Vers une harmonisation européenne de la taxation du secteur financier ?

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Cet article est issu du 4e numéro de la Revue de l'Association Nationale des Avocats et élèves-avocats Docteurs en Droit. La Grande bibliothèque du Droit est partenaire de l'ANAD

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Me. Ahlem BENABDERRAZAK
Avocate au Barreau de Paris
Docteur en droit public
Membre de l'ANAD


L’idée de taxation des transactions financières a notamment émergée après la crise de 2008-2009. Elle a suscité et suscite encore des débats passionnés entre partisans et opposants. L’imposition du secteur a été considérée comme une contribution équitable aux finances publiques après que les Etats aient engagé des sommes colossales pour renflouer le secteur pendant la crise. En effet, afin d’éviter l’effondrement du système financier, les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe ont dépensé en moyenne entre 3 à 5 % de leur produit intérieur brut pour apporter un concours direct au secteur et des garanties et engagements pour un montant représentant 17 % de leur PIB.

La taxation du secteur génèrerait de nouvelles recettes fiscales indispensables d'un point de vue budgétaire. A cet effet la Commission a présenté une proposition de directive suggérant la mise en place d’un système commun de taxe sur les transactions financières sur la base de l’article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.[1]

L’enthousiasme de la Commission à propos de cette taxe se lisait dans les propos d’lgirdas Šemeta, commissaire chargé de la fiscalité, de l’union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude, qui a déclaré que : « par cette proposition, l'Union européenne joue un rôle de précurseur dans la mise en œuvre d'une taxe sur les transactions financières à l'échelle mondiale. Notre projet est solide et réalisable. Je ne doute pas que cette taxe aboutisse aux résultats attendus par les citoyens européens, à savoir l'apport d'une contribution équitable par le secteur financier. Je suis sûr que nos partenaires du G20 ne manqueront pas de voir leur intérêt à suivre cette voie.».

Toutefois, cet enthousiasme n’était pas partagé par tous les Etats membres. Plusieurs pays membres se sont montrés très peu enclins à l’établissement de la taxe. C’est le cas de la Suède. Craignant que la nouvelle taxe nuise au modèle de société d'investissement suivi par les entreprises suédoises tels que Volvo et Eriksson, elle s’est opposée à son adoption. Il convient de souligner que l’introduction d’une taxe sur les transactions financières en Suède dans les années 1980 a entrainé des délocalisations massives aboutissant à un transfert de plus de 60 % de l’activité financière au profit de la place londonienne[2].

Par ailleurs, le Royaume-Uni a, à son tour, refusé le projet de directive, très différent de son propre système de taxe sur les transactions financières [3]. Les autorités britanniques ont, en effet, affirmé que la taxe aura des répercussions disproportionnées pour le Royaume-Uni, qui abrite la plus grande place financière. Les négociations relatives à la directive établissant une taxe sur les transactions furent ardues. Malgré plusieurs modifications apportées au texte et le recours aux coopérations renforcées, aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé. En effet, la crise passée et la reprise amorcée, les préoccupations nationales reprirent le dessus. Les négociations étaient au point mort à la fin de l’année 2016 (I). Ce sont les conséquences socio-économiques de la crise sanitaire liée au Covid qui vont relancer l’idée de la taxation du secteur financier (II).

L’échec de la mise en place de la taxe sur les transactions financières

L’idée de la taxe sur les transactions financières a été discutée pour la première fois lors du G20 de Pittsburg de septembre 2009. Les Etats ont demandé au fonds monétaire international d’étudier la faisabilité d’une telle taxation. Les marchés financiers étant planétaires et dans une relation d’interconnexion, la Commission européenne plaidait pour une taxe mondiale sur les transactions financières. Toutefois, lors du G20 de Cannes de novembre 2011, l’idée d’une taxe mondiale est abandonnée. Une taxe mondiale se révélait difficile à mettre en place vu les divergences de points de vue entre européens et américains. C’est à l’échelle européenne que sera négociée la taxe.

