Un salarié est-il obligé d’accepter un changement de lieu de travail ? Outre l'existence d'une éventuelle clause de mobilité, il convient d'apprécier si ce lieu est situé dans le même secteur géographique (fr)

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Franc Muller, Avocat au barreau de Paris
Mars 2019


Lorsqu’une entreprise prend la décision de déménager, ce changement de lieu de travail est susceptible d’avoir une incidence sur la vie personnelle du salarié lorsque les moyens de transport, leur coût, et le temps de trajet sont impactés, et l’obligent parfois à s’interroger sur la poursuite de la relation contractuelle.


Le temps où l’employeur pouvait imposer au salarié d’établir son lieu de résidence à proximité de l’entreprise est révolu, la jurisprudence considérant en effet que «  toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile et que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché » (Cass. Soc. 28 fév. 2012 n° 10-18308 [1]).


C’est ainsi qu’a été jugé injustifié le licenciement d’une salariée dont le contrat de travail lui faisait obligation d’avoir son domicile à moins de 200 mètres de son lieu de travail, et qui avait été congédiée pour avoir osé s’en être éloignée de 20 kilomètres.


Mais qu’en est-il en pratique, le salarié a-t-il l’obligation d’accompagner ce changement de site et de rejoindre le nouveau lieu d’affectation, ou peut-il valablement opposer un refus à son employeur ?


Il convient de distinguer, tout d’abord, selon que le contrat de travail contient, ou non, une clause de mobilité [2] .


Si c’est le cas, et sous réserve qu’elle soit licite et que sa mise en œuvre soit justifiée par l’intérêt de l’entreprise, il y a lieu de se reporter à ses prévisions pour apprécier son application.


En revanche, lorsque le contrat de travail ne comporte pas de clause de mobilité, la Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé comme critère le secteur géographique.


Elle considère que si le nouveau lieu de travail est situé dans le même secteur géographique[3] que le précédent, il s’agit d’un simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction de l’employeur, de sorte que le salarié n’est pas fondé à le refuser, son refus l’exposant à un licenciement pour faute (Cass. Soc. 20 nov. 2013 n° 12-30100 [4]).


Si le nouveau lieu de travail est situé en dehors du secteur géographique dans lequel était exercée la relation de travail, la jurisprudence considère qu’il s’agit d’une modification du contrat de travail, de sorte que le salarié n’est pas tenu de l’accepter et que son refus n’est pas fautif.


Mais la loi ne définissant pas le secteur géographique, ses contours sont esquissés par les décisions de justice.


A cet égard, un récent arrêt mérite d’être signalé car il nous parait apporter une contribution intéressante.


Une salariée qui travaillait à Châteauneuf-de-Gadagne, dans le Vaucluse, et dont le contrat de travail ne contenait pas de clause de mobilité, avait été licenciée pour avoir refusé de rejoindre le nouveau lieu de travail que lui avait assigné son employeur, qui se trouvait à Aix-en-Provence, dans les bouches du Rhône.


Contestant son licenciement, elle soutenait que les deux lieux de travail ne se situaient par dans la même zone d’emploi, étant précisé qu’ils étaient séparés d’une distance comprise entre 65 et 80 kilomètres selon les estimations, et partant, qu’ils ne se situaient pas dans le même secteur géographique.


La Cour d’appel avait adopté ce raisonnement et jugé que les deux lieux n’étaient pas localisés dans le même bassin d’emploi, de sorte qu’ils ne relevaient pas du même secteur géographique, le refus de la salariée était en conséquence justifié, et son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.


La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve la décision, le nouveau lieu de travail était distant de 80 km du précédent et n’appartenait pas au même bassin d’emploi, la cour d’appel a ainsi pu juger qu’il ne se situait pas dans le même secteur géographique (Cass. Soc. 20 fév. 2019 n° 17-24094 [5]).


Il est donc intéressant de noter l’association faite entre le bassin d’emploi et le secteur géographique.


Cet argument est au demeurant fréquemment utilisé, y compris pour les changements de lieu de travail situés en région parisienne.


Le critère du bassin d’emploi peut être combiné à la distance séparant les deux sites et aux moyens de transport les desservant.


C’est ainsi qu’il a été jugé que le transfert d’activité d’une entreprise entre Saint-Ouen l’Aumône (95) et les Ulis (91) n’était pas localisé dans le même secteur géographique, et que le changement d’affectation de la salariée concernée constituait une modification de son contrat de travail qu’elle n’était pas tenue d’accepter (Cass. Soc. 3 fév. 2017 n° 15-21674 [6]).