La valeur locative des cliniques (fr)

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Compte-rendu de la réunion du 29 janvier 2014 de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris, réalisé par Vincent Techené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition affaires

Commission ouverte : Immobilier
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Jean-Marie Moyse

Sous-commission : Baux commerciaux
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Gilles Hittinger-Roux

Intervenants : David Pinet et Christophe Denizot, avocats à la Cour, Jean-Marie Moyse, avocat à la Cour et responsable de la commission ouverte de droit immobilier du barreau de Paris, Thierry Bergeras, expert agréé par la Cour de Cassation


Le problème qui se pose pour les cliniques est que les bâtiments qui ont plusieurs dizaines d'années ne sont pas adaptés à la pratique moderne de la chirurgie : chirurgie ambulatoire, endoscopique ou célioscopique. La Sécurité sociale ne rembourse plus dès lors en fonction des jours d'hospitalisation mais pour acte médical, appliquant la méthode dite T2A.

En outre, les cliniques sont, à l'heure actuelle, surdimensionnées car les durées d'hospitalisation ont considérablement diminuées. Si bien que les recettes hôtelières telles qu'elles étaient appliquées pour fixer les loyers des cliniques ne sont plus d'actualité.

De nombreuses cliniques sont dans une situation financière très délicate.


I - Retour historique sur la méthode T2A

La réforme T2A, entrée en vigueur le 1er mars 2005, avait pour objectif de réduire les dépenses sociales sans porter atteinte à la qualité des soins. Cette réforme entendait ainsi établir un financement sur des critères objectifs équitables et identiques pour tous les établissements. Le financement n'est donc plus lié à la durée du séjour mais à la pathologie et le loyer ne peut donc plus être un loyer de confort. En effet, avant la réforme, dans la plupart des cas, les murs étaient détenus par une SCI dont les parts appartenaient à des médecins de la clinique. Les loyers assez élevés, permettaient de rembourser l'emprunt souscrit pour l'acquisition de l'immeuble.

Certaines règles expertales s'appliquaient alors. Tout d'abord, les cliniques sont des locaux monovalents. Les loyers étaient donc fixés selon les usages appliqués dans la branche d'activité considérée. Les usages étaient les suivants : était appliquée la recette hôtelière qui pouvait être étayée par la méthode métrique et la méthode au lit.

La T2A a tout changé et a imposé de modifier les méthodes d'évaluation de la valeur locative des cliniques. Chaque pathologie a un tarif prédéterminé codifié (GHS : groupe homogène de séjour) qui correspond à un forfait intégrant les prestations de la clinique hormis les honoraires de praticiens. Les recettes principales des cliniques sont donc ces recettes GHS auxquelles s'ajoutent des recettes connexes relativement importantes (10 à 15 % du chiffre d'affaires global) dont les principales sont les recettes issues des chambres individuelles.

Pour chaque GHS ont été définies une borne haute et une borne basse qui fixent la durée du séjour. La clinique doit donc encaisser un maximum de GHS à l'intérieur de ces deux bornes. La borne haute correspond à la durée maximale du séjour, le dépassement de cette borne ayant un coût pour la clinique sans recette corrélative. La borne basse fixe la durée minimale du séjour afin de ne pas porter atteinte à la qualité des soins : si le patient quitte l'établissement avant cette borne, un abattement s'applique qui pénalise financièrement la clinique.

Cette réforme a donc conduit à de grandes disparités sur le rendement de l'activité qui a entraîné un mouvement de spécialisation de nombreuses cliniques et un surdimensionnement des locaux, puisqu'on estime aujourd'hui que 30 à 40 % des espaces sont inoccupés. A cela s'ajoute un paradoxe : un pessimisme ambiant des exploitants de cliniques et le rachat massif des cliniques par des foncières ou des groupes de santé. Aujourd'hui environ 70 % des cliniques sont en deçà des ratios préconisés par les analystes financières (résultat net inférieur à 3 % du chiffre d'affaires) dont un tiers sont en situation déficitaire.

