Préjudice du salarié en l’absence d’instance représentative du personnel : L'abstention de l'employeur d'organiser des élections cause un préjudice au salarié, qui doit être évalué par le Juge (fr)

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris
Octobre 2018




L’organisation d’élections de représentants du personnel est une obligation pour l’employeur dès lors que l’effectif de l’entreprise atteint au moins 11 salariés pendant 12 mois consécutifs (article L 2311-2 du Code du travail).


Bien qu’il lui appartienne d’y procéder spontanément, il est fréquent dans les petites entreprises que l’employeur omette, sciemment ou non, de satisfaire à cette obligation, étant précisé que les délégués du personnel sont désormais remplacés par le Comité Social et Économique, qui est doté des mêmes attributions.


Cette méconnaissance est préjudiciable aux salariés, qui se trouvent ainsi privés du soutien d’une instance de représentation et de dialogue social dans l’entreprise.


L’employeur fautif s’expose en conséquence à des sanctions pénales (délit d’entrave) et civiles.


C’est ainsi que l’article L 1235-15 du Code du travail prévoit, en matière de licenciement pour motif économique, dans une entreprise où le comité social et économique n’a pas été mis en place alors que l’employeur était assujetti à cette obligation, et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi (absence de candidat se présentant aux élections), que cette irrégularité ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, laquelle indemnité s’ajoute à celles auxquelles il peut prétendre en cas de litige.


Cela étant, on se souvient que depuis un redoutable arrêt de la Cour de cassation [1] du 13 avril 2016 (Cass. Soc. n° 14-28293), la Chambre sociale exige qu’un salarié justifie, pour être indemnisé, de l’existence d’un préjudice.


De sorte que la circonstance que l’employeur ait enfreint la loi ou agi de façon illicite peut en réalité être sanctionnée à peu de frais, car les Juges subordonnent dorénavant l’indemnisation du salarié à sa démonstration, pièces à l’appui, d’un préjudice auquel cette situation a donné lieu.


Cette conception, où la transgression de l’employeur est indexée sur le degré de préjudice du salarié, a été parfaitement intégrée par leurs avocats, qui martèlent systématiquement cet argument devant les juridictions sociales.


Elle a eu demeurant reçu un accueil favorable devant certains Juges du fond, qui vont jusqu’à débouter un salarié de ses demandes, faute pour lui de justifier d’un préjudice.


Au point qu’un salarié dont le licenciement avait été reconnu abusif a vu sa demande de condamnation de l’employeur au paiement de dommages intérêts rejetée, au motif qu’il ne justifiait d’aucun préjudice.


Le fait qu’il ait retrouvé un emploi immédiatement après avoir été licencié permettait ainsi à l’employeur d’échapper à une condamnation, sans que son acte (licenciement abusif) soit lui-même sanctionné.


Cette absurdité avait heureusement été censurée par la Cour de cassation [2], qui avait énoncé que « la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue » (Cass. Soc. 13 sept. 2017 n° 16-13578).


Elle vient d’adopter une solution similaire à l’égard d’une décision où le salarié avait été débouté de sa demande de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement pour motif économique, en application de l’article L 1235-15 du Code du travail, bien que le manquement de l’employeur à ses obligations soit parfaitement caractérisé.


La Chambre sociale convoque le Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que les normes européennes (Charte des droits fondamentaux et Directive européenne relative à l’information et la consultation des travailleurs) pour rappeler l’impérieuse nécessité que l’employeur accomplisse les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, et la faute qu’il commet, qui cause un préjudice aux salariés, en s’abstenant de leur donner une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.


Elle casse en conséquence la décision d’une Cour d’appel ayant considéré, pour débouter un salarié, qu’il ne démontrait pas la réalité d’un préjudice (Cass. soc. 17 oct. 2018 n° 17-14392).


Précisons qu’il y a encore quelques années, la même Chambre avait jugé que, quelle que soit la circonstance (et pas uniquement lorsqu’il s’agit d’un licenciement pour motif économique), l’employeur qui, bien qu’il y soit légalement tenu, n’accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés, privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts (Cass. Soc. 17 mai 2011 n° 10-12852).


Elle abandonne désormais l’adverbe « nécessairement », mettant à la charge du salarié l’obligation de justifier l’existence de son préjudice.