Toutefois, cette taxe n’emportait pas l’adhésion de tous les pays. Le principal argument présenté contre la taxe à l’échelle européenne était le problème de délocalisation qu’elle pourrait entraîner. Il a été avancé qu’une telle taxe provoquerait des fuites de capitaux au moment où l’Union traversait des périodes de turbulences financières[4] . En effet, cette taxe pourrait inciter les entreprises à partir vers d'autres pays n'imposant pas un tel impôt.

La difficulté des discussions à propos de ce projet a révélé de grandes divisions entre les pays. L’unanimité requise pour l’adoption de la directive a été jugée impossible à atteindre dans un avenir proche. Le recours à une coopération renforcée entre Etats membres souhaitant l’adoption de cette taxe a alors été envisagé. Cet outil, fondé sur le volontarisme de certains États ayant décidé de renforcer leur action commune sur un sujet défini, semblait, malgré la complexité du processus, pouvoir donner une nouvelle impulsion à l’adoption de la taxe.

Le 23 octobre 2012, la Commission a proposé au Conseil d’autoriser une coopération renforcée pour un système commun de taxe sur les transactions financières. Le 22 janvier 2013, le Conseil donne son approbation[5] après avoir eu l’accord du Parlement européen [6] . La nouvelle proposition de directive présentée sous l’impulsion d’onze Etats membres[7] , reprenait le champ d’application et les objectifs de la proposition initiale tout en renforçant les clauses anti-abus et anti-délocalisation. Elle reprenait également presque les mêmes modalités de taxation prévue par la proposition de 2011.

Bien que la taxe ne concernait qu’un groupe restreint d’Etats, les discussions furent difficiles. Réunis à Bruxelles en mai 2014, les onze ministres européens des finances n’ont pas réussi à s’entendre sur les modalités de l’imposition. Le projet semblait être abandonné avant que la question ne soit remise sur la table des négociations en 2015 sous l’impulsion de la France. Les négociations reprirent mais n’aboutirent pas. Plusieurs modifications ont été apportées au projet initial. Néanmoins, aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé, le projet a, en conséquence, été abandonné en 2016.

La crise sanitaire une nouvelle impulsion pour le projet de taxe sur les transactions financières

Le projet de taxe sur les transactions financières qui semblait être enterré en 2016 a refait surface vers la fin de l’année 2020. Les conséquences socio-économiques causées par le coronavirus a relancé le projet.

C’est dans le cadre du plan pluriannuel de relance s’étendant sur sept ans (2021 à 2027) et constituant, le principal instrument de mise en œuvre du plan de relance visant à faire face aux conséquences socio-économiques de la pandémie de Covid-19 que la proposition de taxe a été faite[8] .

Ce paquet adopté le 17 décembre 2020 par le Conseil inclut plusieurs propositions de taxes. La première est la contribution sur les déchets d’emballages plastiques. Le processus d’adoption de la taxe a été définitivement achevé le 27 mai 2021 après sa ratification par les parlements nationaux. Cette taxe est calculée en fonction du poids des déchets d'emballages en plastique non recyclés, avec un taux d'appel de 0,80 euro par kilogramme.

En outre, le processus d’adoption du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par le plan pluriannuel a été lancé. Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a présenté une proposition législative dans ce sens. Des négociations sont prévues en 2022 pour une mise en œuvre progressive à partir du 1er janvier 2023.

Si pour ces deux taxes les processus sont bien engagés notamment pour la contribution sur les déchets d’emballage plastiques déjà entrée en vigueur, ce n’est pas le cas pour la taxe sur les transactions financières. En effet, le plan pluriannuel prévoit que « l' Union s'efforcera, au cours du prochain CFP, de mettre en place d'autres ressources propres, qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières»[9] . Le vocable utilisé « s’efforcera » et l’emploi du conditionnel ne présage pas de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières dans un avenir prévisible. L’établissement de la taxe, soutenu par les députés européens et certains pays, ne fait pas consensus. La règle de l’unanimité applicable en matière fiscale représente un frein à l’adoption du texte. Afin de surmonter cet obstacle, un recours aux coopérations renforcées est envisagé[10].

