Un salarié doit-il travailler exclusivement pour son employeur ? Quelles sont les conditions exigées pour la validité d'une clause d'exclusivité ? (fr)

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Franc Muller , Avocat au barreau de Paris
Juin 2018


Il est assez fréquent que le contrat de travail d’un Cadre salarié, travaillant à temps plein, comporte une clause réservant à son employeur l’exclusivité de son activité professionnelle, et subordonne l’exercice d’une activité complémentaire à son autorisation préalable.


Quel risque le salarié qui transgresserait cette obligation encourt-il ?


On sait que le contrat de travail impose aux parties le respect d’une obligation de loyauté [1].


La jurisprudence considère à cet égard que l’exercice par un salarié d’une activité concurrente [2] à celle de son employeur, pendant la durée de la relation contractuelle, constitue un manquement à l’obligation de loyauté et l’expose à un licenciement pour faute grave.


Il a ainsi été jugé que le fait pour un salarié de créer une société dont l’activité était directement concurrente à celle de son employeur, sans l’en informer, caractérisait un manquement à son obligation de loyauté, peu important que des actes de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle soient ou non établis, et que son licenciement pour faute grave était justifié (Cass. Soc. 30 nov. 2017 n° 16-14541) [3].


Mais qu’en est-il lorsqu’un salarié crée, sur son temps libre, une société en ligne dans un secteur d’activité rigoureusement différent de celui de son employeur, sans avoir préalablement recueilli son accord, méconnaissant les exigences de son contrat de travail ?


Il est certain que la réaction de l’employeur qui procéderait opportunément à cette découverte serait modulée en fonction de son intérêt à sanctionner ou non l’intéressé.


Son indulgence serait probablement acquise à un salarié qu’il apprécie et dont il a besoin, tandis qu’il n’hésiterait pas à invoquer ce motif pour en licencier un autre, qui se trouvait déjà dans l’œil du cyclone.


Un récent arrêt de la Cour de cassation apporte une vision éclairante à cette interrogation.


Un salarié occupait un emploi de chef de marché marketing dans une société ayant pour activité l’édition et la vente d’ouvrages professionnels.


Son contrat de travail comprenait un article l’obligeant à solliciter l’autorisation de son employeur s’il souhaitait exercer une activité complémentaire.


Celui-ci ayant découvert que l’intéressé avait créé plusieurs années après son engagement une société de vente en ligne de vêtements, à laquelle il consacrait une partie de son activité, l’avait licencié pour ce motif.


Le salarié contestait son licenciement devant la juridiction prud’homale, soutenant que l’insertion de la clause litigieuse dans le contrat de travail portait une atteinte excessive à sa liberté de travail, et s’appuyait sur les dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail, prévoyant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».


Il ajoutait que la clause était rédigée en termes généraux et ne précisait pas les contours de l’activité complémentaire à laquelle il pouvait, ou pas, se livrer.


La cour d’appel l’a suivi cette argumentation et jugé que la clause était illicite en raison d’une formulation tellement large qu’elle aurait permis à l’employeur de porter atteinte à la liberté du travail et même à la vie privée du salarié.


La Chambre sociale de la Cour de cassation, saisie par l’employeur, confirme cette solution et relève que « la clause d’exclusivité était rédigée en termes généraux et imprécis ne spécifiant pas les contours de l’activité complémentaire qui serait envisagée par le salarié, activité bénévole ou lucrative, professionnelle ou de loisirs et qu’ils ne permettaient pas dès lors de limiter son champ d’application ni de vérifier si la restriction à la liberté du travail était justifiée et proportionnée » (Cass. Soc. 16 mai 2017 n° 16-25272)[4].


Cette décision très intéressante énonce ainsi qu’une clause d’exclusivité trop générale et imprécise, ne spécifiant pas l’activité complémentaire visée par ses prévisions, est illicite pour les raisons exposées.