Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine CINQ

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.



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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.

(© Photo "Salle d'audience" Sophie Parmentier |Twitter)


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Semaine CINQ

Jour Dix-sept - Lundi 4 octobre – Audience consacrée à l'examen (recevabilité) des constitutions de parties civiles

Bonjour à tous, début aujourd'hui de la 5e semaine de procès des attentats du 13 Novembre 2015.

Au programme aujourd'hui : pause dans les auditions de victimes (elles reprendront demain) pour étudier les constitutions de parties civiles contestées, dont les personnes morales (Bataclan, La Belle Equipe, Le Petit Cambodge etc. mais aussi les villes de Paris et Saint-Denis)

L'audience est reprise. Me Marc Méchin (défense) se lève "suite à ce qu'il s'est passé vendredi avec la diffusion d'une vidéo des parties civiles". Cette vidéo montrait plusieurs victimes, dont certaines décédées à La Belle Equipe lors d'une fête.

Me Méchin (défense) "La question est de savoir si l'on aurait accepté la diffusion d'une telle vidéo dans un procès normal ? Nous craignons que ce procès se transforme en cérémonie d'hommages ou de commémoration."

"il nous reste encore 4 semaines de parties civiles. Imaginez si chacune des parties civiles arrivait à la barre avec la demande qu'une vidéo hommage soit diffusée. Ce serait intenable. Se pose la question du sens de cette audience."

"aussi émouvante soit-elle, cette vidéo n'a apporté aucun élément utile à la manifestation de la vérité et par ailleurs n'a rien apporté en complément au témoignage de la partie civile qui était déjà extrêmement émouvant en soit et complet."

Me Bibal (avocat de partie civile, à l'origine de la diffusion de la vidéo) : "si la demande de diffusion de la vidéo n'a pas été transmise à la défense, c'est une erreur de ma part et je vous prie de m'en excuser. Il n'y a pas de débat à avoir sur le respect du contradictoire"

Président : "initialement, nous ne devions pas siéger aujourd'hui pour célébrer la nuit du Droit. N'en profitons cependant pas pour déborder sur la nuit. Nous allons consacrer cette audience à l'examen de constitutions de parties civiles."

C'est à Me Samia Maktouf de plaider en premier pour la constitution de partie civile d'une mère de famille prise dans un mouvement de foule au Stade de France. "Elle a été piétinée et immobilisée pendant six mois. Elle a été séparée de ses enfants qui ont été traumatisés".

Me Samia Maktouf plaide également pour la constitution de partie civile d'une autre spectatrice du Stade de France qui "certes n'a pas été visée directement" mais "a dû se réfugier pendant une heure dans un local de 10 mètres carrés avec 7 autres personnes."

Me Samia Maktouf (PC) : "je vous prie de ne pas considérer qu'il y a deux catégories de victimes. Il y a une seule catégorie : des victimes qui ont subi les conséquences directes de ces attentats et l'action des terroristes qui comparaissent devant vous".

Nicolas Braconnay, avocat général, se lève pour contester les constitutions de parties civiles de personnes morales du Bataclan, du Petit Cambodge, Le Carillon, La belle Equipe ... etc. "Ces différentes sociétés ont fait valoir un préjudice matériel, économique et enfin moral."

Nicolas Braconnay (AG) : "l'existence de ces préjudices ne souffrent aucune contestation. Mais le statut de partie civile dans le procès pénal ne se définit qu'en rapport à des infractions poursuivies. Notre propos ne consiste ni à nier, ni à minimiser le préjudice."

Nicolas Braconnay (AG) : "à aucun moment, par aucune partie, les faits n'ont été appréhendés comme des atteintes aux biens, mais comme des atteintes aux personnes et aux intérêts fondamentaux de la nation".

Nicolas Braconnay (AG) : "on a un double principe assez simple : il faut un préjudice personnel - je vous l'ai dit, il ne fait pas débat en la matière - et un préjudice en lien avec les faits poursuivis. C'est sur ce 2e point que la cour de cassation a apporté une précision."

Nicolas Braconnay (AG) : "dans une décision sur la constitution de partie civile de la ville de Nice, la cour de Cassation précise que l'entreprise terroriste n'est susceptible d'avoir porté atteinte, au-delà des victimes physiques, qu'aux intérêts de la nation".

Nicolas Braconnay (AG) : "en conséquence, seule une personne physique peut être considérée comme victime directe d'un meurtre ou d'une tentative de meurtre."

Nicolas Braconnay (AG) : "Nous ne disons en aucun manière, à aucun moment, que le Bataclan, la Belle Equipe, le Carillon etc. ne sont pas des victimes des attentats. Ils ont d'ailleurs pu être pris en charge dans le cadre assuranciel et de l'aide publique."

Nicolas Braconnay (AG) : "nous avons conscience que cette position peut être moralement difficile à concevoir ou politiquement désastreuse comme cela vous a été dit, mais c'est juridiquement que nous vous demandons de rejeter les constitutions de ces personnes morales".

Me Burguburu (avocat du Bataclan) : "les personnes qui ont été touchées ce n'est pas pour qui elles étaient individuellement, mais parce qu'elles étaient des lieux. Des lieux où on se retrouve pour manger, boire, danser, écouter de la musique, se toucher, s'embrasser."

Me Burguburu : "c'est le lien invisible. Celui du "là où" : "là où" toutes les victimes étaient et là où il ne fallait pas être ce soir-là. C'est ce lien que le parquet vous demande de rompre. Le Bataclan n'est pas la par erreur, il a subi un préjudice considérable."

Me Burguburu (PC) : "le Bataclan ne veut pas déranger, depuis 5 ans il est parti civile en toute discrétion et aide toutes les parties civiles physiques qui le lui demandent".

Me Burguburu (PC) : "Le Bataclan est à jamais un nom commun ; il est intimement lié au 13 Novembre , aux victimes, à ce procès. Le Bataclan a été une cible choisie, il était un objectif d'attaque des terroristes. Le Bataclan était personnellement et directement visé."

Me Burguburu (PC) : "Le Bataclan était l'étape finale, la plus meurtrière. Celle que le parquet voudrait faire partir de cette salle" d'audience.

Me Burguburu (PC) rappelle les autres affaires dans lesquelles des personnes morales ont été déclarées recevables dans leur constitution de parties civiles : le Thalys, Charlie Hebdo mais aussi le Bataclan lui-même dans le procès connexe de Jawad Bendaoud, logeur des terroristes.

Me Burguburu (PC) : "le préjudice du Bataclan c'est au moment des faits, ce sont les rafales de kalachnikov, ce n'est pas un retentissement médiatique postérieur."

Me Burguburu (PC) : "le Bataclan était un des lieux des attentats, choisi pour son âme dite "pervertie". Le parquet n'a pas dit à Charlie Hebdo : "vous ne pouvez pas rester [partie civile ndlr]. C'était il y a cinq mois. Pourquoi le Bataclan et pas Charlie Hebdo ?"

Le Burguburu (PC) : "soutenir que le Bataclan n'aurait subi qu'un préjudice indirect est une aberration. Je ne suis pas contre la technicité du droit, mais je crois que la justice se doit de garder un sens."

Me Burguburu (PC) : "il n'y a pas eu de procès Charlie Hebdo sans [le journal ndlr] Charlie Hebdo. Il ne peut y avoir le procès des attentats du 13Novembre 2015 sans le Bataclan."

Me Burguburu (PC) : "refuser au Bataclan le droit à un procès pénal s'apparenterait juridiquement à un déni de justice, politiquement à un scandale et humainement à un mépris et du non-sens."

Place à Me Leslie Mankikian (PC) qui plaide pour la constitution de partie civile de La Belle Equipe, elle-aussi contestée par le parquet. "Il y a un avant et un après : 21h36, les murs tremblent, les vitres sont brisées, les gens se précipitent sous les chaises et les tables."

Me Leslie Mankikian (PC) : "plus de 160 tirs, 21 morts et de nombreux blessés, plus de 50 impacts de balles dans le plafond, la colonne centrale, les murs, le sol. A 21h36, La Belle Equipe, son insouciance et sa liberté, disparaît".

Me Alexia Gavini (La Belle Equipe également) : "vous pouvez faire preuve de la plus grande pédagogie, il n'en demeure pas moins que le message que vous faites passer et que les victimes prennent comme une gifle est que La Belle Equipe n'a pas sa place parmi les parties civiles."

Me Gavini (PC) : "vous avez ponctuez vos premiers mots, monsieur le président, en disant "je sais que je peux faire confiance en chacun de vous". Moi, je sais que je peux vous faire confiance pour accueillir la constitution de partie civile de La Belle Equipe."

Me Victor Zagury (PC), pour le Carillon : "c'est un immense regret pour moi de devoir plaider devant vous le fait que le Carillon est une victime directe. Nous ne sommes pas dans l'imposture, nous ne sommes pas des victimes de trop, nous ne sommes pas des indésirables"

Me Victor Zagury (PC) : "je suis extrêmement étonné de cette manière du parquet général de venir picorer des jurisprudences, de les tamponner du sceau de l'indiscutable et de vous dire : "nous on fait de fait du droit, pas du symbolique".

Me Zagury (PC) : "mon interrogation n'est pas de savoir si cette construction n'est qu'un prétexte et un alibi juridique, j'en suis certain. Mon interrogation c'est le sens qu'on y met. Je ne crois pas à l'avocat général qui nous dit : ce n'est que du droit, sec et aride".

Me Reinhart (PC) pour Le Petit Cambodge : "je suis certain que les avocats généraux ne cherchent pas à écarter des victimes mais à faire l'application du Droit. Mais, là où nous différons c'est que le Droit déconne."

Me Reinhart (PC) : "lorsque le gérant du Petit Cambodge a décidé de se constituer partie civile, ce n'est pas pour faire du spectacle, pour troubler les débats, mais pour porter devant vous le fait que ce sont les restaurants et les salles de spectacle qui ont été visées."

Me Eric Barbolosi (PC) plaide maintenant pour les sociétés sous-traitantes du Bataclan. Il reprend lui aussi l'exemple du procès des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, Montrouge, Hyper Cacher) dans lequel la société Sodexho a été reçue dans sa constitution de partie civile.

Fin des plaidoiries des parties civiles sur la question des constitutions des personnes morales. Me Christian St Palais se lève pour la défense. Il demande que la cour "n'ordonne pas de sursis à statuer", c'est-à-dire qu'elle tranche cette question au début du procès.

Me Christian St Palais :" certaines attentes des parties civiles recevables ne peuvent être satisfaites ici. Et ce n'est pas en cela que nous mépriserions les parties civiles recevables. Enfin, il n'est jamais scandaleux de dire le Droit et rien que le Droit."

On passe au deuxième débat de la journée : celui sur les personnes morales publiques, à savoir les constitutions de parties civiles des villes de Paris et Saint-Denis.

Camille Hennetier, avocate générale : "il me parait difficile de dénier à certaines personnes morales le droit de se constituer parties civiles et de le reconnaître à d'autres."

Camille Hennetier (AG) cite à son tour la décision de la cour de Cassation sur le rejet de la constitution de partie civile de la ville de Nice dans le dossier des attentats du 14 juillet 2016.

Camille Hennetier (AG) : "certes la ville de Paris est visée nommément dans les revendications de l'Etat islamique, mais en qualité es capitale seulement. C'est la France qui est visée, en la personne de François Hollande et non d'Anne Hidalgo."

Me Gérard Chemla (PC) : "Notre position est de dire que chacun Français, chaque Parisien, chaque habitant de Saint-Denis s'est senti visé par cet attentat. Mais chacun ne peut pas se constituer partie civile. C'est en ce sens que nous nous rangeons aux côtés du parquet".

Me Sylvie Topalov (PC) s'oppose à son tour contre les constitutions de parties civiles des villes de Paris et Saint-Denis. Elle cite le communiqué : "cette attaque bénie de Paris contre la France croisée". « C'est donc la France qui est visée."

Me Topalov (PC) : "je suis un peu surprise de la constitution de la ville de Paris, au 2e jour de ce procès. Et j'ai quelque inquiétude dans le but poursuivi dans cette constitution."

Me Topalov (PC) : "je souhaite que ce procès ne sorte pas de ses rails. Il n'est pas possible qu'il y ait une quelconque récupération politique. Je ne peux que témoigner du précédent du procès de Charlie Hebdo où Mme Hidalgo s'est servie de ce procès pour parler d'elle."

Me Topalov (PC) : "ce procès n'est pas le lieu pour de telles considérations. Je vous demande que nous restions dans le cadre judiciaire et que nous déclarions irrecevable la constitution que je juge opportuniste de la ville de Paris."

Me Delas (PC) pour Lifeforparis: "quand on s'appelle Life for Paris ce n'est pas pour rien. Je sais bien qu'en droit c'est compliqué, mais je vous demande de prendre en considération des parties civiles qui ne comprendraient pas que la ville de Paris ne soit pas partie civile".

Me Didier Seban (PC) pour la ville de Saint-Denis : "le stade, cela n'aura échappé à personne, est à Saint-Denis, même s'il s'appelle le Stade de France. L'arrestation des terroristes rue du Corbillon a bloqué la ville durant 48 heures."

Me Seban (PC) rappelle que la ville de Saint-Denis est partie civile dans le dossier depuis le début. La ville a d'ailleurs été jugée recevable dans le procès connexe des logeurs de Saint-Denis, dont Jawad Bendaoud.

Me Seban (PC) évoque les différents préjudices subis par la ville de Saint-Denis : "économique, moral. La ville a un temps été comparé à celle de Molenbeek, dont on a beaucoup parlé ici".

Me Seban (PC) : "je ne demande pas plus que ma place. Elle est éminemment moins importante que les victimes dans leur chair. Je ne réclame pas une partie de l'intérêt général. Mais je suis victime de tout ce qu'il s'est passé."

Me Patrick Klugman (PC) pour la ville de Paris : "ce débat est malheureux. Mais je me prête à l'exercice. Et au moment où j'exprime ces mots, la salle Saint-Jean est mise à disposition des victimes de ce procès si elles le désirent".

Me Klugman (PC) : "Paris s'est tenu au côté des victimes. Les salles des 10 et 11 arrondissements ont reçu jusqu'en décembre 2015 plus de 1500 victimes. Je le dis pour les victimes, si Anne Hidalgo a été entendue dans une précédente affaire c'était en qualité de témoin".

Me Klugman (PC) : "le communiqué du 14 novembre 2015 est titré : "communiqué sur l'attaque bénie de la ville de Paris contre la France croisée". Et Paris est citée à six reprises, comme "capitale des abominations", "les rues malodorantes de Paris".

Me Klugman (PC) évoque aussi la vidéo de revendication de l'Etat islamique : "le générique s'ouvre sur une image de la Tour Eiffel avec indiqué "target Paris". Je constate que la ville de Paris a été nommément et spécifiquement visée pour ce qu'elle est et ce qu'elle représente".

Me Klugman (PC) : "le parquet nous dit ne faire que du Droit, rien que du Droit. Mais le parquet national antiterroriste serait le seul ici à ne pas chercher du sens et ne faire que du Droit ? Ce serait surprenant."

Me Klugman (PC) : "le 14 novembre ce sont les agents de la ville de Paris qui ont déblayé le Bataclan. Quand les attaques ont eu lieu, tous les services de la ville vont se retrouver mobilisés. 167 agents ont été au contact des victimes qui ont dû suivre un service psychologique"

Me Klugman (PC) : "la ville de Paris n'est pas là contre le Droit, mais en vertu du Droit. La ville de Paris est une victime directe des faits objets de la poursuite. Et c'est indiscutable."

Me Klugman (PC) : "la ville de Paris ne veut prendre la place de personne. Elle ne dira jamais qu'elle souffre comme les personnes touchées physiquement. Elle ne demande aucun dommage et intérêt. Mais elle a été visée, elle a enterré ses morts, indemnisé, relogé, nettoyé."

Me Klugman (PC) : "la ville de Paris ne demande que de dire qu'elle est partie à ces débats. Elle ne demande rien d'autre. Parce que comme toute partie civile, elle a besoin d'apprendre, de comprendre. Pour se relever."

Me Negar Haeri (défense) : "votre saisine est limitée, vous n'avez pas beaucoup de marge". Il n'est pas possible selon elle d'introduire la question des dégradations matérielles dans ce procès, et donc les constitutions de parties civiles des restaurants notamment.

L'audience est suspendue avant l'examen des personnes physiques dont les constitutions de parties civiles sont également contestées. Par exemple : les personnes se trouvant à l'intérieur du Stade de France.

L'audience reprend avec de nouvelles personnes qui se constituent parties civiles. Elles étaient à la Bonne Bière, au Carillon, au Bataclan ... ce vendredi 13 novembre 2015.

Place au débat sur les constitutions de parties civiles des habitants du 48, rue du Corbillon dans la nuit du 17 au 18 novembre 2015, lors de l'assaut du Raid contre Abdelhamid Abaaoud et de Chakib Akrouh. Le parquet requiert le rejet de leurs constitutions de parties civiles.

