Les autorités de contrôle des marches des valeurs mobilières : Approche comparée France-Espagne (fr) (es)

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Bakary DJIKINE, Avocat
Janvier 2008


Liste de mots clés : Droit comparé ; droit espagnol ; droit français ; marchés financiers ; autorités de régulation ; CNMV ; AMF ; création ; organisation ; fonctions

LEY 24/1988, DE 28 DE JULIO, DEL MERCADO DE VALORES(LMV), TITULO II.
Traduction :Loi Espagnole sur les marchés de valeurs mobilières



Résumé : 
La loi sur le marché des valeurs mobilières espagnoles est née d’une nécessité de réforme profonde du système financier espagnol. Le présent texte est un extrait de la loi espagnole de 1988 qui a institué une entité de droit public chargé de la régulation des marchés la CNMV ou Commission Nationale des Marchés de Valeurs mobilières, elle sera aussi souvent que possible mise en parallèle avec son équivalent français l’autorité des marchés financiers instituée en 2003 par la loi du 1er Août sur la sécurité financière née de la fusion de deux institutions préexistantes à savoir la Commission des opérations de Bourses et le Conseil des marchés financiers. On peut penser que la grande différence entre ces deux institutions réside dans leur degré d’indépendance en effet la CMNV reste particulièrement rattaché à l’administration espagnole alors que l’AMF jouit d’une indépendance forte depuis sa création.



Introduction :

Le marché financier, en ce qui concerne sa régulation en droit communautaire et en droit espagnol, se doit être divisé en trois grands secteurs qui sont les règles de droit relatives au marché bancaire, au marché des assurances et au marché des valeurs mobilières (mercado de valores).


Le titre II de la loi espagnole sur le marché des valeurs mobilières concerne la « Comisión Nacional del Mercado de Valores » (CNMV) (www.cnmv.es [1]) qui est l’équivalent ibérique de l’Autorité des marchés financiers (AMF) dont le régime juridique est codifié aux articles L 621-1 et suivants du Code monétaire et financier.


Cet extrait législatif est intéressant dans une perspective de droit comparé dans la mesure où l’on pourra comparer les fonctions, la composition et les attributions des autorités de régulation des marchés financiers de deux pays européens dits de droits continentaux, par opposition aux systèmes juridiques de Common Law.


L’on pourra en effet comparer les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de leur mission : par exemple la Comisión Nacional de los Mercados de Valores (CNMV) face à la fragmentation du marché espagnol des valeurs mobilières dû au modèle territorial quasi-fédéral de communautés autonomes, que constituent les régions espagnoles fortement décentralisées à l’instar des Landers allemands.


Dans la décision du tribunal constitutionnel espagnol STC 133/1997, du 16 juillet 1997, la Cour constitutionnelle espagnole se prononce clairement contre cette fragmentation du marché financier en faveur du principe d’unité en reconnaissant le rôle de l’Etat en contraste avec celui des communautés autonomes espagnoles dans le marché des valeurs mobilières à travers la Comisión Nacional de los Mercados de Valores (CNMV).


En revanche un état unitaire comme la France à travers l’autorité des marchés financiers ne se heurte pas exactement aux mêmes difficultés dans la mesure où l’Autorité des Marchés Financier n’est pas concurrencée par d’autres autorités régionales.


Le titre II de la loi espagnole de 1988 sur le marché des valeurs mobilières se décompose en deux chapitres : le premier concerne la création d’une nouvelle entité de droit public dans l’ordre juridique interne espagnol avec une personnalité et une capacité juridique propre (article 14 LMV), alors que le second est relatif à l’organisation de cette nouvelle autorité espagnole des marchés financiers. Il parait important de noter la composition tripartite de la CNMV, alors que l’Autorité des Marchés financiers jouit d’une structure bicéphale.

Première partie : Création et fonction des autorités Française et Espagnoles de régulation des marchés financiers:

Contexte de la création :

La nécessité d’une réforme globale du marché de valeurs mobilières espagnol, due à de multiples problèmes d’articulation et de nombreuses carences, a été mise en relief depuis la Commission pour l’étude du marché de valeurs de 1978.


La Commission Nationale du Marché de valeurs mobilières : CNMV est instituée par la présente Loi du marché des valeurs mobilières (Ley del Mercado de Valores 24/1988), en effet la création de cette nouvelle institution des marchés financiers espagnols est la pièce maîtresse de la restructuration d’un des pans du système financier. Dans le contexte du droit espagnol il s’agissait aussi principalement de doter le système financier espagnol d’outils juridiques adaptés aux exigences du futur marché européen des capitaux dans l’optique du traité de Maastricht de 1992, par conséquent la CNMV constitue la première autorité de la sorte dans l’ordre juridique espagnol ; il s’agit donc d’une réforme de profondeur.


En revanche, l’AMF ou Autorité des Marchés Financiers français est née de l’idée d’une simplification de l’organisation du système financier français par une fusion des autorités déjà existantes qu’étaient le Conseil des marchés financiers (CMF) et la Commission des Opérations de Bourse (COB), cette création a été mise en œuvre par la Loi sur la sécurité financière du 1 Août 2003, l’autorité française est donc plus récente et en tout cas n’a pas bouleversé le système financier français en profondeur.

