Procès des attentats du 13 novembre 2015 Le Live Tweet - Semaine QUATRE

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.

(© Photo "Salle d'audience" Sophie Parmentier |Twitter)


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Semaine QUATRE

Jour Treize - Mardi 28 septembre – Auditions des Parties civiles du Stade de France

Aujourd'hui, ce sont les parties civiles du Stade de France qui sont entendues. Parmi elles, Walid Youssef, égyptien de 33 ans, grièvement blessé dans l'explosion du 2e kamikaze.

L'audience reprend. Avec, avant les premiers témoignages de victimes, l'appel de nouvelles constitutions de parties civiles, indique le président.

Les avocats se succèdent à la barre pour demander de la constitution de nouvelles parties civiles : survivants, proches de victimes décédées ou proches de survivants. Le nombre de parties civiles a dépassé la barre des 2000 personnes désormais.

Me Claire Josserand-Schmitt annonce la constitution de parties civiles de Jesse Hugues, Matthiew McJunkins et Shawn London, notamment, membres du groupe Eagles of Death Metal qui jouait ce 13 Novembre 2015 au Bataclan.

Le président annonce avoir "réfléchi pendant le week-end" et ne pas avoir "trouvé d'argument procéduraux permettant de privilégier des témoignages à la barre de parties civiles qui ne déclineraient pas leur identité". Il répond donc par la négative à cette demande.

Le président ajoute : "les parties civiles pourront toujours dire en arrivant à la barre qu'elles ne souhaitent pas que leur nom soit diffusé dans la presse. Et j'ai pu observer que la presse était très respectueuse de ces questions."

Les premières auditions de parties civiles vont débuter avec "les gendarmes de la Garde Républicaine". Le président avertit en préalable : "nous en sommes à 350 auditions prévues. Je voudrais donc qu'on évite dans la mesure du possible les redites dans les dépositions".

Les gendarmes de la Garde Républicaine

Philippe

Le premier Garde Républicain s'avance à la barre. Il a souhaité que son nom de famille ne soit pas communiqué dans les médias. "Je m'appelle Philippe, j'étais major de gendarmerie. Il est aujourd'hui retraité."

Philippe : "à chaque fois qu'il y a un événement au Stade de France, nous déployons des régiments de cavalerie. Ce jour-là, nous avions six chevaux. Nous arrivons quatre heures avant et puis quand démarre le concert ou la rencontre sportive, nous mettons les chevaux en repos".

"Ce soir-là, nous avions en plus des dix cavaliers", explique Philippe à la barre, trois personnes qui venaient pour la première fois. "A 20h45, je passe un appel radio à toutes les patrouilles de deux cavaliers" pour qu'elles se mettent en réserve pendant la rencontre.

Philippe : "les chevaux avaient été attachés de part et d’autre du camion, j'avais la porte D dans mon dos et là, à une vingtaine de mètres, la déflagration. C'est la surprise. Il y avait énormément de fumée. J'entends un monsieur qui hurle "bande d'enculés, bande d'enculés".

"je me jette sur ce monsieur, il saignait de la tête. Et c'est là que je vois, à quelques mètres de moi, un monsieur en position à genoux, j'avais l'impression qu'il me regardait." Il s'agit de Manuel Dias, chauffeur de bus tué au Stade de France.

"j'ai vu une jambe. Et ma première pensée ça a été : "qu'est-ce que fait cette jambe de mannequin de vitrine là?" "Puis j'ai vu la jeune lieutenant et je lui ai dit : "n'y allez pas, ce n'est pas beau à voir"."

"si je tenais à témoigner, parce que ça a été dur à décider, c'est pour vous expliquer qu'à l'époque des attentats j'avais 33 ans de gendarmerie. On est préparés à vivre des scènes hors du commun, c'est notre métier."

"le scénario habituel c'est : on nous appelle, on s'équipe, on se prépare psychologiquement. Ce soir-là nous on était sur l'explosion. Et on a d'abord dû absorber le choc, comprendre et improviser avant que les gestes réflexes reviennent".

"ce qui me hante aussi", dit ce père de deux garçons très ému, "c'est que j'étais le patron ce soir-là. Et j'ai fait du mieux que j'ai pu. Je n'ai pas été blessé et la seule façon de marquer mon corps ça a été de faire un petit tatouage souvenir."

Philippe (garde républicain) évoque sa famille en pleurant à la barre : "le 14 novembre au matin, ma femme m'a dit : il faut que tu parles aux petits. Je leur ai dit : posez-moi cinq questions chacun et après on n'en parle plus. Et puis voilà, je n'en parle jamais en famille".

Pierre

Un deuxième garde républicain s'avance à la barre, Pierre, lui aussi retraité de gendarmerie. Il appartenait au service des transports. "Généralement, on fait des services d'honneur, le 14 juillet, transporter des musiciens", explique-t-il.

Pierre (garde républicain) : "moi mon rôle c'est d'attendre les cavaliers et de préparer le repas du soir. Et au moment où on allait se mettre à table, le premier kamikaze a explosé. Intervention tout de suite de toute l'équipe. Beaucoup de blessés, beaucoup de cris, de fumée".

"j'ai senti qu'il y avait quelque chose de grave et qu'il fallait donner l'alerte. Je suis au téléphone et le deuxième kamikaze va se faire exploser devant nous. Je garde en moi l'explosion, le bruit, l'odeur. On va se retrouver par terre."

"j'ai été choqué par la deuxième explosion, ce tronc humain, ces morceaux de chair un peu partout, cette odeur. Quand j'arrive chez moi, mes chaussures sont pleines de sang. Moi j'ai pas la force de mes camarades, j'ai du mal à dormir, à manger".

"j'ai pas de chance car je suis sur les Champs-Elysées le 20 avril 2017 quand un policier va se faire assassiner à 500 mètres de là où je suis stationné. J'ai été hospitalisé en psychiatrie un mois et demi, je suis toujours suivi, j'ai un traitement."

"je voudrais parler de mes enfants, de ma femme. Tout le monde a été touché dans ma famille par cet attentat. Je pense qu'il faut prendre en compte les victimes indirectes. J'aimerais qu'on en prenne compte. Il y a tout ceux derrière : familles, amis"

"ce soir-là en plus d'avoir tué monsieur Dias, les terroristes ont attaqué des familles entières. J'espère que mon intervention sera comprise et qu'on en tiendra compte". Pierre, encore visiblement très marqué, retourne s'asseoir dans la salle.

Renaud

Renaud (garde républicain) s'avance à la barre en uniforme : "après l'explosion, on retrouve des réflexes qui sortent de je ne sais où. Puis deuxième explosion, on reçoit des boulons. Il y avait un homme complètement paniqué qui cherchait son fils".

Renaud (garde républicain) explique que peu de temps après "je rentre chez moi. Je mets une heure à arriver à parler". Il est très ému. "C'était mon premier jour de reprise après mon congé paternité. Ma première fille avait 5 semaines. Elle aurait pu ne jamais connaître son père"

"le lendemain, je retourne au travail. Je me rends compte que quand j'ai l'uniforme, ça va à peu près. On a les chevaux en plus, je ne veux pas faire l'apologie de l'équithérapie mais ça aide. Mais à la maison, c'était compliqué."

"un jour, je suis dans le RER et il y avait un homme de confession musulmane qui ne demandait rien à personne et je le fixais. Je me suis rendu compte du problème. J'ai accepté d'avoir besoin d'être suivi."

Renaud (garde républicain) évoque aussi son amertume à la barre envers "les grands chefs" de la gendarmerie nationale : "zéro reconnaissance. Et ça vraiment c'est dur".

Le gendarme achève son audition, remet son couvre-chef et fait le salut militaire avant de tourner les talons. Lui succède Laurent, désormais retraité : "ce jour-là, je n'étais pas prévu", explique-t-il en préambule.

Laurent

Laurent (garde républicain) explique, une fois la stupeur passée, avoir "déplacé les blessés, établi un périmètre de sécurité. On a reçu en pluie des boulons de la deuxième explosion. Puis on nous a ordonné la levée du dispositif. On a fait un débrief rapide et on est rentrés".

"moi j'ai deux sentiments : 1/ d'avoir échappé à la mort et 2/ je me dis que ça fait partie du boulot. Donc j'essaie de vivre comme ça. Mais, ma femme et mes enfants avaient peur donc ils se sont installés ailleurs. Et moi j'ai pris ma retraite"

"je voulais aussi parler un peu pour mes collègues qui n'ont pas pu ou voulu venir. Et puis, tout compte fait [il montre le box des accusés ndlr], c'est eux qui sont derrière. Nous on est libres et eux ils sont derrière."

Gregory

Gregory, lui aussi en uniforme, s'avance à la barre : "je voudrais parler de l'explosion. Moi ce qui me traverser c'est une onde de choc. On peut être préparé à beaucoup de choses, mais quand on n'est pas préparé, on se pose beaucoup de questions."

"puis il y a eu la deuxième explosion. On reçoit des débris. Moi, je suis rentré chez moi, j'avais des bouts de chair dans les cheveux. Puis je voudrais témoigner à quel point la lâcheté humaine a un impact sur les familles."

Président : "vous êtes suivi vous ?" Gregory (garde républicain) : "ma thérapie, c'était l'outre-mer". Il contient ses larmes. "Mais j'ai continué à travailler."

Le dernier garde républicain s'avance à la barre : Jonathan, chef d'escadron. Il travaille aujourd'hui dans la Vienne. "Je souhaite rendre hommage à l'ensemble des victimes, plus particulièrement Manuel Dias" [décédé au Stade de France ndlr].

Jonathan

Jonathan (garde républicain) : "le chaos régnait et on a tenté de redonner un semblant d'ordre." Très ému, il énumère "les noms des militaires qui ne sont pas là aujourd'hui, parce qu'ils ne peuvent pas ou n'en ont pas la force".

"j'avais 40 ans, 15 ans d'ancienneté. Mon premier réflexe est une explosion de gaz parce que j'en avais déjà vécu une. Mais je me dis que c'est beaucoup trop fort. Le temps s'arrête, un silence de mort s'installe. Et puis un cri déchirant."

"je vois le visage de monsieur Manuel Dias, les yeux ouverts, agenouillé, le visage appuyé sur l'une de ses mains. Je constate qu'il est décédé. Et il me faut un moment pour réaliser que les débris humains sont trop nombreux pour un seul corps"

"je m'avance, je vois des bras, des jambes. Et puis j'aperçois des fils. Et je pense : kamikaze, risque de surexplosion. Donc je décide de faire un gel des lieux pour protéger du danger."

"nous allons faire effacer de téléphone des photos des corps prises par des badauds. Ce qui me blesse aujourd'hui c'est d'être obligé de montrer ces photos pour justifier de ma présence sur les lieux et mon statut de victime."

"j'ai l'image du Stade de France avec des cris de joie qui s'échappent. Et je pense que je suis entre deux mondes irréconciliables. La vie et la mort autour de moi. C'est une image qui me hante encore aujourd'hui."

"à partir de la deuxième explosion, j'ai peur. J'ai peur de mourir. Et je vois dans chaque personne qui s'avance un possible kamikaze. On met chaque personne en jour, en faisant des sommations. Jusqu'à ce qu'une d'elles me montre un écusson police."

"arrive un commissaire de police avec un aéropage de forces de l'ordre et nous demande de partir. Le commissaire va me dire à trois reprises de dégager. Je vais désobéir estimant qu'il n'y a pas d'effectifs suffisants pour tenir la scène de crime".

Jonathan (garde républicain) explique qu'ils finissent par rentrer aux écuries : "je vois que mes militaires sont dans un état second. Et je m'aperçois qu'il manque une capitaine. Je la retrouve derrière une porte en bois, prostrée sur elle-même, en pleurs. Elle me serre fort".

"j'appelle mon chef pour expliquer dans quel état sont les militaires, je demande un soutien psychologique. Mon colonel me dit qu'il est tard, qu'il viendra le lendemain. Je me sens seul, abandonné. Je m'assure que chacun ne rentre pas seul."

Jonathan (garde républicain) explique que le 14 novembre, il y a l'alerte d'un "individu avec une kalachnikov à quelques centaines de mètres." Il pleure. "J'ai juste eu le temps d'attraper mon épouse, de récupérer mes filles, de les mettre au sol, de leur dire de ne plus bouger".

C'est finalement une fausse alerte. "Et ensuite, va commencer un très long parcours, explique Jonathan (garde républicain), celui de faire le suivi de ces 12 militaires où j'ai l'impression d'être seul. Seul devant l'inconnu et l'incompréhension de mes supérieurs."

"nous avions tous notre mission chevillée au corps. Le cheval nous a beaucoup aidé. Et je pense que le fait d'avoir tous été cavaliers nous a permis de rester debout et de ne pas être arrêtés. Il s'agissait de ne pas fléchir devant le terrorisme".

En plein cœur de l'audition du dernier gendarme républicain, le président s'agace car un avocat est au téléphone dans la salle. "C'est invraisemblable ! Invraisemblable !".

Jonathan (garde républicain) : "ma grande hantise était d'être déclaré inapte au service pour raisons psychologique. Mais je n'étais plus le même à la maison. Impatience, énervement, colère. Beaucoup de temps passé au travail, à m'occuper du suivi des douze militaires."

Mais Jonathan (garde républicain) explique aussi avoir pu bénéficier de stages de reconstruction avec d'autres militaires blessés ou traumatisés. Ces stages lui ont notamment permis de "trouver la force pour un dépôt de plainte".

Jonathan (garde républicain) : "et puis est arrivé le temps des décorations militaires." Il la montre sur son uniforme, détaille la musique, l'escadron de la gendarmerie de Reims etc. de la remise de médaille. "Ça a été un véritable honneur de recevoir ces décorations".

Jonathan explique qu'en revanche, il n'a pas pu recevoir la médaille des victimes de terrorisme. "Dans son statut, il écrit noir sur blanc que cette médaille peut être remise à un militaire. Mais en pratique, le ministère de la défense refuse qu'elle soit portée sur un uniforme".

"je souhaite que vous condamniez le plus fermement possible les auteurs de ce type d'actes. Quand je vois aujourd'hui l'état dans lequel cela peut nous mettre, je prends la pleine mesure de l'état dans lequel sont les victimes civiles aujourd'hui."

"je me souviens de cette femme, allongée, qui me tire le pantalon, qui me fait mal et qui me dit : "ne nous abandonnez pas, ne nous abandonnez pas." Si j'ai désobéi ce soir-là, c'est pour ne pas les abandonner".

Fin des auditions des gardes républicains. L'audience est suspendue avant la suite des auditions de victimes de l'attentat du Stade de France.

