Les nouvelles règles du jeu de la fiscalité internationale: transparence, projet BEPS et conventions multipartites (int)

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition fiscale


La Commission "Fiscal et douanier" du barreau de Paris, sous la coresponsabilité de Monsieur Louis-Marie Bourgeois et Monsieur Alain Theimer, organisait le 22 février 2016, une réunion sur le thème "les nouvelles règles du jeu de la fiscalité internationale: transparence, projet BEPS et conventions multipartites", animée par Eve Obadia et Alain Theimer, Avocats à la Cour, avec la participation en tant qu'intervenant principal de Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte rendu de ce col-loque.





– Présentation des nouvelles normes éditées par l'OCDE

Ces dernières années, les règles du jeu ont complètement changé en matière de fiscalité internationale. La première évolution majeure est la généralisation de l'échange automatique d'informations (I), c'est-à-dire la fin du secret bancaire, tant pour les personnes physiques, qui détiennent des comptes directement ou au travers de structures, que pour les personnes morales. La deuxième évolution majeure est la mise en place du projet BEPS (II) (notamment le reporting pays par pays déjà adopté en France). Enfin, la troisième évolution consistera en la prochaine apparition des conventions multipartites (III), qui vont effectivement mettre un terme au chalandage fiscal consistant à utiliser des conventions bilatérales, passées entre plusieurs Etats, pour profiter d'avantages fiscaux par l'intermédiaire d'une optimisation internationale. Ainsi, les conventions multipartites permettront d'avoir une norme internationale standardisée.

L'échange de renseignements et la fin du secret bancaire

La crise financière a permis de relancer l'intérêt porté par les hommes politiques sur la fiscalité internationale. Pourtant, la fiscalité ne touche pas le domaine financier et est soumise pleinement à la souveraineté des Etats. La collaboration au sein des pays du G20 n'était donc pas évidente au premier abord.


L'échange de renseignements et la fin du secret bancaire furent les premiers sujets abordés par le G20 en 2008, qui demanda à l'OCDE d'avancer sur ces questions et de s'attaquer à tous les pays pratiquant le secret bancaire, et pas seulement aux "petits" paradis fiscaux, notamment des Etats membres de l'OCDE comme l'Autriche ou la Suisse. Ainsi, ces Etats, qui faisaient partis d'une liste rendue publique en avril 2009, ont signé avec l'OCDE des accords d'échange de renseignements. L'Organisation a tenté de s'adapter à chaque situation et par exemple a signé avec la Suisse, le 13 avril 2009, un accord autorisant un échange de renseignements à la demande. Par la suite, un forum mondial a été mis en place afin de collecter et de standardiser ces premiers échanges d'informations, car l'accès à ces informations par les administrations fiscales s'est avéré complexe. Par conséquent, ces échanges devaient être étendus tout en garantissant la confidentialité des informations.

Plus on avance vers la transparence, plus il faut protéger la confidentialité de l'information pour éviter des relations tendues entre Etats. Il ne faut donc pas aller trop loin dans les moyens de répression pour lutter contre la fraude afin de poursuivre sereinement et efficacement la marche vers la transparence fiscale.

A ce jour, le seul Etat appliquant strictement la politique du secret bancaire reste le Liban. Quant aux Etats-Unis, la réciprocité sur les échanges d'informations est loin d'être parfaite, mais cette situation ne serait que temporaire.

Avec l'abolition du secret bancaire, le changement de paradigme s'est opéré, il devient inévitable et sera totalement au point d'ici 2018 au maximum. Les fraudeurs ne pourront plus se cacher. Ce changement a déjà été appréhendé par les contribuables qui déclarent massivement leurs fonds situés à l'étranger, sans forcément les rapatrier.

La mise en place du projet BEPS

En 2012, les règles de la fiscalité internationale ne fonctionnaient plus et allaient forcément se retourner contre les Etats, mais également contre les entreprises qui pratiquaient la planification fiscale agressive à court terme. En effet, les Etats, constatant leurs pertes budgétaires, auraient rapidement cessé d'être fiscalement liés entre eux, que ce soit par des conventions bilatérales, ou par l'intermédiaire d'organisations internationales, et auraient adoptés des mesures protectionnistes au détriment du développement des entreprises. Il fallait, en conséquence, établir un modèle à suivre cohérent permettant de trouver un consensus. Ainsi, en juin 2012, dans le cadre du G20, l'OCDE a proposé le projet de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), afin de fournir aux Etats des solutions pour éliminer les brèches qui subsistent au sein des règles internationales en vigueur. Ce projet a été présenté aux chefs d'Etat, en septembre 2013, au G20, à la suite duquel a été développé par l'OCDE le plan d'action BEPS contenant quinze mesures. Ce plan d'action se scinde en trois parties. La première consiste à neutraliser les cas de double non-imposition dus à un manque d'entente entre les Etats, ou encore à mettre fin à la pratique des rulings. La deuxième consiste à régler, fixer et réparer les instruments existants comme les conventions fiscales ou les règles concernant les prix de transfert, en y incluant notamment des dispositifs anti-abus ou bien le reporting, puis la troisième consiste en l'apparition d'une nouvelle procédure amiable.