La boulimie d'achat s'explique par un rendement locatif élevé des cliniques, de l'ordre de 6 à 7 % et des baux de longue durée (12 ans voire plus). Cette situation ne va peut-être pas durer car les cliniques ont fait de gros efforts de gestion et leur marge de manoeuvre semble aujourd'hui se situer essentiellement sur le loyer.


II - Etat de la jurisprudence depuis la T2A

La première décision est celle du TGI de Tour du 27 mai 2010 qui a validé la méthode métrique. Le tribunal a estimé que la seule méthode recevable, non arbitraire et non aléatoire à retenir pour fixer le prix est celle dite métrique qu'a conservée l'expert, avec ses bases de surface et de prix au m2 qui sont correctes, avec justes déductions pour charges dont il a pondéré le calcul. Pour motiver sa décision le TGI a considéré notamment que le bailleur n'a pas à subir pour le calcul du loyer qui lui est dû la référence à des critères totalement aléatoires et extrinsèques à son immeuble. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel d'Orléans qui valide le recours à la méthode métrique qui semblait corroborée par une méthode fondée sur le rendement locatif basé sur la valeur de reconstruction à neuf du bâtiment fixée dans la police d'assurance (CA Orléans, 26 mai 2011, n° 10/01741 N° Lexbase : A7411HSB). La cour énonce, en outre, qu'il n'existe plus d'usage avéré en matière de locaux à usage de clinique depuis l'entrée en vigueur, en mars 2005, de la réforme de la tarification dite T2A, laquelle a rendu impraticable le recours jusqu'alors usité à une combinaison du prix au lit, d'un taux sur les recettes et de la surface des locaux, dès lors que deux de ces paramètres ne sont plus opérants.

Cette affaire est allée jusqu'en cassation, la troisième chambre civile rejetant le pourvoi. Elle retient notamment que les bases de surfaces et de prix au m² retenues par l'expert étant adaptées et conformes au relevé de surfaces brutes retenues par l'expert amiable de la locataire, la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve produits et répondant aux conclusions par référence aux observations de l'expert qu'elle entérinait, a souverainement estimé que le coefficient de pondération devait être fixé à 1 pour l'ensemble du bâtiment principal (Cass. civ. 3, 11 décembre 2012, n° 11-21.910, F-D N° Lexbase : A1169IZC). La Cour de cassation se réfugie donc derrière le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Une autre décision sur la valeur locative des cliniques après l'entrée en vigueur de la T2A a été rendue par le TGI de Paris du 5 décembre 2011. Là encore les juges valident la méthode métrique. Le TGI de Paris avait statué toujours dans le même sens dans un jugement du 26 juin 2011, précisant, toutefois, que, ainsi que le préconise l'expert, la méthode du GHS (Groupement Homogène de Soins) ne pouvait pas être retenue car les données communiquées sur les GHS et les nombres de type d'intervention ne permettent pas d'évaluer la valeur locative des lieux loués du fait de l'exploitation de l'activité sur plusieurs entités immobilières alors que ces GHS sont facturés globalement ; en effet, d'autres fonctions sont logées dans le bâtiment appartenant notamment à un tiers ainsi l'administration et les cabinets de consultation. L'expert a donc privilégié à juste titre la méthode métrique (TGI Paris, 21 juin 2011, n° 08/11679 N° Lexbase : A9386HYB). Le TGI privilégie donc en l'espèce cette méthode mais estime qu'une autre méthode est envisageable pour évaluer la valeur locative d'une clinique.