L'audience reprend. Avant de passer aux auditions des autres parties civiles du Stade de France, le président fait visionner des vidéos amateur des abords du Stade de France, à la demande de Me Berger-Stenger, avocate des gardes républicains qui ont déposé à la barre.

Spectateurs et intervenants ce soir-là

Sophie Dias, fille de Manuel Dias, décédée au Stade de France

Sophie Dias, 39 ans, fille de Manuel Dias, seule victime décédée au Stade de France s'avance à la barre. "Le 13 Novembre 2015, je me trouvais au Portugal pour préparer mon mariage. J'ai ma mère au téléphone, elle me dit que mon papa m'embrasse."

Sophie Dias : "je pars au restaurant, je vois défiler les premières alertes sur des chaînes d'informations portugaises. Je me rassure comme je peux, je me dis que c'est au Bataclan. J'appelle mon père, qui ne réponds pas. J'insiste une dizaine, vingtaine, trentaine de fois".

"l'angoisse m'envahit. Le numéro vert est injoignable depuis l'étranger. Ma mère réussit à l'avoir après insistance, on lui dit que mon père n'est pas sur la liste des décédés et que c'est plutôt bon signe. Vers midi, on me confirme que mon papa est bien décédé."

"je n'y crois pas car la police m'a contactée juste avant le contraire. Le monde s'écroule. Débute alors le parcours du combattant, seuls, qui va nous anéantir chaque jour un peu plus. Avec de lourdes démarches, un manque d'empathie constant."

"un besoin de se justifier et de justifier de notre statut de victime, continûment. Mon papa était un papa poule comme il en existe peu. Le papa qui m'attendait dans la voiture pendant les épreuves du bac, mon permis. Un vrai pilier pour toute notre famille".

"un papa qui voulait qu'on étudie le plus possible pour avoir une réussite professionnelle. C'était aussi un mari qui offrait des roses rouges à son épouse, continuant à la surprendre par des invitations au restaurant. Ma vie n'a plus jamais été la même."

"j'ai dû me marier sans mon papa, sans qu'il puisse m'accompagner à l'église. Cela fait plus de 5 ans que nous nous battons avec nos avocats. Le fonds de garantie nous contraint à faire de plus en plus d'expertises avec des experts froids qui n'ont aucune empathie"

"c'est important de parler du Stade de France, je veux vraiment œuvrer pour qu'on n'oublie pas le Stade de France et non pas le passant comme plusieurs médias ont pu le dire ces derniers jours mais Manuel Dias, la victime décédée sur ce site."

"le président Hollande aura été beaucoup à nos côtés mais depuis, on se sent oubliés. On a un président de la République qui n'est plus là le 13 Novembre et au fil du temps il y a beaucoup moins d'implication."

"ce procès pour moi c'est vraiment le devoir de mémoire qui prime. Parfois on me dit : mais c'était quel attentat ? Et je trouve lamentable qu'il n'y ait pas un travail dans les écoles pour sensibiliser les jeunes à ce qui s'est passé et comment on en est arrivé là".

Fin de la déposition de Sophie Dias.

Bilal Mokono, blessé au Stade de France

Bilal Mokono, "père de 5 enfants, victime des attentats du 13 Novembre au Stade de France" s'avance à la barre en fauteuil roulant. A ses côtés à la barre, "un ami qui m'accompagne depuis longtemps qui m'a évité de nombreux écarts".

"le 13 Novembre 2015, j'ai emmené mon fils de 13 ans qui n'avait jamais vu le Stade de France." Il explique qu'il veut aller "se faire une grillade" à l'Events. "Et mon fils me sensibilise, il me dit : regarde papa le gars qui passe est bizarre"

Bilal Mokono livre son récit avec beaucoup de détails. Il arrive au moment où "je me retourne et là : Boum ! Explosion du kamikaze. Je vois une dame, je la passe aux CRS et là dans ses cheveux je vois ce que je crois être de la côte de bœuf mais c'était des débris humains".

"je ne vois plus mon fils." Il finit par le retrouver. "Et là, il faut imaginer un gamin de 13 ans qui ouvre les bras et c'est lui qui me prend dans les bras. Il me dit : "papa, arrête de pleurer".

Bilal Mokono se tourne vers le box des accusés : "quand j'entends qu'on dit qu'on fait ça pour Allah, je ne peux pas pardonner. Moi je suis croyant et la première chose qu'on nous apprend dans notre religion c'est de ne pas tuer"

"quand je suis arrivé à mon domicile, escorté. J'ai dit : moi Bilal Mokono, vivre dans la peur ? Vivre protégé ? Mais ce n'est pas possible."

"j'ai un fils qui pleure tout le temps parce qu'il dit : ce qui est arrivé à papa c'est injuste. J'ai une femme qui a pris vingt ans à vivre avec moi. "

Le président interroge Bilal Mokono sur ses blessures. "Et le fauteuil, il remonte à quand ?" Bilal Mokono : "à fin 2015". - Et vous alternez entre fauteuil et béquilles ? - Fauteuil tout le temps. 

Maryline, blessée au Stade de France

Marylin (dont l'avocate demande à la presse de ne pas citer son nom de famille) s'avance à la barre. "Vous étiez également au Stade de France", indique le président. Marylin : "j'avais 33 ans. J'avais travaillé pendant 10 ans dans l'audiovisuel"

Marylin : "d'un coup, il y a eu l'explosion. Je suis restée debout. Je ne suis pas tombée, mais j'ai été stoppée nette par l'explosion. J'ai eu le réflexe de fuir, j'avais senti des impacts au niveau de mes jambes mais je pouvais courir donc j'ai pris la fuite en criant."

Marylin : "je savais que j'avais été impactée au niveau du visage et j'avais très très peur d'être défigurée, d'avoir la joue arrachée. J'ai impact là. [Elle montre son visage]. Il ne se voit plus beaucoup. Mais moi je le vois tous les jours."

"j'ai été prise en charge par un camion de la sécurité civile. C'est là que l'adrénaline a arrêté de faire effet. J'ai commencé à avoir mal, avoir peur. J'avais des brûlures aux jambes au 2e et 3e degré, j'avais un impact au visage."

Marylin a apporté le morceau d'écrou "qui a pénétré dans ma joue". Elle le fait montrer à la cour. "Mais je souhaiterais le conserver", explique-t-elle.

Marylin : "j'ai développé un syndrome de stress post-traumatique qui est encore présent aujourd'hui. Qui a des conséquences importantes dans ma vie professionnelle, ma vie personnelles. " Elle raconte l'hypervigilance, "la peur de tout".

Marylin :"je n'ai plus aucune résistance à la moindre émotion. Je ne sais pas si vous avez vu "Adieu les cons", film plutôt burlesque ? Eh bien c'est le genre de film qui me déclenche des crises d'angoisse."

Marylin explique avoir quitté Paris, déménagé dans la Nièvre. "La relation avec mon compagnon a changé aussi après les attentats. Je suis devenue colérique. Je pétais des câbles."

"aujourd'hui, je me suis séparée du père de ma fille. Car notre couple n'a pas résisté aux attentats. On a parlé de la libido en berne, de la perte d'enthousiasme, de l'anxiété généralisée, des pétages de plombs incompréhensibles pour l'autre. Tout est parti en éclats."

"j'espère qu'en témoignant aujourd'hui, cela me donnera aussi les mots pour expliquer un jour à ma fille qui a aujourd'hui trois ans ce qui m'est arrivé. Elle, elle n'a rien demandé et d'apprendre que sa maman a été blessé psychologiquement et physiquement, c'est dur."

Fin de l'audition de Marylin. Elle récupère son éclat d'écrou et quitte la barre. Paul-Henri Baure, stadier au Stade de France, le 13 novembre 2015 s'avance à la barre.

Paul-Henri Baure, stadier au Stade de France

Paul-Henri Baure se trouvait au niveau de la porte H. "Vers 21h15, nous avons entendu une première explosion. On pensait que c'était un gros pétard. Puis j'ai entendu une deuxième explosion, un bruit invraisemblable, je me suis retrouvé par terre".

"j'ai été emmené à l'hôpital car j'avais une perte d'audition, mal à l'œil gauche et des douleurs au pied et à la cheville gauche". Ce n'est que le lendemain, à la télévision, qu'il apprend la réalité des attentats du 13 Novembre 2015

Sur question du président, Paul-Henri Baure explique n'avoir rien remarqué de suspect avant les explosions des kamikazes. "Il y a plein de gens qui ne savent pas où ils sont, ils cherchent la porte." Il a ainsi aperçu l'un des kamikazes : "on était prêts à le renseigner".

Paul-Henri Baure détaille le dispositif de sécurité du stade de France. Assesseure : "dans l'hypothèse où l'on veut entrer dans le stade avec un gilet explosif ... " - "ah ben, à la palpation, on le voit tout de suite"

Mohamed Amghar s'avance à son tour à la barre. "Vous étiez vous aussi dans le secteur de la porte H", indique le président. Lui aussi était agent de sécurité. "Je faisais une vacation pour compléter la fin du mois pour les besoins de mes filles parce que j'ai un autre travail".

Mohamed Amghar était en charge de la vérification des billets. Lors de la deuxième explosion, il reçoit "cinq impacts de boulons. Qui ont perforé un poumon, la fesse gauche ... mais je suis resté debout. Je suis un combattant, je suis très solide."

Mohamed Amghar : "je comprenais pas. Moi j'étais juste venu faire une vacation. J'ai vu que j'étais blessé. Je me suis assis, j'ai fait une prière, j'ai parlé à mon créateur. J'ai dit : écoute ..."  Il pleure, n'arrive plus à témoigner. Quitte la barre et retourne dans la salle.

Hervé Morin, employé au Stade de France

En attendant que Mohamed Amghar reprenne ses esprits, le président invite Hervé Morin à s'avancer à la barre. Le 13 Novembre il se trouvait porte H "pour gérer les litiges billetterie pour les billets perdus, volés, mal imprimés" explique-t-il à la barre.

Hervé Morin : "tout d'un coup, nous avons ressenti le souffle de la bombe dans les jambes. J'ai eu des maux de tête très violents et des sifflements dans les oreilles. Nous étions complètement abasourdis."

Hervé Morin explique qu'aujourd'hui, il a réussi à surmonter son traumatisme et continue à travailler dans l'événementiel. Mais "j'ai toujours des acouphènes qui la nuit me réveille constamment et me rappellent à chaque fois ce qu'il s'est passé ce 13 Novembre "

Mohamed Amghar, agent de sécurité au Stade de France

Mohamed Amghar revient à la barre pour la suite de son témoignage. Il s'excuse. "Vous n'avez pas à être désolé". Mohamed Amghar reprend, explique avoir "parlé à mon créateur, j'ai demandé plus de temps pour voir mes filles grandir. Il m'a entendu."

"j'essayais de sortir mon mouchoir pour empêcher le sang de couler. Tout le monde était rentré [dans le stade ndlr], les portes étaient fermées. J'avais des morceaux de chair humaine, qui n'était pas à moi." Il rejoint l'hôpital à pied, tout seul.

"j'ai trouvé quelque chose qui m'aide beaucoup : une fois par semaine, je vais au cimetière du Père-Lachaise. Je marche entre les tombes. Ça me fait du bien. J'ai l'impression qu'une partie de moi est enterrée là."

"je sais qu'il y a un avant et un après. Mais il faut vivre avec. Je demande juste une chose : ne faites pas d'amalgame. Je suis de confession musulmane, c'est important pour moi."

Walid Youssef, Egyptien, grièvement blessé au Stade de France

C'est au tour du témoignage de Walid Youssef, égyptien de 33 ans, grièvement blessé au Stade de France.

Walid Youssef s'excuse de ne pas s'exprimer en français, mais dans sa langue maternelle, l'arabe. "Avec les accusés, la seule chose qui nous unit est la langue arabe. J'ai 33 ans, je suis venu d'Égypte apporter mon témoignage car j'ai une confiance totale en la justice française"

"je menais une vie épanouie en Egypte jusqu'au mois d'août 2015 quand on a appris que mon frère était atteint d'un cancer. Quand on a su que son état était critique, on a décidé de venir en France. On est arrivés le 6 novembre 2015."

"le 13 Novembre au matin, on était à l'hôpital. On a appris de mauvaises nouvelles par rapport à l'état de santé de mon frère. J'essayais de rester fort devant lui. Au dernier moment, j'ai choisi d'aller assister au match. Mais je suis parti au parc des princes"

"je suis arrivé au Stade de France après le début du match. J'ai acheté un billet à un vendeur clandestin. Je courais pour arriver à l'heure. Au moment où je me suis approché de la porte H, j'ai vu trois personnes de dos. Et il y a eu l'explosion."

"j'ai été soulevé de terre. J'avais l'impression d'avoir reçu 20 tirs. Le son était très fort au point que jusqu'à aujourd'hui, je sens le sifflement dans mes oreilles. Je l'entends en ce moment. Et je l'entendrai toute ma vie. Il me poursuit dans mes cauchemars"

"je suis arrivé au Stade de France après le début du match. J'ai acheté un billet à un vendeur clandestin. Je courais pour arriver à l'heure. Au moment où je me suis approché de la porte H, j'ai vu trois personnes de dos. Et il y a eu l'explosion."

"j'ai été soulevé de terre. J'avais l'impression d'avoir reçu 20 tirs. Le son était très fort au point que jusqu'à aujourd'hui, je sens le sifflement dans mes oreilles. Je l'entends en ce moment. Et je l'entendrai toute ma vie. Il me poursuit dans mes cauchemars"

"c'est la différence entre ces gens qui sont miséricordieux, humanitaires. Et d'autres gens qui tuent sans connaître."

"je suis resté dans le coma pendant huit jours. Je vais essayer de vous donner une idée de l'ampleur de ma douleur." Walid Youssef demande à pouvoir s'asseoir pour la suite de sa déposition.

"mon corps a reçu plus de 15 projectiles. Trois sont toujours dans mon corps, je vais devoir vivre avec. J'ai subi un nombre énorme d'interventions chirurgicales. J'ai passé 100 jours en soins intensifs, je partais tous les deux ou trois jours au bloc opératoire".

"j'étais tellement faible que mon corps ne supportait plus les anesthésies générales. J'ai été atteint de plusieurs infections, donc j'ai dû subir des perfusions sous cutanées, placées à vif."

Walid Youssef : "Après les 100 jours de soins intensifs, je devais subir une dernière intervention avant une hospitalisation à domicile. Mais la dernière intervention a échoué. J'ai frôlé la mort une nouvelle fois. J'ai dû passer 45 jours de plus en soins intensifs."

