Cass. crim., 18 décembre 1962).


A titre d’exemple, se rend coupable du délit de publication de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, le journaliste qui écrit de mauvaise foi dans un reportage que des jeunes délinquants ont agressé des policiers en jetant sur eux un réfrigérateur du haut d'un immeuble, et qui pour illustrer ses propos engage des figurants et fabrique un faux réfrigérateur, illustrant ainsi une scène qu'il savait ne jamais ne s'être produite (TGI Nanterre, 14e ch., 13 décembre 2000).


En revanche, les fausses nouvelles qui portent sur des intérêts privés ne troublent pas la paix publique.


Ainsi, il a été jugé que :


  • La fausse annonce du naufrage d'un navire qui provoque l'inquiétude des familles des marins et des passagers, les appréhensions des assureurs, des chargeurs, des destinataires de marchandises n'est pas de nature à troubler la paix publique (Cass. crim., 22 décembre 1955) ;
  • L'ordre public n'est pas concerné par la publication d'un article accusant la SACEM de racketter les exploitants de discothèques (TGI Paris, 8 avril 1987) ;
  • Les informations relatives à la vie privée d'un prétendant au trône ont un caractère purement privé (TGI Paris, 1re ch., 17 déc. 1986) ;le journaliste qui publie des informations erronées sur les difficultés financières d'un homme d'affaires ne met pas en danger l'ordre public (TGI Paris, 20 novembre 1991).

4-Enfin, pour que le délit de fausses nouvelles soit constitué,le ministère publique doit démontrer la mauvaise foi de l’auteur de la fausse nouvelle (Cass. crim., 28 avril 1950) étant précisé que le doute profite au prévenu (Cass. crim., 11 mars 1965).


La jurisprudence considère que la mauvaise foi « se caractérise par la connaissance tant de la fausseté du fait publié, que du trouble qui pouvait en résulter » (Cass. crim., 21 juillet 1953).


Il est important de relever que l’intention délictueuse peut être déduite des exagérations qui traduisent la volonté de grossir l'événement (Cass. crim., 18 décembre 1912) ou du fait que le journaliste avait lui-même procédé à une enquête (Cass. crim., 7 novembre 1963).


Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a déjà déduit l'intention délictuelle des mensonges suivants :


  • Annoncer quatre morts lors d'une manifestation, alors qu'il n'y avait eu "que" trois morts ;
  • Affirmer que la police avait utilisé une mitrailleuse, quand elle avait tiré avec un fusil-mitrailleur,
  • Parler de l'ordre du préfet, là où il y avait eu ordre d'un commissaire de police.


Selon les juges, ces exagérations manifestent clairement la volonté de grossir l'événement et témoignent de la mauvaise foi de l'inculpé (Cass. crim., 18 décembre 1962).


Le délit de fausse nouvelle est une infraction de presse qui obéit aux particularités propres à cette catégorie pour le déclenchement des poursuites.


Selon l’article 47 de la loi de 1881, le délit ne peut être poursuivi qu'à la requête du Ministère Public.


De plus, en application des articles 50 et 53 de la même loi, le réquisitoire ou la citation doivent préciser, à peine d’irrecevabilité, si les poursuites sont faites sur la base du 1er ou du 2ème alinéa de l'article 27 qui définissent deux délits différents.


Enfin, l’article 62 de la même loi autorise la suspension du journal contenant la fausse nouvelle.


Il ressort de ce qui précède que le droit actuellement applicable est totalement en marge avec l’évolution des nouvelles technologies et des méthodes de manipulation de l’information par des organes de presse.


A l’heure de l’Internet généralisé et global tout le droit de la presse serait à revoir en profondeur sur cet aspect.


A cet égard, il convient de souligner les difficultés inhérentes à ces fausses informations d’un nouveau genre.


Par le fait qu’elles se diffusent sur la toile, leurs auteurs sont souvent anonymes ou difficilement identifiables.


De plus, l’aspect international est un obstacle juridique majeur faisant des frontières des états autant de limites à l’efficacité des éventuelles poursuites judiciaires et l’exécution des éventuelles sanctions prononcées.


Par essence, l’Internet ne connaît pas de frontière, ni de lieu.


Ainsi, pour être utile et efficace, le droit de l’Internet ne peut pas être un droit national, mais international.