Mesures provisoires en matière de protection internationale, relocalisation des migrants, situation d’urgence (eu)

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Arrêt de Grande Chambre de la Cour de justice de l'union européenne
Septembre 2017





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Mots clés: mesures provisoires, protection internationale, TFUE, règlement Dublin III, Hongrie, Slovaquie, Grèce, Italie





Saisie d’un recours en annulation par la Slovaquie et la Hongrie à l’encontre de la décision 2015/1601/UE instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (ci-après « la décision »), la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a, notamment, interprété l’article 78 §3 TFUE relatif aux mesures pouvant être adoptées par les Etats membres en cas de situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissant de pays tiers.


Dans l’affaire au principal, les requérants contestaient la décision temporaire du Conseil de l’Union européenne, prise en réponse à la crise migratoire qui a frappé l’Europe au cours de l’été 2015, prévoyant la relocalisation depuis l’Italie et la Grèce de 120 000 demandeurs de protection internationale vers les autres Etats membres. La décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 78 §3 TFUE. Une proposition initiale de la Commission prévoyait la relocalisation des demandeurs d’asile au départ de l’Italie, la Grèce et la Hongrie. Au cours des négociations au Conseil, la proposition initiale de la Commission a été modifiée sur certains points, notamment la qualification de la Hongrie en tant qu’Etat membre situé en première ligne, au même titre que l’Italie et la Grèce. La proposition modifiée a finalement été adoptée, après consultation du Parlement européen, à la majorité qualifiée.


Les requérantes reprochent au Conseil d’avoir choisi une base légale inappropriée, d’avoir commis des erreurs procédurales ainsi que d’avoir violé le principe de proportionnalité.


Sur les moyens d’ordre procédural

– Devant la Cour, les parties requérantes soulevaient que la décision adoptée devait être qualifiée d’acte législatif, en ce qu’elle modifie le règlement 604/2013/UE établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (ci-après « le règlement Dublin III »), alors que l’article 78 §3 TFUE permet seulement au Conseil l’adoption d’actes non législatifs. La Cour rejette le moyen et considère que l’article 78 § 3 TFUE ne comporte aucune référence expresse à la procédure législative ordinaire ou spéciale. Ainsi, toute mesure provisoire adoptée selon la procédure de l’article 78 §3 TFUE constitue un acte non législatif. A cet égard, la Cour précise que la notion de « mesure provisoire » ne saurait recevoir une interprétation restrictive en ce que cela priverait la disposition de son effet utile qui a pour objet de doter l’Union d’outils efficaces pour répondre de manière effective à une crise migratoire. La Cour conclut donc qu’en adoptant un acte non législatif apportant une modification temporaire à un règlement, le Conseil n’a pas contourné la procédure législative ordinaire.


– En ce qui concerne les erreurs procédurales alléguées, les parties requérantes invoquent le non-respect de la limitation temporelle posée par l’article 78 §3 TFUE, des conditions d’application de l’article, de l’obligation de consultation du Parlement et de l’obligation du Conseil de statuer à l’unanimité. S’agissant du non-respect de la limitation temporelle, la Cour rappelle que l’article 78 §3 TFUE ne prévoit plus de limite temporelle fixe. L’emploi du terme « temporaire » est destiné à laisser au Conseil une large marge d’appréciation. En l’espèce, la Cour considère qu’un délai de vingt-quatre mois, assorti d’une prolongation de maximum douze mois est raisonnable et justifié étant donné que la relocalisation des immigrés est une opération inédite et complexe nécessitant un certain temps de préparation.


S’agissant des conditions d’application de l’article 78 §3 TFUE, notamment l’existence d’une « situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers », la Cour précise que l’afflux auquel l’Europe a fait face durant l’été 2015 peut être qualifié de « soudain » au regard de son ampleur et de son imprévisibilité. Il est également non contestable au regard des chiffres cités par la Cour que cet afflux soudain est la cause de la situation d’urgence à laquelle l’Europe a dû faire face.


– S’agissant de l’obligation de consultation du Parlement, la Cour rappelle que son non-respect entraine la nullité de l’acte adopté. A cet égard, elle constate cependant que toute modification substantielle apportée à la décision a été présentée par le Président du Conseil devant le Parlement. Il ne peut donc pas être reproché au Conseil d’avoir manqué à son obligation de consulter le Parlement.


– S’agissant du processus d’adoption de l’acte, l’article 293 TFUE apporte une double garantie. Le premier paragraphe exige l’unanimité au Conseil si celui-ci souhaite amender la proposition de la Commission et le deuxième empêche la Commission de modifier sa proposition tant que le Conseil n’a pas statué. La Cour souligne que ces garanties doivent être appréciées avec une certaine souplesse afin d’atteindre une convergence de vues entre les institutions. A cet égard, la Cour constate que la Commission a été représentée par deux membres habilités par le collège des commissaires lors des réunions avec le Conseil en vue d’approuver les modifications de sa proposition initiale et adopter la décision finale. Partant, la Cour conclut que le pouvoir d’initiative protégé par l’article 293 §2 TFUE n’a pas été violé.


Sur le contrôle de proportionnalité

– La Cour considère que le mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée ne constitue pas une mesure qui serait manifestement impropre à contribuer à atteindre l’objectif qu’elle poursuit, à savoir aider la Grèce et l’Italie à faire face aux conséquences de la crise migratoire de 2015. La Cour rappelle, tout d’abord, que la décision s’inscrit dans un ensemble de mesures adoptées afin de renforcer la capacité, la qualité et l’efficacité des régimes d’asile de la Grèce et de l’Italie et que, selon une jurisprudence constante, l’efficacité de cette décision ne saurait être évaluée de manière rétrospective. En l’espèce, le Conseil s’est livré à un examen détaillé des statistiques disponibles et à une analyse objective des effets potentiels de la mesure au regard de la situation d’urgence.


– En outre, la Cour juge, en rappelant le contexte particulier dans lequel la décision a été adoptée, que celle-ci était nécessaire au regard de l’objectif à atteindre. Il ne saurait être considéré que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que la situation d’urgence dans laquelle se trouvaient la Grèce et l’Italie nécessitait la relocalisation de 120 000 personnes. Le Conseil a estimé à bon droit, dans le cadre de la large marge d’appréciation qui lui est reconnue en la matière, qu’une mesure contraignante s’imposait en vue de l’échec de la répartition par consensus de 40 000 personnes adoptée auparavant.


– Dernièrement, à titre subsidiaire, la Hongrie soutenait que la décision méconnaît le principe de proportionnalité à son égard, en ce que, au regard de la pression migratoire à laquelle elle fait également face, celle-ci ne devrait pas figurer parmi les Etats membres de relocalisation. A cet égard, la Cour rappelle à la Hongrie que c’est à sa demande que celle-ci a été placée au rang des bénéficiaires de la relocalisation. En conséquence, il ne peut être reproché au Conseil d’avoir, conformément au principe de solidarité énoncé à l’article 80 TFUE procédé à une relocalisation égale entre les Etats membres.


Partant, aucun des moyens soulevés par la Slovaquie et la Hongrie ne peut être accueilli et la Cour rejette donc les recours.


(Arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie / Conseil et Hongrie / Conseil, aff. jointes C-643-15 et C-647/15)