La sécurisation des paiements des clients : outils d’évaluation et cautionnement (fr)

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Luis Wolff Kono, avocat aux barreaux de Paris, New York et New Jersey [1]
Avril 2021



Les entreprises disposent d’un éventail de dispositifs permettant la sécurisation des paiements de leurs clients et d’autres débiteurs. Des plus simples et faciles à mettre en œuvre aux plus sophistiqués, ces dispositifs apportent une sécurité particulièrement appréciée dans la crise économique actuelle provoquée par la pandémie Covid-19. Chaque entreprise met en œuvre les outils appropriés en fonction d’une analyse des risques présentés par leurs clients ou autres débiteurs (tels les fournisseurs). Après avoir revu certains outils d’évaluation, cet article abordera une sureté avec attention : le cautionnement.


Evaluation des clients et partenaires

L’évaluation des risques financiers présentés par de clients et partenaires, se fait en s’appuyant sur les différents outils disponibles, dont plusieurs gratuits. Une telle évaluation, faite en début de la relation ainsi qu’à des intervalles périodiques, permet une bonne connaissance de ses clients et partenaires et la mise en place de mesures de gestion du risque, notamment de garanties de paiement.


Si votre client ou partenaire est une société commerciale, allez sur le site www.infogreffe.fr et recherchez-le, pour obtenir des informations notamment un « extrait K-bis ». L'extrait K-bis atteste de l'existence juridique de l'entreprise et donne une information vérifiée qui fait foi. Il s'agit du seul document officiel prouvant l'identité et l'adresse de la personne (physique ou morale) immatriculée, son activité, ses organes de direction, administration, gestion ou contrôle, ainsi que l'existence ou non d'une procédure collective (telle un redressement ou liquidation judiciaire) engagée à son encontre.


Bien qu’il soit possible de demander au client ou partenaire de fournir une copie récente de son extrait K-bis, il est toujours préférable de l’obtenir directement auprès d’infogreffe, à un coût nominal, pour être sûr d’avoir un document fiable et à jour. Si votre interlocuteur n’est pas nommé comme représentant légal, demandez une copie de son « pouvoir » l’autorisant à agir au nom de la société, surtout pour signer un contrat.


D’autres documents peuvent être obtenus sur infogreffe.fr, notamment une copie des statuts, comptes annuels, rapports du commissaire aux comptes, et état complet d’endettement (privilèges et nantissements grevant la société constitués par de créanciers).


Il est possible de souscrire à une « surveillance » d’une société sur infogreffe.fr [1], vous permettant d’être averti des changements futurs de sa situation.


Le bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (www.bodacc.fr) [2] est un autre outil de recherche précieux, permettant la vérification des actes et opérations passés de votre client ou partenaire, tels les cessions d’activité. Bodacc.fr assure la publicité des actes enregistrés au registre du commerce et des sociétés, de la création à la radiation de l'entreprise, notamment ventes et cessions, procédures collectives, et dépôt des comptes.

Bodacc.fr publie également les annonces civiles de rétablissement personnel et d'acceptation de succession. Vous pouvez mettre en place gratuitement une surveillance de votre client ou partenaire (s’il s’agit d’une société commerciale) sur bodacc.fr, pour être informé des annonces futures.


Un autre outil précieux est le site www.actulegales.fr [3], qui propose à la consultation sur sa plateforme centrale, l’ensemble des annonces légales concernant la vie des entreprises, parues dans la presse depuis le 1er janvier 2010. Des recherches ainsi que des alertes sur vos débiteurs, peuvent être faites gratuitement. Certaines annonces légales (par exemple, notification préalable de vente forcée) peuvent ne pas paraître sur bodacc.fr, donc il est prudent de les rechercher sur actulegales.fr aussi.