"pendant un an, j'ai gardé le ventre ouvert avec une poche pour mes besoins. Je souffrais de voir ma mère, mon frère était dans un autre hôpital. Ma mère alternait entre mon frère et moi."

"au mois de mai, mon frère est décédé. Vu que mon état était encore très très critique, on n'a même pas pu nous rendre en Egypte pour assister aux funérailles de mon frère."

"à mon réveil du coma, j'ai su que j'avais été soupçonné d'avoir été un des kamikazes. Ça a été médiatisé. Ça a été un autre choc." Son passeport, tombé lors de l'explosion, avait été retrouvé à proximité du corps du kamikaze.

Walid Youssef explique avoir subi des interventions chirurgicales "pendant trois à quatre ans". La dernière, pour retirer la poche intestinale avec laquelle il a vécu pendant plus de deux ans.

Walid Youssef : "je fais beaucoup de cauchemars. Parfois j'ai peur de dormir. Je ne dors que sous médicaments." Aujourd'hui, il explique ne pas être capable de retravailler.

A son tour, comme les autres victimes avant lui, Walid Youssef explique avoir "subi de nombreuses expertises" pour le fonds de garantie. "A chaque fois, je dois raconter mon histoire".

Me Samia Maktouf, avocate de Walid Youssef, lit les déclarations de Salah Abdeslam devant la cour dans les premiers jours de l'audience. "Qu'en pensez-vous, Walid ?"

Walid Youssef : "ce sont les déclarations d'un ignorant. C'est un islam inventé. L'islam se désavoue de ces gens-là. Nous en Egypte, on connait les terroristes et leurs agissements. Ils rentrent dans des églises et tuent des gens. Et je suis sûr que cela recommencera."

Fin des auditions de parties civiles pour aujourd'hui. L'audience est suspendue jusqu'à demain 12h30 avec la suite des témoignages de victimes du Stade de France et le début de celles des terrasses.

Jour Quatorze - Mercredi 29 septembre – Auditions des Parties civiles du Stade de France et du Carillon

Au Stade de France

En attendant la reprise de l'audience, jour 14, les accusés bavardent dans leur grand box de verre.

La sonnerie retentit. Les magistrats de la cour arrivent. "L'audience est reprise, veuillez-vous asseoir".

Le président commence par enregistrer les identités de nouvelles interprètes. Toujours beaucoup d'interprètes à ce procès 13 Novembre à la fois pour les accusés, et pour des parties civiles étrangères.

Le président note sur certaines parties civiles qui devaient déposer à la barre ne seront pas présentes aujourd'hui. "Elles ne veulent pas que leurs noms soient cités à l'audience", explique leur avocate. Certaines voulaient témoigner anonymement.

Arrive à la barre Snezana, 31 ans, mère au foyer. Elle était près de la 3e explosion au Stade de France le 13 Novembre. "J'ai ressenti un souffle, et j'ai été blessée aux deux membres inférieurs et bras gauche".

Elle a ensuite été opérée. Une de ses artères a été déchirée. Elle a dû subir un pontage. Pensait ne pas pouvoir remarcher. Elle remarche. Le président lui demande à quelle distance elle était de l'explosion ? "Deux trois mètres".

Le président lui demande comment elle va ? La jeune femme répond que ses bébés lui donnent de la force, mais elle a toujours de flashs, des odeurs, des peurs quand un ballon claque lors d'un anniversaire. Six ans après, elle est toujours suivie psychologiquement.

Mirjana lui succède à la barre. "J'étais assise en terrasse", au Mac Do, près du Stade de France. Elle était attablée avec son cousin. "On parlait de tout et de rien, et il y a eu la première explosion. C'était très fort. Je m'en doutais que c'était pas un pétard".

Mirjana a tout de suite appelé une amie pour savoir si le match continuait. Elle a pensé que tout le stade était touché. Son amie l'a rassurée. Mirjana se souvient avoir vu "les gendarmes partir en courant". Elle parle à la barre d'une petite voix émue.

Alors qu'elle était dans la rue, son amie l'a rappelée pour lui dire qu'il y un attentat. Mirjana se remémore qu'elle voyait une interpellation de police qu'elle filmait. Elle fait alors un lien sans réaliser. Elle a traversé la rue, "et ça a explosé".

Mirjana : "J’ai traversé la rue. Ça a explosé. J’ai senti le souffle qui me poussait. Je me suis mise à courir en direction de mon cousin. Il faisait sombre. J’ai senti une odeur que je suis incapable de vous expliquer. Il y eu des cris, des pleurs."

Elle raconte qu'elle a vu une tête. Des blessés. De lac chair humaine. Sans penser que quelqu'un avait pu exploser. Elle pensait que c'était une voiture piégée.

Mirjana dit à quel point elle a été "marquée dans la vie quotidienne. Je suis maman. Ma fille avait 8 ans, mon garçon 14 ans. J’ai essayé de les protéger. C’est quelque chose qui me poursuit". Elle éclate en sanglots. Le président : "prenez votre temps, madame".

En larmes, cette rescapée du Stade de France poursuit : "Ma fille a eu une maladie chronique à la suite. Je sentais de la culpabilité, que je m’occupais pas bien de mes enfants. Je suis devenue insomniaque".

Elle parle d'une petite voix larmoyante. Dit qu'après l'assaut de St Denis (le 18 novembre 2015, lors duquel deux terroristes du 13 Novembre ont été tués), elle a "réalisé que je vivais dans un quartier dangereux".

Elle raconte les six ans écoulés. Son opération à la gorge. Ses crises. Ses peurs. Six ans après, elle pense que l'interpellation qu'elle a vue était celle d'un des kamikazes. Le président lui explique qu'il s'agissait de quelqu'un d'autre qui n'avait rien à voir.

Son avocate lui demande ce qu'elle faisait au Stade de France. Mirjana répond qu'elle vendait des écharpes pour les supporters avant le match.

Arrive un jeune homme, 39 ans. Il a vu l'un des kamikazes exploser. "Il a explosé, j'ai fermé mes yeux, je tremblais, j'avais peur, c'était comme un feu d'artifice mais en 20 fois".

La première chose qu'il a faite en rouvrant les yeux, chercher sa femme, qu'il a cru blessée, et qui s'était cachée entre deux voitures. "Je lui ai dit est-ce que tu m'entends ?" Il pleure à la barre. Le président : "Prenez votre temps"

Sa femme a failli être amputée, dit-il. Un garrot qui lui avait été fait l'a sauvée. Il pleure. C'était "une scène de crime, on peut même pas la décrire monsieur le président".

A la barre, il parle des blessures de sa compagne, "mon ex, malheureusement", a-t-il précisé au début de son témoignage. Il dit les 17 boulons dans son corps. "Psychologiquement elle va pas. Physiquement je vous en parle pas". Il pleure.

Il poursuit : "Psychologiquement on a jamais été bien. On sera jamais bien. J’étais au chevet de madame, j’avais pas le choix. Mon fils a grandi avec ma belle mère. Psychologiquement, on est tous atteints. Malheureusement je ne suis plus avec madame".

Il ajoute : "On a deux enfants ensemble. On en a un deuxième je ne peux pas être à ses côtés. Imaginez la douleur". Pleurs. Silence. Puis il se tourne vers le box des accusés.

"Eux ils ont fait ça. C’est même pas que je veux leur manquer de respect. Moi j’ai grandi dans des cités. Il sortira, il le refera. On le sait très bien. Lui avec ses complices..." Puis le survivant à la barre regarde Abdeslam dans le box.

Le survivant à la barre regarde Salah Abdeslam : "T’es un lâche ! Tu l’as pas gardé la ceinture, frère !" Silence. Le président prend la parole pour "éviter tout débordement, il n'y en a pas eu jusque là".

Et ce survivant prénommé Vladimir poursuit, et résume sa vie, six ans après les attentats du 13 Novembre : "On est des morts vivants".

Tina arrive à la barre. Raconte que le 13 Novembre près du Stade de France alors qu'elle allait vendre des écharpes aux supporters, quelqu'un lui dit, dans un groupe : "Ma soeur si tu peux partir, pars, car ce soir, Paris va cramer". Elle n'y croit pas.

Puis Tina entend une explosion. Reconnaît que ce n'est pas un pétard. "J'avais un conjoint dans la Légion". Puis elle dit : "J'ai grandi dans une cité. Les armes, on connaît".

Alors qu'elle est à la terrasse du Mac Do, qu'il y a déjà eu à 21h16 porte D, une 1ère déflagration, elle se dit "il faut partir", car elle pense qu'il ne s'agit pas de pétard. Puis deuxième explosion porte H. Elle s'inquiète, va voir des policiers autour, dit-elle.

Elle dit à la barre que des policiers lui parlent de bouteille de gaz. Elle dit qu'elle a vu une voiture ensuite, et quelqu'un casquette, téléphone, qui disait "colis posé". Elle affirme qu'elle sentait qu'il allait se passer quelque chose.

Tina a senti "un énorme souffle, un kamikaze qui s'est fait sauter et a crié Allah Akbar. A ce moment-là, si vous voulez, je réalise pas. Je me dis c'est un cauchemar, je suis en enfer. Je vois des morceaux de chair partout".

Tina a son conjoint qui tombe sur son torse. Et elle voit "un morceau d'ivoire sortir de mon bras. Un morceau d'os. Des boulons". Tina tremble à la barre, elle pleure, se tord les mains.

Tina entend sa mère chercher sa sœur. Ne voit plus sa mère qui lui manque. Pense son mari mort à ce moment-là. Elle pleure. Remercie la police qui les a relevés. "Je leur dis vous êtes des anges, à ce moment-là".

Tina, en larmes, parle du kamikaze : "L’hôtel rempli de sang. J'ai vu son trou. J’ai vu sa tête. Comment oublier ? Comment se reconstruire ? On a du mal. Six mois hospitalisation. Hôpital psychiatrique. Les enfants souffrent. J'aurais pu ne plus revoir mes enfants"

Tina : "Mon travail avant, c’était serveuse. Aujourd’hui, j’ai plus de bras, j’ai plus de souffle". Elle parle de son "pronostic vital engagé, poumon, et je sais pas le nombre de boulons que j'ai eus, je suis invalide d'un bras".

Tina dit que "c'est pas pour autant que je vais faire des amalgames. Ça restera mes frères et sœurs, mais je sais qui est bon qui est mauvais. J'ai un cri de colère quand même".

Tina : "Malgré tout, j’essaye d'exister, on a une mission, pour nos enfants. Mais j'ai de la colère. Cette colère, c’est se sentir du jour au lendemain, handicapée. On a rien demandé". Elle dit qu'aujourd'hui sans plus pouvoir travailler, elle se sent "un boulet".

Tina : "Cette colère-là, c’est l’injustice. Ce moment où on nous dit : on vit dans des conditions carcérales désastreuses. Vous avez de la chance d’être en France !" Référence sans le dire aux propos d'Abdeslam qui s'est plaint au début de ce procès de ses conditions carcérales.

Le président interroge Tina sur cet homme qu'elle a vu sortir d'une voiture près de l'A86 et dire "colis posé". A la barre, elle est formelle : "Pour moi c’était Salah Abdeslam".

Le président : "Vous vous rappelez de l’endroit ?" Tina : "C’était sur une bande d’arrêt d’urgence avec les warning sur l’A86"

Tina précise à la barre qu'elle pense qu'un des kamikazes lui a acheté une écharpe de supporters qu'elle vendait ce soir-là. "Pour moi la personne qui m’a acheté l’écharpe, c’est la personne qui s’est fait exploser". Elle dit qu'elle l'a reconnu, après l'explosion.

Une des assesseurs lui demande si elle est toujours suivie sur le plan psychologique ? "J'ai repris", dit Tina. "Mais j'ai pas de traitement, j'avais l'impression d'être Addict. J'avais des sauts d'humeur. Je devenais insupportable".

Courte suspension.

L'audience a repris. Avec à la barre, un couple rescapé des attentats au Stade de France. Lui, debout. Elle, dans un fauteuil roulant.

Lui : "Je suis vendeur d'écharpe". Le 13 Novembre, il s'est rendu au Stade de France. "J'ai malheureusement fait venir des personnes pas prévues, dont madame Tina, je m'en veux encore".

"J'avais acheté deux billets pour aller voir le match. Malheureusement, ma femme voulait pas aller voir le match, elle voulait parler avec ma cousine Mirjana".

Quand il a entendu la première explosion, il a cru à une bombe agricole. Il était devant le métro à vendre des écharpes avec sa femme. "Ensuite, il y a eu la deuxième explosion. Des policiers armés sont arrivés. Ils nous ont fait traverser. Restez pas ici".

"Je pense que s'ils avaient pas fait ça, le terroriste serait venu, il se serait fait exploser, ça aurait été encore pire. Ce qui m'a sauvé la vie, c'est deux choses. La première, je me suis mis de côté pour allumer un cigarette, et j'ai présenté que mon front".

Le 3e kamikaze du Stade de France a explosé face à lui. Il a reçu plein d'éclats sur la tête. "Ma femme a reçu des éclats dans le cerveau. Aujourd’hui, vous la voyez c’est un enfant de 5 ans pour beaucoup de choses".

Le rescapé à la barre explique que sa femme a fait "4 mois de coma végétatif"

Lui a précisé qu'il entendait mal. Il raconte l'explosion du kamikaze. "Pour moi, y a jamais eu de boum, j’ai jamais entendu. J’ai tout de suite été sourd du côté droit. J’ai eu l’impression que la Terre a quitté son orbite. J’ai eu une chape de plomb sur le dos".

"Tant bien que mal, j'ai réussi à me relever", dit-il. Puis il raconte l'hôpital. Pour sa femme, pour lui. La vie qui bascule. Il dit qu'ils venaient de se marier. Qu'ils n'avaient pas d'enfant. Qu'ils n'auront jamais d'enfant.

Il dit qu'à la Pitié Salpêtrière, les médecins m'ont dit "que ma femme serait un légume à vie".

Alors qu'il parle à la barre, sa femme, assise dans son fauteuil roulant, écoute, le regarde. Une femme aux longs cheveux blonds relevés en chignon, petites boucles d'oreilles pendantes, bras croisés.

Il parle d'elle, de sa dépendance, comme si elle ne comprenait aucun mot. Parle de leur appartement, trop petit, pas adapté au fauteuil ni au garde-malade. Il dit qu'il a "la haine contre la société".

Il dit : "on est victimes de guerre".

Il dit qu'il n'a plus de vie professionnelle, plus de vie familiale, "j'ai plus de vie, et tout le monde s'en fout de moi".

Le président, compatissant, a des paroles encourageantes pour ce rescapé qui dit à la barre : "à l'hôpital, ils m'ont mis suicidaire".

