Trouble anormal de voisinage et l'implantation des relais de téléphonie mobile (fr)

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Les télévisions, les fours micro-onde, le wi-fi, les téléphones portables, les antennes relais…A moins de vivre reclus au milieu de nulle part, le monde qui nous entoure n’est qu’un vaste champ électromagnétique. Mais qu’en est-il du danger de ces ondes ? Cela fait près de 10 ans que cette question se pose, et pour l’instant, aucune réponse claire ne peut être apportée. Beaucoup de facteurs rentrent en jeu ; des scientifiques divisés sur le sujet, des lobbies très puissants, des militants plus ou moins bien informés... Le principe de précaution semble être le principe le plus à même de protéger les citoyens contre un danger qui n’existe peut-être pas, mais le problème est de savoir comment mettre en œuvre un principe contre un phénomène dont on ne connaît pas les effets à long terme ? Pour l’Agence française de Sécurité sanitaire de l’Environnement et du travail (AFSSET), il n’existe aucune preuve que les antennes relais représentent un quelconque danger pour les habitants des alentours. Mais plusieurs études indiquent le contraire en détectant certains symptômes chez les personnes vivant près d’une antenne relais tels que la fatigue, les troubles du sommeil, des difficultés de concentration ou encore des problèmes cardiovasculaires. Certains scientifiques avancent même une théorie selon laquelle les antennes relais pourraient être à l’origine de cancers. En France, l’implantation des antennes relais n’est soumise à aucune réglementation spécifique, , en vertu d’une recommandation de la Commission européenne, il suffit simplement qu’elles respectent une puissance de 41,58 et 61 volts par mètre en fonction des fréquences( 900 MHz, 1.800 MHz ou 2.100 MHz). Les associations réclament que la valeur d'exposition chronique soit fixée à 0,6 V/m.


Définition des troubles anormaux du voisinage

Les troubles du voisinage sont des faits susceptibles de perturber l'entente entre deux ou plusieurs individus vivant à proximité. Deux concepts jurisprudentiels permettent de définir ces troubles, l’abus de droit et les troubles anormaux du voisinage. Ces deux concepts sont les limites au droit de l’art 544 du code civil, le droit de propriété. Cet article édicte que «  La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvue qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Aussi cette conception sera abandonnée par la jurisprudence au cours du dernier quart du XXe siècle au profit de celle plus flexible des troubles anormaux du voisinage.


Le principe de précaution

Le principe de précaution est relatif aux mesures qui peuvent être prises en cas d’incertitude scientifiques sur les conséquences des risques pour l’environnement. Cette notion est apparue pour la première fois en Allemagne dans les année soixante, puis fut consacrée par plusieurs textes internationaux ( par exemple dans la Déclaration de Rio publiée le 13 juin 1992 à l’issue de la deuxième Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, texte ratifié par la France en 1994). Le principe de précaution a été introduit en droit communautaire avec la traité de Maastricht en 1992. L’article 130R. §2 relatif à la politique de l’Union européenne en matière d’environnement et qui dispose qu’elle « est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur ». La Commission européenne a quant à elle adopté en 2000 une communication sur le principe de précaution indiquant que l’Union européenne dispose du droit de fixer le niveau de protection de l’environnement, de la santé et des consommateurs qu’elle estime approprié.

Le principe de précaution en France

Le principe de précaution est apparu en France pour la première fois en 1995 dans la loi Barnier. Il est aujourd’hui consacré dans l’article L110-1 du Code de l’environnement qui dispose que « Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Mais la portée juridique de ce principe est encore assez floue. La CJCE s’est prononcée en faveur d’une applicabilité directe du principe de précaution, mais même si les juridictions nationales ne semblent pas s’être clairement prononcées, les juridictions administratives semblent y faire de plus en plus allusion, notamment en ce qui concerne les antennes relais.

