Le droit des cagnottes solidaires et participatives en ligne: quel régime juridique pour les fonds versés sur Leetchi (fr)

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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Avril 2019



Les cagnottes en ligne ont le vent en poupe et de plus en plus nombreux sont désormais ceux qui utilisent ces sites pour le financement des projets personnels, caritatifs ou professionnels.


Des plateformes comme "Leetchi", "Le pot commun", "Colleo" ou encore "Kwendoo", permettent ainsi de collecter de l’argent en ligne pour aider aux soins pour un enfant malade, financer le sauvetage ou la création d'une entreprise ou participer à un projet sportif.


Certaines cagnottes dites de solidarité, battent des records, jusqu'à 1,46 million d'euros pour celle de soutien aux forces de l'ordre lancée en début 2019.


En contrepartie, ces sites se rémunèrent en retenant un pourcentage de la cagnotte au moment du versement bancaire au profit de son initiateur.


A la différence du crowdfunding, la contribution à une cagnotte en ligne ne donne droit à aucune contrepartie.


Il s’agit là pour les utilisateurs d’aider une cause, à l'instar des dons classiquement effectués à des associations, le Téléthon ou les Restos du coeur .


Et ces causes peuvent consister en un soutien à des personnes en difficulté, comme celle lancée récemment par des détenus pour un surveillant dont la femme est décédée.


C'est ainsi qu'une cagnotte créée pour aider à payer les frais de justice de l'ancien boxeur, Christophe Dettinger [1], qui s'en était pris à des gendarmes pendant l'acte 8 des Gilets jaunes le 5 janvier 2019 a permis de récolter une somme de 127 812 euros en un temps record.


Mais face à la polémique née de ce financement, la plate-forme Leetchi a promptement fermé la cagnotte au bout de 48 heures en raison du non respect des conditions générales du site.


C'est que ces plateformes sont régies par le droit commun des hébergeurs numériques et le droit de la consommation.


Ainsi, s'appliquent les dispositions de l’article L 111-7 du code de la consommation [2] : "L’opérateur de plateforme en ligne doit délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente".


De même, s'applique la loi sur la Confiance de l’Économie Numérique du 21 juin 2004 (LCEN), qui prévoit que les hébergeurs ont, contrairement aux éditeurs, une responsabilité allégée : leur responsabilité ne peut être engagée que s’ils ont connaissance du caractère manifestement illicite d’une contenu hébergé et qu’ils n’ont pas agi promptement pour le retirer.


Mais les plateformes sont également tenues par leurs propres conditions générales d’utilisation.


Par exemple, selon l'article 26.1 des conditions générales d'utilisation (CGU) de Leetchi, il est formellement interdit d'utiliser la plateforme pour des activités qui pourrait promouvoir la violence.


«En cas de manquement à ces obligations, le Distributeur se réserve le droit de prendre toute mesure appropriée afin de faire cesser les agissements concernés. Il se réserve à ce titre le droit de supprimer ou retirer tout contenu ou information qu’elle jugera inapproprié », trouve-t-on dans les CGU de Leetchi.


On ne peut donc pas créer une cagnotte pour tout et n'importe quoi: il est par exemple impossible de créer une cagnotte pour acheter une arme ou financer des activités illégales.


Par ailleurs, selon l’article 40 de la loi de 1881 [3] « Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires », autrement dit, une cagnotte en ligne ne peut pas servir à financer des dépenses liées à une condamnation judiciaire.


En 2015, Dieudonné avait ainsi été condamné à 6 000 euros d’amende [4] pour avoir appelé aux dons en ligne pour payer de précédentes amendes


La cagnotte pourra en revanche servir à payer des frais de justice, comme les honoraires d'avocat.


Aussi, Leetchi et consorts utilisent un contrôle automatique réalisé par des algorithmes qui permettent de détecter d’éventuelles cagnottes suspectes.


Une authentification du créateur de la cagnotte s'ensuit pour établir ses motivations, sur la destination des fonds, son identité et sa relation avec un éventuel bénéficiaire, avec la fourniture de pièces justificatives.


La plateforme est en effet garante de la sécurité des transactions dès le début, dès la création de la cagnotte et ce jusqu’au transfert des fonds au bénéficiaire légitime de la cagnotte.


Aujourd'hui, les proches de Christophe Dettinger réclament à Leetchi en référé le montant de la cagnotte, soit 145.000 €. Le tribunal d'Évry rendra sa décision le 9 avril 2019.


Mais le couple Dettinger a également assigné la société Leetchi devant le tribunal de justice de Paris [5] afin de demander environ trois millions d’euros de dommages et intérêts à Leetchi, au titre du « préjudice » subi, selon eux, par la clôture prématurée de la cagnotte et la perte de chance.


Et attention aux arnaques: on vient d'apprendre qu'à la suite du décès du petit Jules, 2 ans, qui a trouvé la mort samedi 23 mars 2019 après avoir été percuté par une camionnette à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), une fausse cagnotte avait été créée en ligne, mais rapidement identifiée comme une sordide escroquerie.


Me Thierry Vallat avait été interrogé par Le Parisien le 9 janvier 2019 sur le sujet Gilets jaunes : la bataille des cagnottes. [6]