Principe de séparation des autorités administratives et judiciaire (fr)

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L'origine du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire

L'affirmation du principe

La dualité des autorités administrative et judiciaire est la conséquence de l'interprétation révolutionnaire (1789) du principe de la séparation des pouvoirs. Cette interprétation est l'œuvre du législateur révolutionnaire dans la loi des 16 et 24 août 1790. La Révolution entend faire table rase de toutes les institutions administratives et judiciaires qui connaissent du contentieux administratif. Elle supprime ainsi les chambres des comptes, les tables de marbre, etc.

Le problème est alors de savoir quelle juridiction allait désormais connaître des litiges entre les administrés. Une solution était concevable : remettre la connaissance de ce contentieux aux tribunaux judiciaires, c'est-à-dire aux parlements. Mais les hommes de 1789, par hostilité aux parlements qui avaient eu tendance à s'immiscer dans l'administration, pour éviter leurs abus, n'ont pas voulu que les tribunaux judiciaires connaissent de l'activité administrative. Le législateur révolutionnaire pose alors un principe fondamental, qui est le principe de séparation des autorités judiciaires et des autorités administratives.

Cette distinction résulte de l'art. 13 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790[1], qui est toujours en vigueur :

« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratif, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».

Pratiquement, ce principe a deux conséquences :

  1. l'interdiction faite au tribunaux juridiques de faire de l'administration ;
  2. l'interdit faite aux tribunaux aussi de connaître des litiges administratifs, de juger l'administration.

Ce principe sera réaffirmé constamment, à au moins deux reprises durant la révolution. Il a été réaffirmé par la Constitution de 1791[2] et par le décret du 16 fructidor an III (2 septembre 1795)[3] :

« Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit, sauf aux réclamans à se pouvoir devant le comité des finances pour leur être fait droit, s'il y a lieu, en exécution des lois, et notamment de celle du 13 frimaire dernier ».

Si un tribunal contrevient à ce principe, il commet le crime de forfaiture.

La conséquence pratique de ce principe est donc l'impossibilité pour les administrés en conflit avec l'État de s'adresser aux tribunaux

Le système de l'administrateur-juge

Or comme les tribunaux n'ont pas créé à l'époque de juge administratif, ce sont donc en fait les autorités administratives qui vont trancher leurs différends avec les particuliers.

Ce système, en évoluant, va donner naissance à une véritable juridiction administrative. Dans un premier stade, les litiges administratifs sont donc soumis à des administrateurs actifs. Ce sera par exemple

On explique la solution en disant que, dans le fond, juger, c'est encore administrer. Ce système ne donne pas à l'administré la garantie de l'impartialité du juge, ni même de sa compétence. Aussi, sous la pression des critiques, le système va évoluer avec la création d'une administration consultative.

Le système de la justice retenue

Le progrès est réalisé en l'an VIII. L'examen des affaires contentieuses est confié à des corps spéciaux placés à côté des autorités administratives actives et donnant à celles-ci des avis. Ce sont le Conseil d'État, placé auprès du chef de l'État et les Conseils de préfecture, dans chaque département. Le système consiste en ce que le Conseil d'État et les Conseils de préfecture ne soient pas des juridictions : ils ne prennent pas de décision mais donnent des avis consultatifs. L'administration peut continuer à faire comme elle veut.

Les choses vont continuer à évoluer. Dès 1806, un décret du 18 juillet[4], spécialise au Conseil d'État la fonction contentieuse en créant une commission contentieuse qui va, peu à peu, élaborer une véritable procédure d'instruction des affaires. Mais une période de crise va s'ouvrir pour le Conseil d'État. Pendant la Restauration, le Conseil d'État déplaît car il a été institué par Napoléon. Mais après 1830, le Conseil d'État est maintenu et reprend peu à peu son rôle de juridiction de fait.

Le Conseil d'État reprend son rôle

Le système de la justice déléguée

En 1848, la IIe République tire les conséquences de cet état de fait et donne au Conseil d'État un pouvoir de décision propre. Il reçoit délégation pour rendre la justice.

Le retour au système de la justice retenue

Le IIe Empire revient sur cette solution. Les solutions du Conseil d'État sont de nouveau soumises à la signature du chef de l'État. Pourtant, en pratique, c'est cette solution qui a permis le développement du contentieux administratif parce que le responsable du jugement n'est pas le Conseil d'État, mais le chef de l'État (irresponsabilité du Conseil d'État). Par ailleurs, le chef de l'État était de plus en plus incompétent parce que les problèmes administratifs devenaient de plus en plus complexes, si bien que le chef de l'État faisait pratiquement toujours confiance à son conseil. Dès lors, le Conseil d'État, constatant que le chef de l'État entérine pratiquement tous ses avis, fait preuve de beaucoup d'indépendance et, quand la chute du IIe Empire intervient, c'est tout naturellement que l'on fait du Conseil d'État une véritable juridiction.