Enfin, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 28 mars 2013, approuve la méthode métrique retenue par l'expert (CA Aix-en Provence, 28 mars 2013, n° 10/13609 N° Lexbase : A1835KBL) : l'expert a conclu que la méthode applicable devait être la méthode métrique qui rend compte à la fois de la nature du bâtiment occupé, indépendamment du chiffre d'affaire réalisé des lors que le bailleur n'est pas l'associé du preneur et qu'il s'agissait dans la pratique de pondérer les surfaces du bâtiment selon un canevas usuellement utilisé en la matière, que sur la base de cette surface pondérée, il convenait d'appliquer une valeur locative au mètre carré moyen rendant compte de la situation générale et particulière de l'immeuble, de son état, de la conformation des lieux. La cour d'appel a exclu les méthodes dites d'excédent brut dans la mesure où le loyer y est fixé en fonction de la performance de la clinique elle-même induite par les praticiens qui s'en servent comme outil d'exploitation de leurs compétences alors que le bailleur n'est pas l'associé du preneur et que le loyer ne doit pas dépendre de la renommée des praticiens qui exercent ainsi que la méthode du chiffre d'affaire théorique immobilier en l'absence de métré précis, des bilans des autres cliniques du secteur comparable en activité et du coût induit par des expertises en cascade qu'il conviendrait alors d'effectuer. Elle a également exclu la méthode du chiffre d'affaires théorique dès lors que c'est la pathologie selon une nomenclature tarifaire à double niveau comprenant plusieurs milliers de pathologies, l'ensemble capé selon la durée du séjour qui est facturée et non plus le séjour lui-même.


III - Les perspectives d'avenir

L'évaluation de la valeur locative des cliniques par la méthode métrique est-elle adaptée aux modes de financement actuels ?

Il existe de réelles difficultés à avoir des éléments comparables fiables dans une zone géographique assez proche du bâtiment analysé. Par ailleurs, la démarche métrique ignore les contraintes de l'activité spécifique des cliniques et les capacités contributives qui diffèrent en fonction des activités déployées par ces établissements de santé. Il est donc judicieux de corroborer cette méthode par d'autres méthodes comme celle fondée sur le chiffre d'affaires dès lors que l'on parvient à individualiser le chiffre d'affaires rattachable à l'actif immobilier.

Le chiffre d'affaires théorique lié à l'activité immobilière (CATI) ne prend en compte que certaines activités (ensemble des GHS diminué des fournitures médicale, suppléments des chambres individuelles, scanner...). Une fois ce CATI déterminé, il sera retraité par un taux d'effort pour établir le juste loyer qui peut être payé par le locataire (le taux d'effort antérieurement retenu à la réforme T2A est de 6 à 13 %).

Il est également possible d'utiliser la méthode fondée sur la rentabilité de la clinique ou par la démarche comparée fondée sur le rendement normal attendu de ce qui peut appartenir au propriétaire. Cette méthode, qui repose sur le principe selon lequel tout bien procure un revenu, c'est-à-dire un loyer, est parfois plus aisée que la méthode métrique pour trouver des éléments comparables. La valeur locative étant égale à la valeur vénale sur le taux, si la valeur du bien est connue, il reste à fixer le taux, qui est ici le rendement espéré par le propriétaire, pour déterminer la valeur locative.

La méthode métrique consiste à fixer une surface pondérée à laquelle est appliquée un prix, prix qui est celui observé sur des biens comparables, si possible dans une zone géographique proche du bien considéré. Le grand mérite de cette démarche est qu'elle est facilement accessible et reconnue, puisqu'elle a les faveurs de la doctrine et de la jurisprudence. Elle évite aussi la prise en compte de situation extrême. Mais l'inconvénient majeur est, comme rappelé ci avant, que le marché des cliniques est étroit créant une pénurie d'éléments comparables.

Après un phénomène d'acquisition en masse de cliniques par des groupes, on assiste aujourd'hui à un arbitrage entre ces groupes qui ont tendance à se répartir le "gâteau" par un découpage géographique et procèdent à des rachats de cliniques individuellement pour créer des synergies pas régions. Par ailleurs, on constate un élément nouveau qui va peser fortement sur la rentabilité des cliniques : désormais, les autorisations d'activités ne sont plus renouvelées automatiquement. Lorsqu'un établissement hospitalier, souvent déficitaire, se trouve à proximité d'une clinique qui exerce la même activité, les pouvoirs publics ont tendance à ne pas renouveler l'autorisation. Se juxtapose ainsi au risque économique un risque administratif qu'il ne faut absolument pas négliger.

Dans l'avenir on devrait donc assister à des renégociations de loyers entre propriétaires et locataires qui conduiront probablement à une baisse des rendements locatifs des immeubles abritant des cliniques.


Voir aussi

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