Proposition de loi Fake news et renforcement des pouvoirs du CSA : préservation de sincérité du scrutin ou censure et atteinte à la liberté d'information ? (fr)

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Me Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Mars 2018


La proposition de loi Ferrand relative à la lutte contre les fausses informations" est désormais déposée à l'assemblée nationale et le rapporteur sera désigné le 4 avril 2018.


Le texte prévoit ainsi, outre une procédure judiciaire d’urgence pour les élections présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes (lire notre article Loi fake news: la procédure de référé instaurée), une extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour lutter contre la diffusion de fake news.


Il part de l'idée que l’actualité électorale récente aurait démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne et que si les responsabilités civiles et pénales des auteurs de ces fausses informations peuvent être recherchées sur le fondement des lois existantes, celles-ci seraient insuffisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne afin d’éviter leur propagation ou leur réapparition.


Ainsi de nouveaux pouvoirs seront conférés au Conseil supérieur de l’audiovisuel : visant à permettre au CSA d’empêcher, de suspendre ou de mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions.


La modification de l’article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par l’article 4 de la proposition de loi vise en premier lieu à sécuriser la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel de refuser de conclure une convention avec un service n’utilisant pas de fréquences hertziennes, en explicitant la jurisprudence du Conseil d’État relative aux refus de conventionnement.


Le second alinéa autorise quant à lui le Conseil supérieur de l’audiovisuel à refuser un conventionnement à une chaîne lorsqu’elle est liée à un État étranger dont les activités sont de nature à gravement perturber la vie de la Nation, notamment par la « diffusion de fausses nouvelles », notion qui figure déjà dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


Afin de saisir la grande diversité des situations qui peuvent se présenter, le dispositif vise non seulement les chaînes contrôlées au sens du code du commerce, mais également celles qui sont « sous l’influence » d’un État étranger, notion beaucoup plus large qui devrait être appréciée à l’aide d’un faisceau d’indices.


Enfin, il autorise le régulateur à prendre en compte les agissements de l’ensemble des sociétés liées à la société éditrice de la chaîne et les contenus édités sur tous les services de communication au public par voie électronique (notamment les réseaux sociaux ou les sites de presse en ligne) afin de lui permettre de saisir l’ensemble des stratégies qui pourraient être mises en place par certains États.


L’article 5 du projet insère un nouvel article 33-1-1 pour instituer une procédure exceptionnelle de suspension administrative de la diffusion d’un service conventionné, en période électorale (élections présidentielles, législatives, sénatoriales, européennes et référendum), si les agissements en cause ont pour objet ou pour effet d’altérer la sincérité du scrutin à venir.


Le nouvel article 42-6 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication créé par l’article 6 organise un régime de sanction parallèle à celui créé pour le refus de conventionnement, permettant au Conseil supérieur de l’audiovisuel de retirer la convention en cas d’agissements postérieurs à sa signature, selon la procédure prévue par l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 (article 7).


L’article 8 prévoit enfin la modification de l’article 42-10 de la même loi qui organise le référé administratif audiovisuel permettant au président de la section du contentieux du Conseil d’État, à la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’ordonner au responsable d’un service de communication audiovisuelle de se mettre en conformité avec ses obligations.


Il vient compléter le dispositif en permettant au juge de suspendre en urgence la diffusion d’un service pour les mêmes motifs que ceux autorisant le Conseil supérieur de l’audiovisuel à résilier une convention.


Cette procédure est complémentaire du pouvoir de résiliation conféré au Conseil supérieur de l’audiovisuel, en ce qu’elle permet de suspendre en urgence la diffusion d’un service sans attendre que la procédure de sanction engagée par le Conseil, encadrée par des contraintes procédurales spécifiques, ne soit parvenue à son terme.


Elle est en revanche la seule voie d’action possible à l’encontre des chaînes relevant de la compétence de la France mais qui ne sont pas soumises à une obligation de conventionnement.


La nécessaire conciliation entre d'une part la liberté d'expression et d'autre part la liberté d'information et la préservation de la sincérité du scrutin sera-t-elle bien assurée par ces nouvelles dispositions ?


Espérons le avec cette délicate mission de définir ce qu'est une "fausse information" , ce qui devrait conduire à de nombreux et passionnés débats !


Retrouvez ci-dessous la proposition de loi Fake news qui sera débattue en procédure accélérée


http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0799.asp


Lire également notre article Fake news et modération des contenus illicites ainsi que notre analyse pour le Figaro du 6 mai 2017 sur le délit de diffusion de fake news [1]

Me Thierry Vallat est intervenu sur ce sujet sur RT France le 6 mars 2018 et a participé au débat sur le sujet organisé sur Europe 1 le 4 janvier 2018 dans l'émission "Europe Midi" https://www.dailymotion.com/vid