Une des assesseurs fait remarquer au rescapé à la barre que sa femme a souri plusieurs fois, comprend-elle ce qu'il dit ? Elle semble en effet comprendre et réagir à ce que dit son mari à la barre.

Ce rescapé, avant de quitter la barre avec sa femme : "Vous avez franchement du courage d’entendre tout ce que vous entendez !" Le président : "Je ne pense pas que je sois le plus à plaindre, monsieur !"

Fin des témoignages de rescapés et proches de victimes du Stade de France. La cour va commencer à entendre les survivants des terrasses et familles endeuillées. Premier à la barre, un jeune homme, grand, mince, brun, Florian R., 30 ans, avocat.

Le Carillon

Florian était au Carillon le 13 Novembre 2015. "Ce soir-là, je rejoins trois amis". A l'époque, il était étudiant. Allait dans ce "bar de quartier très cosmopolite", angle rue Bichat, 10e arrondissement de Paris.

Florian : "En rentrant dans ce bar Le Carillon, je me suis dit, il ne nous arrivera rien ici ce soir. Je sais pas pourquoi je me suis dit ça".

Il fait projeter sur grand écran un plan du Carillon, juste avant les faits. Des gommettes de couleur pour représenter les gens. Il précise qu'il n'est pas prévenu des explosions au Stade de France. Lui est dans son bar, veut regarder le match à la télé. Puis...

Florian, à la barre : "Vers 21h25, c’est la déflagration" Silence. Il porte sa main près de ses lèvres. Se mord les lèvres pour retenir ses larmes. Ses yeux sont rouges. Il poursuit : "Je me jette par terre, c'est des rafales, un bruit assourdissant".

Florian raconte qu'au sol, au Carillon, "on commence à se dire que c’est fini, que c’est ce soir-là, on se dit qu’on va pas rentrer chez soi, je me suis demandé si j’allais avoir mal". Pendant une minute trente, il dit qu'il attend la balle. Ça s'est arrêté.

Quand Florian a ouvert les yeux, il s'est dit "il y a un miracle". Puis, "je tourne la tête rue Bichat, je vois un assaillant, je ne vois que sa silhouette, un jeune homme de mon âge, extrêmement calme, très froidement, il était pas du tout affolé".

Florian quand, il voit un terroriste : "C’est un peu effrayant. Là, c’est le deuxième choc, après les rafales. Je pensais qu’il allait rentrer dans le restaurant. En fait, je pense qu’il achevait des gens"

Florian : "Troisième choc, on se sent complètement impuissant. Et là, j’entends une portière qui claque et une voiture qui démarre. Et là, y a un silence de mort, pendant trente secondes".

Florian : "Ça sent la poudre, une odeur affreuse, et ça sent le sang. Et puis y a les premiers cris qui arrivent, atroces. On patauge dans le sang". Il a les bras croisés à la barre. Sa voix tremble.

Après, Florian a essayé de retrouver ses amis dans les toilettes, "on se retrouve à 4 vivants". Puis, il a vu la terrasse du Carillon. "C’est des images qui me resteront. Des tables retournées. Pareil pour les corps".

Florian précise qu'il a essayé de "mettre ça de côté" puis ça l'a frappé quelques mois après. "Rien ne faisait sens. Des gens de notre âge en plus. Dans un quartier cosmopolite".

Comme il n'était pas blessé, Florian s'est dit "je ne suis pas touché". Puis, "ça vous enlève une certaine insouciance, quand vous êtes jeune". Silence. "Vous avez rencontré la mort. Vous l’avez vue, elle est repartie".

Florian R., devenu avocat, dit ses attentes du procès : "On n'est pas du tout dans un esprit de vengeance. On veut que ce procès se passe de manière équitable digne et que chacun assume ses responsabilités. Voilà, c’est tout".

Il ne comprend pas qu'un des accusés -Abdeslam / il ne prononce pas son nom- ait justifié de "prendre une arme pour tirer sur les gens. C’est dur à comprendre ce qu’ils ont fait".

Arrive à la barre un autre jeune survivant, architecte. ll demande à ce qu'on ne donne pas son identité. Il a la voix tremblante. Il était au Carillon avec son épouse. Il a vu des étincelles sortir de l'arme d'un des terroristes. Il s'est caché dans le cellier.

Il a eu peur de perdre sa femme. Il l'a trouvée, vivante, juste après l'attaque. Il l'a attirée avec lui dans le cellier. Elle était claustrophobe. Ils se sont enfuis et ont cherché une porte cochère. A croisé des policiers "un peu perdus eux-mêmes".

Et il est rentré chez lui à pied, avec sa femme. A appelé sur la route un ami qui était sur une terrasse voisine, au Petit Cambodge. Cet ami lui a appris qu'il venait de trouver un de leurs collègues, Raphaël, mort, au Carillon.

"J'avais aucune conscience qu’en France on puisse être victime d'une fusillade, comme ça, alors qu'on a rien demandé. Comme du gibier".

A la barre, il veut honorer la mémoire Raphaël, mort au Carillon : "Un garçon, très gentil, altruiste, très cultivé, il avait mon âge 29 ans, c'était mon collègue d'open space, quelqu’un de tolérant, de formidable".

Arrive Olivier, blessé d'1 balle dans le bras au Carillon. "C'est pas vraiment de gaîté de cœur qu'on témoigne, je le fais à la mémoire de Sébastien mort de 7 balles". Il mime un homme qui tire. Il fait le bruit des balles : boum, boum, boum, boum, boum, boum, boum.

Olivier répète sept fois "boum". Sept "boum" qui font sursauter. Comme les sept balles qui ont tué son ami. Il précise qu'il a fallu plusieurs jours pour que les médecins légistes réparent les sept trous qui ont perforé Sébastien.

Puis Olivier lit un texte, fort. Un texte dans lequel il dit qu'il veut "régler des comptes avec de minables petits démons". Il raconte qu'il rentrait d'Iran ce 13 Novembre 2015.

Olivier dit que ce qui lui a sauvé la vie, un coup de téléphone, il a vu arriver la voiture des terroristes, a cru que c'étaient des dealers. Et a vu Brahim Abdeslam, avec du scotch sur la kalachnikov, "la tête de quelqu'un d'halluciné, j'ai tout de suite pensé à un attentat".

Olivier : "Je cours. Je vois les jumelles (deux sœurs, tuées au Carillon) s’effondrer à côté de moi. Après la porte, je tourne à gauche et je prends la balle. Je préviens les gens de pas remonter la rue et je préviens qu’il y a un attentat".

Olivier, en colère, dit que Salah Abdeslam, dans son box, n'est "rien d'autre qu'une petite racaille, il nous fait croire qu’il est un guerrier. Il n'est rien de tout ça. Moi j’ai vu son frère tuer des gamines de 20 ans. Elles avaient l’âge de ma sœur."

Olivier, à la barre, en parlant de Salah Abdeslam, dans son box : "Si vous le permettez monsieur le président j’aurais mille fois préféré qu’il se fasse péter en se ratant comme son frère" (Son frère, Brahim, mort en kamikaze au Comptoir Voltaire, à Paris)

Olivier, très en colère, demande au président de ne pas ouvrir la porte au dialogue, ainsi que l'avait demandé Abdeslam la semaine dernière.

Olivier, au président : "N’ouvrez jamais cette porte au dialogue ! Avec ce cancer qu’est l’islamisme. On ne discute pas avec ses métastases. On les écrase."

Une avocate de parties civiles demande à faire réagir les accusés. Le président Périès répond que le planning, très compliqué, a été établi autrement mais que les accusés ont déjà eu la parole plusieurs fois.

Me Ronen, avocate de Salah Abdeslam tente de prendre la parole, et le président se fâche d'être interrompu. Il rappelle que l'accusé Abdeslam n'a pas toujours "modéré ses propos" quand il dit que "les terroristes étaient ses frères" après des images des attentats.

L'avocate de Salah Abdeslam parle d'insultes à l'encontre de l'accusé Abdeslam dans les propos entendus à la barre. L'autre avocat d'Abdeslam estime que "racaille" dans la bouche d'un survivant blessé est une insulte. Les deux avocats coupent la parole au président qui se fâche.

Arrive à la barre une jeune femme, yeux bleus, blessée au Carillon, où elle a perdu son mari, Amine, et plusieurs amis communs, dont les sœurs jumelles Emilie et Charlotte.

Cette jeune femme s'appelle Maya. Maya parle d'Amine : "Mon premier amour. C’était l’homme de ma vie". Amine avait 29 ans.

"Ce soir-là, au Carillon, nous étions cinq, moi j'avais 27 ans, ils en avaient 29, on évoquait leur anniversaire de 30 ans". Amine, Emilie et Charlotte sont morts. Ils n'ont jamais eu 30 ans. Mehdi, un ami, a survécu, Maya aussi. Elle est seule à la barre ce soir.

Maya s'est "tapie sur le trottoir entre le caniveau et les roues d’une voiture". Elle a cru que son mari et ses amis avaient réussi à échapper aux terroristes en se cachant. Puis elle a vu Amine, après le départ des terroristes. Après le silence, de mort.

Maya : "Je cherchais Amine des yeux. Je ne vois pas les 22 impacts, les 9 projectiles qui ont traversé son corps. Tout ce que je vois c’est ses yeux, son regard, c’est le néant". Amine est mort.

Maya entend les secours arriver : "Occupez-vous des conscients d’abord !" Et elle voit qu'elle est blessée.

Maya : "Je regarde mes jambes en lambeaux. Il y a un trou dans ma chaussure. J’avais des bottines. Il y avait un trou de haut en bas". Elle se fait un garrot toute seule avec un chiffon. Est hospitalisée. Subit quatre greffes.

Maya : "Les moments qui ont suivi sont impossibles à décrire. Des cauchemars. Des crises de larmes. Un extrême sentiment de solitude. Tout ça, j’ai voulu l’oublier".

Maya dit que c'est l'amour autour d'elle qui "sauve". "Je me suis toujours pensée comme quelqu’un d’assez fort, de solide. Je voulais me battre et j’ai jamais accepté d’être une victime. Sauf que dans les jours, les mois qui ont suivi, c’était trop dur".

Maya : "Je pensais pas qu’il était humain de sentir un tel sentiment de détresse et de solitude. Ce qui m’a fait tenir, ce sont mes blessures, il fallait qu’elles m’obligent à me battre, il fallait que je me mette debout, j’avais 27 ans, encore toute ma vie à vivre"

"Aujourd'hui, je suis debout. Je suis très heureuse d’être sur mes deux jambes, de pouvoir marcher sans béquilles, sans attelles. Je travaille. J’ai quitté Paris pour une autre ville loin du drame".

"J’ai retrouvé un amoureux aussi qui me soutient. Ça a été ça mon combat pour me reconstruire. C’est un combat au quotidien qui dure depuis 6 ans. Je suis épuisée. J’ai la tête haute mais je suis épuisée."

"Je sais qu’il y a des choses qui ne reviendront pas. Je courrai plus. Je me fatigue vite. Ce que je voudrais maintenant c’est vivre, juste vivre. L’insouciance d’une soirée entre amis". Maya est en larmes. Visage rougi. Profondément bouleversante.

Le président de la cour la remercie pour son témoignage. Doucement, une magistrate lui demande si elle a pu récupérer comme elle l'avait souhaité, l'alliance de son mari Amine. Maya : "Oui". Elle n'a pas pu aller aux obsèques de son mari. Elle était hospitalisée.

La cour lui demande ce qu'elle attend du procès. Maya : "Une condamnation à hauteur des faits. Ma vie a été brisée. Je me bats mais ça changera rien. Mais c'est bien que ça ait lieu".

La cour remercie encore Maya qui quitte la barre. Témoignage vraiment bouleversant.

La maman de Maya arrive à la barre. Elle lit une lettre écrite par la maman d'Amine, Aïcha, qui a écrit quelques mots depuis Rabat, au Maroc.

Dans sa lettre, Aïcha parle de son fils, Mohamed Amine : "il était heureux et nous l'étions avec lui". Elle l'avait vu à la fin l'été 2015.

Aïcha, la maman d'Amine, écrit qu'Amine devait rentrer au Maroc "mi-novembre pour se reposer". "Nous étions loin de nous douter qu’il allait rentrer dans un cercueil pour y être enterré".

La maman d'Amine conclut : "Que justice soit faite".

La maman de Maya raconte à son tour à la barre son 13 Novembre, quand elle a vu sur un bandeau de la télé "attentats". "Mes mains sont moites, j'ai mal au ventre, mon cœur s'emballe".

Une interne de l'hôpital St Louis arrive à la barre pour raconter son 13 Novembre 2015. Elle quittait le Carillon, était en train de détacher son vélo quand elle a vu un terroriste, elle s'est cachée derrière une voiture, a réussi à s'enfuir le long du canal St Martin.

Puis elle est revenue sur les lieux, a vu "une scène de guerre, j'ai jamais fait la guerre, mais c'était la guerre, des gens agonisants, hurlaient."

Elle raconte le massage cardiaque sur une victime qu'elle a fini par cesser de masser car elle était morte, "il fallait aider d'autres blessés".

Après elle, témoigne un survivant qui ne veut pas dévoiler son identité, et raconte les blessures psychiques, après l'attentat au Carillon. L'alcool, dans lequel il a sombré, à nouveau pendant des mois après le 13 Novembre.

Puis vient le serveur du Carillon, qui était à la pompe à bière. Il connaissait des victimes. Il a "compris direct, c'est des tirs, c'est des tirs, j'entends encore les rafales, ta-ta-ta-ta".

A la barre, il dit qu'il est stressé, lui qui vient de Kabylie. Et il raconte les victimes au Carillon, le sang, "Emilie et Charlotte", les jumelles parmi les victimes qu'il connaissait bien. "J'arrivais pas à le croire".

Le serveur dit qu'il est vraiment "triste", "la religion musulmane, c'est pas ça, c'est pas vrai". Il a trouvé le courage de continuer son métier. Il a eu l'idée de l'appeler "Le nouveau Carillon". "Mais c'est tellement dur, six ans après", de parler.

Le serveur parle d'Amine, le mari de Maya. "On se ressemblait beaucoup". Ils s'étaient mariés à peu près en même temps. Le serveur dit qu'aujourd'hui, lui est divorcé, et parle de l'alcool.

Le serveur se tourne vers le box : "Ils méritent pas de vivre. J’ai la rage". Puis, "il faut toujours penser à l’égalité, je suis d’accord, c’est pour ça que j’aime cette France".