Le retour au système de la justice déléguée

La loi du 24 mai 1872] remet la justice déléguée au |onseil d'État au terme d'un combat politique. En même temps, le texte de 1872 crée un Tribunal des conflits chargé de trancher les litiges portant sur la compétence susceptibles de naître entre le juge administratif et le juge judiciaire.

La théorie du ministre-juge

Après 1872, la juridiction administrative va encore évoluer. Pendant quelques années, on va encore soutenir que les textes de l'an VIII restaient valables et que les ministres étaient juges de droit commun en premier ressort. Les recours au Conseil d'État étaient en vérité un appel contre la décision du ministre.

Le Conseil d'État éliminera la théorie du ministre-juge en 1889 dans l'arrêt Cadot Conseil d'État 13 décembre 1889 :

« du refus du maire et du conseil municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur Cadot, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d'État de connaître ».

Le Conseil d'État se proclame juge administratif de droit commun. Aujourd'hui, après les célèbres décisions du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980 loi de validation et du 23 janvier 1987 Conseil de la concurrence, le juge administratif est, quant à son indépendance et à son existence, constitutionnalisé.

Les raisons d'être du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire

On s'accorde à reconnaître actuellement que cette dualité ne se justifie plus sur la base des principes formulés par le législateur révolutionnaire. Aux raisons primitives (raisons politiques, haine des parlements), se sont substituées d'autres raisons qui expliquent le maintien, et même le développement, de la jurisprudence administrative. La raison actuelle en France n'est plus politique, mais technique et tient à la nature même des litiges.

La plupart des litiges dans lesquels l'administration est partie n'est absolument pas de même nature que ceux qui existent entre les particuliers entre eux. Le juge qui en connaît, doit tenir compte de l'intérêt général et de la psychologie de l'administration. Il doit appliquer un droit spécial. Il est donc normal qu'il soit spécialisé dans cette fonction. Depuis l'an VIII, le juge administratif a, sans guide, avec peu de textes, construit un véritable système de droit. Il a fondé un droit administratif et, aujourd'hui, c'est précisément l'existence de ce droit qui justifie l'existence d'un juge administratif. L'organe a créé la fonction.

Actuellement, le juge administratif est nécessaire dans l'intérêt même des administrés. L'expérience montre en effet que la jurisprudence administrative a été souvent beaucoup plus protectrice des libertés des administrés que le juge judiciaire. Le Conseil d'État, notamment en raison de son prestige dû à la qualité de ses membres, s'est senti très libre vis-à-vis de l'État et de l'administration. C'est lui qui a créé un recours, le recours en excès de pouvoir pour apprécier le légalité des actes administratifs. Chaque administré peut donc aller devant le juge administratif. C'est lui aussi qui a élaboré et enrichi le principe de légalité avec la création des principes généraux du droit. Tous les États nouvellement indépendants consacrent ce système.

Ceci dit, ce changement de fondement du principe de séparation porte en lui la nécessité d'un partage de compétence car il n'est plus nécessaire de soustraire au juge judiciaire absolument tout litige mettant en cause l'administration.

La valeur du principe du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire

Le système français aurait pu être dangereux pour les libertés des particuliers. Cette crainte a été vaine. Le juge administratif a sauvegardé son indépendance et la réaffirme chaque fois qu'il en a l'occasion. Il a conçu son rôle de manière telle que les particuliers ont été protégés. Cependant, la solution française soulève au moins deux critiques.

La dualité des juridictions pose le problème du partage des compétences

Le problème de la dualité des juridictions est devenu de plus en plus complexe et, très souvent, le plaideur ne sait pas devant quelle juridiction aller. Cette situation est parfois déplorée.

Cette dualité entraîne souvent des incohérences et des contradictions sur le fond même de certains litiges

Ainsi, en matière de légalité, on verra que le juge judiciaire et le juge administratif peuvent être appelés à apprécier tous les deux la légalité d'un même règlement. Et il leur arrive de se contredire[5].

Ceci dit, seuls quelques rares auteurs condamnent la dualité de juridiction. La majorité de la doctrine ne va pas jusque là, mais appelle une simplification. La détermination des compétences est le préalable de tout procès.

Notes et références

  1. Loi sur l'organisation judiciaire, donnée à Paris le 24 août 1790  Lois, et actes du Gouvernement, édition 1806, t. 1, p. 376 à 396, titre II, art. XIII, p. 378
  2. Constitution du 3 septembre 1791, titre III chapitre 5 art. 3
  3. Loi qui défend aux tribunaux de connaître des actes d'administration, et annulle toutes procédures et jugemens intervenus à cet égard, du 16 fructidor an III : Bulletin des lois, an III, n° 175, texte n° 1064, p. 14
  4. Décret du 11 juin 1806 sur l’organisation et les attributions du Conseil d’État
  5. Cass. crim. 6 juin 1924: Gaz. Pal. II p. 231. Conseil d'État 4 juillet 1924 Beaugé : Recueil Lebon, p. 641

Voir également

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