Nullité de la clause d'un crédit obligeant l'emprunteur à rembourser la banque en monnaie étrangère (fr)

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Anthony Bem

Avocat à la Cour

Juin 2017



Le 6 avril 2017, la Cour d'appel de Metz a annulé un crédit qui comportait une clause d'un contrat de crédit obligeant l'emprunteur à payer son échéance de remboursement de l'emprunt en monnaie étrangère (Cour d'appel de Metz, première chambre civile, 6 avril 2017, n° 17/00104, Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine). En l'espèce, la banque a consenti un prêt qui avait pour objet de financer l'acquisition de parts d'une SCI, dont les actifs se situaient à Saint Martin, permettant une défiscalisation. Ce prêt était consenti in fine, et portait sur la contrevaleur en francs suisses. A la suite de la dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse, qui a débuté en 2010, le financement s'est révélé ruineux.

Or, le contrat de prêt stipulait expressément que le risque de change serait supporté en totalité par l'emprunteur.,Les emprunteurs ont assigné le Crédit Agricole devant le tribunal de grande instance de Metz notamment afin de voir prononcer la nullité du contrat et obtenir des dommages et intérêts. En effet, dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue, car portant atteinte au cours légal de la monnaie. Au cas présent, le contrat litigieux a été considéré comme un contrat interne, s'agissant d'un prêt conclu entre des parties toutes domiciliées en France, destiné à financer l'acquisition de parts de SCI dont les actifs étaient situés en France, dont le capital prêté était mis à disposition en France et dont les remboursements devaient s'effectuer également dans ce pays. Le crédit portait sur la contrevaleur en francs suisses d'une certaine somme en euros, assorti du taux de la devise sur le marché des changes à Paris, révisable à chaque échéance, et remboursable par des échéances égales à la contrevaleur en francs suisses de certaines sommes en euros.


L'offre était stipulée en ces termes :

« Le montant de la devise figurant dans l'offre sera vendu sur le marché des changes au cours du jour de la réalisation. Sa contrevaleur en euros sera portée au crédit du compte en euros de l'emprunteur ou au nom du notaire chargé d'authentifier le présent acte, deux jours ouvrés après cette cession conformément aux usages bancaires ;

  • au titre du remboursement : les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre :

- par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur. L'approvisionnement du compte en devises devra être effectué au plus tard trois jours ouvrés avant la date d'échéance.

- ou à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur. Il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme le risque de change.


Si le compte en euros n'est pas suffisamment approvisionné pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance. Cette créance en euros produira un intérêt de retard au taux contractuel majoré de trois points, jusqu'à complet remboursement.

  • au titre du remboursement anticipé : les remboursements anticipés s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre :

- par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l'emprunteur. L'approvisionnement du compte en devises devra être effectué au plus tard trois jours ouvrés avant la date de remboursement anticipé.

- ou à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur. Il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme le risque de change ».


Il en résulte que les échéances du prêt portaient non sur des sommes en euros mais sur la contrevaleur en francs suisses d'une certaine somme d'argent en euros et que le remboursement du prêt, tant des échéances qu'à titre anticipé, était expressément prévu comme devant intervenir en devises étrangères.

Deux modalités étaient à cet égard envisagées :

- soit l'utilisation des devises figurant au compte en devises ouvert au nom des emprunteurs,

- soit à défaut d'un approvisionnement suffisant de ce compte, l'achat des devises par le biais de leur compte en euros.


Il suit de là que pour assurer le paiement des échéances, les emprunteurs devaient alimenter leur compte en devises, en achetant au besoin par eux mêmes les devises nécessaires et en les déposant sur ce compte, ou en les faisant acheter par la banque par débit de leur compte en euros.

L'acquisition impérative de devises par le biais du compte en euros des emprunteurs faute d'un approvisionnement suffisant de leur compte en devises démontre que le prêt n'était remboursable qu'en monnaie étrangère, car si le prêt avait pu être remboursé en euros, il aurait suffi de débiter le compte en euros des emprunteurs sans que ceux-ci aient à supporter l'achat de devises et l'opération de change correspondante.

Ces modalités obligeaient dans tous les cas les emprunteurs à un remboursement en monnaie étrangère dès lors que la seconde imposait un change et faisait peser la charge du change sur ces derniers de sorte que c'est à tort que le Crédit Agricole prétend que la libération intervenait alors en euros.

Au surplus, la clause selon laquelle, faute d'un approvisionnement suffisant du compte en euros pour permettre l'achat de devises, le prêteur transformera le montant de l'échéance en euros au cours du jour de l'échéance avec application d'un intérêt de retard au taux contractuel majoré confirme que le contrat obligeait au jour de l'échéance à un remboursement en francs suisses.

En outre, les avis de débit du compte en euros des emprunteurs mentionnaient un montant libellé en francs suisses pour chaque échéance concernée, avec l'indication d'une contrevaleur en euros suivant le cours de change appliqué, d'une commission de change et d'un net débité en euros égal à la contrevaleur majorée de la commission de change, ce qui prouvait que le paiement de l'échéance avait été fait en francs suisses puisqu'une opération de change avait été effectivement pratiquée et que son coût avait été supporté par les emprunteurs.

Dans ce contexte, la cour a considéré que le franc suisse a été utilisé comme monnaie de paiement et que, contrairement à ce que soutient la banque, les emprunteurs n'avaient pas le droit de se libérer à leur choix en euros mais devaient impérativement le faire en francs suisses, et jugé que la clause en espèces étrangères du prêt litigieux devait être frappée de nullité.

Surtout, il est important de garder en mémoire que, selon la cour d'appel, la nullité de la clause contractuelle avait pour effet d'entraîner la nullité de l'ensemble du contrat de prêt car il s'agissait d'une clause déterminante du contrat sans laquelle celui-ci n'aurait pas été conclu.

La nullité ayant un effet rétroactif, elle implique de remettre les parties dans l'état où elles étaient avant la conclusion du contrat. Elle entraîne donc l'obligation pour chacune des parties de restituer l'intégralité des prestations qu'elles ont déjà reçu. S'agissant des emprunteurs, la nullité du prêt obligeait ces derniers à restituer la somme reçue par eux de la banque. Cependant, ils ont demandé et obtenu qu’ils ne soient le cas échéant débiteurs, par compensation, que de la différence entre les sommes débloquées à leur profit et tout règlement effectué par eux. Il résulte de cette décision qu'en présence de clauses de prêt en devises (montant du crédit, montant mis à disposition, montants à rembourser, intérêts), tel le franc suisse, ou l'euros indexé sur le franc suisse, le prêt est nul.

Par ailleurs, la banque a vainement tenté d'opposer la prescription de la demande de la nullité fondée sur le remboursement en francs suisses. En effet, la demande tendant à faire constater le caractère abusif d'une clause n'est soumise à aucun délai de prescription.