Le serveur du Carillon : "Je suis perturbé dans ma tête, monsieur le président. A l’intérieur de moi, il y a quelque chose qu’on ne peut pas effacer. C’est très dur de voir les corps vivants et quelques minutes après, morts, on les connaît".

Dernier témoignage, celui d'une jeune femme qui se présente comme "une double rescapée", ses parents ayant dû fuir l'Iran, et se prononce contre le fanatisme religieux "avec partout dans le monde ces mêmes assassins sanguinaires".

Elle était enceinte le 13 Novembre, a échappé aux terroristes au Carillon, son compagnon est aussi rescapé.

Avec son témoignage s'achève ce 14e jour d'audience au procès des attentats du 13 Novembre. Reprise demain à 12h30. 

Jour Quinze - Jeudi 30 septembre – Auditions des Parties civiles : Petit Cambodge et la Bonne Bière

Bonjour à tous, 15e journée d'audience au procès des attentats du 13 Novembre 2015.

L'audience reprend. La première à déposer aujourd'hui est Alice Barraud, blessée dans l'attentat du Petit Cambodge avec son frère Aristide, qui doit témoigner après elle. "A cette époque-là, j'ai 23 ans. Je rejoins mon frère Aristide et ses amis. Il faisait bon, c'était la joie"

Alice : "à l'époque, je suis voltigeuse de main à main, c'est à dire que je suis artiste de cirque et mon travail c'est de faire rêver les gens en prenant appui sur mes bras. Avec mon frère, on décide d'aller manger au Petit Cambodge car c'est super bon, mais c'était bondé".

"moi, comme c'était la joie et la fête, j'ai cru d'abord que c'était des pétards. Mais le temps que je me retourne, mon frère avait réagi et m'avait plaquée au sol. On a eu les premières rafales et j'ai pris une balle dans le bras gauche."

"mon frère a mis son corps pour me protéger des balles. Je ne voulais pas regarder. Je me suis fait réveiller de ce cauchemar par des gens qui agonisaient autour de moi. Mon frère me répondait plus. J'ai attendu une heure avec lui. Je lui parlais pour le maintenir en vie"

"on a eu la chance exceptionnelle d'être aidés par un homme qui s'appelle Serge Simon [ancien rugbyman lui aussi, et médecin]. Ensuite, ce sont deux opérations dans deux hôpitaux différents dans la même nuit. "

"j'ai fait deux ans de rééducation. Je suis aujourd'hui handicapée. Mais je me bats pour continuer dans ce métier. C'est mon souhait à moi de continuer à faire rêver les gens. J'ai travaillé avec mes porteurs pour voler autrement, en prenant appui sur mes pieds."

Président :"votre frère vous a sauvé la vie parce qu'il s'est couché devant vous".

Alice : "comme il était rugbyman professionnel, il travaillait au quotidien pour réduire le temps entre l'action et la réaction. Donc il avait déjà réagi, il m'a plaquée comme un rugbyman, au sol"

"Aristide a pris deux autres balles quand on était au sol tous les deux. J'ai vu Aristide prendre les balles pour moi. Et ça, ça reste". Elle sourit tristement. "Après, Aristide et moi, on s'est battus pour garder de l'amour et de la joie. De la vie."

" On se bat à chaque instant de notre quotidien pour que cet épisode ne grignote pas toute notre vie... On a des cicatrices, elles sont là. Mais on sait qu'on a de la chance de vivre."

"ma technique, pour laquelle je me suis formée pendant 4 ans, c'est le main à main. La base c'est que je sois à l'envers, mes mains dans les mains du porteur, en équilibre. Evidemment, ça, ce n'est plus possible parce que j'ai le bras cassé à vie, je ne sens plus ma main"

"je demandais à tout le monde quand est-ce que je pourrais reprendre mon métier. Et on m'a dit très vite qu'il fallait que j'oublie ce métier [voltigeuse] "

Aristide : "Puis la voiture est arrivée, j'ai vu un homme sortir. Je me suis dit qu'il ressemblait énormément à un ami. Mais il avait une kalachnikov dans les mains. J'ai été touché par trois balles et plusieurs centaines d'éclats qui m'ont arraché les ligaments et les tendons"

"je me rappelle d'avoir été entre la vie et la mort. Je me rappelle de tous ces moments. Six ans après, j'arrive très bien à vivre avec. Mais ça prend de la place. Si je suis en vie aujourd'hui, c'est grâce à ma sœur qui a tout fait pour me maintenir en vie."

"j'ai essayé pendant un an et demi de revenir sur le terrain parce que je n'arrivais pas à accepter ce qu'il se passait. J'avais été opéré du cœur, j'avais cinq cotes pulvérisées, j'avais des dommages cérébraux importants parce que j'avais été vidé de mon sang"

"on m'a prédit que je ne remarcherais peut-être plus. C'est quelque chose que j'ai tout de suite occulté parce que j'étais persuadé que j'allais réussir. Avec ma famille, on a choisi le côté de la vie. On a considéré qu'on était chanceux d'être vivants".

"j'ai voulu aller vite. Trop vite. J'ai commencé à recourir en mai, après 5 opérations. Tout à été vite jusqu'à de nouvelles opérations soient nécessaires pour revenir sur le terrain. C'est à ce moment-là que mon corps a commencé à flancher, mon mental aussi."

"j'allais beaucoup trop loin dans la douleur. Mon corps était une montagne de douleur. Ma tête m'envoyait des signaux. Car je revenais dans des espaces que j'avais connu le 13 novembre J'ai été hospitalisé à Saint-Anne."

"finalement, c'est en 2017 que j'ai décidé d'arrêter. L'arrêt du rugby a été difficile. Un manque. Six ans après, je ne ressens aucun besoin de réparation, de justice. J'ai pris cet événement comme une étape à franchir. Comme un combat à mener."

"mais c'est un combat contre moi-même. Pas contre une personne ou une idéologie. Avec Alice [sa sœur ndlr], on a choisi de se concentre sur ce qu'on pouvait faire de cet événement. Aujourd'hui, je n'en veux à personne."

"j'ai cherché à comprendre ce qui amène des jeunes hommes à rentrer dans une salle de concert et tirer sur des jeunes avec lesquels ils auraient pu grandir."

"j'étais persuadé qu'en me battant pour quelque chose de positif. Et sans être de la haine, j'allais pouvoir créer quelque chose autour de moi. Et que les gens allaient pouvoir me pousser à leur tour quand moi je flancherais".

"mais si je n'ai pas besoin de justice individuelle. J'ai énormément confiance en vous, en ce procès. Ma génération a besoin de cette justice. Et je suis très heureux que les accusés puissent être défendus, être entendus."

"je voudrais rendre hommage à tous les gens qui sont morts autour de moi. Que j'ai entendus mourir. Je souhaitais être ici pour amener ma petite pierre à ce grand édifice."

Président : "merci beaucoup pour votre message plein d'humanité." Aujourd'hui, Aristide travaille dans l'écriture, la photographie et le milieu artistique. "J'ai choisi d'affronter dans la paix. Depuis le 13 Novembre j'ai beaucoup travaillé".

Aristide : "aujourd'hui, je préfère me tenir loin du rugby. Quand je regardais, je savais que j'allais prendre pour trois jours de tristesse."

"j'ai été formé très jeune dans le sport de haut niveau. On nous apprend de ne pas craindre l'adversité, mais d'être prêt. Le manque du rugby a été important. Mais même dans les jours de tristesse ou de douleur, j'ai choisi de ne pas personnifier cette douleur."

Yann s'est avancé à la barre. "En 2015, j'avais 39 ans. J'étais photographe depuis une quinzaine d'années. J'allais fêter mes 40 ans le 14 novembre 2015 et je rechignais un peu à le faire. Mais je décide d'organiser une fête chez moi."

Yann : "Le Petit Cambodge c'est un peu ma cantine depuis que je suis étudiant. On s'installe. Un jeune homme nous propose des beignets à la crevette. C'est pour vous dire l'ambiance. On rigolait beaucoup."

"Et puis au bout d'une vingtaine de minutes, j'entends ... [il claque des doigts plusieurs fois pour imiter le bruit des kalachnikovs]. On s'est couchés et on entendait les rafales. C'est un isolement très profond, tout devient très sombre."

"les tirs se sont arrêtés, il y a eu un temps d'attente qui m'a semblé assez long. Et on a entendu des bruits de vitre, ça me paraissait assourdissant. Mon esprit est parti dans une sorte de rêverie. J'ai été tiré de cette rêverie par les cris de Gaëlle, ma meilleure amie".

"Gaëlle venait de recevoir plusieurs balles dans la jambe. Elle a vu quelqu'un avec une kalachnikov en train d'arroser, comme elle me l'a dit plus tard." Il mime le geste de la main.

"j'avais du sang sur ma chemise. Je me suis pas rendu compte que j'avais été touché par des balles. J'avais trois impacts." Il montre son dos.

"j'ai appelé ma compagne qui était censée être en route pour le restaurant. Je lui ai dit cette phrase un peu étrange : "tout va bien, on va bien. Mais on s'est fait tirer dessus." Bon, ça a eu pour résultat de la faire paniquer."

"passer des coups de fil m'a protégé car dans la salle [du restaurant ndlr] on entendait des râles, des cris de douleurs. Mais c'était un peu au loin."

"j'étais la dernière personne à être sortie du restaurant par les pompiers. Les ambulances n'ont pas pu partir avant 22h30 ou 22h45 car on avait peur d'un surattentat et le convoi avait besoin d'être protégé. "

"à l'hôpital, je voyais des gens arriver de partout. Ils me disaient : "j'étais sur une terrasse de restaurant, tout le monde était mort". J'ai compris que c'était La Belle Equipe. Puis quelqu'un : "j'étais au Bataclan" et j'ai compris que c'était plus grave encore. "

"je voulais parler du Petit Cambodge car c'était un peu moins médiatisé. Pour autant, il y a eu 13 personnes décédées dans cette place d'attentat, des gens très grièvement blessés."

"je ne suis pas dans la haine. Pour moi, il y a beaucoup d'endoctrinement dans tout cela. Ca me fait de la peine. Et puis, je n'ai pas envie de vivre dans la haine. Parce que, excusez-moi messieurs, [il montre le box] mais je n'ai pas envie de vivre avec vous dans ma tête"

"je vous remercie pour ce procès. Je ne sais pas ce que j'en attends. Certainement, une certaine justice. Et pour moi, c'est une manière de regarder ce qui s'est passé en face. Parce qu'on n'arrive pas à comprendre. Il n'y a pas de logique qui, moi, me satisfasse".

"je vous remercie d'être dans le détail de ce qu'il s'est passé. J'apprécie qu'on donne de l'importance à tous les lieux d'attentats, qu'on donne de l'importance à toutes les personnes touchées par ces événements."

Camilla s'est avancée à la barre. Elle s'excuse pour son accent : "je suis brésilienne." Au Petit Cambodge, elle a reçu trois balles. "J'ai subi 30 interventions chirurgicales. Je suis restée trois mois sans pouvoir rentrer dans mon pays. Ma maman est venue me rejoindre".

Camilla est toujours handicapée de la main gauche. Elle n'a pas pu travailler pendant un an. Mais, aujourd'hui, "j'ai réussi à ouvrir mon cabinet, je suis psychologue."

"j'ai réussi à apprendre à vivre avec mon handicap. Mais je reçois beaucoup d'enfants au cabinet, donc ce n'est pas toujours facile. J'ai aussi beaucoup de cicatrices. Au Brésil, on va beaucoup à la plage donc c'est visible. Mais je n'ai pas de honte."

Camilla explique qu'elle est revenue quatre fois en France depuis les attentats. C'est à la quatrième qu'elle a "réussi à tourner la page. A ne pas retenir que ça de la France." "Et les trois autres fois ?" demande le président. "C'était difficile".

Amanda, elle aussi brésilienne, s'avance à la barre. Elle était avec Camilla au Petit Cambodge. "Je suis venue habiter à Paris, trois semaines avant les attentats, pour faire mon master. Je n'avais même pas encore de vrai lit. Je venais de m'installer."

"on est arrivé vers 20h30, le restaurant était plein. La seule table qui restait était dehors. J'ai entendu des bruits, mais aussi des cris. Je pense que c'était les cris des personnes du Carillon qui prenaient déjà des balles".

"mon corps a réagi. A aucun moment, je n'ai pensé à aider mes amis." Elle pleure. "Je me suis jetée par terre. Par réflexe, j'ai commencé à ramper vers l'intérieur du restaurant pour me protéger".

"je n'arrive toujours pas à croire que ça n'a duré que trois minutes. Pour moi, c'était une éternité. J'étais sûre que j'allais mourir. Je me suis protégé le visage, je ne sais pas pourquoi. Et j'attendais. J'ai attendu énormément."

"Camilla était blessée, moi je n'avais aucune blessure. Mais c'est elle qui m'a aidé à retrouver ma sérénité, qui m'a calmée. Et puis elle m'a demandé si elle allait mourir. Je ne savais pas. Mais elle était très blessée."

"les rues étaient bloquées, on est restés jusqu'à deux heures du matin à la pizzeria Maria Luisa, juste de l'autre côté de la rue. Et on voyait la scène que l'on venait de vivre, sans comprendre encore. On voyait les corps morts."

"depuis les attentats, c'est comme si toutes les choses en dehors de la normalité pouvaient arriver à n'importe quel moment. Donc la peur est constante. Mon corps a longtemps été en état d'alerte, j'étais prête à courir à n'importe quel moment".

Nicole, mère de Caroline, blessée aux jambes au Carillon s'est avancée à la barre : "je suis là pour notre fille qui ne souhaite pas témoigner aujourd'hui. Elle vous fait savoir qu'elle remarche aujourd'hui".

Nicole : "On a une chance incroyable, pardon pour les autres parents, mais notre fille est vivante. Elle doit la vie à un serveur du Carillon qui lui a fait un garrot à une jambe avec un torchon et à un jeune interne qui lui a fait un garrot à l'autre jambe avec sa ceinture."

"au début, la question de l'amputation s'est posée. Puis Caroline est restée longtemps en fauteuil roulant. Pourrait-elle remarcher et comment ? Cette volonté de tuer a impacté de manière durable toute notre famille."

"ces terroristes ont voulu l'abattre. Mais Caroline prouve qu'ils ne gagnent pas. Il y a eu beaucoup de pleurs, de découragement. Et encore aujourd'hui, elle continue à se battre et montre à tous ces gens que les femmes sont fortes, combatives et pas soumises".

"elle ne souhaitait pas assister au procès. Finalement, elle est venue un jour. Elle a été surprise et désarçonnée, nous a-t-elle dit, par l'air si normal des accusés".

