Peut-on déshériter son enfant en France ? (fr)

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Murielle Cahen, avocate au barreau de Paris
Décembre 2018



Les questions concernant les successions dans les familles sont légions. La succession, s’ouvrant par le décès ou l'absence de l’ascendant peut s’accompagner de surprises auxquelles les héritiers ne s’y attendent.


A l’instar des affaires Jarre et Colombier, dans lesquelles leurs enfants ont été déshérités, nous avons assisté récemment à la polémique qu’a suscité la succession de Johnny Hallyday, qui dans son testament rédigé dans l’Etat de Californie a légué l’intégralité de ses biens à sa dernière épouse ainsi qu’à leurs deux enfants adoptés, déshéritant de ce fait ses deux enfants aînés.


Ces cas de figures soulèvent une question, celle de savoir si l’on peut déshériter son enfant en France.


Déshériter un enfant est une disposition négative testamentaire par laquelle le testateur écarte une ou plusieurs personnes généralement appelées héritiers présomptifs, des biens qu’elles sont censées recueillir en vertu de la loi au décès de leur auteur.


Cela pourrait constituer une situation de précarité pour les enfants, surtout quand ils sont mineurs ou majeurs incapables encore lorsqu’ils sont dépendants du patrimoine de leurs ascendants.


Face à cette situation et dans le but d’apporter une sécurité à ces derniers, le système juridique interne n’est pas resté insensible. Plusieurs mécanismes juridiques ont donc été mis en place pour la protection des enfants du de cujus.


C’est par exemple le cas de la réserve héréditaire insérée dans le Code civil à l’art 912 par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006.


En outre, il ressort de l’alinéa 1 de l’article 724 du Code civil que les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.


Par ailleurs, déshériter un membre de sa descendance pourrait être la conséquence directe d’une loi ou le fait que le défunt de nationalité étrangère désigne comme loi applicable à sa succession celle de sa nationalité en application du règlement (UE) n° 650/2012


Si en France on a la possibilité de déshériter l’héritier réservataire dans certains cas (I), il n’en demeure pas moins que la loi est très protectrice des droits de ces héritiers (II).


Possibilité d’exhéréder un enfant en France

Comme défini ci-dessus, exhéréder un enfant est une disposition négative testamentaire par laquelle le testateur écarte une ou plusieurs personnes généralement appelées héritiers présomptifs des biens qu’elle sont censées recueillir en vertu de la loi. Cette exhérédation peut intervenir soit par arrangement familial (A), soit par le choix de la loi applicable (B), ou encore être l’objet d’une sanction (C).


Exhérédation par arrangement familial

L’exhérédation est la privation des droits successoraux de tout ou partie des héritiers.


Priver ses héritiers de ce droit paraît contre nature et va à l’encontre des us et normes établis dans notre ordre juridique interne.


Ces normes permettent aux héritiers de contester la position ou le comportement de leur ascendant en raison de leur qualité d’héritier présomptif, qualité qui leur est conférée dès leur conception et à chaque fois qu’il va de leurs intérêts.


Toutefois, ces derniers par un arrangement peuvent donner leur assentiment pour être écartés partiellement ou totalement de la succession de leur ascendant au profit d’une autre personne.


En effet, il est certes possible que des libéralités excédant le disponible soient exécutées, ce qui implique de la part du réservataire une renonciation [1] à demander la réduction appelée en pratique consentement ou exécution (article 929 alinéa 1 du Code civil); ce consentement ne peut être néanmoins donné valablement qu'après le décès du de cujus, c'est-à-dire au moment où le droit à la réserve est acquis (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 14 février 1992, n° 90-15.760).


Il en est de même dans un arrêt en date du 29 septembre 2015 où la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dans lequel des demandeurs qui se prévalaient d’un codicille rédigé par l’un des associés, décédé, dans lequel ce dernier privait ses enfants de toutes parts sociales sans leur assentiment.


Cette clause d’exhérédation contraire à l’ordre public a été rejeté aussi bien par les héritiers que par la Haute juridiction.


