Petite affaire et grands principes : une coupure d’eau est illégale malgré le vol préalable de l’eau, commentaire sur l’ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Nanterre du 15 janvier 2018 (fr)

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Daniel Kuri, Maître de Conférences de Droit Privé, Université de Limoges (O.M.I.J.)
Janvier 2018


Correction (le 16 SEPTEMBRE 2020) = Cette décision du TGI de Perpignan a été frappée d'appel et doit donc être re-jugée par la cour d'appel de Montpellier 


Mots clefs : Droit à un logement décent, réductions de débit d’eau, "lentillage", loi« Brottes » du 15 avril 2013


Tel est l’enseignement de l’ordonnance de référé du 15 janvier 2018 rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre.


Les faits de l’espèce étaient, en eux-mêmes, simples mais devaient être envisagés à l’aune d’autres faits qui avaient été l’objet de poursuite au pénal et d’une condamnation pour vol par la Tribunal de grande instance de Perpignan le 11 janvier 2018.


À la suite d’une facture impayée, la société X avait procédé, à la fin de l’année 2005, à la fermeture du branchement d’eau de Madame A. Cette dernière avait ensuite bénéficié de l’eau provenant d’un branchement illégal réalisé par son ex-mari. Le 8 décembre 2016, la société X avait bétonné le branchement et porté plainte pour vol d’eau.


Par acte du 30 octobre 2017, Madame A, Monsieur B (son fils), la Fondation FRANCE-LIBERTES et l’association Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE ont alors assigné en référé la société X en demandant au juge des référés de dire et de juger que l’interruption de la distribution d’eau effectuée par la société X au domicile de Madame A. depuis 2013 et le refus de rouvrir le branchement constituaient un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.


Madame A a, en définitive, été condamnée pour vol par le TGI de Perpignan le 11 janvier 2018 [1] avant le prononcé de l’ordonnance de référé rendue par le TGI de Nanterre le 15 janvier 2018 enjoignant à la société X de rétablir l’eau.


La juxtaposition des deux jugements laisse à priori perplexe et peut, à priori, sembler contradictoire.


Pour revenir à la procédure intentée par Madame A, Monsieur B, la Fondation FRANCE-LIBERTES et l’association Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE devant le TGI de Nanterre, ceux-ci, lors de l’audience de plaidoirie du 11 décembre 2017, avaient donc demandé au juge de dire et juger que l’interruption de la distribution d’eau effectuée par la société X au domicile de Madame A depuis 2013 et le refus de rouvrir le branchement constituaient un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.


Les mêmes parties demandaient en conséquence aux juges de rejeter la demande indemnitaire de la X tendant à ce que Madame A soit condamnée à lui verser la somme de 2.626,36 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnité correspondant à l’eau consommée par vol d’eau entre 2005 et 2016 ; d’ordonner la réouverture du branchement en eau de la résidence de Madame A sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ; de faire interdiction à la X de procéder à la coupure du branchement en eau de Madame A sous astreinte de 200 euros par jour de retard en cas de violation de cette interdiction, et ce pendant une durée de deux ans.


Enfin, ils demandaient aux juges de condamner la société X au paiement de 26.500 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts pour le préjudice subi par Madame A du fait de l’interruption de l’alimentation en eau de sa résidence principale. La même demande était faite pour le préjudice subi par Monsieur B du fait de l’interruption de l’alimentation en eau de sa résidence principale.


Enfin, était demandée la condamnation de la société X au paiement de 1.000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts pour la Fondation FRANCE LIBERTES et la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE ainsi que la condamnation de la société X au paiement de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de l’instance.


Les parties, au soutien de leurs demandes, exposaient que Madame A, âgée de 49 ans, vit depuis longtemps dans une situation de précarité avec son fils de 22 ans Monsieur B et qu’en fermant le branchement en eau de Madame A en 2005 et en refusant de le rouvrir, en la privant totalement, elle et son fils, d’un accès à l’eau, la X a porté atteinte au droit fondamental à l’eau et, partant, à son droit à la vie et à la dignité, caractérisant un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser urgemment [2] .


En tout cas, depuis l’entrée en vigueur de la loi Brottes en 2013 [3] ,la société X aurait dû rouvrir le branchement.


Les mêmes parties soulignaient également que la société X refuse d’ouvrir le branchement au nom de son fils, B, alors même qu’elle lui a attribué un numéro client suite à sa demande d’abonnement ; qu’elle ne saurait, à cet égard, se prévaloir d’un motif légitime à son refus conformément à l’article L. 121-11 du Code de la consommation [4].


