Le régime fiscal et social des indemnités atypiques liées à la rupture du contrat de travail (suite) (fr)

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Coline Bied-Charreton, cabinet Squire Patton Boggs
Décembre 2018



Dans un précédent article [1], nous abordions deux types d’indemnités transactionnelles post-rupture : l’indemnité transactionnelle versée dans le cadre d’un litige sur l’imputabilité de la rupture, d’une part, et l’indemnité transactionnelle versée après une rupture conventionnelle, d’autre part.


Le présent article soulève trois autres interrogations quant au traitement fiscal et social des indemnités de rupture [1] :


  • Les indemnités contractuelles de ruptures ou « parachutes dorés » ;
  • Les indemnités versées dans le cadre de la rupture d’une relation de travail qui s’est poursuivie dans différentes sociétés d’un même groupe ;
  • Les indemnités versées à l’issue de la rupture du contrat de travail d’un salarié expatrié.


« Parachutes dorés »

La clause d’indemnité contractuelle de rupture (le « parachute doré »), consiste à convenir par avance, l’allocation au salarié, en cas de rupture du contrat de travail, du versement d’une indemnité forfaitaire, dont le montant est fixé, ou la formule de calcul déterminée, dans ladite clause.


Certes, cette indemnité tire sa source dans le contrat de travail et non pas la convention collective ou l’éventuelle transaction conclue suite à un licenciement.


Mais l’article 80 duodécies du CGI ne distingue aucunement selon la source de l’indemnité.


Il se borne à indiquer que l’indemnité partiellement exonérée est une indemnité « de licenciement », sans autre précision.


Aussi et à notre sens, les parachutes dorés entrent dans le champ d’application des régimes d’exonération fiscale et sociale visés aux articles 80 duodécies CGI et L. 242-1 CSS (ils font bien sûr masse avec l’ensemble des autres sommes versées à l’occasion de la rupture, pour l’appréciation de l’atteinte du plafond).


Il semble toutefois que la jurisprudence sociale fasse une distinction entre indemnisation de la rupture du contrat de travail à proprement parler et indemnisation de la violation d’une garantie d’emploi.


La Cour de cassation estime que le non-respect d’une garantie d’emploi de 5 ans donne lieu à une indemnisation intégralement soumise à charges sociales, au motif que « les sommes versées par un employeur à un ancien salarié en exécution d’une clause contractuelle de garantie d’emploi ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées par le second de ces textes auquel renvoie le premier » [2].


Dans cette espèce, le montant de l’indemnisation ne semble pas avoir été fixé contractuellement.


La Cour de cassation aurait pu décider de la soumettre à charges sociales en se référant, par exemple, aux dommages et intérêts versés en cas de rupture anticipée du contrat à durée déterminée, lesquels sont l’équivalent des salaires que le salarié aurait dû percevoir si le contrat avait été mené à son terme, et intégralement soumis à charges sociales – raisonnement qui avait été celui de l’Urssaf dans cette affaire. Or elle ne reprend pas cette motivation. La Cour de cassation se borne à exclure « les sommes versées en exécution d’une clause contractuelle de garantie d’emploi » du champ d’application de l’article 80 duodécies du Code général des impôts.


Mais quelles sont ces « sommes versées en exécution d’une clause contractuelle de garantie d’emploi »' ? Faut-il y inclure l’indemnisation dont le montant serait contractuellement fixé ? La jurisprudence est imprévisible sur ce point [3].


Par exemple, selon la Cour d’appel de Paris, n’est pas constitutive de garantie d’emploi la clause ainsi libellée : « témoignant de sa volonté formelle d’offrir au salarié un engagement durable, M. X aura droit, hors cas de licenciement pour faute grave, au versement d’une somme égale à deux fois le montant de son salaire brut annuel, s’il est licencié avant le 30 décembre 2003 », et la Cour d’en déduire que cette indemnité n’est pas soumise à charges sociales [4].

Pourtant l’indemnité est bien versée en considération d’un « engagement » d’emploi, borné dans le temps (l’indemnité n’étant pas versée en cas de licenciement après le 30 décembre 2003).


Dans l’attente d’une clarification, il convient de s’abstenir de toute formulation qui pourrait permettre un rapprochement, de près ou de loin, avec la garantie d’emploi, c’est-à-dire :


  • Ne pas intituler la clause d’indemnité contractuelle de rupture « garantie d’emploi » ;
  • Dans la mesure du possible, éviter de fixer de date au-delà de laquelle l’indemnisation cesserait (même si cela est une pratique extrêmement courante, on ne peut exclure que cela accrédite l’idée d’une période de garantie d’emploi implicitement déduite de la date d’application de l’indemnisation contractuelle de la rupture) ;
  • S’abstenir de termes justifiant la clause tels que « engagement durable », « pérennité de l’emploi », etc.


Indemnité versée dans un groupe de sociétés

Quid du salarié qui aurait bénéficié d’une mobilité intra groupe ?


La question se pose dans la mesure où, pour mémoire, l’un des plafonds d’exonération à retenir en matière sociale, comme en matière fiscale, est deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture.


Si le salarié a changé de société au sein d’un même groupe pendant l’année civile, comment doit s’entendre ce plafond :


  • Faut-il retenir la rémunération versée exclusivement par la société ayant rompu le contrat ?
  • Ou peut-on prendre en compte la rémunération versée également par la société du même groupe au sein duquel le salarié était employé auparavant ?


La jurisprudence sociale, à notre connaissance, ne s’est pas prononcée sur ce point.


En revanche, en matière fiscale, ce point, bien que non abordé par le Conseil d’État, a été tranché par la Cour administrative d’appel de Lyon : « Il y a lieu, dans l’hypothèse où… le salarié a été, au cours de l’année du licenciement, employé successivement par deux sociétés d’un même groupe et a perçu une indemnité qui tient compte de son ancienneté dans le groupe, de faire masse de la totalité des rémunérations perçues par le bénéficiaire au sein desdites sociétés » [5].