Il aurait donc fallu obtenir le désistement volontaire des enfants aux parts sociales, normalement compris dans l’actif successoral pour qu’une telle clause soit valable.


Certes lorsque l’héritier accepte de manière anticipée à ne pas agir en réduction avant l’ouverture de la succession dans les conditions de la renonciation anticipée à l’action en réduction, il ne renonce pas directement à sa réserve.


Il renonce à agir en réduction pour atteinte à sa réserve seulement, eu égard à une ou plusieurs libéralités qui sont susceptibles d’y porter atteinte.


Il n’empêche que le résultat est identique à une renonciation directe à la réserve, dans la mesure où selon l’article 929 du code civil, la renonciation peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve.


Le caractère d’ordre public de la réserve est altéré.


Pour renoncer à agir en réduction, l’acte prouvant l’accord devra être fait du vivant de l’ascendant, par acte authentique devant deux notaires.


Cette renonciation est irrévocable.


Cependant, si l’ascendant ne remplit pas son obligation alimentaire envers l’héritier réservataire ou si à l’ouverture de la succession, l’héritier renonçant se trouve dans un état de besoin s’il n’avait pas renoncé à sa réserve héréditaire ou encore si le bénéficiaire est coupable de crime ou délit envers le renonçant, la révocation sera possible.


Exhérédation par le choix de la loi applicable

Pour exclure l’application de la loi française, le de cujus peut, tout d’abord, essayer de déclencher l’application d’une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire.


La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a, par deux arrêts en date du 27 septembre 2017, n° 16-13.151 et 16-17.198 décidé que « la loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».


Par cette décision, la Cour de cassation vient répondre à une question que beaucoup d’auteurs se posaient. Il s’agissait de savoir si la loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire considérée comme un principe d’ordre public en droit interne français pouvait trouver application.


Ce à quoi la Cour de cassation a répondu.


C’est le cas de dans l’affaire Johnny Hallyday, père de deux enfants issus de ses précédentes unions, qui a lors de son nouveau mariage, adopté avec sa conjointe deux autres enfants.


Il a rédigé avant son décès un testament dans l’Etat de Californie dans lequel il transmettait l’intégralité de son actif successoral [2] à sa conjointe ainsi qu’à ses deux enfants adoptés déshéritant de ce fait ses enfants aînés.


En effet, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 en son article 22 dispose qu’une personne peut choisir comme loi régissant l'ensemble de sa succession la loi de l'État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.


Une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.


Johnny Hallyday, n’étant pas de nationalité américaine, la loi américaine ne peut donc trouver application dans son cas.


Cependant la question de la résidence habituelle devient le cœur du raisonnement.


Cela fait intervenir l’article 13 du même règlement.


Ainsi, si la résidence habituelle de l’artiste est en Californie, alors c’est la loi Californienne qui s’appliquera. Par contre, si sa résidence habituelle est en France, les aînés pourraient remporter cette bataille judiciaire.


Exhérédation d’origine légale : l’indignité successorale

L’exhérédation, objet de sanction est prévue par les articles 726 et 727 du Code civil. Ces deux articles ont vocation à priver, voire à exclure les héritiers présomptifs ou réservataires de la succession de leur auteur.


Ainsi par exemple, lorsqu’un héritier réservataire est condamné comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt, il peut être déshérité.


Il en de même de celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.


On parle alors de l’indignité de plein droit de l’article 726 du Code civil.


En revanche, l’indignité de l’article 727 du Code civil est une indignité qui doit être judiciairement prononcée parce qu’elle ne joue pas automatiquement.


Elle est facultative.


L’héritier qui sera condamné à une peine correctionnelle par la justice pourra être déshérité par son auteur.


Les mécanismes juridiques protégeant les droits des héritiers présomptifs

Pour assurer la mise en œuvre de la protection des héritiers présomptifs, la loi a instauré plusieurs mécanismes tels que la réserve héréditaire (A), l’ordre public interne(B) et l’assurance vie (C).


La réserve héréditaire

Le législateur a toujours souhaité protéger certains héritiers très proches du de cujus contre toute exhérédation de la part de ce dernier.