Enfin, quand bien même Madame A aurait volé de l’eau, ce qui n’est pas démontré, il ne s’agissait pas d’un motif légitime de refus de nouvel abonnement au regard de la particularité du contrat de distribution d’eau.


Par ailleurs, le risque d’un comportement illicite de la société X faisait craindre un dommage imminent pour Madame A qui justifie qu’il soit fait interdiction à la société X, sous astreinte de 200 euros par jour de retard en cas de manquement à cette interdiction, de couper le branchement en eau.


Aux termes de ses conclusions reprises à l’audience du 11 décembre 2017, la société X demandait au juge des référés, à titre principal, de rejeter l’ensemble des conclusions de Madame A, de la Fondation FRANCE LIBERTES, et de la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE ; de condamner Madame A à lui verser une somme de 2.626,36 € à titre de provision à valoir sur l’indemnité correspondant à 1’eau consommée par vol d’eau entre 2005 et 2016 ; de condamner solidairement les requérants à lui verser une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ; de condamner, enfin, solidairement les requérants à supporter les dépens de l’instance.


À titre subsidiaire, la société X demandait au juge des référés de rejeter la demande d’injonction de ne plus procéder à l’avenir à des mesures d’interruption ou de réduction de débit ; d’opposer une fin de non-recevoir à la demande d’indemnisation formulée pour le compte de Monsieur B ; de ramener à 1 euro symbolique le montant de l’indemnisation du préjudice moral subi par Madame A, la Fondation FRANCE LIBERTES ainsi que la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE ; de condamner Madame A à lui verser une somme de 2.626,36 € à titre de provision à valoir sur l’indemnité correspondant à 1’eau consommée par vol d’eau entre 2005 et 2016 ; de condamner solidairement les requérants à lui verser une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ; de condamner solidairement les requérants à supporter les dépens de l’instance.


Au soutien de ses prétentions, la société X faisait valoir que Madame A a pendant toute la période litigieuse bénéficié d’un vol d’eau à partir d’un branchement illégal ; que peu importe que le branchement ait été réalisé par Madame A ou par son ex-mari comme elle le prétend dans la mesure où elle ne pouvait ignorer qu’elle n’avait conclu aucun abonnement pour bénéficier de l’eau qu’elle consommait et qu’elle ne payait pas ; que le vol d’eau sera d’ailleurs être jugé par le Tribunal correctionnel de Perpignan le 11 janvier 2018.


La même société ajoutait qu’il serait conforme au droit et à l’équité d’empêcher la conclusion d’un contrat d’abonnement au service d’eau potable tant que le dol émanant du demandeur à l’abonnement, détecté avant la conclusion du contrat, n’aura pas été purgé [5]  ; qu’en conséquence le refus de conclure un nouvel abonnement avec Madame A tant qu’elle ne l’aura pas indemnisée du vol d’eau commis ne constitue pas un trouble manifestement illicite.


Enfin, la société X estimait qu’il ne relève pas de l’office du juge des référés d’enjoindre à une partie à l’instance de respecter la loi à l’avenir ; qu’ainsi que le Tribunal ne pouvait que rejeter intégralement la demande indemnitaire dirigée contre la X par une personne qui l’a volée ou a consommé de l’eau volée en toute connaissance de cause pendant presque 12 années et qui a attendu que le vol soit découvert et le branchement illégal fermé pour faire une demande de nouvel abonnement ; qu’elle sollicitait, à cet égard, une provision à titre d’indemnisation du vol d’eau qu’elle a subi.


À la suite de l’audience de plaidoirie du 11 décembre 2017, le juge des référés du TGI de Nanterre a donc rendu le 15 janvier une ordonnance concernant les différentes demandes des parties. Sous un intitulé sobrement intitulé « MOTIVATION », le juge va donc se prononcer sur les questions objet du litige.


« Sur la demande de réouverture du branchement en eau », le juge va estimer de façon très classique que « Selon les dispositions de l’article 809, alinéa premier, du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».


Le juge va également rappeler que « L’article L. 121-11 du code de la consommation dispose qu’est interdit le fait de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime ».


