Prise d’acte : attention à ne pas trop tarder pour agir ! Lorsque les graves manquements de l'employeur n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte est vouée à l'échec (fr)

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Franc Muller, Avocat au Barreau de Paris
Juin 2018




Si les graves manquements commis par un employeur peuvent justifier une rupture du contrat de travail à ses torts [1] et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est indispensable pour le salarié d’exprimer, de préférence par écrit, son mécontentement et d’agir rapidement.


Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation en effet, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’est acquise que si la gravité des manquements de l’employeur empêche la poursuite du contrat de travail.


Or, si un employeur s’est rendu coupable de graves manquements caractérisés, en procédant par exemple à une modification unilatérale du contrat de travail du salarié, le fait pour ce dernier de laisser s’écouler une longue période sans signaler sa désapprobation et d’avoir poursuivi l’exécution du contrat aux nouvelles conditions sans protestation, révèle que ces manquements n’empêchaient pas la poursuite de la relation contractuelle, et en conséquence qu’ils ne justifient pas une prise d’acte.


C’est l’interprétation constante de la Haute juridiction (Cass. Soc. 26 mars 2014 n° 12-23634 [2], Cass. Soc.13 avril 2016 n° 15-13447 [3]).


En pratique, il est compréhensible qu’un salarié, en butte aux agissements d’un employeur omnipotent, qui dispose du pouvoir de direction, ne souffre pas la contradiction et impose ses volontés, puisse préférer attendre des jours meilleurs avant de lui manifester son désaccord, évitant ainsi une confrontation directe.


Malheureusement, une attente trop longue, avant d’agir, peut lui être préjudiciable.


Dans une récente affaire, un salarié, qui exerçait les fonctions de directeur commercial avait fait valoir ses droits à la retraite, et avait ensuite saisi, en 2015, la juridiction prud’homale d’une demande de requalification en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.


Il soutenait à cet égard que plusieurs années de cela, son employeur avait procédé à une modification de son contrat de travail à laquelle il n’avait pas consenti expressément.


La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette sa demande et juge que « si l’employeur avait modifié unilatéralement le contrat de travail, le salarié avait exécuté ses nouvelles tâches sans réserve, désaccord ou protestation durant plus de sept ans, la cour d’appel a pu en déduire que ce manquement n’avait pas été de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail » (Cass. Soc. 30 mai 2018 n° 16-26088 [4]).


Il est intéressant de relever que l’existence de la modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur n’est pas contestée, en revanche, la poursuite du contrat dans ces conditions, sans opposition du salarié pendant une période de plus de sept ans suffit à disqualifier son action.


La haute juridiction fait également preuve d’une indulgence surprenante à l’égard de l’employeur ayant régularisé, a posteriori, les graves manquements qu’il avait commis.


On sait qu’en principe, le non-paiement par l’employeur d’un élément de la rémunération contractuelle [5] du salarié constitue un manquement d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.


Une salariée avait assigné son employeur devant le Conseil de Prud’hommes afin d’obtenir le paiement de primes exceptionnelles qui lui étaient dues.


En cours de procédure, l’employeur avait finalement payé ces primes.


La salariée avait néanmoins formé ultérieurement une demande de prise d’acte, considérant que, peu importe la régularisation de l’employeur, un grave manquement de sa part avait été établi.


La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que l’employeur ayant régularisé avant la prise d’acte le paiement des primes qui restaient dues à la salariée, son manquement ne rendait pas impossible la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 21 avril 2017 n° 15-19353 [6]).


La prise d’acte impose donc que le salarié réagisse rapidement dès qu’il considère que les graves manquements de l’employeur font obstacle à la poursuite de la relation de travail.