Fonctions et compétences :

L’objectif de la CNMV réside dans la supervision et l’inspection des marchés de valeurs mobilières, elle dispose de divers outils d’origine légale pour arriver à ce but, parmi lesquels un pouvoir de sanction. La CNMV veille à la transparence et à la correcte formation des prix par ce biais elle assure la protection des investisseurs.


Les missions de son homologue français l’AMF : Les missions de l’Autorité des Marchés Financiers sont assez similaires dans la mesure où elles consistent, selon l’article 621-1 du Code monétaire et financier, en la surveillance de l’appel public à l’épargne, en l’information des investisseurs et en la surveillance du bon fonctionnement des marchés.


Dans l’ordre juridique interne espagnol la loi 35/2003 du 4 novembre, qui déroge à la loi 46/1984 du 26 décembre régulatrice des prestataires de services financiers met en exergue dans les articles 10 à 14 la fonction d’inspection de contrôle et d’autorisation de la CNMV sur les prestataires de services financiers.


Aussi la loi 44/2002, de mesures de réformes du système financier, constitue un complément intéressant de la Loi du marché des valeurs mobilières de 1988(LMV 24/1988) en ce qui concerne les fonctions de la CNMV, grâce à la création d’une Commission de défense des investisseurs aux articles 22 à 28. Une notification à la CNMV de toute opération réalisée sur les marchés financiers par le personnel de la Commission est également prévue à l’article 18.


Enfin, la jurisprudence espagnole délimite l’exercice des fonctions de la CNMV dans le cadre étatique (a) mais aussi dans une orbite qui n’existe pas en droit français c'est-à-dire la compétence de la CNMV dans le cadre des Communautés Autonomes (b).


a) L’arrêt du Tribunal Suprême espagnol du 20 juin 2003(STS du 20 juin 2003, RJ 2003,6366) en est une illustration, en effet, une SARL allemande négociait des valeurs mobilières en Allemagne mais l’activité commerciale avait sa source en Espagne par l’intermédiaire d’une succursale chargée de la souscription des titres, donc cela est suffisant pour l’application de la loi espagnole de 1988 et par conséquent la CNMV est compétente pour toute commercialisation de valeur sur le territoire national.


b) Dans la célèbre décision du Conseil Constitutionnel espagnol du 16 juillet 1997(STC 16 Julio 1997, RTC 1997,133) le juge constitutionnel espagnol clarifie les compétences de la CNMV au niveau étatique et au niveau local, c'est-à-dire au niveau des Communautés autonomes. On peut observer ici que le modèle territorial espagnol (article 148 de la Constitution espagnole de 1978) est la raison de ce dédoublement de compétence, phénomène que l’on observe pas en droit français car la République française est indivisible (article 1er de la Constitution française de 1958). Voici quelques extraits traduits de cette décision : « La loi (de 1988 sur le marché de valeurs mobilières) ne dit pas que les Communautés Autonomes qui ont compétence en la matière et qui ont établi ou établiront dans le futur des marchés de valeurs ne peuvent pas veiller à la réalisation des mêmes objectifs » (que l’Etat) –c'est-à-dire transparence dans les marchés, la correcte formation des prix, et la protection des investisseurs-, «  mais seulement que l’Etat surveillera son application, une fonction qui entre dans sa compétence afin d’établir une base normative commune »


Fonction supplémentaire, la fonction consultative de l’article 13 LMV : La CNMV conseille le gouvernement, le ministère de l’économie et des finances, et les organes des Communautés autonomes, par ailleurs elle établit un rapport annuel sur ses activités et sa situation actuelle. On constate que les conseils sont donnés tant au niveau étatique qu’autonomique, alors que l’on ne trouve pas de trace de la fonction de Conseil en tant que tel dans le Code monétaire et financier français.

Nature juridique :

La CNMV est définie dans cette loi comme une entité de droit public avec une personnalité juridique propre et pleine capacité juridique publique et privée. Les fonctions publiques de cette entité sont soumises au régime général des administrations publiques espagnoles. Les contrats qu’elle conclut sont des contrats administratifs, cependant les acquisitions patrimoniales sont soumises au droit privé.


On constate donc que la CNMV est pleinement reliée à l’administration publique espagnole alors que son homologue français est une autorité publique indépendante également dotée de la personnalité morale, d’un pouvoir réglementaire, et d’un pouvoir de sanction mais l’AMF jouit d’une plus grande indépendance qui est renforcée par l’abandon du rattachement administratif qui caractérisait les institutions précédentes.


Le pouvoir réglementaire :

L’article 15 est fondamental puisqu’il donne base légale au pouvoir réglementaire de la CNMV, les dispositions prises sont dénommées « circulaires » et sont approuvées par le Conseil de la CNMV : Ces circulaires ne peuvent être prises que sur habilitation expresse de la loi car elles constituent des développements des normes contenues dans les décrets (Reales decretos) approuvés par le gouvernement et les Instructions (Ordenes) du Ministère de l’économie et des finances.