Pour aboutir à ce résultat, la loi institue une réserve, c'est-à-dire une fraction du patrimoine dont il n'est pas possible de disposer à titre gratuit en présence de certaines catégories d'héritiers.


Le surplus constitue la quotité disponible.


L’article 912 du Code civil définit la réserve héréditaire comme la part des droits et biens successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.


Cet article est d’ordre public puisqu’il protège les héritiers présomptifs et interdit toute exhérédation des réservataires au profit d’étrangers ou de parents éloignés.


C’est ce à quoi a répondu le garde des sceaux à une question d’un parlementaire sur l’opportunité de pouvoir transmettre leurs biens à des associations ou à des fondations reconnues d’utilité publique.


Ensuite, le caractère d’ordre public en droit interne de la réserve héréditaire interdit toute disposition testamentaire de modifier les droits que les héritiers tiennent de la loi.


Cette réserve permet d’assurer l’avenir des héritiers tout en leur procurant la nécessité vitale après le décès de leur auteur.


L’héritier réservataire pourra à son tour enrichir son patrimoine pour assurer le futur de ses propres héritiers réservataires.


Enfin, la réserve garantie la pérennité et la stabilité des patrimoines.


L’ordre public interne

Le respect de l’ordre public français est un mécanisme de protection de la réserve héréditaire des héritiers présomptifs.


Ce mécanisme permet de lutter surtout contre la fraude à la loi qui est le fait pour une personne de contourner la loi de son pays c’est-à-dire échapper à la disposition d’une loi nationale défavorable.


La réserve est une institution à laquelle s'attache une notion d'ordre public. Elle ne peut donc faire l'objet d'aucune convention ou renonciation.


Certes, la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 27 septembre 2017 qu’une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français, mais cela ne veut pas dire que toutes les lois étrangères qui ignorent la réserve héréditaire sont d’application immédiate en France puisque, la Haute juridiction continue en affirmant que cette loi ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.


Quels sont ces principes considérés comme essentiels par la Cour de cassation ?


Ce peut être par exemple le cas d’une loi étrangère qui porte atteinte à la situation d’une personne quand elle est discriminatoire.


Il en va de même des principes du droit français considérés comme essentiels.


Par exemple des successions fondées sur la discrimination liée au sexe, la race ou la religion qui sont contraires à l’ordre public interne.


Dans ces conditions, le juge français écartera toutes les dispositions de la loi étrangère qui créent une inégalité successorale entre les héritiers en faisant application de la loi du for c’est-à-dire, des dispositions de la française qui maintiennent l’équilibre familial et l’égalité entre les héritiers réservataires.


L’assurance-vie

Un autre mécanisme plus original permet de mettre ses descendants à l’abri contre toute atteinte à la réserve héréditaire. Il s’agit de l’assurance vie.


Ce mécanisme pourrait s’analyser en un contrat pour le compte d’autrui tel que la stipulation pour autrui [3].


Qu’est-ce que le contrat d’assurance-vie ? C’est le contrat par lequel une personne l’assureur s’engage, en contrepartie du paiement de prime, à verser une rente ou un capital au profit d’une ou plusieurs personnes déterminées (généralement au profit de son conjoint ou de l’un de ses héritiers).


L’article L132-12 du Code des assurances dispose que le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré.


En outre, l’article L132-13 du même code exclut ce capital et cette rente des règles relatives à la réduction pour atteinte à la réserve.


Toutefois, bien vrai que ce contrat soit utilisé pour avantager une tierce personne ou même un héritier réservataire, il est souvent sanctionné par la Cour de cassation en cas de trop perçu.


Il en est ainsi lorsque le montant des primes versées est nécessairement de nature à réduire de manière conséquente l'actif du patrimoine du souscripteur et caractérise une volonté du souscripteur de gratifier son épouse au-delà du devoir de secours (Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 septembre 2012, n° 11-17.600).


Par conséquent, les héritiers lésés pourront intenter une action en justice pour demander la requalification de ce contrat en donation indirecte [4].