Salariée enceinte et licenciement collectif (CJUE 22/02/2018 aff. C-103/16) (fr)

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Stéphane Vacca, Avocat au Barreau de Paris
Mars 2018




Rappel de l’article L.1225-4 du code du travail :

« Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa. »


Pour la Cour de cassation, si le contrat de travail de la salariée en état de grossesse médicalement constatée peut être résilié par l’employeur s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée non liée à cet état ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, de maintenir le contrat, le motif économique ne constitue pas en soi une impossibilité de maintenir le contrat de travail d'une salariée en état de grossesse (Cass. soc. 17/01/2006 n°04-41413).[1]


Cette position a été réitérée dans un arrêt du 6 janvier 2010 (C-103/16), où la Cour de cassation a jugé que l'existence d'un motif économique de licenciement ne caractérisant pas, à elle seule, cette impossibilité de maintenir le contrat de travail pendant les périodes de protection dont bénéficie la salariée, la lettre de licenciement, notifiée pendant la période de protection, qui se borne à tirer l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, ne vise pas l'un des motifs prévus par l'article L.1225-4 du code du travail (Cass. soc. 06/01/2010 n°08-44626).[2]


Cependant dans une affaire du 22/02/2018, à la cinquième question de savoir si l’article 10, point 2, de la directive 92/85 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale permettant à l’employeur de licencier une travailleuse enceinte dans le cadre d’un licenciement collectif, sans lui fournir d’autres motifs que ceux qui justifient ce licenciement collectif et sans l’aviser de circonstances exceptionnelles, la CJUE a répondu :


« Aux termes de l’article 10, point 2, de la directive 92/85, lorsqu’une travailleuse est licenciée pendant la période allant du début de sa grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit.

Ainsi, l’employeur doit exposer par écrit à une travailleuse enceinte qu’il s’apprête à licencier ou qu’il a déjà licenciée les motifs non inhérents à la personne de celle-ci pour lesquels il effectue un licenciement collectif, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59. Ces motifs peuvent être, notamment, économiques, techniques ou relatifs à l’organisation ou à la production de l’entreprise.

Il incombe, en outre, à l’employeur d’indiquer à la travailleuse enceinte les critères objectifs qui ont été retenus pour désigner les travailleurs à licencier.

Dans ces conditions, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 10, point 2, de la directive 92/85 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à l’employeur de licencier une travailleuse enceinte dans le cadre d’un licenciement collectif, sans lui fournir d’autres motifs que ceux qui justifient ce licenciement collectif, pour autant que sont indiqués les critères objectifs qui ont été retenus pour désigner les travailleurs à licencier. »


La Cour de cassation changera-t-elle sa position sur le motif du licenciement collectif (économique), ou s’en tiendra-t-elle à une lecture littérale de l’article L.1225-4 qui ne vise pas expressément le licenciement collectif ?