Les recommandations du Parlement européen

Jeudi 3 avril, un rapport sur les effets sur la santé des champs électromagnétiques a été adopté par le Parlement européen. Ce document préconise pour l’Europe une nouvelle limitation de 3 volts par mètres contre actuellement une limite de 41,25 volts par mètres pour le GSM à 900 MHZ. Cette limitation pouvait paraître adaptée lorsqu’elle a été adoptée en 1999, mais aujourd’hui, face à l’ampleur de l’utilisation des téléphones portables (500 millions en Europe) et face à la multiplication des ondes électromagnétiques, il semble urgent de la modifier. De plus, dans sa recommandation, le Parlement s’intéresse à la prévention des risques (éventuels) des antennes relais. De nombreux « conseils » sont dispensés comme par exemple d’éviter d’implanter des antennes-relais à proximité des écoles, des crèches ou encore des maisons de retraite. Le parlement européen semble donc, pour répondre aux inquiétudes des citoyens, s’appuyer sur le principe de précaution même s’il garde une certaine réserve du fait des études scientifiques incertaines voire parfois contradictoires sur le sujet. D’après l’OMS il pourrait ne pas y avoir de résultats probants avant 2015.


La jurisprudence

Déja, en 2003, SFR avait été condamné à déplacer une de ses antennes relais. En effet, à la Roquette sur Siagne (Alpes-Maritimes) SFR avait édifié un pylône de 12 mètres de hauteur pour y installer deux antennes de téléphonie mobile, sur un terrain privé situé à proximité (36 mètres) d'une classe de l'école privée Saint-Jean, édifiée sur deux parcelles de terrain mises à sa disposition par la commune. La Maire, se fondant sur un trouble anormal de voisinage, a assigné SFR afin d'obtenir le déplacement du pylône compte tenu de "l'irradiation quotidienne du groupe scolaire et de ses occupants par des ondes électromagnétiques d'intensité moyenne" et "du fait que les usagers de l'école présentent, depuis l'installation de l'antenne des troubles du sommeil, une fatigabilité accrue et des états migraineux". Le 17 juin 2003, le TGI de Grasse avait ordonné le déplacement de l’antenne relais d’SFR. La Cour d’Appel d’Aix en Provence, le 8 juin 2004 a confirmé ce jugement et a donc débouté SFR de son appel.

Mais une récente affaire va peut-être bouleverser la façon que les « géants » des télécommunications ont de se comporter face aux implantations d’antennes relais. En effet, les habitants de Tassin-La-Demi-Lune dans le Rhône se plaignaient de maux de têtes, nausées et palpitations cardiaques, troubles qu’ils attribuaient à l’antenne relais implantée par Bouygues Télécom à proximité. En l’espèce, même si le lien de cause à effet entre les troubles constatés et l’antenne relais ne peut encore une fois être clairement démontré, c’est au nom du principe de précaution que la société Bouygues Telecom a été condamnée a démonter son antenne relais sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Versailles le 4 février 2009 qui donne raisons aux habitants. Elle considère que le respect du décret du 3 mai 2002, la licéité de l’activité et son utilité pour la collectivité ne suffisent pas à écarter l’existence d’un trouble anormal du voisinage. Selon le principe de précaution, c’est bien l’absence de certitudes qui pose problème. En effet la Cour d’appel indique qu’« aucun élément ne permet d’écarter péremptoirement l’impact sur la santé publique de l’exposition de personnes à des ondes ou des champs électromagnétiques ». L’opérateur devra donc démonter cette antenne relais à Tassin-La-Demi-Lune sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai de quatre mois à compter de la signification de la décision de la cour d’appel.

Plusieurs jugements avaient déjà utilisé le principe de précaution afin de condamner un opérateur, mais c’est la première fois qu’une Cour d’appel condamne un opérateur à démonter une antenne relais au nom du principe de précaution.