"j'ai envie de me tourner vers les accusés et leur dire qu'ils sont des parents, des frères, des amis du même âge. Au nom d'aucune religion, il n'est possible de faire cela. Aucune personne humaine ne peut faire cela."

Deux sœurs d'Asta Diakite, décédée au volant de sa voiture, devant le Carillon, se sont avancées à la barre. L'une d'elle est en voiture avec elle et son fils lorsqu'elle se faire tirer dessus.

Aminata : "mon fils était derrière, il s'est mis à hurler. On se baisse. Ils continuent à tirer. Puis j'ai entendu qu'ils repartaient. J'ai récupéré mon fils. Puis je vois que ma sœur ne peut pas trop bouger. J'ai couru avec mon fils dans les bras, j'enjambe des personnes."

"un monsieur est venu m'aider. On sort ma sœur de la voiture. On l'allonge sur le sol. On essaie de la réanimer. Mais au bout de cinq minutes, un médecin nous dit : "on est désolés, on a tout fait." Elle n'était plus là."

"je saignais à la tête, mais je disais : on verra ça plus tard. Aux urgences, on m'a dit que j'avais des impacts dans la tête. Mais je voulais être avec ma famille, je me suis dit : "doliprane et ça ira". Mon fils avait reçu des bouts de verre dans l'oreille."

"mon fils avait un an et dix jours. Il était très proche de sa tata, c'était sa deuxième maman. Et elle s'est sacrifiée pour lui en fait. Parce qu'elle a mis sa main sur lui pour le calmer. Et elle l'a protégé."

"c'est compliqué pour les enfants. Ils nous posent des questions : pourquoi ils ont fait ça ? Pourtant on est musulmans nous aussi. Mais notre islam à nous, nous interdit de tuer. C'est ce que je réponds à mon fils tous les jours."

"mon fils, il sait qu'il y a ce procès. Et il me pose des questions tous les jours : qu'est-ce qu'ils ont dit ? Il veut savoir. Moi, au début, je ne voulais même pas me porter partie civile."

"mon fils, il l'appelle maman Asta. Il me demande : "elle serait fière de moi ?". Je lui réponds : "oui". Tous les jours, il lui raconte ses journées. C'est difficile. Mais on essaie d'avancer".

Aminata, elle, a dû se faire retirer des éclats de balle dans la tête. Aujourd'hui, "j'ai énormément de migraines. La lumière comme ici, je ne supporte pas trop. Et le soir, il faut que je sois épuisée pour arriver à trouver le sommeil. En général, vers 2 ou 3 heures du matin".

Aminata explique que son fils, qui avait un an quand il a vécu l'attentat a toujours des séquelles. Il ne supporte pas "la sonnerie à l'école". "S'il entend une moto qui démarre, il est totalement paniqué. A la maison, si l'interphone sonne, ça le paralyse. Il est tétanisé"

Aminata : "à l'école, ils ont remarqué que son comportement change au mois de novembre. Donc je discute aussi beaucoup avec les professeurs. Il a un peu de difficulté pour se concentrer. Il voit un psychologue depuis qu'il a deux ans et demi, depuis qu'il a la parole".

Salah Abdeslam se lève et demande la parole dans le box. Le président :" je ne suis pas sûr que les parties civiles souhaitent votre intervention, sauf si c'est pour avoir des mots un peu moins provocateurs que jusqu'à présent".

Salah Abdeslam : "ce n'est pas pour être provocateur que je prends la parole. En tous cas pas pour être plus provocateur que les personnes qui se sont exprimées hier. Les victimes qui se sont expliquées à l'instant, ce sont revendiquées de l'islam. Nous visons les mécréants."

Salah Abdeslam : "quand nous avons attaqué, on a visé les mécréants. Si nous avons touché des musulmans, ce n'était pas notre intention. J'entends bien que les gens souffrent. Je ne doute pas que c'étaient des bonnes personnes. "

Salah Abdeslam : "mais nous aussi les musulmans, on a été touchés. Des gens qui ne demandaient rien à personne, qui se rendaient à la boulangerie, chez le voisin, qui ont été touchés par les frappes de coalition."

Salah Abdeslam : "nous on n'a pas visé les musulmans. Et si votre sœur était musulmane et a été décédée, c'était un accident de notre part." Président : "un accident ? Et merci pour les non-musulmans qui sont dans la salle."

Brouhaha et sifflements dans la salle. Les sœurs d'Asta Diakite retournent sur les bancs. Salah Abdeslam se rassied dans le box.

Yolande, maman de Charlotte et Emilie Meaud, toutes deux tuées au Carillon s'avance à la barre. Elle fait projeter des photos de ses filles à l'audience. "Je voulais témoigner pour vous parler de mes deux filles, de ma douleur, du vide après leur disparition".

Yolande : "c'étaient des jumelles, elles allaient avoir 30 ans le 15 janvier suivant. Elles voulaient faire un banquet géant. On ne fêtera plus leur anniversaire. Ces armes qui les ont fauchées leur ont pris la vie et ont détruit la vie de leur famille, leurs amis."

"elles étaient belles, vivantes, heureuses, pleines d'énergie, gaies. J'étais et je serai toujours fière d'elles. Elles s'étaient retrouvées depuis peu à Paris. Elles se déplaçaient à vélo. D'ailleurs le vélo d'Emilie est resté longtemps accroché près du Carillon".

"elles aimaient se retrouver le dimanche, sur le balcon d'Emilie. Charlotte préparait des plats. Elles m'envoyaient souvent des photos par SMS. Que je n'aurais plus."

"Charlotte avait fait le tour du Mont blanc, à pied. Toute seule. Donc l'été suivant, Emilie l'a fait à son tour. Elles débordaient de vie, d'intelligence. Leur ténacité leur a souvent permis d'arriver là où elles voulaient aller. "

"elles sont tombées toutes les deux en même temps, sous les balles. J'ai envoyé des SMS à mes filles. Je leur ai téléphoné. En vain. Le téléphone sonnait dans le vide."

"puis une dame m'a annoncé la nouvelle. Mortes, décédées. C'était fini. Plus d'espoir. Je crois que j'ai hurler. Perdre ses deux filles, en même temps. Le monde s'écroule. Il n'y a que la douleur."

"puis, il faut préparer les obsèques pour ses filles. Préparer les obsèques pour ses filles. Quelle horreur. Maintenant, de mes filles, il ne me reste plus que les souvenirs, les photos que j'aime regarder. Je les fais vivre un peu comme ça."

"elles défendaient la tolérance, luttaient contre le racisme, l'obscurantisme, le fanatisme. Et elles en ont été les tristes victimes. Je tenais à témoigner pour elles, pour leur mémoire, pour mon fils, pour moi."

Yassine Atar se lève, il veut prendre la parole lui aussi. "J'en peux plus. Ça me touche beaucoup, on est des êtres humains nous aussi. J'entends beaucoup : les terroristes qui sont dans le box. Mais je ne suis pas un terroriste."

Yassine Atar : "je prends la parole pour condamner avec la plus grande fermeté. Et demander aux victimes de me permettre de leur faire part de ma plus grande compassion. Je leur souhaite beaucoup de courage. Ça me tenait à cœur. Je voulais vraiment prendre la parole. "

L'audience est suspendue quelques instants avant la suite des auditions des parties civiles.

L'audience reprend avec l'audition de Claude : "j'avais 57 ans au moment des faits. J'étais à la Bonne bière." Il est très ému à la barre. "je voudrais d'abord vous dire que j'ai longtemps pensé que ce procès m'indifférait et que je n’en attendais rien."

Claude : "j'avais l'impression de tout savoir sur les faits, que mon témoignage serait inutile. Même partie civile ça me paraissait pas évident. Et j'ai changé d'avis, d'abord par solidarité avec toutes les personnes qui ont été blessées, touchées, tuées."

"je pense qu'on n'est pas seulement une société d'individus. Et qu'on est une société. Et que la justice en fait partie, malgré toutes ses imperfections. Et que sans justice, c'est la loi du plus fort. Et c'est pour ça que je suis là et que j'ai décidé de témoigner."

"je pense d'abord à Chris, mon compagnon d'infortune que j'avais rencontré place de la République à la fin de la journée qui avait commencé par une réunion où quelqu'un avait dit : "vous savez qu'aujourd'hui, c'est la fin de la gentillesse ?"

Claude explique qu'il croise Chris, un américain. Qui revenait d'un voyage en Europe de l'Est, "une partie de l'Europe que je connais bien". Ils décident de prendre un verre. Le serveur me demande : "intérieur ou extérieur ?" Je dis : "extérieur". Puis je me ravise : "intérieur".

Claude : "j'ai repassé cette séquence des millions de fois dans ma tête. Cette décision-là, qui en fait nous a sauvé la vie à tous les deux."

"j'ai senti un impact léger sur ma jambe, mais j'ai pas vraiment fait attention. Puis j'ai senti que mon pantalon se trempait et j'ai réalisé que c'était avec mon sang. Il y a eu quelques cris et puis très vite, un très grand silence. Et j'ai senti la douleur monter".

"j'ai commencé à m'inquiéter. Et des témoins m'ont dit que j'ai crié plusieurs fois : "je veux vivre".

Puis une femme a essayé de me poser un garrot, assistée d'un client du restaurant, Matthieu. Il est là dans la salle aujourd'hui."

Claude : "j'ai senti que toutes mes forces m'abandonnaient. J'ai vu la mort. Je n'ai pas eu peur, j'étais juste révolté. Je me suis dit : "je n'ai pas choisi ce moment-là". Puis les secours sont arrivés, j'ai entendu "pas trop grave". J'ai cru qu'ils allaient me laisser."

Claude : "on m'a emmené à l'hôpital. On m'a transfusé, j'avais perdu plus de deux litres de sang". Il raconte être toujours en contact avec l'infirmier du bloc. Il a dû être opéré de l'intestin : "une première balle l'avait brûlé", puis du pied, "ça a duré très longtemps".

"mon état s'est amélioré, puis au bout de deux jours, j'ai eu soudain du mal à respirer. Soudain, on m'a emmené au scanner, incroyablement vite. Je faisais une embolie pulmonaire déjà avancée. L'équipe médicale n'avait pas réagi, j'ai failli mourir une deuxième fois".

Claude raconte ses compagnons de rééducation : "deux militaires tunisiens qui avaient sauté sur une mine", "un jeune pompier qui avait perdu une jambe". Ce jeune pompier, nous l'avons rencontré.

Claude : "mes blessures mes handicaps sont définitifs et il m'a fallu beaucoup de temps pour l'accepter. Mais aujourd'hui, je suis un homme debout, tranquille, heureux même si de temps en temps fragile."

Claude : "je voudrais pour terminer m'adresser aux accusés." Il se tourne vers le box. "Je vous parle sans haine et je n'en ai jamais eu. J'ai vu que certains d'entre vous, dont vous monsieur Abdeslam, vous vouliez dialoguer."

Claude : "Alors je vous parle parce que malgré tout ce que j'ai enduré, je vous considère avant tout comme des êtres humains. Je me suis souvent demander ce qu'il se passe dans la tête pour qu'un jour on se décide à tuer ou d'aider à tuer".

Claude toujours tourné vers le box : "je me suis demandé ce qui vous vous a animé. Mais je suis assez gêné parce que je trouve que vos déclarations sont assez tardives. Et je me dis : "est-ce que vous y croyez-vous même ?" J'espère qu'un jour vous sortirez de ces mots".

"vous avez voulu vous venger d'un pays, d'une société. Mais ce sont des humains comme moi, comme vous qui ont été tués, handicapés. Mais nous on n'est pas des numéros, et vous vous n'êtes pas des robots."

"moi-même je pense que certaines des alliances de la France sont scandaleuses. Mais comment avez-vous pu penser que la mort de centaines de gens ici pouvait compenser celles de gens là-bas ? La vengeance, on n'en sort jamais."

Claude :"je trouve que le monde a plutôt empiré et que vous aussi vous y avez contribué. Sachez que si vous vous êtes prêts à dialoguer et à regretter, moi je suis prêt à pardonner. Mais un pardon, cela demande à vous et à moi de faire un long bout de chemin."

Claude : "moi, ça ne me rendra pas mon pied, ça ne me rendra pas mon intestin. Mais ça ne m'empêchera pas d'aller vous parler, y compris en prison. Mais encore faut-il que vous ayez le courage d'être des hommes."

Claude, au bord des larmes, s'excuse : "j'avais prévu de dire les choses plus froidement, monsieur le président, mais c'est un peu compliqué." Président : "moi je trouve que vous les avez très bien dites, monsieur, si vous voulez mon avis personnel."

Hémana, père de Kerheddine Sahbi, assassiné à la Bonne Bière, s'est avancé à la barre : "j'ai hésité longtemps pour venir d'Alger. Mais c'est pour la mémoire de mon fil que je suis là. Il était venu en France en 2004 pour l'obtention d'un magister en musicologie"

Hémana : "nous sommes musulmans. Mon fils l'était aussi. Pour aucun motif, on ne peut tuer au nom de l'islam. Mon islam c'est l'islam de la tolérance, de la paix, de l'amour, du partage. Il y a un verset du Coran où l'on dit : "Dieu est beau et il aime la beauté"

Grégory Reibenberg, patron de La Belle Equipe avance à la barre. "Je voudrais m'adresser à toutes les familles de La Belle Equipe, je pense particulièrement aux parents qui ont perdu un enfant ce soir-là. J'espère que si ce joue ici va apporter un peu de paix dans nos cœurs"

Grégory : "ce soir-là, chez moi, 21 personnes sont mortes assassinées. Dix faisaient partie de ma vie depuis des mois ou des années. Ce soir-là, j'ai perdu une femme extraordinaire, elle a été ma compagne, la mère de mon enfant".

"la perte de Djamila a déchiré le cœur de beaucoup de gens. Et une plus que d'autres puisqu'elle avait 8 ans et demi : notre fille. Ce soir-là, ma vie a pris un chemin pas toujours simple quand on élève seul une adolescente blessée par la vie".

"je n'attends rien de nos assaillants qui ont choisi d'épouser une doctrine politique mortifère qui n'a rien à voir avec l'islam. Pour eux, je n'ai qu'indifférence. Je souhaiterais qu'on oublie leurs noms et leurs visages. Et puis qu'on les oublie tout court. "

Grégory confie aussi son amertume : la Belle équipe est restée fermée jusqu'en mars 2016. "Pendant ce temps-là, je n'ai pas reçu un coup de fil." Mais "je vais bien, j'ai reconstruit mon établissement tout seul. J'en ai fait un endroit plus beau et plus ouvert vers l'extérieur"

Grégory : "pour finir, je voudrais dire à ma fille que je suis fier d'elle, que sa mère serait fière d'elle. De son attitude face à l'adversité et aux moments difficiles qu'elle traverse en ce moment."