Camille Hennetier (AG) : "ces faits ne sont pas qualifiés pénalement et ne font pas l'objet de la saisine de votre cour". Elle rappelle que l'intervention du Raid intervient dans le cadre d'une "opération de police administrative".

"Ces habitants ont subi de lourds préjudices moraux et matériels", reconnaît l'avocate générale Camille Hennetier. "Ces habitants doivent être indemnisés." Mais ils ne sont pas considérés comme victimes du terrorisme, requiert-elle.

Me Mouhou (PC) pour les victimes du 48, rue du Corbillon à Saint-Denis : "je représente 47 victimes. On les a appelées les victimes oubliées. En effet, elles ont été oubliées et largement. Et aujourd'hui, on nous ferme la porte."

Me Mouhou (PC) : "j'ai vu la misère humaine dans toute son étendue. Ça a commencé par la presse : on les a stigmatisés. Mais quand vous avez une bombe qui explose au-dessus de chez vous, derrière chez vous, c'est un acte terroriste !"

Me Mouhou (PC) : "l'immeuble [du 48, rue du Corbillon ndlr] a été déclaré sinistré. Il y a des gens dans la misère. Il y a des gens qui ont dormi dans leur voiture pendant deux mois. Il y a 29 enfants qui ont été emmenés dans un gymnase, dans des habitations précaires."

Me Mouhou (PC) : "si Akrouh et Abaaoud se font sauter au 3e étage sans intervention de la police, c'est un acte terroriste. Mais s'il y a intervention de la police, ce n'est plus un acte terroriste. Je suis désolé mais parfois on frise la science-fiction juridique."

On poursuit sur les constitutions de parties civiles contestées. Une vingtaine d'avocats fait la queue devant le prétoire. L'avocate d'une famille du 48, rue du Corbillon à Saint-Denis s'agace de la demande du président de faire bref : "la cour doit entendre toutes les victimes".

Les avocats se succèdent à la barre pour enregistrer de nouvelles constitutions de parties civiles. “Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant, lâche le président, sinon on aurait fait ça un autre jour. C’est assez impressionnant”. La file des avocats déborde du prétoire.

Fin des nouvelles constitutions de parties civiles, Me Claudette Eleini (PC) qui avait été "mise en attente" par le président commence sa plaidoirie : "je comprends que votre audience est longue, il est tard, vous êtes fatigués."

Me Eleini (PC) plaide pour les occupants d'un appartement du 48, rue du Corbillon à Saint-Denis : "ils ont essuyé des tirs croisés, ils ont été pris en otage pendant 7 heures, ils ont été terrorisés par les scènes de guerre qu'ils ont vécu, ils ont été évacués manu militari".

Me Eleini (PC) : "il n'y a eu aucun soutien psychologique pour ces victimes, le fonds de garantie ne leur a pas tendu la main, elles n'ont pas été reconnues victimes de terrorisme. Elles ont tous simplement été laissées à l'abandon et à la dérive."

Me Casubolo-Ferro (PC) plaide enfin pour Jean-Luc, qui habitait "au-dessus de La Belle Equipe". Il descend rapidement porter au secours des victimes. "Est-ce qu'il savait que l'attentat était terminé à ce moment-là ?"

Me Casubolo-Ferro : "quand les tirs ont commencé, il a tenté de mettre sa fille à l'abri, au fond de l'appartement. Il a pris des photos des tireurs. Il a vu des victimes au sol et il est descendu. La voiture était partie. Mais qui peut dire que l'attentat est alors terminé ?"

Me Casubolo-Ferro (PC) : "la constitution de partie civile de Patrick Pelloux n'a pas posé de problème au procès de Charlie Hebdo alors qu'il est arrivé une fois la tuerie terminée. D'un procès à l'autre, d'une rue à l'autre, il ne peut y avoir deux poids, deux mesures"

Un nouvel avocat s'est avancé à la barre. Il représente les propriétaires d'un des appartements loués par les terroristes et où ils ont passé la nuit précédent les attentats. Il invoque le préjudice moral, mais aussi matériel de ces attentats car "c'est comme une maison hantée"

Nicolas Braconnay (AG) s'étonne du "sentiment de culpabilité d'avoir logé des terroristes" invoqué par l'avocat des propriétaires. "A ce compte-là, la liste des loueurs de voiture ou autre va rapidement s'allonger". Le parquet requiert le rejet de cette constitution.

A la vue d'un nouvel avocat qui s'avance à la barre, le président soupire "et il y en a encore. Vous avez décidé de nous exténuer aujourd'hui. Le jour de la nuit du Droit !"

L'avocat en question plaide pour la constitution de partie civile du bureau national de vigilance contre l'antisémitisme : "je considère que l'antisémitisme n'est pas totalement exclu de ce procès. Et n'a pas été exclu dans l'esprit des terroristes que vous aurez à juger".

Me Coviaux (PC) plaide à son tour pour une spectatrice du Stade de France, pris dans un mouvement de foule à la sortie du stade. "Les mouvements de foule sont aussi connu du monde musulman que footballistique". Elle rappelle le drame du Heysel en Belgique, ou ceux de la Mecque.

Me Coviaux (PC) explique que sa cliente a été piétinée et a subi des séquelles graves. Pour l'avocate, le fait de provoquer un mouvement de foule faisait partie des objectifs des terroristes du 13 Novembre 2015.

Fin de l'audience. Reprise demain avec les auditions des proches des victimes décédées sur les terrasses.

Jour Dix Huit - Mardi 5 octobre - Témoignages de proches de victimes décédées à la Belle Equipe, et survivants du Comptoir Voltaire.

Jour 18 au procès des attentats du 13 Novembre. Aujourd'hui, la cour va entendre des proches de victimes décédées à la Belle Equipe. Et des survivants du Comptoir Voltaire.

L'audience reprend. Jour 18. Semaine 5.

Alix, présente à La Belle Equipe pour l'anniversaire d'Hodda

Une jeune fille, Alix, s'avance à la barre. Elle a choisi très tard de témoigner. Elle veut "dire aux familles ce que j'ai vu".

Alix : "Ma sœur qui m’accompagne aujourd’hui est procureur. Contrairement à Monsieur Abdeslam je crois en la justice. Je crois aussi comme Monsieur Abdeslam en la justice du ciel". Le ciel qui jugera aussi, dit-elle, en somme.

Alix venait de rejoindre sa meilleure amie Charlotte. Elles étaient dans une Autolib. Et boulevard Charonne, "nous sommes arrêtées derrière la Seat du commando. Nous voyons l’homme et l’arme".

Alix : "Comme dans un film je dis : "baisse-toi baisse-toi". Il y a des étincelles sur la route et le long de la voiture. Je dis à Charlotte qu’il faut qu’on coure. Charlotte a en deux manœuvres fait demi-tour sous une pluie de balles".

Alix : "Pendant que nous sommes perpendiculaires, la portière éclate. Ma hanche brûle. Je reprendrai mes esprits place de la Bastille où des camions arrivent en sens inverse". Elle n'est finalement pas blessée physiquement. Mais psychiquement.

Alix raconte six ans plus tard la "culpabilité du survivant". "Est-ce que nous aurions pu aller aider sur la terrasse ?" Elle croit qu'elle a fait la seule chose possible pour elle et son amie Charlotte à ce moment-là : tenter de "survivre".

Alix : "Je sais que l’horreur peut surgir à tout moment, même avec un vin pétillant au pied. Une peur soudaine et sèche et le cerveau qui calcule le plus vite possible comment survivre".

Alix dit à la barre que les hommes qui ont tué ne sont "pas des fous", mais "des hommes qui ont assassiné la jeunesse d’un pays. Ils doivent être jugés".

Alix : "La vie est fragile et précieuse. Mais elle est immense et reprendra toujours le dessus."

La Belle Equipe : proches de victimes décédées

Témoignage anonyme, amie d'Hodda

Une autre jeune fille arrive à la barre, mains tremblantes. Elle est une survivante de La Belle Equipe. Elle est d'origine marocaine. Commence par dire que son islam, celui auquel elle croit, prône la paix.

Elle était à La Belle Equipe pour l'anniversaire d'Hodda. Elle arrive et la seule table qui restait, une table bancale au fond près du bar, celle qu'elle croyait "la plus nulle", va lui "sauver la vie".

A la barre, elle raconte les tirs, qu'elle prend pour des pétards. Puis les tirs encore. Puis le silence de mort. "Puis, un chaos complètement indescriptible, avec des corps enchevêtrés les uns sur les autres, du sang partout, les visages figés et des hurlements".

Son amie Chloé était sortie sur la terrasse. Elle pleure à la barre en racontant, en revivant la scène. Elle tremble. Fort.

Elle évoque une jeune fille, morte renversée sur une table de la terrasse de La Belle Equipe. Une image qui la hante encore.

Puis elle raconte Khaled, le frère de Hodda et Halima Saadi. "Khaled était en état de choc". Lui dit "Halima est morte, Hodda est touchée à la tête". Les deux sœurs sont mortes à La Belle Equipe. La jeune fille qui parle à la barre, sanglote face à la cour.

Elle explique pourquoi elle a mis du temps avant de témoigner. Elle se trouvait "chanceuse" parce qu'elle n'avait pas été blessée. Puis elle dit sa vie d'avant le 13 Novembre : son job à Londres dans la restauration, où elle s'était fait un nom. Elle a dû y renoncer.

"Boire un verre dans un bar c'est déjà dur, y travailler c'est impossible" désormais pour elle. Elle s'est dit après le 13 Novembre, le stress post-traumatique, que sa vie était "foutue". Elle dit ses dépressions.

Elle dit sa "honte" de se sentir ainsi, alors qu'elle a survécu. Elle se sent "seule". Dit sa solitude des "oubliés des attentats". Elle tremble toujours aussi fort à la barre.

De ce procès, elle n'attend "pas de miracle", "pas que les auteurs se repentissent", n'a "jamais eu de haine envers eux", juste "une immense tristesse", mais "veut tourner la page".

Et elle termine en voulant "répondre à Monsieur Abdeslam", qui a justifié les attentats en parlant des frappes françaises en Syrie. A la barre, elle cite Gandhi qui avait dit : "Œil pour œil et le monde finira aveugle".

Khaled Saadi, frère d'Halima et Hodda

Arrive à la barre Khaled Saadi. Il a perdu ses sœurs Halima et Hodda à La Belle Equipe. "Je suis né au Creusot. Je suis arrivé à Paris à 20 ans. J'ai été recueilli par ma sœur Hodda".

Khaled Saadi : "Je suis venu parler de mes sœurs. J'avais pas eu une enfance très facile, mais on avait beaucoup d'amour. Et aujourd'hui, Halima est décédée. Elle laisse deux enfants qui maintenant vivent à Dakar".

Khaled explique à la barre qu'il était plus proche de sa sœur Hodda, car il vivait chez elle. Elle a mis pour lui, dit-il, sa vie amoureuse entre parenthèses pendant des années pour lui "donner un avenir". Il commence à pleurer.

Khaled, grand jeune homme, cheveux épais, petite barbe naissante, chemise rayée : "Je vais essayer de pas pleurer, faut être fort quand même."

Khaled raconte le 13 Novembre. Il était dans un coin de La Belle Equipe. Aux premiers tirs, il a cru à un problème électrique. Puis après l'attentat, il est sorti sur la terrasse : "Je me lève. Je pense à mes sœurs. J’enjambe tous les corps".

Khaled : "Je suis musulman, mais pas pratiquant". Khaled explique que sur la terrasse, il a d'abord pensé à Dieu. " Le même Dieu que vous", dit-il aux accusés en se tournant vers le box.

Khaled : "Il y a une sœur qui est morte sur le coup, elle a pris une rafale dans le dos". Sa sœur Halima, qui avait deux enfants. "Je l’ai déplacée".

Khaled : "Hodda, elle a pris une balle dans la tête et l’autre dans la jambe". Hodda a succombé à ses blessures.

Khaled : "C’était l’enfer sur terre. J’ai pas forcément envie de détailler plus."

Khaled parle de la "boule de pétanque" qu'il a dans le ventre. "Et à un moment faut que ça sorte". Il parle de sa sœur Hodda qui "tenait une famille entière. Elle a réussi sa vie et quand quelqu'un a réussi sa vie, ça vous pousse vers le haut".

Khaled raconte à quel point le 13 Novembre, la mort de ses sœurs Hodda et Halima, "pour moi ça a été dévastateur. La dégringolade".

Khaled explique qu'il avait deux enfants en 2015, le plus jeune avait un an, et il a dû ensuite quitter sa femme, tant il était lui-même dévasté, "j’avais plus d’amour à donner".

"Maintenant ma vie, je travaille sur ma terrasse avec un plateau". Il ne veut pas avoir peur. Khaled conclut, gorge nouée, "l’amour triomphe toujours. Moi j’y crois. J’ai plus rien à ajouter".

A une question du président, il répond que ses deux neveux, les enfants d'Halima ont aujourd'hui 9 et 5 ans. Il pense que leur père, qui était à Dakar avec eux le 13 Novembre, ne leur a jamais dit les circonstances précises de la mort de leur maman.

Et Khaled Saadi quitte la barre. Gorge nouée. Digne. Terriblement touchant.

Grégory, compagnon de Justine Dupont

Arrive Grégory, qui était l'amoureux de Justine Dupont. "Justine, c'était ma moitié". Il porte un tee-shirt noir sur lequel il a fait imprimer le visage de Justine, souriant. Et il fait projeter sur le grand écran de la cour une photo d'elle.

A la barre, Grégory, grand gaillard, a du mal à parler. S'excuse pour son émotion. Il souffle beaucoup. "Justine c’était mon moteur, mon phare, elle m’a appris à rester calme".

Grégory : "Justine, c’était la maîtresse de mes démons. J’avais plus peur de Justine que d’aller en garde à vue. Et aujourd’hui, je l’avoue, c’est très difficile pour moi de rester calme, je vous cache pas que j’ai énormément de colère".

Grégory : "Aujourd'hui, c’est une première fois, les assises en tant que victime. En général je suis de l’autre côté".

Grégory : "Justine, c’était mon tout. Maintenant, je n’ai plus rien".

Grégory parle aussi de Hodda, "si je suis ici, c'est grâce à Hodda, je tiens à la remercier". Hodda Saadi qui apparaît encore ici à la barre telle un pilier, pour tant de gens.

Grégory parle aussi de Marie et Thierry, couple "fusionnel". "Thierry était policier, vous avez de la chance que ce soir-là il était pas armé" dit-il à la barre.

Grégory s'excuse auprès des parents, de la famille, des amis de Justine. "J’étais pas là-bas pour essayer de la protéger. J’étais pas là pour son dernier souffle, son dernier battement de cœur, et ça c’est quelque chose qui me pèse énormément"

Il s'en veut de ne pas avoir accompagné Justine à La Belle Equipe. "En trois ans, c’est la seule fois où je n’accompagnais pas Justine à un anniversaire. Ce soir-là, j’ai perdu 9 personnes. Il y en a 6 que je connaissais intimement".

Grégory, gorge nouée, dit à la barre, qu'avec Justine, ils rêvaient d'avoir un enfant. "Chez moi dans ma salle de bains, j’ai encore le test. Je sais même pas s’il est positif. Je veux pas le regarder, par peur".

Puis Grégory est prévenu par un coup de fil qu'il y a eu un attentat à La Belle Equipe. Il ne veut pas y croire. Il appelle là-bas. Il cite plusieurs proches, aucun ne répond. Puis Ambre décroche : "Grégory, c'est horrible, il y a du sang partout".

Grégory : "Je prends mon scooter et je grille tous les feux". Il pense avoir croisé sur sa route Abaaoud, "celui qu'on a vu en Syrie", un de membres du commando qui a assassiné des dizaines de de victimes sur les terrasses du 10e et 11e arrondissements de Paris le 13 Novembre

A la barre, Grégory dit de Justine : "Je l'aime encore. Elle me manque". "Et ils nous manquent". Tous ses amis.

Grégory : "Je n'ose même plus dormir dans notre lit dans notre chambre. Ça fait six ans que je dors dans mon salon, sur le canapé. Les affaires de Justine, elles n'ont pas bougé."

Grégory : "Ce que j'attends de ce procès"... "Je fais confiance" à la justice. "J’étais là où ils sont aussi". Il montre du doigt le box des accusés. "La souricière ça me fait plaisir", là où passent d'ordinaire les accusés avant le procès.

En réalité, à ce procès des attentats du 13 Novembre, les accusés ne passent pas par cette souricière.

Grégory : "On est dans un pays de démocratie. Des fois c’est bien, des fois c’est dommage, cette fois-là, c’est dommage".

Et Grégory quitte la barre d'un pas lent, en dévisageant chacun des accusés.

Marie-Amélie, sœur de Marie-Aimée Dalloz

Arrivent à la barre, Marie-Amélie, sœur de Marie-Aimée Dalloz, morte à La Belle Equipe. Tout le monde l'appelait Marie. Marie était avec son amoureux Thierry. A côté de Marie-Amélie à la barre, le fils de Marie, qui a aujourd'hui 18 ans.

Marie-Amélie : "J'ai pris un tsunami dans la face" le 13 Novembre.