Plus récemment encore, c’est une interdiction d’installation d’antenne relais qui a été prononcée par le TGI d’Angers à l’encontre d’Orange, en raison des « risques sanitaires pour les populations riveraines ». Voici un extrait du jugement : « En l'état des incertitudes sur les caractéristiques techniques de l'installation projetée au regard des risques avérés pour la santé publique au cas de dépassement des normes actuellement en vigueur, normes dont il a été démontré qu'elles sont particulièrement laxistes et dénoncées comme telles, en l'état des incertitudes sur les garanties apportées à la protection du bâtiment sensible que constitue l'école municipale, en l'état enfin de l'absence de justification de l'impossibilité d'implantation sur un site alternatif, le principe de précaution nous commande d'ordonner l'interdiction de mise en œuvre du projet d'implantation des antennes relais sur le clocher de l'église de Notre Dame d'Allençon, interdiction constituant une mesure effective et proportionnée visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable. Ce fondement recoupe en l'espèce celui invoqué également au titre de l'article 809 al 1 du code de procédure civile et il entre dans notre compétence de prendre toute mesure pour prévenir un dommage imminent, définition qui intègre à l'évidence le risque sanitaire pour les populations riveraines de l'installation projetée. »

Synthèse du Grenelle des ondes

Le grenelle des ondes qui s’est tenu à partir du 23 avril 2009 a réuni plusieurs acteurs majeurs tels que les opérateurs et certaines associations (Priartem (Pour une réglementation de l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile) et Agir pour l’environnement) afin de discuter, réfléchir et trouver des solutions. Une synthèse de cette table ronde a été faite et les mots récurrents sont en effet « incertitude », « risque émergent », « principe de précaution », « transparence », « concertation ». Mais si on retrouve dans cette synthèse de nombreuses avancées, ce n’est pas le cas dans le rapport final, rapport dans lequel certaines propositions ont disparues. Plusieurs propositions ont donc tout de même été faites notamment par rapport au téléphone portable, par exemple :

  • Une campagne d’information sur les risques susceptibles d’être liés à l’utilisation des téléphones pourrait être envisagée.
  • Une campagne d’information sur les risques susceptibles d’être liés à l’utilisation des téléphones pourrait être envisagée.
  • L’interdiction de l’usage au sein des établissements scolaires, pour les moins de 12 ans (A l’origine, dans la note de synthèse, était prévue l’interdiction de la vente des téléphones portables pour les moins de 12 ans).
  • Faire en sorte que les messages publicitaires dans le domaine de la téléphonie soient assortis de mentions recommandant un usage modéré ou, à tout le moins, ne fassent pas la promotion d’usages jugés problématiques par ailleurs.
  • Faire figurer sur les appareils des messages relatifs aux risques éventuels pour la santé ou, à tous le moins, délivrer une information accessible émise par les autorités sanitaires au moment de la vente.
  • Chaque opérateur devra proposer une offre de SMS exclusivement, sans possibilité d’émettre des appels.
  • Les fabricants devront aussi proposer des téléphones portables sans haut-parleur donc pour lesquels l’usage de l’oreillette sera indispensable.

Quant aux antennes relais, les débats ont principalement tourné autour du seuil d’exposition et une seule proposition a été retenue dans le rapport final, il s’agit du « lancement de modélisation sur ordinateur des émissions suivies d’expérimentations dans des villes volontaires d’une modification des seuils ». Plusieurs villes sont expérimenter cette proposition dès cet été. Deux positions d’affrontent toujours quant aux seuils c’est pourquoi aucun consensus n’a pu être trouvé. Ces deux options sont :

  • La reconnaissance du principe Alara c’est-à-dire des seuils aussi bas que possible, lié à la fixation d’une valeur cible dans les lieux de vie.
  • Un accord sur une valeur cible de qualité à définir entre les opérateurs concernés dans les lieux de vie.

Ensuite, un plan serait élaboré afin que les parties concernées puissent discuter de tous les problèmes liés aux implantations des antennes relais, du début de projet jusqu’à l’implantation de l’antenne. Même si beaucoup d’associations se disent déçues par ce Grenelle des onde, c’est tout de même un premier pas vers une réflexion nécessaire dans un monde où les ondes électromagnétiques sont partout et dans lequel l’incertitude règne.

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