Une question très importante pour l’ordre juridique espagnol est réglée à propos de ce pouvoir réglementaire, une conséquence encore une fois du modèle territorial quasi-fédéral du Royaume d’Espagne : en effet dans la décision du tribunal constitutionnel espagnol déjà citée :STC 16 juillet 1997, RTC 1997,133, le juge constitutionnel décide que le pouvoir réglementaire d’origine légale de la CNMV ne porte pas atteinte aux compétences de la communauté autonome dénommée «Généralité »ou Région Catalogne en matière de marché de valeur mobilières. On voit mal comment une question similaire pourrait se poser dans le cadre de la République française ou les Régions malgré la décentralisation de 1982 n’ont pas de compétence en matière de marché de valeurs mobilières (fondement de droit numéro sept de la dite décision).


Deuxieme partie : Organisation de la commission nationale du marché de valeurs mobilières et de l'autorité des marchés financiers:

Comme en droit français tous les membres de la CNMV sont soumis au système d’incompatibilité (article 21), au mécanisme de prévention des conflits d’intérêts (article 14).


Le conseil : composition, attributions :

Le Conseil de la CNMV exercera les compétences que lui attribuent la présente loi, le gouvernement, ainsi que le ministère de l’économie et des finances, selon l’article 17 de la présente loi. Le Conseil est composé d’un président et d’un vice-président, puis du directeur général du Trésor et le Sous-gouverneur de la Banque d’Espagne, ainsi que de trois conseillers nommés par le ministère de l’économie et des finances, et enfin fera partie du Conseil un Secrétaire qui pourra s’exprimer mais n’aura pas le droit de vote.


Tout comme le Collège de l’AMF, le Conseil est l’organe décisionnel de la CNMV puisqu’il approuve les circulaires de l’article 15, le règlement intérieur, l’avant-projet de budget de la CNMV, aussi il constitue le Comité exécutif, nomme les cadres supérieurs de la CNMV et approuve les rapports annuels. Cependant, la grande différence avec l’AMF est le défaut de présence de membres professionnels conformément à l’article 621-1 du Code monétaire et financier.


Le président. Fonctions :

Le président de la CNMV est nommé par le gouvernement sur proposition du ministre de l’Economie et des finances, tout comme le président de l’AMF est nommé par décret. Il existe une différence sensible au niveau du mandat des présidents des autorités régulatrices des marchés financiers des deux pays européens. En effet, la durée du mandat du président espagnol est de 4 ans renouvelable une fois, alors que celle du président de l’AMF est de 5 ans non renouvelable


Le président de la CNMV assure la représentation légale de l’entité, convoque les sessions ordinaires et extraordinaires du Conseil et du Comité exécutif, dirige et coordonne les actions de tous les organes directifs de la CNMV, conclut les contrats en son nom, il est le chef de service de tout le personnel de la CNMV,il est également l’ordonnateur des dépenses et recettes de l’organisme alors que dans l’AMF ce rôle est confié au Secrétaire Général, mais il peut également exercer toute attribution que lui délègue le Conseil : à ce titre l’accord du 24 Février 2004 du Conseil de la CNMV énumère les matières diverses et variées dans lesquels le président peut faire l’objet d’une délégation de pouvoirs par le Conseil.


Le vice-président :

Le vice-président substitue le président en cas de vacance, absence, ou maladie, mais aussi il préside le Comité consultatif de l’article 22, ensuite il fait partie du Comité exécutif et enfin il exerce les fonctions que lui délègue le président ou le Conseil de la CNMV.


Comité exécutif :

Le Comité exécutif est composé du président, du vice-président, et des conseillers prévus à l’article 17 de la présente loi.


Il a la charge de préparer et d’étudier les affaires soumises au Conseil, d’émettre un rapport et de délibérer sur les affaires que lui soumet le président, approuver les acquisitions patrimoniales de la CNMV.


Comité consultatif :

Le Comité consultatif est l’organe qui assiste le Conseil. Là encore, il est important de souligner une différence avec le droit français : en effet, parmi les conseillers du Comités sont représentés des membres de tous les marchés secondaires officiels, ainsi que les membres des Communautés autonomes avec des compétences en matière de marché financier.


Bibliographie:

  • Tapia Hermida, Alberto Javier, Derecho del mercado de valores, 2ème édition, Calamo, Barcelona, 2003.
  • Mercado de valores, V.Cuñat Edo, F. Gonzalez Castilla, María Angeles Cuenca García, Isabel Rodriguez Martinez,THOMSON ARANZANDI.
  • STC 16 de Julio 1997 (RTC 1997, 133), relativa a los recursos de inconstitucinalidad.
  • Thierry Bonneau et France Dumont, droit des marchés financiers, deuxième édition, economica.
  • Financial and marckets act (2000) Chapter C 8, commentaire de Eric Peloux, promotion MBDE 2006-2007.
  • Thierry Bonneau, droit bancaire, 7ème édition, Montchrétien, 2007.

www.amf-france.org

www.cnmv.es