Marie-Amélie : "Le 13 Novembre au soir, je regardais un film quand on nous a demandé si on allait bien". Elle apprend par SMS qu'il y a des attaques. Elle ne se doute pas que sa sœur, son beau-frère et des amis sont victimes. Elle découvre le 14 novembre 10 appels de sa mère.

Marie-Amélie est psychologue. "Le 14 novembre, je sens en moi une émotion inconnue". Elle va dans les deux commissariats du quartier, avec son neveu, le fils de Marie. Il avait alors 13 ans, le 13 Novembre 2015 et cherchait sa maman.

Ce jeune homme se tient en ce moment à la barre, à côté de sa tante Marie-Amélie, qui raconte comment elle a cherché ce 14 novembre 2015, sa sœur Marie, la maman de ce jeune garçon.

Marie-Amélie raconte comment elle apprend, le 14 novembre vers 22 heures, la mort de sa sœur Marie. Comment elle cherche à protéger le fils de Marie, qui l'appelle au même moment pour savoir si elle avait trouvé sa maman ?

Marie-Amélie : "Je prends le téléphone. Je lui réponds. C’est impossible de lui apprendre la mort de sa mère dans ces conditions. Je me souviens avoir pensé : je veux qu’il dorme, demain sera terrible".

Marie-Amélie explique à la barre que Marie et son amoureux Thierry devaient fêter leur PACS le week-end suivant. Marie avait un fils, 13 ans à l'époque. Thierry, deux enfants, mineurs eux aussi.

Marie-Amélie explique que Marie était la meilleure amie de Justine, dont le chéri, Grégory, vient de témoigner à la barre. "Elles étaient toujours ensemble", jusqu'à leur dernier souffle.

Marie-Amélie parle du fils de Marie. Il est à côté d'elle la barre. "Il a 19 ans, il a eu son BAC. Actuellement, il travaille dans un restaurant, pas n'importe lequel". Le restaurant des "trois survivants du groupe d’amis présents ce soir-là à La Belle Equipe".

Marie-Amélie parle ensuite de son père, "mort de chagrin" et de sa mère qui était donc aussi la mère de Marie. "Ma mère est née un 13 Novembre. Cette date d’anniversaire est devenue un cauchemar. Comment célébrer un cauchemar ?"

Marie-Amélie conclut : "Nous n’avons pas de haine". Puis elle quitte la barre avec son neveu, le fils de Marie.

Père d'Anne-Laure Arruebo

Arrive à la barre le papa d'Anne-Laure Arruebo. Tuée à La Belle Equipe. Elle était inspectrice des douanes, elle parlait plusieurs langues. Il dit le mot justice en plusieurs langues.

Le père d’Anne-Laure : "Je voudrais dire quelques mots pour les victimes rescapées. Je voudrais leur dire que j’aimerais très fort les serrer dans mes bras, qu’il ne faut pas qu’elles culpabilisent, qu’elles ne sont pas coupables de rester en vie".

Le père d’Anne-Laure : "A les entendre, on ne les trouve pas si chanceuses que ça, quand elles expriment avec tant de difficulté leur souffrance, leur tristesse, l’horreur qu’elles ont vécue".

Le père d'Anne-Laure : "J’ai hésité à venir au procès. C’est une victime qui m’a convaincue : on parle trop des terroristes, pas assez des victimes. C’est pour cela que je prononcerai souvent le prénom d’Anne-Laure. Par contre, eux, je ne dirai pas leur nom".

Le père d'Anne-Laure : "Ce n’est pas de la haine ou de la colère, je pense que c’est plus de la pitié envers des gens sans coeur ni raison".

Dominique Kielemoes, mère de Victor Munoz,

Après une courte suspension, arrive à la barre Dominique Kielemoes. "Je suis la mère de Victor Munoz", assassiné à La Belle Equipe. Elle arrive à la barre accompagnée de son autre fils. Voix très émue.

Dominique Kielemoes raconte son métier de prof, et sa casquette d'élue municipale du 11e arrondissement de Paris. C'est en tant qu'élue qu'elle est appelée ce soir-là. On l'informe par téléphone que Victor, son fils, est grièvement blessé à La Belle Equipe.

Sur place, Dominique Kielemoes comprend tout de suite la gravité de l'attentat. "J’ai vu les corps gisant sur la terrasse". On lui parle de 19 morts et une urgence absolue. Elle s'accroche à l'espoir que son fils Victor n'est pas mort.

Dominique Kielemoes, la maman de Victor Munoz, ne passe pas le dernier barrage de police. "Toute ma vie, je regretterai de ne pas avoir passé le dernier barrage de police et qu’il ne meure pas seul". Son seul espoir, qu'il n'ait pas senti qu'il allait mourir.

Dominique Kielemoes a espéré que son fils, Victor Munoz, ne soit pas mort, jusqu'au lendemain. Quand le jour s'est levé, le 14 novembre, elle a "à nouveau ressenti que Victor n’était plus en vie".

Dominique Kielemoes : "Toute ma vie, je reverrai l’image d’Alexandra tombant à terre quand elle apprend la nouvelle". Alexandra était l'amoureuse de Victor Munoz. Le 12 novembre 2015, ils avaient parlé mariage.

Dominique Kielemoes évoque le corps de son enfant qu'on lui présente à l'institut médico-légal. "Cinq minutes pour réaliser que votre fils de 24 ans est mort et que plus jamais vous ne pourrez le prendre dans vos bras et le toucher". Il est à travers une vitre.

Dominique Kielemoes ne pourra toucher à nouveau son enfant que dix jours plus tard avant l'enterrement. Il était "un cadavre froid". Elle fait projeter sur grand écran une photo de Victor Munoz, "un garçon beau solaire, joyeux, affectueux".

Dominique Kielemoes : "La mort de Victor a saccagé notre vie. Du jour au lendemain, le bonheur disparaît. Oubliés les anniversaires, les fêtes, Noël".

Dominique Kielemoes, la maman de Victor Munoz : "Je n’ai pas pu reprendre le travail de professeure que j'aimais, car j’ai senti que je détesterais les gens pleins de vie en face de moi".

Dominique Kielemoes, la maman de Victor Munoz : "Pendant cinq ans, la chambre de Victor est restée fermée et ouverte". Elle a attendu qu’il "rentre par la porte-fenêtre comme à son habitude".

Dominique Kielemoes, la maman de Victor Munoz, veut que ces accusés "me regardent dans les yeux et voient la douleur d’une mère, d’un frère"... Elle les fixe derrière la vitre de leur box.

Dominique Kielemoes, la maman de Victor Munoz : "Je méprise ces hommes. Parfois je les hais. Mais je suis fière de mon fils Victor, de mes fils. Et je fais pleinement confiance à la justice de mon pays".

Dominique Kielemoes dit aussi à la barre que l'association 13onze15 l'a aidée. Elle en est devenue vice-présidente.

José Munoz, père de Victor

Son mari, José Munoz, le papa de Victor arrive à la barre. Et prévient les accusés : "Nous démontrerons chaque jour à ces créatures du mal ce que représente l’amour".

José Munoz, le papa de Victor espère "ébranler le fondamentalisme" des accusés. Qu'il accuse : "Vous détournez une religion, un Dieu, à votre profit". Il montre lui aussi une photo de Victor, beau jeune homme de 24 ans.

José Munoz, le papa de Victor est en larmes à la barre. Il parle du «carrefour maudit de La Belle Equipe" où Victor a été "assassiné par trois lâches sans cervelle".

José Munoz, le papa de Victor, a espéré après le 13Novembre, avant d'apprendre que son fils était mort et son corps à l'IML : "Notre fils était mort. Exécuté comme un animal. Il était beau notre fils. Il avait 24 ans".

José Munoz dit des assassins de Victor qu'ils sont "des hommes ignorants, incultes et lâches".

José Munoz, face à la cour d'assises : "comment faire un tel deuil, Monsieur le président ?"

José Munoz, papa de Victor dit aux accusés : "Vous avez tenté de nous mettre à genoux", il conclut que c'est "la jeunesse libre" qui gagnera.

Yohann Mondeguer, petit frère de Lamia Mondeguer

Arrive à la barre Yohann Mondeguer, le petit frère de Lamia Mondeguer, assassinée à La Belle Equipe. Il lit un texte.

Yohann Mondeguer habitait pas loin. Il est passé devant Le Bataclan ce soir-là. Ce soir-là, chez lui, il entend des bruits. Croit à des festivités liées au match de foot. "En réalité, c'étaient les balles qui tuaient ma sœur".

Yohann Mondeguer : "Lamia et son chéri Romain ont été tués par des terroristes", et il se retire de la barre, et laisse place à sa maman, Nadia. Nadia Mondeguer se présente comme Egyptienne "arrivée en France à 22 ans".

Nadia Mondeguer, mère de Lamia Mondeguer

Nadia a épousé Jean-François Mondeguer, un Finistérien, qui est mort en 2020, de "chagrin", "il s'en est allé rejoindre sa coccinelle", c'est comme ça qu'il appelait leur fille Lamia, assassinée à La Belle Equipe.

Nadia Mondeguer prononce à la barre le nom de Salah Abdeslam avec un accent arabe. Et montre une dernière photo de sa fille, Lamia. Prise à 19h21, le 13Novembre 2015. Lamia sourit sur la photo.

Et elle parle à la barre des anasheed. "Ce n'est seulement lié au djihad, c'est un cantique", précise la maman de Lamia Mondeguer.

Comme son fils, elle a entendu une "pétarade", au bas de ses fenêtres, à quelques rues, les rafales qui ont tué sa fille dans le 11e arrondissement de Paris. Mais les premières infos sur WhatsApp parlent du Stade de France et Bataclan, mais pas Charonne.

Nadia Mondeguer raconte qu'elle n'a jamais été informée officiellement de la mort de sa fille Lamia. "J'ai pas crié. Il y a juste une dissociation qui s'est opérée en moi".

Nadia regrette de n'avoir pas su plus tôt que sa fille mourait à 150 mètres de chez elle. "J'aurais pu la prendre dans mes bras". Elle contient son émotion à la barre. Très digne.

Nadia Mondeguer tient aussi à la barre à demander à rectifier une erreur commise par la police. Confusion entre sa fille Lamia et Michelli sur la terrasse de La Belle Equipe. Erreur répétée par un enquêteur à la barre. Nadia Mondeguer tient à rectifier.

Nadia Mondeguer : "Lamia était en chien de fusil, Romain la tête sur ses fesses". Les victimes sont tombées sous les balles, enchevêtrées, les unes sur les autres, sur la terrasse de La Belle Equipe.

Quand elle arrive à l'IML, on lui présente un autre corps que celui de sa fille. «Vous étiez préparée à vous recueillir et vous êtes projetée dans la posture de la maman qui doit gérer l'administratif". Elle doit appeler le dentiste pour identifier Lamia.

Au même moment, "le Premier ministre de l'époque fanfaronne que tous les corps ont été identifiés. On était les oubliés de la terre". Nadia Mondeguer raconte sa double douleur.

Sa fille Lamia Mondeguer a été assassinée, mais il lui a fallu attendre avant de pouvoir se recueillir sur le corps de son enfant. D'autres parents ont vécu le même terrible double drame que Nadia Mondeguer.

Nadia Mondeguer a achevé son témoignage très dignement. Et en disant sa colère. Et son désarroi. Face à ces "auteurs" des attentats du 13 Novembre. "Quelques-uns sont nés en 1985, comme Lamia. J’aurais pu être leur mère. Ma première réflexion : quel gâchis".

Nadia Mondeguer : "C’est vrai que plus vous avancez dans la connaissance du dossier, ces anges se transforment en monstres."

Nadia Mondeguer pense que "nous sommes les victimes de personnalités mégalomanes, avec un ego surdimensionné. On le voit avec Abbaoud. Ils se gargarisent, je m’excuse, du mot kouffar". Elle le prononce avec un accent arabe.

Nadia Mondeguer parle d'une "génération mue par des pulsions de violence sur lesquelles il y a du vernis religieux".

Nadia Mondeguer parle à la barre du Allah Akbar, cri "vivant", "pas votre cri mortifère qui accompagne des gestes assassins, j'en peux plus !"

Et Nadia Mondeguer laisse sa place à la barre à l'un de ses fils, Gwendal, qui dit à la barre sa colère que sa soeur Lamia ait été assassinée, "avec qui sait la complicité de certains dans cette salle ?"

Gwendal Mondeguer

Gwendal Mondeguer se râcle souvent la gorge et dit : "Ce que j’attends du procès, c’est de rationnaliser ma colère. J’attends du procès de pouvoir canaliser cette colère parce qu’elle déborde".

Pour conclure, Gwendal Mondeguer cite l'accusé Salah Abdeslam, lorsqu'il avait pris la parole disant que ce n'était pas pour être provocateur et avait remercié d'être écouté. "Eh bien, j'ai écouté", conclut le frère de Lamia Mondeguer, assassinée à La Belle Equipe.

Survivants du Comptoir Voltaire

Sonia

Puis la cour entend le témoignage émouvant de Sonia, survivante au Comptoir Voltaire, où le grand frère de Salah Abdeslam, Brahim Abdeslam s'est fait exploser en kamikaze.

Sonia a été grièvement blessée par la déflagration. Et tout ce qui a explosé. Elle a cru mourir. Ne voit plus d'un œil. Un éclat est passé à quelques millimètres de son cerveau. Elle est restée des semaines à l'hôpital.

Six ans après, Sonia, une jeune fille, raconte à la barre "les pleurs, les cris, les kilos de médicaments, les médecins faisant partie de ma famille, un statut handicapé, un fonds de garantie inhumain nous faisant passer du statut de victime à celui d’accusé".

Mohammed, père de Sonia

Son papa, Mohammed lui succède à la barre. En larmes. Culpabilisé que sa fille soit sortie au Comptoir Voltaire ce 13 Novembre plutôt que "dîner à la maison".

Mohammed, à la barre : "Je suis musulman. Ces gens-là appellent les musulmans comme leurs frères. Je ne suis pas leur frère. Car leur frère ne fera de mal à personne". Mohammed, le papa de Sonia, pleure.

Mohammed : "Ma fille est avec des séquelles mais elle est vivante. Sauvée soi-disant par des mécréants. Monsieur le président, je n’ai pas la haine, mais je ne pardonnerai jamais. Merci de m’avoir écouté."

Théo, puis Vincent

Puis vient Théo, survivant du Comptoir Voltaire lui aussi. Blessé lui aussi. Il s'est longtemps senti "coupable d'être au mauvais endroit au mauvais moment". Il dit qu'il se sent "privilégié" d'avoir été moins blessé que d'autres.

Vincent est aussi survivant du Comptoir Voltaire. Il est directeur de théâtre. Raconte l'explosion de Brahim Abdeslam, "le chaud, les projectiles, l'odeur de gaz". Il survit. Son compagnon l'emmène à l'extérieur. Vincent lui fait une déclaration d'amour à la barre.

Vincent : "Il paraît que j'ai assisté à la mort d'un martyr, et je suis pas loin de son frère" dans la salle. Vincent précise qu'il a eu très peur de venir parler face aux accusés.

Vincent dit que dans sa vie, il n'a plus peur de rien. "Je me suis marié, et avec un garçon, et ça, ça doit pas trop leur plaire".

En même temps, Vincent dit qu'ils "ont gagné". Il dit son traumatisme qui demeure. Toujours à coté des issues de secours, "et en tant que directeur de théâtre, c'est chiant". Et il dit sa culpabilité du survivant.

Et il regrette à la barre qu'il n'y ait pas de condamnation "post mortem" des terroristes kamikazes du 13Novembre. La justice française ne juge pas les morts dont elle a la preuve.

A ce procès 13Novembre, plusieurs accusés présumés morts en Syrie sont jugés, car la justice française n'a pas la preuve de leur mort.

François, compagnon de Vincent

François, le compagnon de Vincent, qui était aussi au Comptoir Voltaire témoigne à son tour. Dit : "la vie depuis six ans est faite de hauts et de bas, mais l'amour est plus fort que tout".

François n'attend "rien du verdict, rien des accusés", mais il "tient à témoigner", de ce qu'il a vécu, "l'expérience de mort imminente". Témoigner aussi du FGTI, décrit une fois de plus comme "inhumain".

Puis François s'adresse directement à Salah Abdeslam. "Monsieur, je serai bref vous concernant. J’ai vu votre frère mourir. Ce que votre frère m’a fait subir, vous l'avez vu, m’a anéanti, détruit". Ils sont face-à-face, à quelques mètres.

François regarde Abdeslam. Salah Abdeslam ne fuit pas le regard. Il est assis à hauteur de la barre. Une vitre entre eux. "J'ai la rage", dit François.

François, regardant Salah Abdeslam : "Mais monsieur Abdeslam, plutôt que de m'enlever tout ça. Vous me l’avez donné." C'est aussi une rage de vivre depuis le 13Novembre

Et François se tourne face à la cour : "Monsieur le président, je suis fier de ce pays et de cet appareil judiciaire qui réussit à tenir un procès de cette envergure".