Grégory raconte les derniers instants de la mère de sa fille, Djamila : "elle avait pris des balles dans le dos. Je ne savais pas mais ça assomme. Je l'ai réveillée, elle était vivante. Elle avait du mal à respirer, la voix haletante. Mais j'étais pas inquiet".

Grégory : "je ne pensais pas à la mort à ce moment-là. Je lui prenais la main. Et là, elle m'a dit "Tess" [le prénom de leur fille ndlr]. Et puis, j'ai compris qu'elle était morte. Je lui tenais toujours la main. Je lui ai fermé les yeux. Je crois qu'elle n'a pas souffert."

Nicolas, salarié de la Belle Equipe, témoigne à son tour. "Je voudrais avant tout parler d'Hodda, une personne belle et merveilleuse, la directrice de la Belle Equipe. Ce soir-là, elle fêtait son anniversaire. C'est elle qui m'a appris à faire mon premier café."

Nicolas explique "ne pas savoir vraiment pourquoi je suis là". Il achève sa déposition par une citation d'Aragon : "quand il faudra refermer le livre, ce sera sans regretter rien. J'ai vu tant de gens si mal vivre et tant de gens mourir si bien. "

Baptiste, qui travaillait lui aussi à La Belle équipe le 13 Novembre est venu parler des amis qu'il a perdu ce soir-là. "Des gens si bien". "J'ai vu mon pote, une balle dans la tête. Un autre pote qui me dit : "sauve-moi". Puis un pompier qui me dit "il est foutu".

Nicolas poursuit sur ce pote "qui meurt dans mes bras", sur cet autre pote dont "il tient la perf", cette "fille qui a plus de genou : je lui mets mon manteau dessus". Avant de veiller "mon meilleur ami : je suis resté près de lui pour bien le regarder".

Nicolas : "quatre jour après, j'ai dû retravailler car j'avais un autre établissement avec associé dans le coma, l'autre mort. Et puis, il y avait les enterrements, parfois deux en même temps, j'ai dû choisir."

"maintenant, je ne vais plus au théâtre, au cinéma. Je ne prends plus les transports, je marche. Quand je vais en terrasse, c'est face à la rue. La vie intime est compliquée. Voilà quoi." Il est suivi psychologiquement, dit-il, "mais depuis peu".

La maman de Romain Feuillade, décédé à La Belle équipe s'avance à la barre. Elle a apporté un ours en peluche qu'elle pose sur la plaque en verre de la barre. Elle est en pleurs, ses mains tremblent sur la feuille qu'elle lit difficilement.

La mère de Romain Feuillade raconte son fils "qui a fait une école de théâtre." Elle se souvient de cette lettre offerte en cadeau de Noël "car le père Noël n'était pas très riche cette année-là".

La maman de Romain Feuillade, toujours en pleurs, explique que la peluche qu'elle a apportée avec elle est désormais "dans notre chambre, à côté de la photo de Romain". "Son papa ne peut pas accepter l'inacceptable, il vit dans une bulle, difficile de sortir de la maison."

Elle lit une lettre écrite par son fils en 2009 : "maman, papa, pour c Noël, j'ai beaucoup réfléchi au cadeau que je pouvais vous faire en fonction de mes moyens. Je voudrais vous dire tout l'amour que j'ai pour vous. On n'a jamais été très démonstratifs dans la famille"

La maman de Romain Feuillade poursuit sa lecture : "j'ai envie de vous offrir des choses parce que vous le méritez et vous m'avez énormément donné. Merci pour l'éducation que j'ai reçue. Vous m'avez toujours encouragé à fond. Je vous dois beaucoup de mes qualités".

La lettre de Romain Feuillade s'achève sur : "je n'ai pas envie de finir cette lettre car notre histoire continue. Cette lettre contient tout l'amour que je vous porte. Je vous souhaite un joyeux Noël". Sa maman explique : "c'est le plus beau cadeau qu'on a reçu".

Le frère aîné de Romain Feuillade regarde fixement le box des accusés en s'avançant à la barre. Il raconte la terrible annonce de la mort de son frère. "Je me suis mis à crier, à frapper les murs avec mes poings. A tel point qu'il y a encore des traces dans ce mur-là".

Le frère de Romain Feuillade rappelle que "sa vie s'est arrêtée ce jour-là, qu'il ne pourra jamais se marier au mois de juin, ni être père, ni tonton". Il raconte ses pleurs, "chaque fois que je prononçais le nom de mon frère", la naissance de sa fille "qui m'a beaucoup aidée"

Le frère de Romain Feuillade explique qu'il a "la devise de Paris et les coordonnées de la Belle Equipe tatoués sur ma jambe" pour que Romain continue "à avancer avec moi".

Le frère de Romain Feuillade explique que sa compagne, avec laquelle il s'apprête à se marier, "est de religion musulmane". "Mon frère s'est converti pour elle." "Tout ça pour dire qu'il ne faut pas confondre religion et extrémisme", ajoute-t-il.

Fin des auditions de parties civiles prévues aujourd'hui. L'audience est suspendue. Elle reprendra demain.

Jour Seize - Vendredi 1er octobre – Auditions des Parties civiles : La Belle Equipe

La sonnerie retentit. "L'audience est reprise". Jour 16.

Une jeune femme blonde, gilet rouge à pois, s'avance à la barre, aux côtés d'un jeune homme à la peau noire et aux épaules carrées. Elle préfère qu'on ne donne pas son identité. Se présente comme une "Parigote depuis trois générations". 18e. Puis marché d'Aligre.

Elle raconte qu'elle adore "la cantine rebeu" de son quartier et "les bars de la rue de Lappe". "Vendredi 13 Novembre 2015, on se dirige vers La Belle Equipe".

Elle y va pour l'anniversaire d'Houda, commande du champagne, retrouve ses amis. Elle entend les premières balles. "Je suis touchée mais j'en ai pas conscience. Les balles par milliers, les étincelles, on comprend pas ce qui se passe". Son ami Ludo la plaque au sol.

Elle entend Djamila supplier les terroristes d'arrêter. "Les terroristes partent et y a un silence glaçant". La jeune femme qui parle a les joues qui rougissent, retient ses larmes, son ami lui caresse le dos pour la soutenir à la barre.

Elle raconte "la terrasse retournée, tous les corps imbriqués, les uns sur les autres" et son ami Ludo qui ne lui répond plus.

Elle se souvient de Khaled qui "dit en arabe Dieu s'il te plaît, donne-moi la force de surmonter tout ça". Elle a trouvé la force de marcher au milieu des cadavres. Puis elle part à l'hôpital, une balle dans le bras. "Ça faisait comme un chou-fleur de graisse".

Elle raconte à la barre les conséquences du 13 Novembre, même si elle n'a "pas envie de s'étaler", mais elle n'a jamais pu reprendre la boutique familiale ne peut plus retourner dans le quartier sans tomber en dépression.

Elle voudrait "vous parler des conséquences sur les invisibles, le cercle proche" dont sa sœur, "ses amis qui ont été le réceptacle de ma haine. Eux aussi ont subi".

Elle parle de la presse après l'attentat du 13 Novembre 2015 à La Belle Equipe. "On a volé mon image et celle de Ludo". Elle dit le mot "racoleur". "Ça m’interroge sur les conséquences, les dérives de la liberté de la presse", dit-elle.

Elle explique qu'elle est devenue présidente d'une association qui organise des ateliers d'écriture.

Elle dit ce qu'elle n'attend pas de ce procès : "pas un concours d'éloquence d'avocats, pas un concours de dramaturgie fanatique pour Abdeslam, le pantin de qui, de quoi ?"

Elle dit encore : "J’attends de ce procès de comprendre le comment plutôt que le pourquoi. Aujourd’hui, on a besoin d’enterrer cette histoire".

Elle dit : "Je ne siroterai plus jamais une coupe de champagne avec la même désinvolture. Je continuerai à lire les vieux Charlie Hebdo de mes parents", elle continuera à lire Luz, et "Dessiner encore" de Coco

Puis elle dit : "Je pense à vous mes anges partis ce funeste jour du 13 Novembre 2015, vos âmes continuent de résonner en moi"

Puis elle fait diffuser un film en mémoire de ses amis disparus. On y voit des jeunes heureux qui dansent et aussi Grégory, le patron de La Belle Equipe.

Pendant le film, Salah Abdeslam baisse la tête pour ne pas regarder. Les autres accusés regardent.

Après la diffusion de ce petit film hommage, immense silence dans la grande salle d'audience.

Arrive à la barre Ambre, qui était serveuse à la Belle Equipe. Elle est aussi comédienne, chanteuse, modèle vivante. Elle était amie avec Hodda qui fêtait son anniversaire ce 13 Novembre.

Ambre : "On est trois à servir ce soir-là, tout se passe bien". Elle s'apprête à aller fumer une cigarette et on lui demande une coupe de champagne, et "là on s'est tous retrouvés au sol, la lumière s'est éteinte, y a eu des rafales".

Ambre : "Je suis accroupie derrière le bar". Elle pense à des pétards. Se relève. Elle entend quelqu'un qui dit "tout le monde au sol". Puis en terrasse, quelqu'un qui dit "arrêtez s'il vous plaît !"

Puis Ambre sort en terrasse. "Je reste figée sur ma terrasse. Je ne comprends pas ce que je vois. Les tables renversées. Je ne reconnais pas les gens que je connais pourtant".

Ambre : "Et je vois plein de gens en train de prendre des photos avec des téléphones portables et je leur crie d’appeler les secours".

Ambre : "J’ai mon téléphone et je crois me dire que puisque tout le monde est en train de prendre la scène en photo, je me dis que quelqu’un a déjà appelé les secours".

Ambre : "J’appelle ma sœur. J’appelle ma mère. Je prends pas du tout soin d’elle. Je lui dis que c’est la guerre et qu'il y a des morts partout".

Ambre : "Je voulais aider. J’ai aidé personne. Quelqu’un est venu me demander des tissus pour faire des garrots. J'avais même pas de torchon, ils étaient sales".

Ambre raconte que Khaled, le frère de Hodda lui demande de l'aide. Pour relever sa sœur. "J’ai peur parce que j’ai toujours entendu dire que quand quelqu’un est blessé faut pas le toucher".

Ambre : "J’essaye de prendre ses jambes mais c’est trop lourd. Je suis là sur cette terrasse, je peux rien faire parce que je sais pas quoi faire".

Ambre : "Des pompiers arrivent. Je leur dis y a une jeune fille qui a un trou dans le torse".

Ambre raconte ensuite les corps sous les couvertures de couleur. La mort de son amie Hodda. "Dans la tête je ne réalise pas qu’elle est en train de mourir ".

Ambre : "Il y a Grégory qui m’appelle pour savoir où est sa copine Justine qui vient de décéder"

Puis elle est entendue au 36 quai des Orfèvres. Repart dans la nuit en taxi. "J’ai passé la nuit chez une amie prostrée. Je ne me suis pas lavé les mains. J’ai gardé le sang d’Houda sur mes mains, je ne voulais pas l’enlever".

A la barre, Ambre raconte l'après. "Pas facile de gérer les colères et le sentiment de solitude". Trop dur de rester serveuse. Elle a passé un CAP couture. Veut retrouver du sens pour sa vie.

Ambre dit qu'elle ne voulait pas venir témoigner au début, parce qu'elle n'est pas blessée et qu'elle n'a perdue personne. Son avocat, Me Bibal, rectifie : elle est blessée psychique. Gravement.

Ambre, coquette jeune femme, tatouage sur le bras et les doigts, dit qu'elle s'est offert un orgue de barbarie électronique : "je chante la vie et je chante l’amour"

Et Ambre quitte la barre. Sur un de ses tatouages, bras gauche, on distingue un ange.

Arrive Camille à la barre, jolie brune. "Notre amie Hodda fêtait ses 35 ans. Nous habitions dans le quartier". Elle va à cette soirée avec Samy. Et d'autres amis.

Vers 21h20, une partie de ses amis sortent fumer. Camille : "Nous sommes restés au bar, nous avons survécu, pas les autres".

Quand les tirs ont commencé, à 21h36, Camille a d'abord cru à des pétards. Puis "un éclat a heurté mon front. Samy m’a vue tomber. Il a cru que j’étais touchée".

Camille : "Il a essayé de me protéger de ses bras de ses jambes de son corps. C’est là que j’ai compris que c’était une fusillade"

Elle pensait encore que c'était un règlement de comptes. Les tirs ont cessé. Puis repris. "J’ai compris que les assaillants étaient en train de recharger leurs armes".

Camille : "A partir de ce moment là, j’ai été persuadée que j’allais mourir. Que les terroristes allaient nous achever dans le dos. Je me disais pourvu que ce soit rapide".

Puis les terroristes sont partis. Camille dit juste après, "le très lourd silence, glaçant. Puis après le silence, encore plus glaçants, les cris, des hurlements de douleurs, des gens qui criaient".

Camille décrit "une vision d’horreur", des corps, "des visages de cire, sans que je puisse les reconnaître"

Camille : "J'étais figée par l'effroi".

Camille raconte un appel qu'elle a eu le soir, vers 23h. Un enfant de 13 ans. Qui regardait le foot à la télé. Avait vu les infos. S'inquiétait. Sa maman, Marie, est morte à La BelleEquipe.

Marie était une amie de Camille. Cet enfant est devenu le filleul de Camille.

Camille pleure à la barre. Des larmes qu'elle avale pour continuer à parler. Elle est à la barre pour cet enfant, orphelin, devenu son filleul. Il a aujourd'hui 18 ans.

Camille parle à la barre de sa "profonde tristesse", tout en disant "je ne me suis pas effondrée, je suis dans la vie, je me bats".

Camille : "Je mesure ma chance d’être sortie indemne de La Belle Equipe, mais l’attentat m’a confrontée à des deuils très douloureux".

Camille : "Ce soir-là j'ai perdu des amis très proches. Hyacinthe, Justine, Marie, Houda, Thierry. Parmi les morts, il y avait aussi des copains, des copines, des personnes pleines de vie, de projets, d’amour"

A la barre, Camille veut rendre hommage à chaque ami. "Hyacinthe, son charisme unique légendaire"

Camille : "Marie, son rire fantastique, sa générosité, son courage impressionnant, sa détermination redoutable".

Camille a les mains jointes à la barre, pour parler de ses amis morts le 13 Novembre à LaBelleEquipe

Camille : "Justine, sa délicatesse merveilleuse, sa luminosité qui a marqué de nombreuses personnes, sa bienveillance".