Cautionnement

Si votre client ou fournisseur est une petite société ayant une surface financière limitée, vous pourrez demander un cautionnement comme garantie personnelle du bon paiement de la dette. Même en cas de faillite de votre client, vous pourrez réclamer paiement à la caution. Le cautionnement est l’acte par lequel une personne (la caution) s’engage à exécuter une obligation (souvent un paiement) envers un créancier, si le débiteur principal ne le fait pas. Il est possible de faire recours à un cautionnement même d’un associé majoritaire, pour garantir la dette de la société qu’il contrôle.


Mais attention, le cautionnement est un contrat soumis à une règlementation particulière et un formalisme. Il est prudent de se faire conseiller par un avocat, sur sa rédaction pour s’assurer de son efficacité. Cet article n’abordera que quelques points d’attention, à noter.


  • Caution personne physique ou société


Il est courant d’avoir le dirigeant ou associé du débiteur, comme caution du paiement. Cela dit, vous serez mieux protégé si la caution est une société. En effet, en cas de procédure collective à l’encontre de votre débiteur, vous ne pourrez pas poursuivre la caution personne physique pendant la durée de la procédure, jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation. En plus, la caution personne physique ne sera tenue de payer la dette garantie que dans les conditions prévues par le plan de redressement quant à son montant et date d’exigibilité.


  • Cautionnement donné par société anonyme


S’il est donné par une société anonyme comme caution, assurez-vous que le conseil d’administration de la société anonyme a autorisé le cautionnement, conformément à l’exigence légale. D’ailleurs ce point est valable pour toute garantie donnée par une société anonyme, pas seulement un cautionnement.


  • Cautionnement proportionné aux ressources de la caution


Vous voudrez bien vous assurer, que le cautionnement est proportionné aux ressources de la caution. C’est prudent de le faire, pour tout type de cautionnement.


Une caution qui n’a pas les moyens de faire face à l’obligation de payer la dette, ne vous apporte pas de protection.


Cette appréciation des ressources de la caution s’agit même d’une obligation, dans le cas où vous êtes un créancier professionnel, et la caution est une personne physique.


En effet, lorsque le créancier est un professionnel, il ne doit pas faire souscrire à la caution personne physique un engagement manifestement disproportionné à ses biens et revenus, sous peine de ne pas pouvoir se prévaloir de cet engagement, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.


Un créancier professionnel s’agit, bien sûr, d’une banque ou établissement de crédit, mais aussi d’un créancier qui agit dans le cadre de sa profession (par exemple, crédit vendeur).


L’appréciation des ressources de la caution doit prendre en compte, pas seulement ses revenus et biens, mais aussi son endettement total, et notamment d’autres cautionnements qu’elle a pu donner, ainsi que les sûretés grevant ses biens (telles une hypothèque).


  • Conditions du cautionnement


Il est permis pour une caution de s’engager sous certaines conditions précisées dans l’acte de cautionnement.


Par exemple, la caution pourra conditionner son engagement à ce que :


  • la dette principale soit garantie par d’autres sûretés, par exemple un nantissement ou hypothèque sur les biens du débiteur
  • les fonds remis au débiteur, soit affectés à un usage déterminé (par exemple, financement du prix d’achat d’un bien)
  • une autre caution s’engage à son coté, pour garantir la même dette
  • le créancier poursuive le débiteur, notamment pour vente forcée de ses biens, avant de pouvoir réclamer paiement à la caution (caution « simple »)
  • l’insolvabilité du débiteur soit établie, avant que le créancier puisse réclamer paiement à la caution
  • le créancier l’informe dans un délai donné, de la défaillance du débiteur
  • le créancier prenne en charge les frais du recouvrement contre le débiteur


  • Mentions manuscrites pour caution personne physique et créancier professionnel


Si la caution est une personne physique, qui s’engage envers un créancier professionnel, elle doit apposer sur l’acte de cautionnement une mention manuscrite de sa main, avant sa signature :


« en me portant caution de [nom du débiteur] dans la limite de la somme de… couvrant le montant du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si [nom du débiteur] n'y satisfait pas lui-même »


Cette mention a pour vocation d’attirer son attention, sur la gravité de son engagement comme caution.