David

Enfin, David, soignant vient raconter à la barre comment il a voulu sauver des vies au Comptoir Voltaire. Sans le savoir, il a massé le kamikaze, Brahim Abdeslam. "C'est vous le fou qui avez massé le kamikaze ?" lui dit un policier.

David raconte comment il s'est effondré ensuite. Après le 13 Novembre. Le gilet du kamikaze Brahim Abdeslam n'avait explosé qu'à moitié.

David aurait pu mourir.

David était responsable urgentiste à l'hôpital St Antoine, qui a accueilli de nombreux blessés du 13 Novembre. Il dit que son travail l'a aidé. Mais il ne supportait plus une sirène de pompiers, de police.

Il a enchaîné pendant six mois des bronchites aiguës. Il avait respiré le gaz, les émanations de l'explosion. Il a essayé de reprendre le dessus, dit-il. Le 13 Novembre 2016, il a "remis le pied au Comptoir Voltaire". Il pensait aller mieux, "mais cette année, j'ai recraqué".

David explique que l'approche du procès a été éprouvante. "Mais j'ai goût à la vie. Je n'ai aucune haine envers ceux qui ont fait ça. J'attends rien de ce procès mais je crois à la justice de mon pays". 13 Novembre

Le président le remercie. Fin de l'audience.

Jour Dix Neuf - Mercredi 6 octobre - Témoignages de survivants du Bataclan

Bonjour à tous, Au procès des attentats du 13 Novembre 2015, l'audience va reprendre pour sa 19e journée.

L'audience reprend. Président : "nous abordons aujourd'hui même les personnes qui ont demandé de s'exprimer sur les faits survenus au Bataclan. Nous avons 16 personnes prévues aujourd'hui".

Jean-Charles

Jean-Charles est le premier à s'avancer à la barre. "Je voudrais d'abord, parce que j'ai entendu des choses qui ne m'ont pas plu, rendre hommage aux forces de police et de gendarmerie. A mes yeux, ce sont des héros." "Ce soir-là, j'étais sur le trottoir devant le Bataclan".

Jean-Charles retrouve un ami devant l'Aperock Café. "On se dit bonjour, on allume une clope. Et c'est là qu'ils sont arrivés. Ils étaient face à nous. J'en ai vu qu'un. Parce que quand on vous tire dessus, vous êtes dans un tunnel, vous ne voyez rien."

Jean-Charles : "quand ils ont bougé, j'ai vu qu'ils étaient quatre. Et j'insiste sur le chiffre 4. Ce ne sont pas des rumeurs, pas des on-dit. Ils étaient 4". L'instruction a cependant démontré que le commando du Bataclan était composé de trois personnes.

Président : "si je comprends bien, vous n'avez pas été touché physiquement ?" Jean-Charles : "non, ils m'ont loupé. Mais ils m'ont tiré dessus."

Président : "ce nombre de 4 fait sujet car de nombreuses personnes parlent de trois individus. On ne retrouve que trois kalachnikovs à l'intérieur. Vous voyez quatre individus armés ? " Jean-Charles : "oui" - d'après l'enquête, il semblerait qu'il n'y avait que trois personnes.

Président : "on sait que l'émotion peut altérer l'observation. Est-ce que vous êtes vraiment certain d'en avoir vu quatre [terroristes ndlr]? Jean-Charles : oui

Irmine

Irmine s'avance à la barre. Son avocate Me Coviaux souhaite faire diffuser à l'audience une cartographie du Bataclan réalisée par les avocats pour situer les différentes victimes à l'intérieur de la salle de concert. Irmine se présente : "55 ans, j'habite à Dijon".

Irmine était au concert des Eagles of Death Metal avec un ami, Fabian : "je me situe tout prêt de l'entrée. Quand l'attaque débute, je me retrouve au sol, face contre terre. J'entends un homme d'une voix juvénile, sans accent crier : "la France n'a rien à faire en Syrie".

Irmine : "le terroriste "crie quelque chose en arabe, peut-être Allah Aqbar. Puis il dit : le premier qui bouge, je le tue. Je me demande où est mon ami. Je me demande aussi où elle la femme enceinte que j'avais vue près de moi à droite."

Irmine : "un homme crie : ils rechargent, c'est le moment de partir. Et là, je vois les jambes et l'imperméable de Fabian, sa tête méconnaissable. Il y avait du sang partout." Elle craque à la barre. "J'essaie de le tirer une fois, deux fois. Je n'y arrive pas."

Irmine : "je ne veux pas le laisser là. Mais je ne sais pas quoi faire. Je pense à mon mari, mes enfants. Et je sors." Elle est accueillie chez des personnes du voisinage. "On a attendu là, un certain temps. J'étais dans la salle de bain avec un jeune homme de l'âge de mon fils"

Irmine : "j'ai eu beaucoup de chance, les balles m'ont traversé la poitrine, mais superficiellement. J'ai eu des points de suture sur les deux seins. Mais c'est tout. Voilà pour les faits."

Irmine se tourne vers le box : "je me demande ce qu'il s'est passé chez les assassins qui sont là pour qu'ils tirent sur des innocents. S'il s'est passé quelque chose dans leur enfance. Parce que les gens sur lesquels ils tirent ce sont des vrais gens."

Président : "les tirs ont commencé dès l'entrée. Il n'y a pas eu de parole avant, rien ?" Irmine : "oui, ça a été immédiat. Et je crois que Fabian [Stech, 51 ans, professeur, ndlr] a été tué sur le coup." Irmine explique encore qu'elle a "des cicatrices de peau, de coeur et d'âme". Elle confie son syndrome de stress post-traumatique. Puis s'éloigne de la barre.

Jean-Marc

Jean-Marc : "j'ai 40 ans, je viens du Havre. Je suis venu au Bataclan avec 5 amis. Nous avons regardé une partie de la première partie à proximité de la régie son." Au moment de l'arrivée des Eagles of Death Metal, il descend dans la fosse. Puis, avec sa compagne, sort fumer.

Jean-Marc n'atteint pas la sortie mais "je tombe nez à nez avec les trois assaillants. J'ai aperçu des flammes sortir de leurs armes. Je les ai vus tirer sur tout le public. J'ai vu des personnes autour de moi recevoir des balles. Tous les gens se sont mis à hurler."

Jean-Marc se retrouve dans la fosse : "prostré sans aucune possibilité de bouger. J'ai entendu une personne dire qu'une porte était ouverte sur la gauche. J'ai vu ma compagne se lever pour s'enfuir mais les tirs ont repris. Le groupe dans lequel elle se trouvait s'est écroulé"

Jean-Marc : "j'ai vu un des assaillant se rapprocher de moi, j'ai vu ses pieds près de mon visage, j'ai senti des gouttes sur ma tête. Une personne à côté de moi a eu son téléphone qui s'est mis à sonner. Elle a été prise pour cible."

Jean-Marc : "j'ai fait le mort jusqu'à la fin de l'attaque. Je n'ai relevé la tête qu'une fois au moment de l'explosion [du premier kamikaze ndlr]. J'ai vu des lambeaux de chair retomber au sol. J'avais le sentiment d'être complètement à découvert, à la merci des tireurs."

Jean-Marc : "les gens autour de moi demandaient de l'aide. Je suis sorti peu après 23 heures. Je ne parvenais même pas à courir pour sortir, tellement j'étais stupéfait. Un policier a du me hurler dessus pour que je continue à avancer vers l'extérieur."

Jean-Marc : "je me souviens d'une jeune femme en pleurs qui ne savait même pas comment annoncer à sa famille que son conjoint y était resté. Une de nos amies a été touchée sur le flanc droit, mais nous étions tous saufs, sans exception."

Jean-Marc : "je suis un miraculé. Et j'avais pas de raison de me plaindre. La question que j'ai encore c'est : pourquoi? Pourquoi on s'est retrouvés là ? Pourquoi on a été pris pour cibles ? Pourquoi ces personnes ont fait ça? De ces questionnements découle de la colère."

Jean-Marc arrête soudain son récit, la voix tremblante : "si vous avez des questions ..." Président : "on a compris que vous vous êtes retrouvé face aux tireurs. Tout près?" - à la même distance que vous et moi. Trois silhouettes.

Jean-Marc : "on était complètement impuissants, face contre terre, à ne pas savoir quoi faire, à se demander si on allait se prendre la prochaine balle ou pas. Soulagés de ne pas être la cible suivante, sachant que c'était au détriment de quelqu'un d'autre."

Jean-Marc, d'une voix marquée par l'émotion et la tristesse : "c'était totalement inhumain. Ca a été pensé pour laisser des traces indélébiles."

Jean-Marc : "il a fallu que je me rende compte que ça dégradait beaucoup de choses autour de moi, mes relations amicales, sentimentales, pour que je réalise qu'il fallait que je fasse un travail. Mais je n'étais pas blessé en même temps ..."

Président : "ça a eu un impact sur votre vie professionnelle?" Jean-Marc hoche la tête : "je suis dans l'enseignement supérieur, je me destinais à devenir maître de conférence à ce moment-là."

- et maintenant?"

- je ne le suis pas ….

Cédric

Cédric s'est avancé à la barre : "j'avais 37 ans, j'étais au concert avec ma compagne. J'étais chauffeur-livreur pour une société de boisson". Il décrit les spectateurs qui étaient autour de lui au concert. Puis s'interrompt : "désolé, j'ai un peu le vertige, ça me stresse."

Cédric : "j'ai entendu un crac, j'ai cru que c'était un jack de guitare qui s'était débranché, ça arrive parfois. Puis j'ai pensé à des pétards. Ça va très très vite. La foule tombe, je me suis pris tout le monde, j'ai eu la jambe droite tordue."

Cédric : "je vois celui derrière nous qui recharge. Je dis à tout le monde de partir. " Il s'excuse d'être un peu confus : "j'avais tout écrit mais en face de vous et à côté de ces messieurs [il montre le box, ndlr], ce n'est pas facile". Président : "c'est très très clair

Cédric raconte "cette personne que j'ai eu le plaisir d'entendre mourir, s'étouffer dans son sang. Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça. Comme d'autres que j'ai vu mourir et qui me regardaient. Alors j'ai essayé de fusionner avec le sol."

Cédric : "la BRI est arrivée. J'ai eu une 2e fois peur de mourir. Un monsieur m'a relevé, m'a demandé de lever les mains. J'avais plein de cibles sur moi. J'ai eu une frayeur horrible." Il raconte les corps : "pour sortir, il a fallu leur marcher dessus. Et ça, c'est pas super"

Cédric explique être resté longtemps, même après sa sortie, sans nouvelle de sa femme "et puis, à un moment elle est sortie en pleurs. C'était le meilleur moment de la soirée. Et on est rentrés chez nous. Je n'ai pas fait attention à ma jambe. Une petite douleur dans tout ça …"

Il a eu besoin de rééducation pour sa jambe jusqu'en 2017. "Elle ne peut toujours pas courir. Elle me fait toujours mal. Mais le psychologique a été plus difficile : il a fallu enlever toutes ces images, ces gens qui crient au secours, voir les gens les yeux qui s'éteignent"

Cédric se tourne vers le box : "messieurs qui avez fait le djihad, vous avez vu des gens mourir en les regardant dans les yeux ? Des gens dans des mares de sang ? Vous êtes en colère contre notre pays. Mais nous, on n'a rien demandé, on n'a pas d'animosité contre vous à la base."

Cédric : "on n'arrive pas à ce qu'ils ont fait comme ça. Mon père a été absent pendant longtemps, j'ai élevé mon petit frère et ma petite sœur pendant que ma mère était malade. Au lycée, j'étais entouré de cités. Mais jamais je n'ai voulu tuer des gens."

Cédric, toujours au sujet des accusés : "ces gens ont vécu une bonne partie de leur vie en Europe. Notre Etat aussi est responsable de ce qu'il s'est passé. C'est peut-être pas sympa. Mais il faut le noter. "

Cyrille

Cyrille, 50 ans, régisseur général du Bataclan depuis le 1er septembre 2015, père de 3 enfants : "j'avais invité deux personnes, Cédric et David qui sont décédés au Bataclan ce jour-là. David, qui ne souhaitait pas venir s'était décidé un peu au dernier moment, pour nous voir."

Cyrille : "vers 21h45, je dis à David : viens, on va fumer une clope. David ne fumait plus. Mais on sort. Et là, face à moi, j'aperçois les vitres qui volent en éclats. Un bruit de pétard. Je sens une chaleur sur ma jambe gauche et j'aperçois la tête du premier terroriste."

Cyrille se réfugie dans un des bureaux du Bataclan. "J'avais un numéro de portable de la Bac nuit. Il me dit : "je sais, on arrive"." Il accueille des spectateurs dans le bureau. Puis les premières forces de l'ordre. Il leur fournit des talkies-walkies, les plans de la salle"

A plusieurs reprise, Cyrille, régisseur du Bataclan, ouvre la porte du bureau pour accueillir des spectateurs qui viennent s'y réfugier : "il y avait des blessés très graves, dont un qui est mort sur mon bureau dans le courant de la nuit".

Cyrille : "jusqu'à 5 heures du matin, je ne comprends pas grand chose, je suis en pilote automatique, je fais ce qu'on me dit. Ce n'est qu'en rentrant chez moi que j'ai compris la réalité de la situation".

Mais avant de rentrer chez lui, Cyrille explique qu'une fois l'assaut terminé, les forces de l'ordre "avaient besoin que quelqu'un rentre dans la salle : pour rallumer les plafonniers, régler une fuite d'eau etc. Et le plus à même, c'était moi."

Cyrille : "je vois plein de cadavres, plein de corps." Il doit passer par la scène : "je tombe sur une tête", celle du premier kamikaze. Il finit par dire aux forces de l'ordre : "je vous donne une clé et vous laisse vous débrouiller parce que moi, je ne peux plus rentrer."

Cyrille finit par rentrer chez lui : "j'ai encore la note de taxi, qui indique 5 heures 00. Et par la suite, pendant longtemps, j'ai fait des insomnies et je me réveillais à 5 heures 00."

Cyrille finit par retourner dans la salle le 21 janvier, pour vider "le matériel scénique, les fauteuils". "La salle avait été nettoyée, mais il restait sur les murs, le plafond, du sang, des morceaux ... enfin bref". Malgré des rechutes, il ne cessera de travailler au Bataclan

Cyrille : "j'ai un sentiment assez profond d'être souvent livré à moi-même. Je pense que beaucoup de parties civiles ressentent ça : on est démunis. Je ne suis plus le même homme qu'avant, toute la phase d'insouciance a disparu. J'ai des moments d'isolement, de crises d'angoisse"

Cyrille veut finir sur une anecdote au sujet de sa fille, Joséphine, deux ans au moment des faits. "On essaie de la préserver mais c'est pas si simple. Elle en a parlé à ses camarades de classe, sa maîtresse. C'est pas des situations normales pour des enfants de huit ans".

Régisseur du Bataclan

Le régisseur du Bataclan explique que la capacité de la salle de concert, pleine ce soir-là était de 1499 personnes : 370 fauteuils au balcon. "Donc, il y avait un peu plus de 1100 personnes dans la fosse." Pas de vidéosurveillance à l'époque, elle a été installée depuis.

De très nombreux enfants ont en effet subi les conséquences directes ou indirectes des attentats du 13 Novembre 2015. Certains étaient même sur les lieux des attentats.

Certains étaient sur les lieux des attentats, d’autres y ont perdu un parent, d’autres encore ont vu leur parent rentrer traumatisé à la maison. Ils sont les enfants du 13 novembre 2015.

Le régisseur du Bataclan explique que la capacité de la salle de concert, pleine ce soir-là était de 1499 personnes : 370 fauteuils au balcon. "Donc, il y avait un peu plus de 1100 personnes dans la fosse." Pas de vidéosurveillance à l'époque, elle a été installée depuis.

L'audience est suspendue pour une pause "d'une vingtaine de minutes". Viendront ensuite notamment les témoignages de Edith Seurat, qui s'est confiée à France Inter

Edith Seurat & Bruno Poncet

Edith Seurat a 43 ans. Le 13 Novembre 2015, elle était au Bataclan avec une amie. Mais elles ont été très vite séparées. Edith se réfugie sur le balcon où un inconnu l'a prise sous son aile, protégée, rassurée. Jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre.

La cour doit aussi entendre cet après-midi Bruno Poncet

Bruno Poncet a 48 ans. Le 13 Novembre 2015, il assiste au concert avec un ami et son fils. Il n’a pas été blessé physiquement. Mais a subi de plein fouet le syndrome post-traumatique et la culpabilité du survivant.

Helen

L'audience reprend avec le témoignage d'Helen : "à l'époque, je travaille dans le monde du spectacle, j'avais 49 ans. J'avais ma propre entreprise de cattering, je faisais la cuisine pour les artistes." Elle est très émue, pleure et peine à démarrer son récit.

Helen : "le 13 novembre, j'arrive à la salle du Bataclan pour retrouver Nick Alexander qui est l'amour de ma vie." Nick Alexander travaillait sur le stand de vente de T-shirt et produits du groupe. Il a été assassiné ce soir-là.