Ces mesures ont été présentées au G20 du 15 novembre 2015. Elles ont fait l'objet d'une négociation et d'un compromis entre 44 pays dans 8 Etats membres du G20 et non-membres de l'OCDE. Ce projet est alors devenu effectif en raison notamment de fortes pressions politiques, et du fait que celui-ci était trop important et nécessaire pour ne pas échouer ("too big to fail").

A ce jour, le projet BEPS est au stade de l'application concrète. Moins de trois mois après le dernier G20, la grande majorité des Etats a déjà, par exemple, adopté le reporting pays par pays. La deuxième phase de l'application serait que cet accord G20/OCDE devienne un accord mondial, pour que tout le monde (notamment les paradis fiscaux) participe sur un pied d'égalité à l'élaboration des standards.

La mise en place d'une convention multilatérale

Dans un but de faciliter l'harmonisation des nouvelles normes entre les Etats, l'OCDE s'est engagée dans un proces¬sus de rédaction d'une convention multilatérale type afin de s'attaquer au système des conventions bilatérales (il en existe 3 600). Aujourd'hui, 96 pays participent à la négociation de cette convention multilatérale, ce qui représente plus de 2 000 conventions bilatérales qui seraient remplacées par un modèle type, ratifié fin 2017. Pour conclure, après la mise en place de ces nouvelles normes, l'OCDE prévoit, afin de favoriser la croissance économique, de créer une politique fiscale favorable à l'investissement, de réadapter l'impôt sur les sociétés, et de réduire les incertitudes fiscales.


– Critiques du système

La première critique est l'absence de caractère contraignant et de sanction dans le projet BEPS. En effet, les Etats soumis à cet accord G20/OCDE sont souverains et il n'est pas possible, par définition, qu'une communauté internationale puisse prévoir efficacement des sanctions applicables dans chaque Etat. Ainsi, se substituent aux sanctions les dynamiques politiques, c'est-à-dire la simple volonté de ne pas violer les principes fondamentaux du droit internationale public (pacta sunt servanda). Les Etats, par la signature de cet accord, ont changé concrètement leurs législations et échangent les informations qu'elles détiennent avec les autres Etats signataires, même les paradis fiscaux réputés opaques comme le Panama (qui est un des cinq Etats à encore pratiquer l'échange à la demande et non l'échange automatique). Seul le Liban, Etat à secret bancaire strict, n'a pas encore modifié sa législation.

L'appui du G20 dans son ensemble, en faveur de l'application des nouvelles normes, a également apporté de la crédibilité. Ces Etats, qui ont aidé les banques avec de l'argent public pendant la crise, ne voulaient plus du tout voir ces dernières favoriser l'évasion fiscale.

La seconde critique concerne la transparence et l'accès à l'information, notamment par les avocats fiscalistes. Lors de l'élaboration du standard de l'échange de renseignements à la demande, s'est posée la question du droit des contribuables. Il fallait protéger la confidentialité de l'information, mais cela ne devait pas non plus être un obstacle à la communication effective de renseignements. Pour répondre à cette critique, il convient de rappeler que les Etats, depuis de nombreuses années, ont cédé une bonne partie de leur souveraineté au travers de nombreux accords économiques, toutefois, sans jamais s'intéresser à la question de la fiscalité. Il existe donc une contradiction entre l'ouverture actuelle des frontières, et l'absence de régulation fiscale. Dès lors, le renforcement de la coopération fiscale n'est intervenu, selon Pascal Saint-Amans, qu'après coup. Il était donc nécessaire de trouver un juste équilibre.

Sur l'échange automatique de renseignements, la question qui se pose est de savoir si deux administrations fiscales peuvent librement s'échanger des données et si la confidentialité reste protégée. A ce jour, le standard prévoit que ce sont les Etats eux-mêmes qui se chargent d'établir des consensus sur leur niveau d'échange afin de préserver au maximum la confidentialité. En pratique, les Etats les plus questionnés sont aussi ceux qui sont les plus soucieux de la préservation de la confidentialité de l'information.

Pour Pascal Saint-Amans, il faut absolument "protéger la confidentialité pour ne pas tuer l'échange de renseigne-ments". Les informations, et notamment le reporting pays par pays, ne doivent pas être publics. Un prestataire informatique unique aurait été mandaté afin de mettre en place un mode opératoire commun à tous les Etats permettant des échanges de renseignement par chiffrement. Cette solution sera plus économique et permettra une meilleure lisibilité des informations par tous les Etats concernés.

En conclusion, le projet BEPS devrait mettre fin au taux d'imposition sur les sociétés à 0 % que l'on peut retrouver par exemple aux Bermudes ou au travers de pratiques opaques de type rulings luxembourgeois. La future norme voudrait que les premières puissances économiques appliquent un taux d'IS entre 20 et 30 %, et que les autres Etats appliquent un taux d'IS entre 12,5 et 20 %.