"Hodda, sa douceur si rassurante, sa droiture mais aussi sa joie de vivre communicante".

"Thierry, sa solidité si précieuse pour ses proches, sa bonté et son audace"

"Durant 20 ans, ensemble, nous avons beaucoup dansé, nous avons eu aussi de nombreuses discussions animées c’était des personnes qui aimaient la vie, qui aimaient les autres".

"Je les porte dans mon coeur en permanence. Je porte aussi la culpabilité d’être en vie".

"Ce dont je veux aussi témoigner c’est de l’ampleur de l’onde de choc"

Camille : "Je pense à mon filleul qui est maintenant un formidable jeune homme. Il est d’un courage exemplaire, mais ça reste une épreuve extrêmement difficile".

Et Camille s'éloigne de la barre. Si digne et si touchante.

Arrive à la barre Maurice, photographe aux cheveux blancs, qui habite en Suisse et était en voyage à Paris avec son amie Myriam ce 13 Novembre.

Maurice à LaBelleEquipe : "J'ai mes yeux rivés sur le téléphone et j'entends des bruits, comme des pétards. On se regarde avec mon voisin, on se dit c'est imbécile". Il a une vision périphérique car regarde son téléphone.

Son voisin voit les gens qui se baisse, alors Maurice se met à quatre pattes. Silence. Puis il voit un homme avec une arme. Le prend pour un fou. Se dit qu'il va prendre une balle.

Maurice : "Je fais un décompte, je le dis tiens, je vis encore. Puis j'entends Allah Akbar. Je me dis c'est comme Charlie Hebdo" Puis la voiture des terroristes s'éloigne.

Maurice se lève, regarde la terrasse : "en français, ça s'appelle un carnage".

Maurice s'inquiète pour Myriam. Leurs regards se croisent. Ils se sourient. Soulagés. Mais elle est au milieu des cadavres. Il veut aller vers elle, voit le sang au sol. "Je me dis je peux pas marcher, le sang c'est comme le corps humain".

Maurice allonge Myriam un peu plus loin sur le trottoir. Elle est blessée. Elle sera hospitalisée.

Myriam est sortie de l'hôpital. Six ans après, Maurice : "Aujourd'hui, je suis comme projeté dans un autre monde. Tout me paraît vain. Je n'ai plus de pare-choc émotionnel. Je ne fais plus de projection. Je regarde le jour tout simplement".

Arrive une jeune fille, Juliette. Elle avait rendez-vous à La Belle Equipe avec un jeune homme. Ils s'installent en terrasse. Elle voulait fumer. Elle choisit ce qu'elle pense être la pire place, et qui s'avèrera "être la meilleure".

Elle entend ce qu'elle pense être des pétards. A la barre, elle se met à pleurer, en racontant que jamais elle n'avait serré aussi fort une main, en se mettant à terre, à côté de ce jeune homme, "il se fait fusiller à mes côtés".

Juliette : "S’ensuit une éternité où j’ai envie de m’enterrer dans le sol. Je comprends pas ce qui m'arrive. J’ai l’impression que je vais mourir"

Juliette a alors trois pensées, dont comment son frère et ses parents allaient "encaisser mon décès" ? A la barre, Juliette pleure, visage enfantin, elle est jeune.

Après les tirs, Juliette raconte : "J’ai posé délicatement ma main sur le torse de Cédric. Je ne voulais pas aggraver ses blessures. Je lui ai demandé trois fois Est-ce que tu es mort, est-ce que tu es mort, est-ce que tu es mort ?"

Juliette : "Je me suis retrouvée toute seule sur cette terrasse". Elle ne connaissait personne dans ce quartier de La Belle Equipe, où elle était venue juste pour ce rendez-vous avec Cédric.

Puis elle croise un pompier. Juliette : "Ce pompier a dit "j’ai une vivante avec moi". Cette phrase m’a hantée pendant des nuits".

Juliette : "Après, s'en est suivie de la sidération, de la culpabilité, parce que je savais que j’avais abandonné quelqu’un"

Juliette lit un texte à la barre, pour raconter ce que c'est que "être victime du 13 Novembre "Être victime du 13 Novembre, c’est réapprendre à vivre, redoubler de forces. Je n’ai pas le droit de me plaindre car je suis vivante".

Juliette dit encore : "Ce soir du 13 Novembre, on m’a volé mon insouciance en me confrontant à la mort des autres et à la mienne". Juliette est en larmes.

Juliette dit encore : "Chaque jour, je m’efforce de vivre par respect pour ceux qui ne se sont pas relevés". Elle tremble. Elle est ultra touchante. Juliette a 28 ans.

Juliette : "Je n’ai ni de colère, ni de haine, je ne veux pas être animée par la vengeance. Je ne sais pas vraiment ce que j'attends de ce procès. Rien ni personne ne pourra me redonner mon insouciance".

A la barre, en répondant à une question de la cour, Juliette évoque une lettre qu'elle a écrite pour les parents de Cédric, et qu'elle n'a jamais envoyée. Elle dit qu'elle se sent "coupable", de ce rendez-vous. Elle est en sanglots. Et quitte la barre.

Suit Mélanie, qui ne voulait pas témoigner au début, dit qu'elle n'a rien vu, car son amoureux, Florian, s'est couché sur elle pour la protéger. Elle a eu "un petit trou dans la chaussure". Six ans après, elle dit l'ampleur du traumatisme qui demeure.

Arrivent Véronique et Richard, couple aux cheveux gris, qui étaient amis avec Véronique de Bourgies, à qui ils étaient venus rendre visite à Paris. Véronique de Bourgies est morte sous les balles de kalachnikov le 13 Novembre 2015 à La Belle Equipe.

Richard raconte comment il a tenté de faire de la sauver avant l'arrivée des pompiers. Bouche-à-bouche, massage cardiaque. Il a prié. "Notre père". Il a espéré. Fait encore des massages cardiaques. En vain.

Et Richard raconte comment ils ont dû, sa femme et lui, rentrer chez Véronique de Bourgies, qui habitait juste à côté de La Belle Equipe. Ils sont rentrés pour dire à ses enfants de 12 et 14 ans, que leur maman n'allait pas revenir.

Après une suspension, Mélissa, la fille de Véronique s'approche de la barre avec son papa, Stéphane. Elle a 20 ans aujourd'hui, longs cheveux bouclés. Elle raconte son 13 Novembre 2015.

Elle était devant la télé avec son frère de 12 ans. Leur mère Véronique, était donc sortie dîner au restaurant La Belle Equipe juste à côté avec Richard et Véronique. Elle se souvient d'avoir vu les alertes attentat au Stade de France. D'avoir voulu appeler sa maman.

Leur papa était en voyage d'affaire en Chine. Mélissa n'a pas eu le temps d'appeler sa maman. Richard et Véronique rentraient pour lui annoncer la mort de sa maman.

Mélissa : "J’ai pas eu le temps de pleurer. J'ai eu de la colère, de la haine -pas contre les accusés, contre le monde entier. Et le premier réflexe que j’ai eu, ça a été de m’occuper de mon petit frère"

"Mon frère était en crise d’hystérie totale. J’ai vu mon frère dans un état même pas descriptible. Ça m’a fait beaucoup de mal. J’ai endossé le rôle d’une grande sœur".

Le lundi, elle est retournée au collège passer son brevet blanc. "J'ai fait comme si de rien n'était". Mélissa a "essayé d'être forte". Puis a fait une dépression en 2017. Aujourd'hui, elle dit qu'elle essaye d'être "une grande sœur et un pilier pour mon père"

Son père est à côté d'elle à la barre. Cheveux blancs. Il est photographe. "J'étais en Chine quand c'est arrivé". Il a eu sa femme Véronique au téléphone vers 20h, peu avant l'attentat. Un "très joli coup de fil", réconfortant, vu la tragédie qui a suivi.

A la barre, il dit la force de ses enfants. "Ils me font tenir debout".

Arrive à la barre Jessica. Jessica peine à marcher, avec ses béquilles. Elle a besoin d'une chaise pour témoigner. "Je m'appelle Jessica et je vais avoir 30 ans le 13 Novembre prochain".

Jessica dit qu'elle a toujours aimé fêter son anniversaire, une occasion de réunir ses amis. Elle habitait à St Ambroise, "à 700 m du Bataclan". Elle n'était jamais allée à La Belle Equipe. S'est trompée dans l'adresse avait écrit La Belle Epoque. Ce qui a sauvé certains amis.

Jessica : "mon ami Victor Munoz est arrivé le premier. Vers 21h, les garçons sont sortis fumer". Puis, elle a entendu les tirs

Jessica a reçu des tirs dans la jambe. "J'ai pensé c'est l'apocalypse, mais c'était une scène de guerre". Après le départ des terroristes, Jessica appelle Roman, son amoureux, aujourd'hui à côté d'elle à la barre.

Roman accourt sur la terrasse, voit que c'est grave, cherche les points d'impacts sur la jambe blessée de Jessica, mais elle pense qu'elle va mourir. "Mourir sous les yeux de Roman", dit-elle.

Jessica est transportée un peu plus loin. Elle pense qu'elle va mourir mais dit à ceux qui l'entourent alors "pas dans un restaurant grec, s'il vous plaît !" Peut-être l'effet de la morphine, précise-t-elle. Sourires dans la salle.

Jessica : "Je me réveille après 13 jours de coma". Elle comprend au sourire de sa sœur. Elle précise qu'elle est intubée, que ça la gêne pour parler, "je sais pas si vous l'avez remarqué, je suis très bavarde", alors "je me désintube toute seule".

Jessica fait projeter sur grand écran des radios de son corps. On voit ses lombaires. On voit des balles à côté. Des balles de kalachnikov. Elle a été blessée par dix balles. Trois sont encore dans son corps.

Jessica : "La liste de mes blessures fait plus de deux pages. Les médecins parlent de miracle". On lui dit qu’elle ne remarchera jamais. A tous les réveils, elle essaye de les faire bouger.

Elle raconte l'hôpital. "Le visage de Roman dans le hublot" Roman, son amour inconditionnel. Ils se sont rencontrés à 17 ans, au lycée Maurice-Ravel.

Jessica explique qu'on lui apprend à l'hôpital la mort de Victor Munoz, son ami depuis qu'ils avaient onze ans. Elle n'a pas pu aller à l'enterrement de Victor, "un membre de ma tribu".

Jessica fait projeter une photo de Victor venu lui rendre visite à Berlin. On la voit. Très jolie jeune fille, jambes fines, debout, sur la photo qu'elle montre.

Jessica parle de ses douleurs neuropathiques, "ce sont les seuls terroristes de ma vie et non ces hommes à ma gauche". Le box est à sa gauche. Salah Abdeslam à hauteur de la barre devant laquelle elle témoigne.

Jessica dit que les douleurs qu'elle ressent, "on ne s'y habitue jamais".

Jessica, longs cheveux, peau noire, dit à la barre : "moi française d'origine congolaise". Et elle ne supporte aucun message politique justifiant les attentats.

Jessica achève son témoignage en disant "Victor, tu nous manques". Et dit que "la Jessica" qu'elle était aussi. Jessica continue à fêter son anniversaire le 13 Novembre, qui doit rester aussi "un jour heureux".

Roman commence à témoigner. Dit qu'il est né en 1991, tout près de La Belle Equipe. Il dit sa bande d'amis. Et le premier "baiser volé" à sa compagne, chez Victor.

Roman : "Le 13 Novembre, c'est l'anniversaire de Jess, mon amoureuse, elle a 24 ans".

Roman : "Je sors fumer une cigarette avec Victor. Ce sera la dernière fois que je lui parlerai". Puis Roman rentre à l'intérieur. "A 21h36, ma vie bascule". Il entend les tirs. Pense tout de suite à un attentat. Et à "Jess" dehors. Il sort. Pense être visé aussi.

Roman sort et voit Jess, le corps parmi les corps enchevêtrés. "Un trou dans la jambe de la taille d'une pomme". Il tente de lui faire un garrot. Elle lui dit ses derniers mots. Il pense qu'elle va mourir.

Roman "alterne les claques et les bisous", a peur qu'elle meure, "je me dis elle peut pas mourir dans un kebab", ils attendent l'ambulance, partent finalement à La Pitié Salpêtrière.

Roman : "La nuit du 13 Novembre s’achève, elle a basculé en quelques secondes. Une parenthèse vient de s’ouvrir. Je ne sais pas encore qu’elle ne se refermera jamais".

Roman : "Pour moi, la nuit du 13 Novembre a été cauchemardesque, mais la suite encore bien pire".

Roman : "Après deux ans de rééducation acharnée, Jess est rentrée chez nous, debout".

Roman raconte son hypervigilance depuis le 13 Novembre, le couteau qu'il a gardé pendant deux ans au fond de sa poche. Et il dit "Paris, je l'aime autant que je la déteste maintenant".

Roman dit que quand il a appris qu'il allait témoigner à quelques mètres des accusés, il pensait les invectiver, et finalement, ne veut leur adresser que "mon dédain".

Roman dit aux accusés : "Dans quelques années, vous serez oubliés" et dit que seuls demeurera le souvenir "de nos disparus". Et lui aussi termine son témoignage en citant le prénom de son ami Victor, tombé sous les balles à La Belle Equipe.

Jessica et Roman quittent la barre.

Thomas est maintenant à la barre. Il a 30 ans. Victor, son ami, est mort dans ses bras.

Thomas : "Je garderai à vie l'image de nous quatre, quatre de ses meilleurs potes, portant son corps sous la coupole, au Père Lachaise". Quelques temps avant, ils fêtaient sa crémaillère pour sa nouvelle vie, avec son amoureuse. Victor avait 24 ans.

Nathan, autre ami de Victor Munoz, arrive à la barre. Emu. Il témoigne pour Victor. Gorge nouée. Il dit : "je veux pas pleurer, ils ont pas eu une goutte de mon sang, je veux pas qu'ils aient une goutte de mes larmes". Il désigne le box des accusés à sa gauche.

Nathan raconte comment il a tenté de sauver Jessica avec Roman. Que Jessica ait survécu, et remarche, c'est "une revanche", dit-il. Et il dit sa "haine" face aux accusés à sa gauche.

Nathan espère que les accusés vont se souvenir de tous ces témoignages entendus, "qu'ils feront des cauchemars dans leurs petites cellules le soir".

Nathan conclut en parlant de son ami Victor, sa force, son engagement, "et comme t'aurais dit Victor : à la santé du colonel !"

Et après un dernier témoignage d'un ami de Victor, Tommy, qui n'avait pas prévu de parler mais est venu pour honorer la mémoire de Victor Munoz, fin de ce 16e jour d'audience. Reprise lundi 4 octobre à 12h30.