Helen : "soudain, les portes s'ouvrent avec force. Je vois des gens entrer en panique. Je pense qu'il y a une bagarre ou quelque chose. Puis je vois un homme avec une arme, qui commence à tirer sur les gens. Nick m'attrape, me jette par terre et me sauve la vie en fait."

Helen : "On était sur l'estrade, donc un peu plus haut que les autres. Et Nick me dit : je vais mourir ce soir Helen. A un moment, ils rechargent et beaucoup de gens nous piétinent. Mais je savais que Nick était blessé donc il était hors de question que je parte."

Helen : "il y en a un qui se met à ma gauche et qui dit "ça c'est pour nos frères en Syrie, ça vous apprendra." Je compte les terroristes plusieurs fois, parce qu'ils bougeaient beaucoup. Et pour moi, ils étaient quatre."

Helen raconte l'intervention du commissaire de la Bac Nord et son chauffeur, qui tirent sur le premier kamikaze. "J'ai dit à Nick : tu vois, ils vont venir nous sauver."

Mais un des terroristes revient vers eux, leur tire dessus. Helen prend deux balles dans les cuisses. Je le regarde dans les yeux et je lui dis : "please stop". Et il s'en va. Je demande à Nick s'il est touché. Il me dit : "oui, au ventre".

Helen : "plus tard, il me dit : "je ne peux plus respirer". Et il meurt dans mes bras. On était dans une flaque de sang. Je sens que sa peau est froide. Je lui dis : Nick, je suis désolée mais il faut que je sorte chercher de l'aide. Je t'aime."

Sur question du président, Bruno évoque le fils de son ami : "il a 16 ans, c'était un enfant de dix ans courageux. C'est devenu un jeune homme courageux."

Coralie

Coralie, "28 ans à l'époque", s'est avancée à la barre. Le 13novembre , elle est au Bataclan avec "mon pote de concert qui est devenu depuis mon meilleur ami." Ils s'installent dans la fosse, non loin de la scène. Dès les premiers tirs, elle aperçoit les terroristes.

Coralie : "c'est Thierry qui m'a tirée vers le sol, c'est là que j'ai pris une balle dans l'omoplate." Au sol, elle reçoit une deuxième balle dans le pied gauche. "J'ai vu Thierry s'éloigner et prendre une balle dans le pied gauche".

Coralie : "j'ai procédé par étape : dégager ma jambe droite, coincé sous quelqu'un, puis mon sac parce qu'il y avait ma carte Vitale à l'intérieur et que je savais qu'il fallait que j'aille à l'hôpital. J'ai rampé sur des personnes vivantes et décédées"

Coralie : "j'ai commencé à me relever". Mais elle sous-estime la douleur. Tombe. "j'ai cru que j'allais mourir étouffée sous les gens. Je n'en veux à personne. C'était l'instinct de survie". Elle finit par sortir de la salle.

Coralie explique avoir toujours des séquelles, des douleurs au pied, à l'omoplate "et j'aurais toujours mal car il manque une partie du muscle. Mais je sais que je n'ai rien de grave et mon meilleur ami est toujours en vie." Elle ne peut plus travailler à temps plein.

Emilie

Emilie, 35 ans, s'apprête à témoigner à la barre. "Le 13 novembre, j'étais docteur en biochimie et je travaillais dans l'enseignement supérieur. J'étais très épanouie dans mon travail. Je me suis mariée à l'été 2015 et on avait un projet bébé".

Ce soir-là, Emilie arrive au Bataclan avec son mari "à la fin de la première partie." "J'ai été frappée instantanément par le sang par terre" raconte-t-elle sur les débuts de l'attentat. "Ce qui m'a marqué tout de suite c'est le visage terrifié de mon mari".

Emilie : "j'étais totalement résignée. J'ai pensé : heureusement qu'on n'a pas d'enfants. J'ai pensé que j'avais eu une belle vie, qu'on venait de se marier. Tout ce que je souhaitais c'était qu'on s'en sorte tous les deux ou qu'on meure tous les deux."

Emilie : "moi j'ai été marquée par le silence. Je me disais qu'à chaque rafale, il devait y avoir des gens qui devaient se faire littéralement trouer. Et pourtant ils se taisaient. Je trouvais ça tellement dur."

Emilie raconte qu'elle parvient à se réfugier dans un local : "c'est là que ça a été le plus dur pour moi. Car on est restés très longtemps dans ce petit local, il faisait complètement noir. On était extrêmement nombreux. Il y avait un blessé qui saignait beaucoup derrière moi"

Emilie raconte à son tour l'intervention des policiers "ces robocops qui nous ont fait sortir et qui étaient très suspicieux." "On est passés par la scène et quand j'ai vu les morceaux de chair sur les murs, j'ai été totalement traumatisée. C'était l'horreur. "

Emilie : "on nous a dit de ne pas regarder, mais j'avais été tellement dissociée pendant longtemps, sans émotion, que j'ai choisi de regarder dans la fosse. Et voilà, ça ne m'a plus jamais quittée."

De retour à la maison, Emilie finit par s'endormir. "J'ai été réveillée par mon mari qui était en pleurs. Moi, je ne pleurais toujours pas. Je m'estimais très chanceuse et je pensais pouvoir faire comme si de rien était."

Mais les jours suivants sont compliqués : "j'avais peur de tout et de tous. J'avais même peur des gens qui riaient dans la rue. Je me disais qu'il allait y avoir une attaque et que ça les faisait rire", raconte Emilie à la barre.

Emilie : "ce que je me dis constamment c'est que si j'étais seule, si je n'avais pas de famille, c'est que je préfèrerais être morte ce soir-là. Parce que c'est trop difficile de vivre depuis. Je préfèrerais vraiment être morte."

Me Robertierre (PC) : comment va votre fils aujourd'hui ? Emilie : "c'est une force de la nature, parce qu'il était mal parti. Et avant août où moi j'ai recommencé à flancher, il avait presque l'air d'être un petit garçon normal."

Fin de l'audition d'Emilie. Le président annonce une courte suspension. Mais aussi qu'il reste cinq personnes à entendre aujourd'hui : "je ne sais pas si on va pouvoir entendre tout le monde. Parce qu'il faut prendre le temps et qu'il est déjà très tard".

L'audience reprend. Le président essaie de reporter certaines des auditions encore prévues aujourd'hui. "Mais demain, on en a déjà 17", note le président. Finalement, deux victimes vont encore être entendues ce soir sur les 5 initialement consacrées.

Brendan, mari d'Emilie

Brendan, le mari d'Emilie qui a été entendue précédemment, s'avance à la barre. "En novembre 2015, j'avais 30 ans. Je venais de me marier. J'avais un métier pour lequel j'avais beaucoup travaillé et j'avais une vie sociale riche."

Brendan : "quand l'attentat a débuté, je me suis dit qu'un concert de rock américain à Paris allait faire un très bon symbole. Et je comprends que les massacres, les exécutions d'otages tout ça, ça allait arriver là".

Brendan :"c'est l'horreur absolue, on est couchés par terre, ça tire tout le temps. Et ça dure une éternité. Je regarde ma femme en continu parce qu'en fait pour moi c'est la dernière fois que je la vois, la dernière fois que je suis avec elle."

Brendan : "au bout d'un moment les tirs se sont calmés et on a entendus des cris de douleur dans la salle principale, j'ai cru qu'ils étaient en train d'achever les gens. En fait c'étaient les secours qui étaient en train de sortir les premiers blessés".

Brendan : "on sort du Bataclan, en marchant dans le sang, en essayant de ne pas marcher sur les corps." Après, "j'avais peur dans les transports, j'avais peur des types louches, j'avais peur des types avec une veste bombée".

Brendan : "Il était devenu hors de question d'aller dans les endroits bondés. Donc plus de restau, plus de concert ... Même faire les courses était devenu compliqué. J'étais incapable de me concentrer, car vous avez des bruits de kalachnikovs qui s'imposent à vous".

Brendan : "aujourd'hui, ça va un peu mieux. Les symptômes d'hypervigilance sont toujours là, mais en moins forts. Par contre, je ne vois quasiment plus mes amis d'avant. Je suis toujours avec ma femme, j'ai cette chance-là."

Brendan : "aujourd'hui, je suis quand même assez fier de cette famille qu'on a construit tous les trois. Je sais la chance que j'ai d'en faire partie. Ce soir-là, on a vécu l'horreur, au-delà de ce que les mots peuvent restituer."

Brendan : "j'ai vu l'extrême lâcheté d'hommes, mais j'ai aussi vu le courage et l'humanité d'autres hommes, ceux qui nous ont secourus. Pour moi les gens dans le box font honte à leurs familles, à leurs parents, à la religion qu'ils prétendent défendre."

Brendan : "ma femme ne peut plus cuisiner de steaks hachés sans penser aux restes de Samy Amimour. Alors on a souvent entendu que les terroristes étaient morts en martyrs. Pour moi c'est une notion assez vague mais pour moi, ils ont finis en steak hachés, ni plus, ni moins."

Brendan : "pour moi, en attaquant Paris, ils ont directement provoqué la mort de leurs frères là-bas en Syrie et la fin de l'Etat islamique. Je ne sais pas s'ils en ont véritablement conscience. Pour moi, ces gens sont perfides, patients et irrécupérables."

Laure

Laure, 31 ans, s'est rendue au concert avec deux amies. "Je me trouvais dans la fosse du Bataclan, quand ça a commencé, je me suis retrouvée plaquée contre la barrière [devant la scène ndlr]." L'une d'elle a été blessée, Laure a réussi à sortir avec la deuxième.

Laure : "dans ma fuite, j'ai du marcher sur des gens, je ne sais pas s'ils étaient vivants ou morts. Dans le sas, une fille m'a attrapé la cheville et m'a supplié de l'aider. J'ai essayé de la traîner mais je n'y arrive pas. Alors, j'ai arraché sa main et j'ai continué."

Laure se réfugie dans un appartement. "Il a été réquisitionné par les forces de l'ordre parce qu'ils avaient un bon angle de tir. Ils nous ont demandé de nous enfermer dans une chambre, dans le noir. On était 10 ou 15, allongés par terre."

Laure : "quelqu'un m'a prêté un téléphone, j'ai réussi à joindre mon petit frère. Il m'a demandé : "mais est-ce que je vais te revoir un jour?" Je vous assure qu'entendre cette question de votre petit frère, c'est déchirant."

Laure explique à son tour les séquelles liées au syndrome de stress post-traumatique : la peur persistante, le sentiment de vulnérabilité, "le décalage perpétuel avec les autres". "Mais je m'accroche. Et si je fais moins de concert, j'en fais toujours."

L'audience est suspendue pour aujourd'hui. Elle reprendra demain à 12h30 avec d'autres témoignages de victimes du Bataclan.

Jour Vingt - Jeudi 7 octobre – Témoignages de survivants du Bataclan

Jour 20, semaine 5, au procès des attentats du 13 Novembre. Aujourd'hui, la cour d'assises doit entendre une quinzaine de survivants du Bataclan. Elle entendra pendant trois semaines consécutives, des rescapés et familles endeuillées du Bataclan.

Parmi ceux qui vont témoigner aujourd'hui, plusieurs survivants ont perdu à leurs côtés, dans la fosse du Bataclan, ou au bord, un amoureux, une amoureuse, un frère.

Jour 20, semaine 5, au procès des attentats du 13 Novembre. Aujourd'hui, la cour d'assises doit entendre une quinzaine de survivants du Bataclan. Elle entendra pendant trois semaines consécutives, des rescapés et familles endeuillées du Bataclan.

L'audience reprend, "veuillez-vous asseoir", dit le président Périès.

Le président précise que plus de 70 personnes qui se sont portées volontaires pour témoigner "n'ont pas encore de date, je n'ai pas pour l'instant de possibilité de fixer leur date de passage", tellement il y a de victimes qui témoignent à ce procès des attentats du 13 Novembre

Hier, une quinzaine de victimes devaient témoigner. L'audience a fini tard. Et le président a reporté les derniers témoignages. Que l'on va entendre maintenant.

Arrive à la barre Pierre-Sylvain, 48 ans en 2015, blessé par balles au Bataclan avec sa compagne Hélène. "Hélène et moi ça faisait deux mois qu'on était ensemble. Ce concert, je n'aurais jamais dû y aller".

Deux jours avant le concert, l'amie d'Hélène se désiste, alors Pierre-Sylvain accompagne sa nouvelle compagne. Il ne connaissait pas le groupe Eagles of Death Metal, "c'était l'occasion de découvrir un nouveau groupe".

Ce soir-là, il retrouve d'autres amis par hasard, et quelqu'un lui rappelle que ce 13 Novembre est "la journée de la gentillesse".

Pierre-Sylvain était près du bar : "le concert commence, il y a les coups de feu, j'ai fait mon service militaire, grade de sergent, j'ai tout de suite reconnu l'odeur de la poudre et les kalachnikovs, on était à 15 mètres des tireurs dans l'axe des tirs".

Pierre-Sylvain a le réflexe de "traîner" sa compagne, et veut changer de zone, s'éloigner de l'axe des tirs, "sous un déluge de balles".

Pierre-Sylvain, face à un plan du Bataclan projeté sur grand écran : "Je me suis mis en mode analytique pour chercher une issue".

Pierre-Sylvain raconte les tirs qui les touchent, lui, et Hélène. Elle est en sang, n'a "plus de nez, son œil explosé et un trou à la place d'une pommette". Tout de suite, Pierre-Sylvain s'entend dire "c'est pas grave" et n'a plus qu'une idée en tête : la sortir du Bataclan

Pierre-Sylvain guette l'issue de secours, et le moment de fuir. Il réussit à soulever Hélène, "avec l'adrénaline, elle faisait quelques kilos", il tente de dire à une femme à côté d'elle de fuir aussi, "elle secoue la tête", dit qu'elle ne peut pas.

Debout, sous la lumière crue du Bataclan, Pierre-Sylvain "toute la fosse recouverte de corps enchevêtrés. Un charnier. On pouvait pas distinguer les corps", vivants, morts.

Pierre-Sylvain : "C'était absurde. J’étais dans une salle de concert, et ce que j’avais sous les yeux, c’était un charnier".

Pierre-Sylvain réussit à sortir avec Hélène. Il la porte quasiment, "elle battait des pieds dans l'air". Ils se mettent à l'abri. Téléphone pour dire : "ils sont en train de tuer tout le monde. Il était 21h56".

Pierre-Sylvain : "On était restés douze minutes sous le feu. C’était l’enfer".

Hélène a été rapidement prise en charge par des pompiers, mise sous oxygène. Les premiers pompiers que Pierre-Sylvain a vus étaient "très jeunes", le premier qui a fait un pansement "tremblait, mais il l'a fait", Pierre-Sylvain remercie les secours à la barre

Pierre-Sylvain raconte Hélène qui commence à aller mal malgré la prise en charge des secouristes : "elle a commencé à vomir du sang"

Pierre-Sylvain raconte "la situation tendue pour les sauveteurs, un sauveteur par ambulance, deux blessés par ambulance, avec Hélène, il y avait une personne blessée à l'abdomen"

Pierre-Sylvain et Hélène arrivent à l'hôpital Percy de Clamart à 00h42. "Là je suis tombé dans les vapes, je voyais tout flou, je me suis retrouvé sur un brancard, une dame lui dit on va tout faire pour s'occuper de vous"

Pierre-Sylvain : "j'avais la tête en feu, une douleur indescriptible"

Les médecins le préviennent que "le cerveau est touché, on emmène Hélène au bloc". Pierre-Sylvain contient ses larmes. Raconte comment on s'occupe de lui, son œil est très touché, "on m'a dit on va devoir vous recoudre sous microscope, il y a trop de dégâts"

Hélène a eu un pronostic vital engagé, puis elle sort de réanimation. On les hospitalise tous les deux dans la même chambre, "on a pu se retrouver". Ils ont des médicaments très forts. "Quatre Tramadol par jour", et pas que, dit Pierre-Sylvain

Pierre-Sylvain : "On pensait qu’on avait été touchés par la même balle avec Hélène. On nous a dit non, deux balles. Et à chaque fois, en visant nos têtes".

Pierre-Sylvain : "J’ai pris une balle en travers de la figure, elle a frôlé mon œil, je n’avais plus de joue, mais le petit miracle c’est que ça n’a pas touché l’os"

Pierre-Sylvain : "Au bout d’une dizaine de jours, j’avais encore un trou dans la joue, on pouvait mettre le doigt".

Pierre-Sylvain : "Hélène a une balle qui est entrée par la tempe droite. A contusionné le lobe du cerveau. La balle est ressortie, s’est fragmentée. Sur 8 centimètres et demi. En délabrant l’arête du nez. Ça a transpercé l’œil". Elle a subi moult opérations

Puis Pierre-Sylvain, très vite, dit qu'il a voulu "reprendre le dessus sur la vie", ils ont vécu ensemble avec Hélène à leur sortie d'hôpital.