Par ailleurs, le projet envisagé est beaucoup moins ambitieux que le projet initial présenté en 2011. Le premier projet présenté par la Commission prévoyait une assiette large avec un faible taux d’imposition. La taxation concernerait toutes les transactions financières à condition qu'au moins une des parties à la transaction soit établie dans un État membre et qu'un établissement financier établi sur le territoire de l'État membre concerné soit partie à la transaction. Le champ d'application prévu par la directive est large. Il vise à couvrir les transactions concernant tous les types d’instruments financiers. Ainsi, il couvre les instruments négociables sur le marché des capitaux, les instruments du marché monétaire[11], les parts ou actions des organismes de placement collectif [12] et les contrats dérivés.

Dans le projet actuel, seuls les achats d'actions de grandes sociétés, affichant une capitalisation boursière de 1 milliard d'euros et plus, seraient imposés, à hauteur de 0,2 %. Les transactions sur les obligations ou sur les produits dérivés ne seraient pas concernées. Par conséquent, la taxe ne pourrait rapporter que 3,5 milliards d'euros, bien loin des 35 milliards envisagés en 2011.

Ce projet timide n’augure pas une mise en place rapide d’une taxe sur les transactions financières. Les intérêts nationaux divergents et les pressions du monde financier s’opposant à la taxe représentent des obstacles difficilement surmontables. Outre ces difficultés, d’autres obstacles plus profonds freinent l’adoption de la taxe. L’affectation du produit de la taxe aux ressources propres de l’Union en contrepartie de la diminution des contributions étatiques soulève des questions d’ordre politique liées à la nature juridique de l’Union européenne. Une taxe harmonisée à l’échelle européenne pourrait porter atteinte à la souveraineté fiscale des Etats membres. Ce qui peut expliquer leur réticence à tout projet instituant un impôt européen.

Le recours au mécanisme de coopération renforcée est révélateur de l’échec d’un projet d’une harmonisation fiscale. En effet, cette solution de second choix a dans une certaine mesure un potentiel désintégrateur. Elle s’apparente beaucoup plus au mode de fonctionnement des organisations internationales et s’éloigne de l’objectif d’intégration prévu par les traités

Références

  1. L’article 113 dispose que « le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence ».
  2. St. R.UMLAUF, “Transaction tax and the behavior of the swedish market”, Journal of financial economics, 33, 1993, p.227.
  3. La taxe est centrée sur les seules actions britanniques.
  4. Critique adressée par l’ancien président de la banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet.
  5. Décision 2013/52/UE du Conseil, du 22 janvier 2013, autorisant une coopération renforcée dans le domaine la taxe sur les transactions financières, (JO L22, p.1).
  6. https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20121207IPR04408/ttf-le-parlement-europeen-donne-son-feu-vert-a-11-etats-membres
  7. Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie. L’Estonie s’est retiré du projet en 2015.
  8. Secrétariat général du Conseil, Réunion extraordinaire du Conseil européen, 17, 18, 19, 20 et 21 juill. 2020, EUCO 10/20, CO EUR 8, Concl. 4, p. 10, pt 1 de l'Annexe
  9. Secrétariat général du Conseil, Réunion extraordinaire du Conseil < européen >, 17, 18, 19, 20 et 21 juill. 2020, EUCO 10/20, CO EUR 8, Concl. 4, p. 64, pts 146 à 150 de l'Annexe. V. ensuite Décis. (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 déc. 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom, JOUE 2020, n° L 424, p. 1, exposé des motifs, pt 8 ; Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’ Union européenne et la Commission européenne, du 16 déc. 2020, relatif à la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière , ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres, JOUE 2020, n° L 433I, p. 28-46, Annexe II, partie B, pts 4 à 12
  10. Les pays parties à cette coopération sont l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie et l’Espagne
  11. A l’exception des instruments de paiement.
  12. Ils incluent les OPCVM et les fonds d’investissement alternatif.