Il n'est pas requis que ces mentions comportent l'indication du montant garanti à la fois en chiffres et en lettres.


Une attention toute particulière doit être apportée, au respect de cette exigence, qui est interprétée de façon très stricte par une jurisprudence extrêmement sévère. Chaque mot compte, et une omission pourra réduire voire annuler l’engagement de la caution.


Par exemple, il faut préciser la durée clairement (« 5 ans » ou « 36 mois ») et ne pas utiliser un renvoi à une clause de l’acte. Il ne faut pas non plus dire que la durée est la même que pour le contrat principal, ou qu’elle pourra être modifiée par le créancier en accord avec le débiteur.


Autre exemple : la signature de la caution doit venir immédiatement après la mention, sans aucun texte entre les deux. Une signature avant la mention n’est pas conforme, selon la jurisprudence.


Si le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la caution doit en outre faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante :


« En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du Code civil et en m'obligeant solidairement avec X, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X » Si un avocat contresigne l’acte de cautionnement, l’acte devient un « acte d’avocat » qui fait que, l’exigence de mentions manuscrites ne s’applique pas.


  • Mentions manuscrites pour d’autres cautionnements


Pour les cautionnements autres que ceux indiqués ci-dessus, la caution doit signer l’acte et porter elle-même une mention du montant de la somme cautionnée en toutes lettres et en chiffres. Si le cautionnement porte sur une somme de montant indéterminé, la mention doit exprimer la conscience qu’a la caution de la nature et de l’étendue de son engagement.


  • Indication de la dette principale


Une condition essentielle à la validité d’un cautionnement, est que la dette principale cautionnée soit indiquée dans l’acte de cautionnement. L’indication mentionne la date et l’objet de la dette principale cautionnée, ainsi que le nom du débiteur.


Bien qu’une formulation générale du type « tous les montant dus par le débiteur au titre d’une opération » soit possible (cautionnement « omnibus »), vous aurez intérêt d’être explicite, autant que possible, sur les dettes spécifiques qui sont couvertes par le cautionnement, afin d’éviter toute contestation.


Les formulations générales sont soumises à interprétation, et créent un risque en cas de contestation.


Cette indication peut être faite, par un renvoi au contrat principal. Par exemple, si le cautionnement porte sur le paiement du prix d’un service, l’acte de cautionnement pourra indiquer que la dette garantie est le paiement du prix défini dans un contrat de prestation de service, dont la date, les parties et l’objet sont bien indiqués.


Il n’est pas indispensable que la dette principale cautionnée soit contractée avant ou en même temps que le cautionnement.


En effet, un cautionnement peut porter sur une dette future, à condition néanmoins qu’elle soit déterminée.


  • Modifications de la dette principale


Si vous modifiez les conditions de la dette principale avec votre client ou fournisseur, il faudra aussi mettre à jour le cautionnement. Si par exemple, l’échéancier de paiement est modifié, il faudra faire accepter la modification par la caution aussi.


  • Dirigeant ou associé caution coupe ses liens avec débiteur


Qu’est-ce qui se passe, si le dirigeant qui a donné la caution, quitte ses fonctions dans la société débitrice ? La jurisprudence a estimé que dans un tel cas de figure, l’ancien dirigeant continue d’être lié par son engagement de caution, même après la cessation des fonctions. Il est probable, néanmoins, que le dirigeant essayera de négocier une clause de résiliation du cautionnement, en cas de cessation de fonctions.


Il faudra, donc, réfléchir à la possibilité de cessation de fonctions (ou dans le cas d’un associé caution, d’une cession des droits sociaux), qui pourra arriver, avant le paiement intégral de la dette garantie. Il conviendra de s’assurer qu’un cautionnement de substitution (par exemple, du nouveau dirigeant ou associé) sera mis en place.