La rémunération perçue par l’ensemble des sociétés du même groupe est donc prise en considération pour l’appréciation de ce plafond.


Il nous semble de bon sens de faire application de ce raisonnement également en matière sociale, même si, à ce jour, aucun texte ni aucune décision ne vient le confirmer expressément – ce qui impose, malheureusement, de conclure qu’il n’existe donc pas de risque zéro de redressement sur ce point précis.


Indemnité versée à un salarié expatrié

S’agissant des salariés expatriés, ces derniers perçoivent souvent une rémunération hors de France qui n’est pas assujettie à l’impôt sur le revenu.


Or et comme déjà souligné, l’un des plafonds d’exonération à retenir est deux fois la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture.


La question s’est donc posée, de manière récurrente, sur le point de savoir s’il fallait prendre en compte cette rémunération non imposée dans l’appréciation du montant de la rémunération versée au cours de l’année civile précédant la rupture.


L’administration fiscale, tout comme les Urssaf, ont répondu par la négative, procédant à des redressements sur cette base – les salariés expatriés et employeurs concernés ayant tenu compte des rémunérations versées hors de France pour le calcul du double de la rémunération versée l’année civile précédant la rupture.


Cette approche restrictive a été sanctionnée par les tribunaux.


En matière fiscale, le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé, mais un jugement remarqué du Tribunal administratif de Montreuil s’est prononcé pour la prise en compte des salaires perçus hors de France et non assujettis à l’impôt français pour le calcul du plafond d’exonération : « Le 1 de l’article 80 duodécies du CGI prévoit notamment qu’une fraction des indemnités versées en dehors du cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas imposable. Lorsque ce seuil est plus élevé, cette fraction est égale à deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail. Il y a lieu d’y inclure, dans l’hypothèse où le salarié a été employé par une filiale étrangère d’un groupe et où l’indemnité de licenciement a tenu compte de son emploi dans cette filiale, le montant des salaires versés par cette filiale » [6] .


En matière sociale, la Cour de cassation a jugé que « les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur entrent dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale dès lors qu’elles présentent la nature de sommes imposables…, peu important leur assujettissement effectif à l’impôt sur le revenu » [7] – c’est donc à tort qu’un redressement Urssaf a été prononcé à l’encontre de la société qui avait pris en compte la rémunération perçue hors de France pour le calcul du plafond d’exonération [8].


A titre de conclusion provisoire, il est regrettable que ces questions se résolvent devant les tribunaux et qu’elles ne soient pas traitées de manière claire dans les textes applicables.


Cette insécurité juridique complique souvent les négociations (les salariés demandant de plus en plus souvent une garantie sur le net perçu, voire carrément une clause de garantie fiscale dans la transaction).

Voir aussi

Le traitement fiscal et social des indemnités de rupture du contrat de travail 


Notes

  1. 1 Pour un rappel des règles générales applicables telles que résultant des articles 80 duodécies du Code général des impôts et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, nous renvoyons à notre précédent article [2].
  2. 2 Cass. Civ2 13 mars 2014, n°13-12.381
  3. 3 Voir par exemple : Cass. Soc. 3 décembre 2002, n°00-44.423; Cass. Soc., 14 juin 2006, n°05-43.670; Cass. Soc. 15 avril 2015, n°13-21.306 ; CA Montpellier, 25 juin 2014, n°13/02145, Montagne / SARL Nitem
  4. 4 CA Paris, 18 avril 2013, n°11/10509, URSSAF Paris Région parisienne / Groupe Antarès
  5. 5 CAA Lyon, 21 juillet 2011, n°09LY00836
  6. 6 TA Montreuil, 11 mai 2017, n°1603031 – il est intéressant de noter par ailleurs que, dans cette affaire, les salaires pris en compte au titre de la rémunération brute perçu au cours de l’année civile précédant la rupture sont ceux qui ont été versés par une filiale, et non par la société qui a prononcé le licenciement – ce, en phase avec l’arrêt précité de la Cour administrative d’appel de Lyon (cf supra note 5)
  7. 7 Cass. Civ2, 6 juillet 2017, n°16-19.607 (publié)
  8. 8 On relèvera que cet arrêt clôt une saga judiciaire ayant opposé le groupe Vinci à l’Urssaf d’Ile-de-France. La Cour d’appel de Versailles avait d’abord, en janvier 2014, validé un redressement concernant des indemnités de rupture versées aux salariés expatriés, sur la base d’une instruction fiscale du 31 mai 2000 qui visait les rémunérations « soumises à l’impôt sur le revenu » (la Cour retenant que l’impôt sur le revenu visé dans cette instruction ne pouvait être que l’impôt français – cf. CA Versailles 30 janvier 2014, n°12/04410). La Cour de cassation a cassé ce premier arrêt le 7 mai 2015 (n°14-956, publié) au motif que la Cour d’appel ne pouvait valablement se fonder sur une instruction fiscale dépourvue, selon la Cour de cassation, de toute portée juridique contraignante. Par la suite, la Cour d’appel de Versailles rendait alors un arrêt le 4 mai 2016 à l’encontre du groupe Vinci, exactement sur le même thème, aux termes duquel elle validait de nouveau un redressement Urssaf sur la base de l’article 80 duodécies du CGI (CA Versailles 4 mai 2016, n°15/03427). C’est cet arrêt qui est infirmé par l’arrêt du 6 juillet 2017, de manière extrêmement claire cette fois-ci puisque la CA Versailles ne s’était pas fondée, cette fois-ci, sur une instruction fiscale.