Pierre-Sylvain, ton très posé à la barre, raconte le protocole psy de l'hôpital militaire. On lui a dit : "arrêtez de vous battre, dans les cauchemars et laissez partir les morts". Il raconte le stress post-traumatique, les "hallucinations", surtout après l'attentat de Nice

Pierre-Sylvain se sent mieux aujourd'hui. "Hélène a eu 14 opérations. Elle a de nouveau un visage qu'elle peut montrer. On continue à avancer."

Le président a une question sur l'heure à laquelle Pierre-Sylvain est sorti du Bataclan, 21h56, heure à laquelle les deux policiers de la BAC 75N sont entrés et ont tués l'un des 3 terroristes, celui qui était sur scène.

Pierre-Sylvain ne les a pas vus. Il est sorti juste avant qu'ils ne rentrent.

A la barre, Pierre-Sylvain continue à parler très posément. Son avocate lui demande ce qu'il attend de ce procès 13 Novembre. Il le voit "comme un début pour aller de l'avant".

Pierre-Sylvain dit que ce procès est un "récit collectif dans un espace sanctuarisé. Ce qui est important, c’est qu’on permet à toutes les victimes de parler, c'est un patrimoine commun pour dépasser les événements et faire en sorte que le fardeau soit mieux partagé" 13 Novembre

Thibault : "Je sais qu'on va mourir, mais je pense à ma famille. Je me relève, j'attrape mon épouse. Et nous rampons vers cette porte. On tambourine. Le public commence à arriver derrière nous"

Thibault fait projeter des images des toilettes défoncées, plafond ouvert par les coups de poing. Il a perdu de vue son épouse. Grimpe. Et retrouve son épouse "roulée en boule dans la laine de verre". Il est alors soulagé. Ils seront évacués dans la nuit 13Novembre

Thibault appelle son frère depuis les combles. Son frère le met en relation avec la police qui lui envoie des messages d'encouragement. Sa crainte alors : que les médias révèlent l'information, ainsi qu'un média l'a fait en janvier 2015, concernant l'otage caché sous un évier.

Thibault se souvient que vers minuit 15, il envoie un sms à son frère, moment où l'assaut final est donné (à 00h18), ce que lui ne sait pas. Il entend des explosions.

Thibault et sa femme sont évacués par la police dans la nuit. Il remercie la police, les secours et "Clarisse qui a creusé un trou dans le plafond". "Vous avez sauvé beaucoup de monde" avait dit hier le président à Clarisse à la barre.

Thibault raconte le "décalage" des années qui ont suivi, et la difficulté à fonder une famille quand pendant trois heures dans les combles du Bataclan, il s'est dit "je meurs, mais je m'en fous, je laisse pas d'orphelin derrière moi".

Son épouse Anne-Laure, à la barre. Elle avait 30 ans 2015. "J'ai rien vu de mes yeux de l'attaque, pas vu les terroristes, le sang, vu uniquement quand on a été évacué du Bataclan les pieds d'une jeune femme allongée près du bar, elle portait des Converse"

Au début de l'attaque, Anne-Laure a entendu un bruit métallique et a pensé à la catastrophe de Furiani.

Elle pense à une de ses amies qui quelques mois avant avait perdu son mari. Drame qui l'avait bouleversée. Ce 13 Novembre, elle se dit qu'elle est dans la même situation mais "je ne veux pas devenir veuve à 30 ans".

Anne-Laure pense aussi à Charlie Hebdo ce 13 Novembre et à "Cabu qui faisait des dessins au club Dorothée". Elle retient ses larmes à la barre.

Elle raconte comment elle grimpe se cacher dans les combles. "Instinct animal, on a tiré sur nous comme des lapins et j'ai le même instinct".

Anne-Laure raconte comment Clarisse avait défoncé le faux plafond, à coups de pieds et de poings, "c'était Bruce Willis", et elle la remercie.

Gaëlle arrive à la barre. Jeune femme brune, traits fins, magnifiques yeux noirs, visage encore déformé par la blessure de kalachnikov dont elle a été victime au Bataclan.

Gaëlle a parlé une vingtaine de minutes. Sans interruption. Et je vais retranscrire avec un léger retard tous ses mots. Témoignage à la barre profondément bouleversant.

Gaëlle commence par demander à la cour d'assises de projeter sur grand écran une photo qu'elle a choisie, une photo de Mathieu Hoche, son compagnon, mort à ses côtés au Bataclan le 13 Novembre 2015.

Mathieu sourit sur cette photo. Un sourire magnifique. Mathieu Hoche avait 37 ans. "Il adorait la musique, sortir prendre un verre après le travail", dit Gaëlle, à la barre.

Gaëlle explique que Mathieu "était un papa séparé, comme moi". Mathieu avait "un garçon de 9 ans à l’époque". Presque comme le fils de Gaëlle.

Gaëlle : "Mathieu était une personne très douce qui détestait les cris. C’est pourtant à cause d’un acte barbare que sa vie s’est arrêtée le 13 Novembre. Son fils est aujourd’hui injustement privé de son super papa".

Gaëlle : "Ses parents et la mère de son fils sont venus de province aujourd’hui". Gaëlle pleure à la barre, sans faire de bruit.

Gaëlle raconte le 13 Novembre 2015. Ce concert au Bataclan où ils ont failli ne pas aller avec Mathieu. Ils sont arrivés tard. Venaient à peine d'arriver, étaient au bar, une bière à la main, quand les terroristes ont surgi.

Gaëlle : "On a entendu comme un feu d’artifice. Il y a eu un grand mouvement de foule. Mathieu m’a attrapée dans ses bras. Après, j’ai vu un homme armé. J’ai entendu une voix crier : Syrie, François Hollande. J’ai compris qu’on était attaqués par des terroristes".

Gaëlle : "J’ai compris que j’étais grièvement blessée. En tentant d'écarter une chaussure sur moi, je me suis rendue compte que ma joue était détachée de mon visage et pendait le long de mon cou".

Gaëlle évoque les bouts de chair "déchiquetée, je les avalais et ça me faisait tousser, j'avais peur d'attirer l'attention du terroriste".

C'est sa joue que Gaëlle a touchée, "et elle s’est enfoncée en fait entièrement à l’intérieur de ma bouche".

Gaëlle : "Sur mon ventre, il y avait des morceaux de corps. Un morceau rouge. Il y avait l’os de mon bras perpendiculaire à mon bras".

Gaëlle : "Mon bras a recassé à plusieurs reprises notamment trois ans après quand j’ai voulu couper moi-même une pomme de terre pour me faire une purée"

Gaëlle : "Mon bras gauche a l'allure d'un bras de pirate". Gaëlle pense qu'elle a en fait pris la balle de kalachnikov dans le bras alors qu'elle se protégeait le visage. Le bras et la joue, donc.

Gaëlle : "J'étais totalement dépendante à ma sortie d'hôpital, j'ai dû revenir vivre chez mes parents. Ce retour à zéro m'a ancrée dans une bulle. Mes parents m’ont donné naissance une deuxième fois, j’ai dû tout réapprendre, même à marcher".

Gaëlle : "Ils ont passé des heures à me faire manger, millilitre par millilitre. Mon frère, ma soeur, mes amis mon fils, tous me soutiennent au quotidien, j’ai beaucoup de chance".

Gaëlle : "Mes parents ont géré mon fils de 7 ans à l’époque".

Gaëlle : "Difficile de résumer ce long parcours. Greffe et autogreffe, prothèses dentaires, infections, centaines d'allers et retours à la Pitié. Mon univers médical est devenu mon nouveau CDI".

Gaëlle : "Aujourd'hui, je sors la tête de l’eau, c’est le cas de le dire, mais je suis fatiguée, je sature. J'ai été opérée pour la quarantième fois fin août".

Gaëlle : "J’ai fêté mes 40 ans cette semaine. Et j’aurais imaginé un autre cadeau plus chouette qu'être ici devant vous".

Gaëlle : "Mais je ne me plains pas, je suis debout".

Gaëlle : "Même si l’os de mon péroné est fracturé depuis plusieurs mois, parce qu’il supporte mal sa nouvelle fonction dans ma bouche. Une nouvelle opération m’attend pour le consolider, cette fois avec l’os de mon crâne. C’est sans fin".

Gaëlle : "J’ai des rêves simples, comme celui de croquer dans un bon hamburger sans me poser de questions, croquer dans une pomme sans risque, boire un café sans que ça dégouline à côté, embrasser sans craindre de faire peur".

Gaëlle : "Je nage à vue. J’ai bizarrement pas de haine. Je me bats grâce à mon fils. J’y parviens grâce à mes parents, mes amis, ma sœur".

Gaëlle : "J'ai aussi vécu de belles expériences humaines. Avec des soignants de cette nuit-là. Certains sont devenus des amis et on se retrouve en terrasse".

Gaëlle : "J'ai aussi eu avec 13onze15 l'occasion d'échanger avec des détenus en prison ou dans des collèges concernés par la radicalisation".

Gaëlle : "Je travaille à transformer mon handicap en force".

Gaëlle : "Je souhaite que mon fils soit fier de sa maman, toute cassée. D’ailleurs, il me questionne beaucoup et j’ai pas de réponse à lui apporter. Il m’en veut d'être sortie ce soir-là. Il s'agace du regard des gens sur mon visage".

Gaëlle : "Il déteste les exercices attentat à l'école".

Gaëlle : "Il ne grandit pas dans l'insouciance que j’ai pu connaître à son âge. Face à tout cela, je me sens impuissante. J'écoute ce que me dicte mon coeur et j'improvise".

Après Gaëlle, la cour a entendu Amandine et Phyllie. C'est maintenant Axel qui s'approche de la barre.

Axel était avec son grand frère, Renaud Le Guen, 29 ans, et leur petit frère, alors âgé de 15 ans, au Bataclan, le 13Novembre. "Plus qu'un concert, une sortie en famille".

Axel à un moment demande à son petit frère de s'approcher de la scène. "Je regrette de pas avoir aussi demandé à mon grand frère". Axel a la gorge nouée à la barre.

Axel entend des bruits métalliques. "Les coups de feu se sont enchaînés, une première vague de personnes ont commencé à s'échapper. A ce moment-là, j'hésitais à me lever. J'ai eu la sensation venait de frapper la barrière à laquelle j'étais collé".

Axel : "Une personne m'est tombée dessus. Je voudrais parler de cette personne". Il pense que cette personne, étrangère, n'est pas représentée. Il tient à dire si quelqu'un de sa famille l'écoute, que cette personne n'a pas souffert.

Axel précise que, lui, ne sait pas où son grand frère, Renaud Le Guen, est tombé dans le Bataclan. Je ne sais pas où ni à quel moment il a été touché. Je ne sais rien."

Axel : "Et d’ailleurs, je voudrais demander aux gens, si quelqu’un pouvait m’éclairer sur ses derniers instants. Si cette personne pouvait entrer en contact avec mon avocate Aurélie Coviaux".

Axel : "J’avais la main collée sur la tête de mon petit frère, je me disais que s’il était touché, je le saurai".

Axel a du mal à parler. Il dit qu'il voulait venir "se moquer des accusés" mais il ne le fera pas. Mais il pensait "voir des guerriers", et non, "mais je ne veux pas m'attarder".

Axel garde la gorge nouée. Au-dessus de la cour d'assises, des photos de Renaud Le Guen, projetées sur grand écran. Les parents arrivent à la barre. Les parents de Renaud, Axel et Elliot. Leurs trois fils étaient au Bataclan le 13Novembre Leur fils aîné y est mort à 29 ans.

Les parents parlent tour à tour à la barre. En mémoire de leur fils Renaud. Ils l'ont enterré fin 2015, dans l'église où ils auraient dû célébrer l'amour avec Floriane, celle qui était son amoureuse depuis dix ans. <article>Floriane était au Bataclan avec Renaud Le Guen. C'est Laura, la compagne d'Axel qui sort la première et prévient sa famille d'une fusillade. Les parents Le Guen sont ainsi informés. Fous d'inquiétude. Leur plus jeune fils les appelle à 23h30 pour leur dire qu'il est sorti avec Axel. Pas de nouvelles de Renaud. C'était le premier concert pour le plus jeune fils Le Guen.

Jacky Le Guen : "On avait laissé nos enfants insouciants" et ils les retrouvent traumatisés. Ils veulent serrer Axel et Elliot dans leurs bras.

Le plus jeune, 15 ans, leur dit : "Ne me touchez pas, j'ai de la cervelle du terroriste dans la tête". Le terroriste qui a explosé sur la scène. Les deux plus jeunes frères Le Guen étaient au pied de la scène, contre la barrière. </article>Le 14 novembre 2015, on leur dit que leur fils aîné, Renaud, est à la Salpêtrière et qu'il "est vivant", raconte le père, Jacky. Ils se rendent à l'hôpital.

Arrivés à l'hôpital, on les fait asseoir, et on leur annonce que leur fils Renaud est mort cliniquement et déjà à la morgue. Glaçant. On leur donne un numéro de téléphone à appeler. Ils veulent voir leur fils, ne peuvent pas. Le numéro donné atterrit sur un répondeur

Le mardi 17 novembre 2015, l'hôpital de La Pitié Salpêtrière les appelle finalement et leur dit qu'ils peuvent venir voir leur fils Renaud à la morgue. "Jacky Le Guen : on y va, on va pouvoir le toucher, l'embrasser une dernière fois".

Ils sont reçus par un médecin qui a pris en charge Renaud Le Guen dans la nuit du 13 Novembre. Il est arrivé en urgence absolue, est mort le 14 novembre au matin.

Jacky Le Guen : "Avant, le 14 novembre, c'était une date joyeuse, puisque c'est mon anniversaire".

Jacky Le Guen parle de son fils Renaud, l'aîné de ses enfants, super grand frère. Renaud Le Guen adorait la musique. Les Eagles of Death Metal mais aussi Ibrahim Maalouf ou Chedid. Il aimait aussi la photo et le cinéma.

Marie-Line Le Guen, la maman : "Dans les années qui ont suivi le 13 Novembre, il a fallu vivre avec l'absence de Renaud et aider nos enfants traumatisés". Elle se demande si ce sont pas eux qui l'ont aidée.

Marie-Line : "Aujourd'hui, j'ai la peur qui me colle à la peau". Peur que la mort lui prenne encore un de ses fils. Elle pleure.

Puis conclut : "la vie vaut la peine d'être vécue". Elle a aujourd'hui une petite-fille de trois mois, fille de son fils Axel.

A la barre, après Jacky, Marie-Line et Axel Le Guen, c'est Rémi qui s'est approché de la barre.

Rémi était au Bataclan avec sa compagne Estelle Rouat, le 13 Novembre 2015. "J'avais acheté deux places sur e-bay", dit Rémi à la barre.

Rémi a cru à des pétards, a été pris dans le mouvement de foule, a senti une douleur dans la cuisse, a perdu la trace d'Estelle. Rémi dit que tout "s'est joué à peu, chance et malchance" mêlées.

Rémi était face au sol. Quand il a retrouvé Estelle, elle était à quelques mètres, "avec une blessure au visage. Je me souviens avoir poussé plusieurs cris".

Rémi explique qu'il était "incontrôlable. Et dans les minutes, dizaines de minutes qui ont suivi, je n’ai aucune notion de temps, je suis resté à côté d’elle à attendre dans une mare de sang".

Rémi raconte le "grand silence" puis confie : "J’hésitais moi-même à me lever pour en finir. J’étais totalement détruit".

Rémi raconte ensuite l'arrivée des forces de l'ordre. Il dû sorti du Bataclan. "J'ai caressé une dernière fois le corps de ma compagne, et je suis sorti à cloche-pied", à cause de la blessure.

Rémi note que dans le "cloche-pied", il y a "quelque chose d'enfantin" et il lui a fallu marcher entre les morts et les vivants.

Une fois sorti, Rémi a appelé sa mère, qui est venue de Bretagne dans la nuit.

Rémi : "Et j'ai passé le coup de fil le plus dur de ma vie, appeler les parents d'Estelle pour leur annoncer sa mort. Au bout du fil, il y a eu un grand cri".

Rémi se souvient avoir "tremblé si fort, je n'ai aucune idée si c'est le froid, les nerfs ou la blessure". On lui fait un "bandage de fortune".

Rémi doit attendre deux semaines avant de "voir le corps de ma compagne".

Rémi, six ans après le 13Novembre : "Il me reste des cauchemars et cette culpabilité énorme d'avoir acheté ces billets de concert"

Et six ans plus tard, il ne se passe plus une journée sans qu'il n'ait aussi, une douleur physique à sa jambe blessée.

Stéphane arrive à la barre : "C'était son 1er concert avec sa femme Cécile après la naissance de leur fille. "Je vois qu’elle est morte. Je lui dis que je l’aime. Elle s’est pris une balle dans la tête. J’ai évacué cette image. J’ai vu qu’une petite goutte de sang".

Stéphane : "J’annonce à ma fille le lendemain que sa maman est morte. Elle avait trois ans. Je peux vous dire que c’est pas facile".

A la barre actuellement, Jean-François, survivant du Bataclan. Il fait projeter sur grand écran une photo de la salle de spectacle juste avant l'attaque. Les visages ont été floutés. Mais on voit nettement la salle de concert bondée. Les gens debout dans la fosse. 13Novembre

Jean-François voit ensuite "des étincelles, et le sang gicler" dans une tête. "Mon cerveau se met en mode survie".