Il n’y aura pas beaucoup de sens, de continuer à espérer qu’un ancien dirigeant ou associé de votre débiteur, qui aura coupé ses liens avec le débiteur, garantira le paiement de la dette. Mieux vaut créer un mécanisme de substitution de garantie, afin de faire évoluer votre protection en fonction de la nouvelle donne.


  • Caution solidaire


En tant que créancier professionnel, vous voudrez bien que la caution s’engage comme caution « solidaire ». La caution solidaire ne peut pas (contrairement à la caution « simple ») exiger du créancier, avant qu’il la poursuive en paiement, que le créancier poursuive d’abord le débiteur, notamment par une vente forcée des biens du débiteur (si le débiteur ne paie pas).


Le créancier se trouve, donc, dans une situation plus favorable, parce qu’il peut réclamer paiement de la caution solidaire, sans avoir à engager de longues et coûteuses poursuites à l’encontre du débiteur.


Les banques systématiquement exigent des cautionnements solidaires. Si la caution est une personne physique, et vous êtes un créancier professionnel, il faudra prévoir un montant global de l’engagement de la caution, couvrant principal, intérêts, et frais.


  • Insolvabilité de la caution


L’insolvabilité de la caution représente un risque que vous devrez apprécier. Vous aurez intérêt à exiger de votre débiteur, qu’il vous fournisse une caution, mais sans pour autant, exiger une personne en particulier comme caution. Laissez le choix de la personne qui sera caution, à votre débiteur.


Cette approche vous permettra de bénéficier des dispositions de l’article 2297 du code civil, qui impose au débiteur une obligation de donner une autre caution, lorsque la caution initialement nommée est devenue insolvable.


Cette obligation de donner une nouvelle caution ne s’applique que, si la personne choisie comme caution initiale (devenue insolvable) n’avait pas été exigée par le créancier.


  • Paiement de la dette par la caution


Si votre débiteur ne vous paie pas, et les conditions pour déclencher le cautionnement sont réunies (par exemple, poursuite du débiteur préalable), vous réclamerez paiement à la caution.


La caution qui paie au lieu et place du débiteur, peut alors se tourner contre lui pour se faire rembourser le montant du paiement. Le débiteur n’est donc pas du tout déchargé, il reste bien tenu de payer la dette, mais à un nouveau créancier, la caution.


  • Garanties supplémentaires

Si vous n’êtes pas satisfait de la protection apportée par la caution (par exemple, la caution ne dispose pas de moyens financiers suffisants), vous pouvez demander une garantie supplémentaire à votre débiteur. Cette garantie supplémentaire peut être une autre caution, par exemple, ou un autre type de « sûreté » comme une hypothèque (sur un immeuble), gage (sur un bien meuble) ou nantissement (sur le matériel ou sur le fonds de commerce du débiteur).


En cas de défaillance de votre débiteur, et si la caution n’est pas capable de vous payer intégralement, vous pourrez faire valoir vos droits dans ces garanties supplémentaires.


Mais attention si vous êtes un créancier professionnel, à ne pas prendre trop de garanties, ce qui pouvait être considéré comme abusif. Il faut rester raisonnable, et prendre juste la garantie nécessaire qui vous protégera.


  • Acte d’avocat


L’acte de cautionnement pourra être contre-signé par un avocat, pour lui conférer la qualité d’ « acte d’avocat », offrant une sécurité juridique supérieure par rapport aux actes sous signature privée. En effet, l’acte d’avocat présente les avantages suivants :

  • l’avocat atteste avoir éclairé les parties sur les conséquences juridiques d’un acte ; une partie ne peut pas plus tard, essayer de se soustraire à ses engagements, pour une “erreur”
  • l’acte d’avocat fait pleine foi de l’écriture et de la signature ; il est difficile de contester sa validité
  • les mentions manuscrites ne sont pas nécessaires

REFERENCES

  1. 1 Luis Wolff Kono est avocat aux barreaux de Paris, New York et New Jersey, et est basé à Paris. Son domaine de compétence est le droit des affaires. Courriel : luis@wolffkono.com. Site : http://wolffkono.com/.