À l’aune de ces textes, le juge va alors considérer que « Pour seule preuve du comportement frauduleux de Madame A autre que ses propres courriers et son dépôt de plainte, la société X produit un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 28 octobre 2016. Or, ce constat ne fait que décrire les opérations de coupure en alimentation d’eau de l’immeuble occupé par Madame A et Monsieur B, réalisées par un représentant de la société X et reprendre les déclarations de ce dernier. »


Le juge nanterrois ajoute que « S’il ressort des constatations de l’huissier de justice qu’un branchement ‘‘ sauvage’’ semble avoir été réalisé au niveau du logement de Madame A, ce seul élément ne peut suffire à établir, avec l’évidence requise devant le juge des référés, la durée et l’étendue de l’éventuel vol commis par cette dernière. Il s’en déduit que la société X échoue à justifier d’un motif légitime de refuser la souscription par Madame A et Monsieur B d’un nouveau contrat d’abonnement à la distribution d’eau. »


En conséquence, selon le juge des référés, «  l’impossibilité pour Madame A et Monsieur B d’avoir accès à l’eau constitue un trouble manifestement illicite, qu’il convient de faire cesser en ordonnant, sous astreinte, la réouverture du branchement en eau de leur logement dans les conditions fixées au dispositif. »


« Sur la demande d'interdiction sous astreinte », le juge va considérer, de façon traditionnelle [6], que « L’alimentation en eau du domicile de Madame A et Monsieur B étant ordonnée sous astreinte, la preuve d’un dommage imminent lié à une éventuelle nouvelle coupure, qui ne peut se déduire du seul manquement passé de la société X à ses obligations, n’est pas rapportée ».


Le juge rejette en conséquence cette demande des parties.


« Sur les demandes de provision », le juge va commencer par rappeler très classiquement que conformément à l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.


Le montant de la provision allouée en référé n’ayant d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.


Enfin, le juge des référés fixe discrétionnairement à l’intérieur de cette limite la somme qu’il convient d’allouer au requérant.


Le juge va ensuite « remettre la balle au centre » en estimant tout d’abord qu’ « Il n’est pas contesté que Madame A est prévenue de faits de soustraction frauduleuse d’eau au préjudice de la société X et convoquée à l’audience correctionnelle du tribunal de grande instance de Perpignan le 11 janvier 2018 ». Il va en déduire que, « l’éventualité d’une compensation au titre d’une créance indemnitaire de la société X est en conséquence de nature à rendre sérieusement contestable les créances invoquées par Madame A et Monsieur B ».


Le juge va ensuite considérer que la société X ne justifie pas du quantum de son éventuel préjudice.


En définitive, le juge va rejeter les demandes respectives de provision de Madame A, de Monsieur B et de la société X.


Par ailleurs, « relevant que l’objet social de la Fondation FRANCE-LIBERTES reconnue d’utilité publique et celui de la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE ont pour but notamment d’assurer un soutien matériel aux personnes démunies et de promouvoir une gestion de l’eau ‘‘ démocratique, soutenable et équitable […] en lien étroit avec les usagers ’’ », le juge estime qu’il y a lieu de condamner la société X, qui succombe au principal, à payer à la Fondation FRANCE-LIBERTES et à la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE à titre provisionnel la somme de 1.000 euros chacune au titre de leur préjudice respectif.


« Sur les autres demandes », le juge considère qu’il n'est pas justifié de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile.


De prime abord, il se dégage de l’ordonnance de référé du 15 janvier 2018 rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre l’impression que le juge nanterrois est compréhensif et indulgent à propos de l’appréciation de la demande de rétablissement du débit d’eau – et au sujet de la demande de souscription d’un nouveau contrat d’abonnement à la distribution d’eau – dans le contexte bien particulier où la personne concernée avait été poursuivie et condamnée au pénal le 11 janvier 2018 par le Tribunal de grande instance de Perpignan pour vol d’eau !


À cet égard, cette ordonnance traduit la force du « droit à l’eau » et de l’obligation de fournir un produit ou un service qui s’imposent face à deux règles fondamentales : « Le pénal tient le civil en l’état » et l’autorité sur le civil de la chose jugée au pénal [7] .


Ainsi, l’article 809, alinéa premier, du Code de procédure civile fonde ici le droit à l’eau.


On observera, toutefois, que le juge des référés n’évoque aucunement les arguments des requérants selon lesquels «  en la privant totalement, elle et son fils, d'un accès à l’eau, la X a porté atteinte au droit fondamental à l’eau et, partant, à son droit à la vie et à la dignité, caractérisant un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser urgemment. » Ces derniers ajoutaient qu’ « En tout cas, depuis l’entrée en vigueur de la loi Brottes en 2013, 1a société X aurait dû rouvrir le branchement. »


De même, l’article L. 121-11 du Code de la consommation selon lequel il « est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime », est ici appliqué en faveur du consommateur qui s’était vu refusé sa demande d’un nouveau contrat d’abonnement à la distribution d’eau.