Puis Jean-François voit un homme "tee-shirt gris chiné, avec deux trous dans le thorax", il est à son tour blessé dans le bras, "j'essaye de nouveau d'appeler le 17" Il est 21h53 le 13 Novembre au Bataclan

Jean-François : "J'essaye de me glisser sous un corps", qu'il pense mort, en fait il apprendra plus tard que la personne est vivante. "Ma stratégie, c'est de faire le mort".

Jean-François décrit l'horreur à la barre. Une femme touchée par une balle de kalachnikov et "qui n'a plus de visage". Puis une personne qui convulse dans son dos. "Je vais finir par entendre son dernier soupir".

Jean-François a été opéré dans la nuit. Puis il lui a fallu un long accompagnement thérapeutique, explique-t-il à la barre.

Jean-François s'excuse des "détails sordides" qu'il a donnés à la barre, mais "ça permet de se faire une idée" de l'horreur au Bataclan le 13Novembre2015

Arrive à la barre Julien, chemise claire, veste foncée. "Le soir du 13 Novembre, je suis allé à ce concert avec trois amis".

Julien venait de prendre une photo du concert quand il a entendu ce qu'il croyait être des pétards. "C'est là que la personne a reçu un projectile à la tête, et s'est retrouvée sur moi". Un corps qui l'a protégé.

Julien a le temps de voir deux terroristes. Il comprend tout de suite. "Mon métier, c'est journaliste. J'étais un des premiers reporters à CharlieHebdo" en janvier 2015. Alors, le 13 Novembre, il comprend. Immédiatement.

Julien est resté plusieurs minutes sous cette personne tombée sur lui. "J'avais l'odeur de sang", une personne sur lui avait la boîte crânienne touchée. "Je n'avais pas encore l'odeur de poudre".

La lumière se rallume et Julien ne voit plus qu'un terroriste. Amimour. Qui va monter sur scène. "A ce moment-là, je suis une bête. J'ai que ma tête, je peux voir comment il procède".

Julien perçoit un sourire sur le visage du terroriste Samu Amimour.

Julien a le temps d'analyser que le terroriste se tourne dos à la scène quand il recharge son arme, "toutes les deux trois minutes". Julien monte sur scène. "J'ai reçu des éclats de bois et j'ai vu une porte sur ma droite".

Avec une jeune fille, il rampe jusqu'à cette porte. "C'était un local technique. Et je suis tombée sur une jeune femme souriante, employée du Bataclan, qui dit, loupé, c'est de l'autre côté qu'il fallait aller"

Julien : "Il y avait un extincteur, j'étais là comme un couillon avec mon extincteur face aux kalachnikov". Et quand le terroriste recharge encore, Julien court. Il arrive indemne de l'autre côté de la scène.

Une jeune fille grièvement blessée l'appelle à l'aide, lui fait signe, "je l'ai mise sur mon épaule et on est sortis" dit Julien à la barre.

Julien raconte comment la jeune fille qu'il a aidée saignait, et il l'a mise dans un taxi, accompagnée de son ami. Julien pense alors à son meilleur ami et un autre ami qui étaient avec lui dans le Bataclan

Un policier l'empêche de s'approcher à nouveau du Bataclan. Julien : "Je me dis quoi faire d'autre que mon métier ? Il appelle son rédacteur en chef. Qui le met trente secondes plus tard à l'antenne."

Julien : "La suite, je vais être bref. Elle est celle de nombreux rescapés pas blessés physiquement. Troubles du sommeil. Impossible les six premiers mois de dormir allongé, ça me rappelait le piétinement douloureux".

Julien : "Mais j'ai eu beaucoup de chance. J'ai horreur qu'on me dise que je suis une victime du Bataclan". Il trouve ça insupportable, par rapport à ceux qui ne se sont pas relevés.

Mais la reprise du travail a été difficile. Julien explique qu'il a dû "faire le deuil" du métier qui le faisait rêver et qu'il commençait à faire : "grand reporter". Après le 13Novembre2015, trop de séquelles pour les terrains trop compliqués.

Julien demande à la cour de se pencher sur : "comment on en est arrivés là ?" Il parle du square de Drancy devant lequel il passe souvent avec ses chiens, près de l'endroit où habitent les parents de Samy Amimour, le terroriste qu'il a vu sourire le 13Novembre au Bataclan

Et il conclut en citant un auteur américain. Et la cour lui demande ce qu'il sait de la jeune femme qu'il a aidée à sortir du Bataclan. Julien pense qu'elle est peut-être morte, "vu la gravité des blessures". Il ne sait pas, ne savait pas son nom.

L'audience s'achève ainsi pour ce jour 20 au procès des attentats du 13 Novembre

Jour Vingt et un – Vendredi 8 octobre - Suite des auditions des victimes du Bataclan

Bonjour à tous, Le procès des attentats du 13 Novembre va reprendre pour la 21e journée d'audience.

Au programme aujourd'hui : la suite des auditions des victimes du Bataclan

L'audience reprend avec la première audition, celle de la soeur de Fabrice Dubois, décédé au Bataclan. "Je viens de Los Angeles pour témoigner. Je vis là bas depuis 34 ans alors je m'excuse si je ne trouve pas les mots. D'autant que c'est impressionnant ici. Vraiment."

Alors que la prise d'otages du Bataclan est encore en cours, Nathalie essaie de joindre son frère, puis tous ceux qui se trouvaient avec lui. "Et il se trouve que notre ami d'enfance, le meilleur ami de Fabrice, faisait partie des forces de police sur le point d'attaquer"

Plus tard c'est l'annonce du décès : "c'est le monde qui s'effondre. On s'est demandé comment on allait prévenir nos parents. La mise en bière a été horrible avec mes deux parents sur le cercueil qui pleuraient leur fils. Je n'ai pas assez de mots pour dire ma douleur."

Nathalie : "mon frère travaillait dans une des plus grandes agences mondiales de publicité. C'était un concepteur rédacteur de génie. Sa dernière publicité c'était Renault". A la barre, Nathalie lit quelques témoignages des collègues de Fabrice : "2 mètres de gentillesse".

Nathalie : "avec mon frère, on plaisantait souvent parce qu'on est grands et on se disait quand on prenait le métro : "au moins, on peut respirer". Là, sa taille lui a joué des tours en fait. Parce qu'il a été l'un des premiers tués".

Nathalie : "j'ai un manque que je ne pourrai jamais combler. Tous les vendredis j'allais pleurer chez une amie. J'ai développé des grosses crises de tension, de panique. J'ai mis 6 ans à m'en débarrasser."

Nathalie : "mon père s'en est moins bien sorti que moi. Il a vécu ouvertement une douleur insurmontable. Le jour où mon fils est tombé, on lui avait annoncé qu'il n'avait plus de cancer. Il est mort il y a deux ans d'un cancer terrible."

Nathalie : "je voudrais dire un dernier petit mot. Mon mari est musulman. Le terme mécréant n'existe pas dans la religion musulmane. Le prophète Mohamed dit qu'aucune violence n'est justifiée. Donc tout ce que ces gens-là disent sur la religion sont des mensonges."

Nathalie : "Ce ne sont pas des musulmans, ce sont des criminels. Et moi j'ai vécu dans les pays arabes. Là-bas les gens qui font ça, ils ont une vraie punition. Mais ils savent qu'ici on ne va pas leur enlever la vie. Et je trouve qu'il faudrait changer les lois."

Lydia est à la barre : "au moment des faits j'habitais à Londres, j'avais 26 ans, j'étais venue pour le concert. On est arrivées vers 18h, la sécurité nous a demandé de préparer nos sacs pour la fouille, mais ça n'a jamais été fait. On a été assez surprises avec mes amies."

Lydia : "juste avant que le groupe monte sur scène, on sent vraiment la foule. On est écrasées, on ne peut plus bouger. Puis j'entends les bruits que tout le monde a décrits : pop, pop, pop. Et là mon cerveau a listé à une vitesse incroyable tous les sons que je connaissais"

Lydia : "je me retourne, il fait encore noir et je vois les flashes des balles. J'essaie de me dégager, je vois que femme derrière moi. J'essaie de lui demander de bouger mais je crois qu'elle est morte. Je demande : "quelqu'un a un couteau ? Il faut arrêter ce massacre"

Lydia : "je crois qu'ils avaient déjà chargé 4 fois. Je me penche sur le côté et mon amie Laure passe ses bras autour de ma tête. Cette chaleur m'a réconfortée. Elle a vu que ma jambe était coincée, elle m'a dégagée."

Lydia parvient a sortir, se cache "dans un renfoncement". "Et là, un monsieur passe en criant : "ils tirent dehors, ne restez pas là". Elle parvient finalement à se réfugier dans un restaurant. "Je préviens qu'il y a une attaque au Bataclan. On me traite de menteuse et je m'énerve"

Dans le restaurant Lydia s'assied "par terre parce que je me dis "comme ça s'ils tirent sur les vitres, ils me toucheront pas". Les clients continuent à manger et se moquent de moi. Jusqu'à ce qu'une autre femme arrive couverte de sang. Et là, on commence à me croire."

Quand elle les a retrouvées, Lydia explique "avoir demandé pardon" aux deux amies qui étaient avec elle au concert. "Je leur demande pardon parce que j'ai pas réussi à les sortir et que je me suis enfuie."

Lydia : "quand j'étais dans le Bataclan, je me suis dis que si je m'en sortais vivante, je changerais tout. Donc c'est grâce à eux aujourd'hui si je vis ma vie pleinement. Ca m'a ouvert les yeux sur plein de choses."

Lydia : "mes parents sont algériens. Trois de mes frères sont musulmans, des vrais. Je ne suis pas croyante comme eux mais je sais qu'il y a une justice au-delà de celle-ci, qui ne leur pardonnera jamais. C'est eux qui finiront en enfer. Et moi je n'en veux pas de l'enfer."

Lydia s'occupait de la sécurité de concerts : "l'hypervigilance faisait que j'étais un bon agent, mais j'en sortais ... " Aujourd'hui, elle est en 2e année de droit. "Vous allez voir, ça devient intéressant", sourit le président. "Du moins si les programmes n'ont pas changé."

Jessica s'avance à la barre : "j'avais 18 ans au moment des faits. Lorsque j'ai entendu les coups de feu, j'ai tout de suite reconnu ce que c'était parce que j'étais réserviste à l'époque. Et, en formation, on était amenés à tirer avec des armes, notamment des kalachnikovs"

Jessica : "je me suis concentrée sur ce que j'avais pu apprendre à l'armée en matière de soins par balles. J'étais au Bataclan café avec un homme dont je compressais la plaie. Un autre couple blessé. Les tirs continuaient. Je me suis dit que je pouvais potentiellement mourir".

Jessica : "j'ai croisé le regard d'un homme qui sortait, qui est tombé et qui me demandait de l'aide. Sauf que j'avais appris à ne pas lâcher la compression que j'étais en train de faire. Et aujourd'hui je me dis que j'aurais pu faire plus pour cette personne qui est morte"

Jessica : "je ne supportais pas l'idée de ne pas pouvoir aider ou me rendre utile." Elle aide alors Elodie : "je suis compressais sa plaie au niveau du cou et j'essayais de lui parler pour la maintenir éveillée. Elle m'a dit qu'elle avait 40 ans, qu'elle était psychologue"

Jessica : "Elodie m'a dit qu'elle avait passé un temps infini sous le cadavre de ses amis au Bataclan, pour se protéger. J'étais totalement désarmée, je ne savais pas quoi lui dire. C'est un peu compliqué, à 18 ans, de trouver les mots."

Jessica finit par rentrer chez elle "mais ça n'allait pas du tout." "On m'a diagnostiqué une dissociation, je n'étais plus en accord ave mes émotions. J'étais en décrochage scolaire, je ne supportais plus personne."

Jessica a fini par être prise en charge psychologiquement, mais ne s'est longtemps pas considérée comme victime : "cette reconstruction est longue et très compliquée. Cela fait relativiser sur la fragilité de la vie. De voir des gens morts alors qu'ils ont voulu vivre."

Fehmi Cem, qui s'exprime en turc par l'intermédiaire d'un interprète, 29 ans, s'apprête à livrer son témoignage. En 2015, il était étudiant en biologie moléculaire et génétique. Il vient à Paris pour la première fois pour assister à trois concerts, dont les Eagles of Death Metal.

Fehmi Cem : "je ne suis pas quelqu'un de très sociable, je reste relativement seul." Il se positionne dans la fosse, vers la droite de la scène, entend ce qu'il croit lui aussi être des pétards. "Mais je me suis retourné et j'ai vu que la personne derrière moi a été touchée."

Fehmi Cem explique qu'il s'est d'abord cru mort, puis qu'il a prié pour que la terre s'ouvre ou qu'il se transforme en vapeur. Finalement, il prend la fuite, perd ses chaussures, se réfugie dans les escaliers. "Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés dans ce coin."

Fehmi Cem est finalement sorti sur un brancard "car je n'avais plus mes chaussures et que le sol était jonché de débris de verre". Mais, ne parlant pas français, il ne comprend pas les instructions des forces de l'ordre. "Une femme qui s'appelait Alice m'a pris par la main"

Fehmi Cem parvient à retourner dans le logement qu'il avait loué, seul, dans cette ville qu'il ne connaissait pas. "J'étais toujours habité par la peur." Il est hébergé deux jours chez des amis de sa famille avant de rentrer en Turquie. "Mais le stress c'est comme un boomerang".

Fehmi Cem explique les difficultés du stress post-traumatique : "vous avez l'impression que vous avez la lèpre, que vous devenez un étranger, y compris à vous-même. A l'université, il ne parvient pas à suivre les cours de biologie moléculaire "dans des laboratoires sans fenêtre".

Fehmi Cem explique qu'il souffre depuis "de la fièvre méditerranéenne, déclenchée par le stress, qui cause des douleurs insupportables dans tout le corps. Même le fait de respirer est douloureux." Il n'a donc pas pu poursuivre ses études en biologie moléculaire.

Fehmi Cem explique encore que le stress le fait beaucoup transpirer. Il soulève un bras pour montrer ses aisselles mouillées à la cour. "Je ne pouvais pas rester dans une classe, du fait du stress. Et aujourd'hui, ce que je ressens le plus dans la vie, c'est le stress".

Fehmi Cem conclut : "le dernier moment de bonheur pour moi remonte à la deuxième ou troisième chanson des Eagles of Death Metal, le 13 novembre 2015".

Faustine s'est avancée à son tour. Ce soir-là, elle était au Bataclan avec son conjoint Jean-Jacques et des amis. "Nous nous sommes retrouvés là-bas tous les quatre, mais nous n'en sommes revenus qu'à trois". Jean-Jacques Kirchheim avait 44 ans.

Faustine : "il y a eu des bruits secs, des cris. Je me suis retournée, j'ai distingué un individu. Puis deux autres personnes. Ils tiraient. Ils ont déclaré : "pour nos frères de Syrie". Ils ont continué à tirer, de gauche à droite, dans la fosse. Je me suis couchée, sur le dos."

Faustine : "j'ai essayé d'appeler Jean-Jacques qui ne me répondait pas. J'étais au sol dans le sang, le mien et celui des autres. J'ai été blessée de plusieurs éclats de balles à l'épaule gauche, à la tempe gauche et j'ai un scalp derrière la tête"

Faustine : "je saignais beaucoup. J'ai été évacuée vers l'hôpital Saint-Antoine, j'ai du recevoir des soins tous les deux jours pendant plusieurs semaines. Mais rien n'était plus difficile que la perte de Jean-Jacques. Le manque est grand."

Faustine : "Jean-Jacques avait été particulièrement touché par les attentats de janvier 2015. De tous nos amis c'était le plus concerné et le plus informé par la situation en Syrie. Et pourtant c'est lui qu'ils ont eu."

Faustine : "Jean-Jacques est tombé sous les balles de kalachs de 3 hommes radicalisés, fanatiques, endoctrinés par d'autres hommes. Les fous trouvent toujours de la chair à canon, siècle après siècle. C'est triste de constater le nombre de gens capables de se faire endoctriner."

Faustine : "après les attentats de janvier 2015, Jean-Jacques a dit qu'il ne voulait pas devenir ce que les terroristes veulent faire de nous : des gens aveuglés par la haine et la peur de l'autre. Je voudrais lui dire : je ne deviendrai pas ce que nous n'avons jamais voulu être"

Faustine a repris le travail à l'été 2016, en mi-temps thérapeutique. "Mais c'était un peu compliqué" car il s'agissait d'une entreprise de sécurité privée et les sujets abordés étaient "l'équipement des agents de gilets pare-balle après les attentats". Elle a été licenciée.

Fabienne, soeur de Jean-Jacques explique : "je suis ici car tout le monde connaît les visages des 20 accusés, je trouve important qu'on connaisse ceux des victimes. Jean-Jacques c'est mon petit frère. Dans une vie normale, un petit frère c'est un gars increvable."

Fabienne : "le procès pour nous est une lourde épreuve. Toute cette séquence de parole donnée aux victimes fait que nous allons peut-être commencer à mieux respirer. Pour le reste, nous faisons confiance en la justice."

La mère de Jean-Jacques a également écrit une lettre à la cour, lue par son avocate, Me Josserand-Schmitt. Elle y décrit "le cri que Faustine [compagne de Jean-Jacques ndlr] a poussé" lors de l'annonce de sa mort. "Ce cri résonne encore dans ma mémoire."

Dans sa lettre, la mère de Jean-Jacques raconte les "900 personnes à son enterrement, des amis des collègues, des gens venus en car et jusqu'alors inconnus de nous. Nous avons découvert un fils charismatique."

Ludovic, 49 ans, ami de Jean-Jacques avec qui il était au Bataclan s'est avancé à son tour à la barre. Il connaissait Jean-Jacques depuis la fac, "on ne s'est jamais quittés". "On partageait les mêmes valeurs, un rejet de l'extrémisme sous toutes ses formes ... "

Ludovic : "j'ai pas compris tout de suite au moment des premiers tirs et même une fois à terre, je ne comprenais pas bien ce qu'il se passait. Il a fallu que je relève la tête, que je vois un tireur avec une arme longue et son chargeur caractéristique, et là j'ai compris"

Ludovic explique que lorsqu'il apprend la mort de Jean-Jacques, au 36 où il vient de faire sa déposition, "je n'ai pas été très courageux. Je n'ai pas réussi à appeler Faustine [sa compagne ndlr]. "On sort de ça profondément meurtri, changé."

Ludovic : "assez vite j'ai senti qu'irrémédiablement quelque chose avait changé en moi. Perte du goût de la vie, un sentiment de culpabilité énorme. Et je m'en veux beaucoup parce que j'ai du mal à vivre alors que d’autres n’ont même pas eu la chance de continuer à essayer".

Ludovic : "et puis je m'en veux beaucoup parce que je ne suis pas retourné chercher Jean-Jacques. Il a fini tout seul. Il n'est pas mort tout de suite parce qu'on sait que son corps a été retrouvé à l'autre bout de la salle. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais."

Ludovic : "c'est difficile parce que les gens ne comprennent pas ce qu'on a vécu. Et c'est aussi la difficulté de faire reconnaître nos préjudices auprès du fonds de garantie des victimes : ce n'est pas parce qu'on a repris le travail et qu'on ne prend plus de médicaments qu'on va bien."

Ludovic : "dans le box, la plupart des accusés n'étaient pas là directement, ce ne sont pas eu qui ont préparé ces attaques. Mais malgré tout, ils ont aidé, au nom d'une idéologie. Ils ont la chance : on est dans une démocratie. Chez nous, on ne risque pas d'être torturé ou tué."

Ludovic : "je sais que certains commencent à trouver long d'entendre autant de témoignages de victimes, mais ça m'est complètement égal. Au contraire, je souhaite qu'ils les entendent. Ils disent qu'il n'y a rien de personnel : pour moi c'est très personnel."

Ludovic : "ils se plaignent de leurs conditions de détention, mais je crois que ça n'a rien à voir avec les geôles de l'EI. Au fonds, je crois que l'EI leur donne la possibilité d'être ce qu'ils sont au plus profond d'eux-mêmes : des criminels."

Le président annonce "une première suspension … non pas une première car je crois qu'il n'y en aura qu'une cette après-midi". Reprise dans 30 minutes.

L'audience a repris avec l'audition de Gregory qui, comme beaucoup d'autres avant lui, raconte comme l'arrivée de ce procès a causé "des réminiscences" de son mal-être. "je suis obligé de dormir dans une autre chambre parce que je refais des cauchemars."

Gregory, qui est sorti assez rapidement de la salle, n'a pas été blessé physiquement. "Par contre psychologiquement, ça reste encore là, je suis toujours suivi par un psychiatre. J'en ai toujours besoin."

Gregory est sorti parmi les premiers, via une issue de secours. Il n'a pas compris dans les premiers temps que son ami Cédric Mauduit, 41 ans, avait été mortellement touché.

Joanna s'avance à la barre, confie qu'elle n'a quasiment pas parlé de cette soirée du 13 Novembre : "les amis ne posent pas de questions, ou pas les bonnes, la famille proche demande si ça va, la famille lointaine ne demande rien."

Comme beaucoup d'autres, Joanna s'est demandée si elle comptait "comme une victime". Car elle n'a pas été blessée physiquement. Elle était au Bataclan avec son compagnon et un ami. Ils s'installent d'abord au balcon mais "un concert de rock, ça doit se vivre dans la fosse".

Joanna se souvient "des bruits impressionnants", de son ami Matthieu "qui s'écroule sur moi et me dit : je me suis pris une balle". "Nous sommes tous les trois allongés dans une étreinte, Matthieu me demande, comme dans les films, de dire à son fils qu'il l'aime".

Joanna : "Matthieu souffre, gémit. Et nous sommes obligés de lui dire de se taire. Nous avons compris que nous n'avons d'autres choix que de faire les morts. Impossible de tenter de fuir avec un blessé. Pourtant je suis persuadée qu'aucun de nous trois ne va mourir ce soir".

Joanna : "les yeux fermés, les bruits de pas me semblent tellement proches, j'ai l'impression que quelqu'un fait des allers-retours à quelques centimètres de nous. Désormais je sais qu'ils exécutent au coup par coup : "si tu bouges, je te butes".

Joanna : "je vois une douille et de la chair à quelques centimètres de mon visage. Des téléphones commencent à sonner avec cette sonnerie d'Iphone si reconnaissable et qui me glace toujours le sang, six ans après, dans la rue ou les transports."

Joanna : "je sais que le pardon est un cadeau. Je suis prête à l'offrir à ceux qui le demande, je ne ferai pas d'amalgame."

Joanna : "Vous pourrez ne vous en prendre qu'à votre président Hollande" : ce seront les derniers mots que certains auront retenus ce soir-là. Mais ce n'est pas ce que le monde aura retenu. Ce n'est pas comme ça qu'on fait pas un message."

Joanna : "je suis plein de choses : une mécréante, une rescapée, une bobo de gauche et sans doute pour certains des islamo-gauchistes. Mais si ce procès et ce témoignage peut servir à quelque chose, c'est de me nommer moi-même : je suis et resterai une pacifiste."

Ce week-end-là, Gaétan Honoré, 40 ans, "avait aussi un concert le samedi soir, une exposition de Scorsese le dimanche et parallèlement, je préparais le concours de l'ENA donc j'avais un concours blanc au milieu. C'était assez ambitieux, je vous l'accorde"

Comme tous ou presque, Gaétan se retrouve très vite au sol. Il tombe sous le corps d'un homme "massif", touché par une balle. "Je l'ai senti se vider de son sang, il n'y a pas une seconde sans que je sente son souffle dans mon cou".

Gaétan ne sortira du Bataclan qu'une fois la BRI intervenue. Il ne peut s'empêcher, lui aussi, de regarder dans la fosse : "je vous laisse imaginer ce qu'on a vu ce soir-là". Il trouve refuge dans un appartement avant d'être emmené au 36, quai des Orfèvres dans un bus RATP.

Gaétan raconte : "je suis sorti du 36 avec la couverture de survie. Le policier me dit : "vous pouvez rentrer chez vous", sauf que j'habite dans la Nièvre, quoi. Je me souviens de cette scène surréaliste."

Gaétan : "ça va faire un peu plus de 2000 nuits que ça s'est passé. Je me réveille encore 3 à 4 fois par nuit pour vérifier que mes filles sont encore vivantes. J'ai renoncé à l'ENA. Mais j'ai pu réenclencher mon envie d'apprendre. Je viens de finir ma 180e séance de psy."

Gaétan : "mais je pense sincèrement que toute cette histoire m'a peut-être rendu un peu meilleur dans certaines situations et c'est ce que je voudrais garder de tout cela. De me dire qu'au bout du tunnel, il y a peut-être un peu de lumière".

Gaétan : "ma grande fille est autiste donc elle vit dans un monde un peu parallèle. Mais mon autre fille, qui a 9 ans aujourd'hui est très fuyante sur la question. On a beau lire des livres sur le sujet : c'est pas facile de parler du terrorisme à ses enfants."

Laura, 37 ans, raconte venir "d'une famille modeste" : "Paris représentait un pass pour évoluer socialement. La musique aussi. En 2015, je suis chanteuse dans un groupe de rock. A côté, je suis assistante de direction, mon boulot alimentaire, mais dans lequel je suis impliquée"

Laura se rend seule au concert, son amie qui a acheté les places "est souffrante". "C'est au milieu du concert que j'entends des cris de panique. Je suis happée par la vague de gens qui me bouscule. Comprimée par la foule, je reçois une première balle à l'arrière de la cuisse."

Laura : "parmi les cris, j'entends les revendications. Au sol, je reçois encore des balles. Ça me traverse le corps, je suis incapable de savoir d'où ça vient. Je suis complètement immobile mais parfaitement consciente et je vais le rester jusqu'à la sortie"

Laura : "attendre, je ne peux faire que ça, en espérant qu'on ne me mette pas une balle dans la tête. C'est la pensée que je vais garder tout le long et qui me poursuit encore. Attendre, tous mes sens en alerte. Tout m'est passé par la tête, même la pensée de me laisser mourir."

Laura : "c'est un agent de la BAC qui finira de me sortir de la salle en me traînant. Ce fut les pires douleurs physiques que je n'ai jamais ressenties de ma vie. Comme déchirée de toute part. Je reprends conscience, plusieurs semaines plus tard, à l'hôpital."

Laura : "mon combat de reconstruction commence. Je pleure beaucoup, j'ai peur, je ne dors pas et pourtant je suis en vie. Pendant les 60 jours que je passe en réanimation, je fais l'état des lieux de mon corps. Il n'est plus question d'intimité, je l'ai totalement perdue."

Laura : "l'état des lieux de mes blessures est colossal. On m'a indiqué que j'ai reçu au moins six balles. J'ai eu de très nombreuses infections liées aux blessures. Je repasse de multiples fois au bloc, je suis incapable de les compter."

Laura : "je dois tout réapprendre. Comment pouvais-je imaginer que mon corps pourrait perdre toute capacité à se mouvoir ? Je repars de zéro, les fonctions primaires : réapprendre à respirer, boire, uriner."

Laura : "il y a surtout l'acceptation. J'ai vécu de très longs moments de solitude durant cette année à l'hôpital et j'en vis encore aujourd'hui. Je lutte contre mes peurs, mes pensées sombres, notamment celles de ne plus avoir confiance en l'être humain."

Laura : "ma dernière opération remonte à 2019, j'espère pouvoir tourner cette page. Car d'autres combats m'attendent. Ca passe par la réparation par le fonds de garantie : ces moments d'inquisition douloureuse. La procédure est toujours en cours."

Laura : "mon mari m'accompagne depuis le premier jour. Mon caractère n'est pas simple à gérer. Et il encaisse mes angoisses, mes colères, mes impatiences. Je suis usée de vivre ainsi. Mes proches me qualifient souvent de courageuse, battante ou résiliente. J'ai avancé pas à pas."

Laura : "j'ai manqué tellement de moments de vie qu'il me faut rattraper. Les horreurs de ce 13 Novembre me hanteront toujours. Mes douleurs et mes traumatismes m'accompagneront jusqu'à la fin de ma vie. Mais j'ai fait beaucoup de progrès."

Laura : "la parole que j'ai prise aujourd'hui devant vous, c'est la parole de la rescapée. Pour qu'on n'oublie jamais."

Frédéric s'est avancé à la barre. Il était au concert des Eagles of Death Metal avec son fils, avec lequel il allait "régulièrement à des concerts. D'ailleurs deux jours avant, on était déjà au Bataclan. Nous savions que nous allions passer une très bonne soirée."

Lorsque l'attentat débute, Frédéric cherche à fuir : "j'ai rampé sur des corps. Des corps morts, sans doute. Des blessés, peut-être aussi. C'est une sensation que je garderai toute ma vie. Une sensation désagréable."

Frédéric se réfugie derrière la scène, est blessé par des éclats de balle "mais l'adrénaline aidant, ça allait". En revanche, "je me suis aperçu que mon fils n'était plus avec nous." Il culpabilise encore "de n'avoir pas fait mon devoir de père, de ne pas l'avoir protégé."

Frédéric parvient finalement à se réfugier sur le toit. Là, il apprend, via sa femme, que son fils est parvenu à sortir du Bataclan. "J'étais très soulagé, mais nous on était vraiment coincés".

Depuis le toit, il accède finalement à la fenêtre d'un appartement. "Un monsieur nous a tous fait rentrer chez lui. On était 20, 30 ..." "On entendait les coups de feu, les hurlements, les explosions, l'intervention de la BRI …"

Frédéric retrouve finalement son fils "qui a failli se prendre une balle dans la tête, c'est passé tout prêt". C'est le soulagement. Ce n'est qu'après que la reconstruction commence "et il s'est avéré que j'étais un peu plus traumatisé que je ne le pensais."

Frédéric : "j'ai commencé à faire des crises de panique. Moi, je pensais que ça n'arrivait qu'aux militaires revenus de zone de guerre, mais mon psy m'a dit que je n'étais pas militaire mais que j'avais vécu une scène de guerre."

Frédéric raconte son traumatisme et sa longue descente professionnelle : "j'ai été mis au placard. Je me suis retrouvé à faire le boulot des gens que je commandais avant."

Aurélie, 44 ans, était au Bataclan avec deux amies, Laure et Lydia, déjà entendues au cours de ce procès. "Quand l'attaque a commencé, on a été complètement écrasées contre les barrières. Et donc le premier danger pour moi c'était le risque d'écrasement, d'étouffement".

Aurélie est touchée très vite par une balle "au niveau de l'épaule : ça a traversé le poumon et finit au niveau du diaphragme. Très vite la douleur a été très intense. Mais l'idée c'était surtout d'éviter de m'en prendre une deuxième dans la tête."

Aurélie ne parvient pas à fuir en même temps que d'autres spectateurs, en plusieurs vagues. "Et à un moment, je me rends compte que j'ai laissé passer ma dernière chance parce que désormais la fosse est beaucoup plus vide. Je comprends que je dois faire le mort".

Mais elle ne parvient pas à s'allonger, "j'étais très visible. Et je comprends qu'ils avaient commencé à viser les gens, à tirer méthodiquement, à viser les gens qui faisaient les morts. Donc je me disais : tu vas forcément t'en prendre une."

Mais "une autre petite voix" souffle à Aurélie qu'elle ne peut pas mourir "parce que ma famille ne s'en serait pas remise, parce que j'avais encore trop de belles photos à faire. Donc ça voulait dire : résister à la douleur. Sans bouger."

Aurélie : "j'ai entendu des personnes appeler à l'aide, des personnes qui agonisaient, des râles qui n'avaient plus trop l'air conscient. Et je n'osais toujours pas regarder. Parce que je me suis dit : "peut-être qu'ils n'attendent que ça pour nous tirer comme des lapins."

Aurélie : "finalement, on a entendu une voix dire : "les valides, levez-vous". Moi j'étais totalement incapable de me lever toute seule. C'est un jeune homme qui m'a aidée."

Aurélie : "en me levant, un corps près de moi a roulé sur le dos. C'était un jeune homme. J'ai pensé que c'était trop tard pour lui. Je l'ai retrouvé dans la liste des victimes. Mais j'ai appris qu'il était mort dans un poste médical avancé, donc ça m'a perturbée."

Aurélie : "je pense qu'il y a de très beaux témoignages de résilience parmi les victimes d'attentats. Mais ce n'est pas automatique. Et quand on y arrive pas, on se sent nul. Vis-à-vis de ses proches, des victimes décédées. Et ce n'est pas un manque de volonté."

Alors qu'Aurélie achève son témoignage, le président insiste "merci pour ce témoignage. Chacun fait comme il peut, c'est tout. Chacun fait comme il peut."

Morgane s'avance à la barre. "Je ne m'étais jamais vraiment posée de questions sur ce procès. Et je ne sais pas non plus pourquoi je suis là. J'avais besoin de parler." Ce soir-là, elle est au Bataclan avec son conjoint de l'époque et son amie d'enfance.

Morgane se trouve près de la console de l'ingénieur du son, elle se retrouve rapidement au sol, cachée derrière un des rideaux noirs. A un moment, "je sens un souffle de balle, mais c'est la personne à côté de moi qui se la prend. C'est la première personne que je vois mourir"

Morgane poursuit son récit, raconte les graves blessures à la jambe de son ex-compagnon, ses arrêts cardiaques, l'accident que l'ambulance des pompiers a sur le chemin avec un camion de la BRI.

Fin des auditions de parties civiles du jour. L'audience est donc suspendue. Elle reprendra lundi à 12h30, toujours (et encore pendant deux semaines) avec les auditions des victimes du Bataclan et leurs proches.

Et enfin un dernier tweet pour vous remercier pour vos nombreux messages d'encouragement / remerciement / soutien. C'est très touchant et précieux. Merci Bon week-end à tous.