D’un strict point de vue juridique, le fait même que le juge civil ait jugé est cependant contestable car, connaissant dès l’audience de plaidoirie du 11 décembre 2017 la saisine du juge pénal pour vol, le juge civil aurait dû, à tout le moins, surseoir à statuer jusqu’à ce que le jugement soit rendu au pénal [8] .


Le juge aurait dû ensuite, en principe, appliquer la règle de l’autorité sur le civil de la chose jugée au pénal quitte à considérer que l’urgence et le caractère constitutionnel du droit à l’eau [9] permettaient au moins le rétablissement de celle-ci.


En revanche, la condamnation pour vol de Madame A, prononcée par le TGI de Perpignan le 11 janvier 2018, rendait difficile l’admission de sa prétention demandant le rétablissement d’un contrat d’abonnement eu égard au fait que le vol pouvait être assimilé au « motif légitime » évoqué par la fin de l’article L. 121-11 du Code de la consommation.


N’appliquant pas la règle de l’autorité du pénal sur le civil, le juge du TGI de Nanterre – pour évincer l’application éventuelle de la fin de l’alinéa 1er de l’article L. 121-11 du Code de la consommation, « sauf motif légitime » – va lui-même se prononcer sur le vol !


À ce propos, le juge va considérer que « Pour seule preuve du comportement frauduleux de autre que ses propres courriers et son dépôt de plainte, la société X produit un procès-verbal de constat d’huissier de justice du 28 octobre 2016. Or, ce constat ne fait que décrire les opérations de coupure en alimentation d’eau de l’immeuble occupé par Madame A et Monsieur B, réalisées par un représentant de la société X et reprendre les déclarations de ce dernier. »


Le juge nanterrois ajoute que « S’il ressort des constatations de l’huissier de justice qu’un branchement ‘‘ sauvage’’ semble avoir été réalisé au niveau du logement de Madame A, ce seul élément ne peut suffire à établir, avec l’évidence requise devant le juge des référés, la durée et l’étendue de l’éventuel vol commis par cette dernière. Il s’en déduit que la société X échoue à justifier d’un motif légitime de refuser la souscription par Madame A et Monsieur B d’un nouveau contrat d’abonnement à la distribution d’eau. ». Ce raisonnement est également critiquable car le juge civil n’a pas à se prononcer sur l’existence ou l’inexistence d’une infraction pénale.


On observera que les conseils des requérants étaient plus modérés dans leur argumentation puisqu’ils estimaient que, « quand bien même Madame A aurait volé de l’eau, ce qui n’est pas démontré, il ne s’agissait pas d’un motif légitime de refus de nouvel abonnement au regard de la particularité du contrat de distribution d’eau ».

Ce qui avait pour conséquence de déplacer astucieusement la question hors du droit pénal !


En définitive, le juge des référés n’a pas hésité à s’affranchir de plusieurs règles très classiques en prononçant son ordonnance [10] .


Le juge va être cependant plus prudent à propos de la question des demandes de provision.


Ainsi, le juge de Nanterre a considéré, à juste titre, selon nous, qu’il y avait une contestation sérieuse s’agissant de la provision demandée par Madame A.


Le juge a ainsi estimé qu’ « Il n’est pas contesté que Madame A est prévenue de faits de soustraction frauduleuse d’eau au préjudice de la société X et convoquée à l’audience correctionnelle du tribunal de grande instance de Perpignan le 11 janvier 2018 ». Il va en déduire que, « l’éventualité d’une compensation au titre d’une créance indemnitaire de la société X est en conséquence de nature à rendre sérieusement contestable les créances invoquées par Madame A et Monsieur B ».


En ce qui concerne la société X, le juge a simplement et sobrement considéré que celle-ci ne justifiait pas du quantum de son éventuel préjudice.


Dernière observation : nous avouons ne pas comprendre pourquoi le juge n’a pas accordé de frais irrépétibles, au titre l’article 700 du Code de procédure civile, à la Fondation FRANCE-LIBERTES et à la Coordination EAU-ILE-DE-FRANCE dans la mesure où ces dernières avaient gagné sur la demande principale de rétablissement de la fourniture d’eau sous astreinte.


En définitive, le juge aurait pu davantage respecter les règles qui régissent le rapport du procès civil avec le procès pénal en les conciliant avec le principe constitutionnel du droit à l’eau [11] .


En toutes hypothèses, reste la question délicate de l’obligation faite à la société X d’établir un contrat d’abonnement à la distribution d’eau à Madame A. Sur ce point, la position du Tribunal et son interprétation de l’article L. 121-11 du Code de la consommation nous semblent discutables.

À tout le moins, l’argumentation des avocats des requérants évinçant même le vol comme motif légitime de refus de nouvel abonnement au regard de la particularité du contrat de distribution d’eau [12] nous parait plus convaincante.


Notes

  1. 1 Le Tribunal l’a condamnée à une peine de prison avec sursis et à rembourser à la société X une consommation d’eau sur 12 ans!
  2. 2 Les parties évoquaient ici les principes réaffirmés par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, à propos de l’interdiction des coupures d’eau. Le Conseil constitutionnel s’était prononcé sur l’illégalité des coupures d’eau, en énonçant que le législateur « en prévoyant que cette interdiction [des coupures d’eau] s’impose quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, a, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013 susvisée, entendu s'assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau ; que le législateur, en garantissant dans ces conditions l’accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » (considérant n° 7).
  3. 3 Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Cette loi, dans son article 19, interdit à tout distributeur de couper l’alimentation en eau dans une résidence principale même en cas d’impayé et cela tout au long de l’année. C’est le même texte qui a institué aussi le principe de trêve hivernale pour l’électricité et le gaz, au bénéfice de tous les consommateurs sans distinction de revenus. Le décret n° 2014-274 du 27 février 2014 modifiant le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d'eau, pris pour l’application de l’article 19 de la loi précitée, de l’aveu de plusieurs commentateurs, n’a donné aucune explication concernant la portée de la disposition législative sur les coupures d’eau, voir en ce sens http:// eau-iledefrance/les-coupures-deau-pour-impayes-sont-illegales/ pour qui « Le décret a d’ailleurs été rédigé de manière à ne pas dire que les coupures d’eau sont désormais interdites ou qu’elles sont autorisées dans certains cas. Ceci résulte du fait que la disposition législative est parfaitement claire : la loi exclut toutes les coupures sans prévoir d’exception ». L’article 19 a lui-même été intégré dans l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles. Par ailleurs, selon les mêmes sources (http:// eau-iledefrance), « Le décret du 27 février 2014 n’autorise pas les réductions de débit pour l’eau et doit être interprété comme excluant cette possibilité. De toute façon, depuis 2008, ces réductions étaient devenues totalement illégales ».
  4. 4 Selon l’alinéa 1er de ce texte : « Est interdit le fait de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime »
  5. 5 Le terme est utilisé par les conseils de la société X.
  6. 6 On regardera, dans le même sens, des affaires concernant les réductions de débit d’eau où les juges du TI de Lens le 13 juin 2017 et du TGI de Nanterre le 17 août 2017 ont refusé les demandes d’interdiction sous astreinte en considérant notamment que « [l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile], relatif à la compétence du juge statuant en référé, ne permet pas de prescrire des mesures pour l’avenir afin de faire cesser un trouble simplement éventuel et non avéré. » (Lens) ou que «  Le débit d’alimentation en eau du domicile de Mme Y ayant été rétabli avant l’audience, la preuve d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent, qui ne peut se déduire du seul manquement passé de la société X à ses obligations, n’est pas rapportée. » (Nanterre). Voir sur ces décisions, notre article « Les petites affaires et les grands principes, commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 11 mai 2017, sur le jugement du Tribunal de grande instance de Limoges du 29 juin 2017 (le droit à une eau de qualité) et sur les jugements du Tribunal d’instance de Lens du 13 juin 2017 et du Tribunal de grande instance de Nanterre du 17 août 2017 (la réduction de débit d’eau une nouvelle fois jugée illégale) », mis en ligne le 9 janvier 2018, htpp://lagbd.org/ ; http://coordinationeauiledefrance.org/
  7. 7 J.-C. Soyer, Droit pénal et procédure pénale, LGDJ, 2012, n° 687.
  8. 8 Cette règle, consacrant la prééminence de l’action publique, est destinée à éviter la contradiction entre les juridictions.
  9. 9 Décision précitée du Conseil constitutionnel du 29 mai 2015, considérant n° 7 (n. 2).
  10. 10 Selon le juge des référés, «  l’impossibilité pour Madame A et Monsieur B d’avoir accès à l’eau constitue un trouble manifestement illicite, qu’il convient de faire cesser en ordonnant, sous astreinte, la réouverture du branchement en eau de leur logement dans les conditions fixées au dispositif. »
  11. 11 Décision précitée du Conseil constitutionnel du 29 mai 2015, considérant n° 7 (n. 2).
  12. 12 Souligné par nous